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Le marketing appliqué au secteur public
INTERVIEW DE SONIA CAPELLI
Propos recueillis par Caroline Januel le 5 avril 2011
S'appuyant sur sa double formation en économie/sciences de gestion et ses recherches en communication et sur le
comportement du consommateur, nous livre son approche du marketing. Renonçant à la classiqueSonia Capelli
distinction entre la théorie et les applications, elle envisage le marketing comme une discipline appliquée, s'appuyant sur
le croisement de nombreuses méthodologies. Elle évoque tour à tour les évolutions récentes et marquantes de la
discipline : l'importance de la relation avec le client ou l'usager, la participation du client à la production de l'offre,
l'extension du marketing à la sphère non marchande, l'utilisation du développement durable, etc. Sonia Capelli évoque
ensuite différents travaux de recherche du CRCGM. Pour finir, nous lui avons demandé d'imaginer sous quels angles
son équipe pourrait aborder les questions de mobilité, d'environnement urbain et d'espace public.
Quelle définition donneriez-vous au marketing ?
On peut rappeler tout d'abord que le marketing appartient à la famille des sciences de gestion, définies par le Conseil
National des Universités comme la section 6. Les sciences de gestion recouvrent « la gestion des organisations, la
gestion des entreprises, les fonctions de la gestion, l'audit, la comptabilité, le contrôle de gestion, la finance, la logistique,
la gestion des ressources humaines, le marketing, la stratégie, les systèmes d'Information, la théorie des organisations ».
Il existe un grand nombre de définitions du marketing. On peut citer celle de l'AMA (American Marketing Association) qui
fait souvent référence en la matière : « Marketing is an organizational function and a set of processes for creating,
communicating, and delivering value to customers and for managing customer relationships in ways that benefit the
organization and its stakeholders ». Historiquement, le marketing désigne toutes les techniques d'aide à la vente d'un
produit ou d'un service. Cette définition correspond bien aux pratiques des années 1960. Mais le marketing s'est
transformé petit à petit. Aujourd'hui, il vise à établir une relation durable avec le client ou l'usager, à répondre au mieux à
ses attentes, à le fidéliser, etc. Nous sommes passés d'un marketing transactionnel (où l'on vend un produit une fois à un
© DR
Directrice du Centre de Recherche Clermontois
en Gestion et Management (CRCGM)
<< Tous les domaines de la gestion, même la finance,
ne s'intéressent qu'aux comportements : comment
expliquer les comportements des parties prenantes ?
Quels sont les leviers d'actions managériaux pour
influer sur ces comportements ? >>.
Réalisée par : Caroline JANUEL
Tag(s) : Usager, Marketing public, Usage
Date : 01/06/2011
instant t) à un marketing relationnel. Dans les années 1990, la notion de confiance était au cœur du marketing.
Aujourd'hui, on parle plus volontiers de satisfaction. Les professionnels du marketing répondent à la question : comment
satisfaire le client ou l'usager ?
Comment se traduit dans vos pratiques ce passage d'un marketing transactionnel à un marketing relationnel ?
Concrètement, dans une entreprise, le service marketing porte la voix du client. Il joue le rôle d'interface entre l'extérieur
et les services internes, comme le service de production. Le service marketing réalise un travail de veille, il détecte et
décode les tendances, grâce à toute une série de méthodes. Il participe aussi à ajuster les coûts et les fonctionnalités
d'un objet. Par exemple, lors de la conception d'un objet technique, il doit aussi être capable de dire que le client n'a pas
besoin de telle ou telle fonctionnalité mais souhaiterait avoir ce produit dans d'autres coloris. Et surtout, le marketing
éclaire la dimension relationnelle qui entre en jeu dans tout acte de consommation.
Aujourd'hui, le client consomme un lien plutôt qu'un bien ou un service : il consomme de la relation. Par exemple, si vous
allez dans un café, ce n'est pas seulement parce que vous avez soif mais aussi pour vivre un moment de détente ou de
relations, dans un décor particulier, dans une ambiance particulière à laquelle vous contribuez. Si les personnes âgées
vont si souvent chez le coiffeur, ce n'est pas seulement pour se faire couper les cheveux, mais bien pour partager un
moment de sociabilité. Ces liens, qui existaient auparavant en-dehors de la sphère marchande, s'y développent
aujourd'hui de plus en plus : on achète des relations, des moments de sociabilité, etc.
Est-ce pour cela que le marketing est très critiqué ? On entend souvent que le marketing crée des besoins,
exploite les esprits faibles...
Les besoins existent depuis toujours. Je dis souvent à mes étudiants qu'au Moyen-âge, la servante rêvait d'avoir la robe
de la princesse et il n'y avait pas de marketing... En revanche, le marketing crée des envies qui permettent de satisfaire
des besoins. Par exemple, avoir une vie sociale, des amis, est un besoin que le marketing ne peut pas créer. Par contre,
le marketing peut parfois véhiculer le message que vous ne pourrez vous faire des amis qu'en consommant. Ainsi, des
études menées dans les cours d’école montrent que les enfants achètent des chaussures de marque pour être acceptés
par les autres (Rodhain et Aurier, 2006). C'est un travers mais il s'agit d'un problème d'éducation plus que de marketing.
Devenir un consommateur averti s'apprend. Il y a d'ores et déjà des études montrant la résistance des consommateurs
aux tentatives de persuasion. Les travaux de Scott (1994) montrent que la publicité est devenue un style littéraire à part
entière et est reconnue du premier coup d'œil. Par conséquent, elle n'est pas traitée de la même façon qu'un autre type
de visuel par le récepteur. Les jeunes générations en particulier ne sont pas dupes, cette vision du marketing créant des
besoins et manipulant les esprits est dépassée.
Voyez-vous d'autres évolutions récentes dans le champ du marketing ?
Une autre évolution majeure et récente est la participation du client. Le client coproduit l'offre avec l'entreprise ou la
collectivité de façon à ce que l'offre lui convienne. C'est le cas quand vous allez prendre un café, vous participez à
l'image et à l'ambiance du lieu en échangeant ou non avec les autres clients, en d'autres termes à l'offre. Quand Nike
vous propose sur son site NIKEiD de personnaliser vos chaussures de sport, c'est la même démarche. Il peut s'agir
aussi d'actions plus simples comme le vote pour une nouvelle saveur de yaourt, la proposition d’idées pour la campagne
publicitaire « si j’étais banquier » du Crédit Mutuel , le choix de l’égérie du prochain spot publicitaire de la SNCF ou une
simple boîte à idées.
Le marketing est très critiqué et pourtant il s'étend. On a aujourd'hui le sentiment qu'il touche tous les
domaines...
Le marketing prend beaucoup d'importance et parce qu'il prend beaucoup d'importance, il est très décrié. Pendant
longtemps, le marketing se résumait au marketing produit : comment vendre mes petits pois, dans quelle boîte et à quel
prix ? Puis le marketing s'est étendu pour s'inscrire dans une logique de satisfaction du client, de réponse à ses besoins,
d'anticipation de ses besoins. Aujourd'hui, on entend dire que le marketing est partout. Il touche aussi la sphère non
marchande, comme par exemple les services publics, le monde associatif ou le monde politique. Une de nos études sur
les campagnes de communication des candidats à l'élection présidentielle de 2007 montre bien combien les candidats
sont « vendus » comme des produits. Les logiques sont les mêmes ! La logique marketing rentre vraiment dans les
domaines du public et du social.
Mais en pratique, est-ce si facile d'appliquer une logique marketing au secteur public ?
Il faut bien entendu adapter la démarche car une même personne n’agira pas de la même façon selon qu’elle est cliente
ou citoyenne. Cependant, la distinction entre le secteur privé et le secteur public est difficile pour les usagers. Par
exemple, dans le secteur des transports, les usagers se comportent comme des clients, alors que ce n’est pas le cas
pour les Caisses d’allocation (Sabadie, 2003). Quoiqu’il en soit il faut aller au-delà de ce clivage entre le secteur public et
le secteur privé pour tenir compte des attentes de l’usager. A ce titre, je m'étonne encore que nos interlocuteurs dans les
services communication des collectivités n'aient aucune formation marketing. Historiquement, les personnes dans le
public qui occupent des postes en communication sont majoritairement issues des formations en sciences de
l'information et de la communication. Ces personnes sont très bien formées aux notions d'information, de communication,
aux processus et aux usages de l'information et de la communication, elles sont souvent très créatives, mais elles n'ont
pas de formation en gestion. Elles ne sont pas forcément aptes à établir un plan de communication et à en mesurer ses
effets, comme le monde actuel l'exige. Un chef d'entreprise n'embauchera jamais des personnes sans formation en
gestion pour son service communication/marketing, mais se tournera vers des personnes formées dans des IAE
(Instituts d'administration des entreprises), dans des écoles de commerce, etc. Cette situation n'est pas anodine car il est
parfois difficile de collaborer concrètement avec des collectivités, alors que les besoins semblent importants.
Quels sont les principaux besoins des collectivités auxquels le marketing peut répondre ?
L'un d'entre eux est la prise en compte de la légitimité des collectivités à diffuser tel ou tel message de communication,
de telle ou telle manière. Une plaquette extrêmement travaillée, sur un support de grande qualité très couteux sera très
mal perçue par le public considérant que cet argent aurait du être destiné à d'autres actions. Une association aura tout
intérêt pour garder sa crédibilité et ne pas nuire à son message à utiliser des méthodes « modestes ». Il en est de même
pour la nature du message : un usager accepte qu'une collectivité lui parle du cadre de vie, de sécurité, de
développement durable, etc. Par contre, il est difficilement concevable qu’une collectivité, par exemple une commune,
affiche qu’il vaut mieux vivre chez elle que dans la commune voisine, mêmes s’il existe des éléments concrets de
comparaison.
Cela signifie que le transfert de certaines méthodes très commerciales du marketing du privé au public ou au social n'est
pas du tout évident. Si de nombreux principes restent pertinents, il y a des ajustements à faire.
Comment la montée en puissance du développement durable résonne-t-elle sur les pratiques du marketing ? Le
consommateur/usager parait de plus en plus éclairé sur les biens et services disponibles, comme sur les
pratiques déployées pour le pousser à consommer...
Il y a effectivement une pression de la société pour des pratiques plus responsables. Hier, en gestion, on parlait de
développement durable, aujourd'hui on parle de plus en plus de la responsabilité sociale des entreprises. La RSE
implique des pratiques respectant un certain nombre de normes. Un colloque à Clermont-Ferrand l'année dernière nous
a permis d'explorer ce thème. Il y a schématiquement deux cas de figure : soit vous changez vos pratiques, intégrez le
volet social et sociétal dans votre bilan pour répondre aux obligations légales ou pouvoir prétendre à des appels d'offre
publics exigeant cet engagement, soit vous vous engagez dans une démarche proactive et pouvez acquérir ainsi un
avantage de pionnier, ce qui me parait beaucoup plus intéressant. C'est le cas par exemple de Toyota qui le premier
s'est engagé sur la voie des véhicules hybrides. Aujourd'hui, de nombreux constructeurs automobiles en proposent mais
ils n'ont plus d'avantages concurrentiels à le faire, et c'est encore Toyota qui est présent dans tous les esprits comme un
constructeur soucieux de l'environnement.
Cette déclinaison de la notion de développement durable dans les entreprises est-elle utilisée par le marketing,
pour toucher les consommateurs/usagers ?
Tout d'abord, il faut savoir que cette logique de RSE parait « so frenchy » aux Américains qui ne comprennent pas
pourquoi les entreprises françaises se posent ces questions autour des pratiques socialement responsables. Pour eux,
l'objectif d'une entreprise est de faire du profit, tout au moins de ne pas faire de pertes : elle n'a pas d'autres
responsabilités. Aux Etats-Unis, les hommes, les « charities » ou les fondations s'engagent et développent diverses
actions responsables, mais les entreprises n'ont pas à jouer ce rôle. En France, l'entreprise dépasse la sphère purement
commerciale, on lui prête un rôle social : l'entreprise est considérée comme responsable du bonheur de ses employés,
de la qualité de l'air, de sa consommation d'énergie... L'histoire de Michelin est en cela tout à fait exemplaire : à une
époque, Michelin faisait vivre la ville de Clermont-Ferrand tout entière. C'est Marcel Michelin qui est à l'origine de l'ASM
Clermont Auvergne (ASM signifiant Association Sportive Michelin). Créée en 1912, cette association avait pour but de
distraire et de donner le goût de l'effort aux employés de la Manufacture Michelin.
En France, l'entreprise est considérée comme responsable de tout ce qu'elle fait. Le consommateur et l'usager ont donc
des attentes fortes vis-à-vis des entreprises. Certains veillent à ce que tous leurs choix de consommation soient en
accord avec les principes du développement durable, privilégient telle ou telle entreprise pour leurs pratiques, en
boycottent d'autres, renoncent totalement à certains biens ou services... mais à l'heure actuelle, consommer de cette
manière est un sacerdoce et ces consommateurs sont encore très rares. Cette tendance est néanmoins très étudiée. En
pratique, la majorité des consommateurs et des usagers ne prennent pas en compte les pratiques de l'entreprise, car ils
ne sont pas suffisamment informés pour le faire. Qui en France sait que Body shop a été racheté par l'Oréal?? En
Grande-Bretagne, l'information est davantage connue et des consommatrices ont boycotté les magasins Body shop pour
montrer leur désaccord avec la logique commerciale de l'Oréal. Est-ce que l'Oréal va continuer à tester ses mascaras sur
des lapins ? Est-ce que Body shop va profiter des innovations de l'Oréal ? Ce fait est assez intéressant car il montre bien
l'imbrication qui existe parfois entre les logiques socialement responsables et les logiques commerciales. L'Oréal a
préféré racheter une marque socialement responsable plutôt que de développer des gammes en accord avec les
logiques du développement durable.
Certains consommateurs prennent en compte les pratiques des entreprises dans leurs choix de consommation, mais
pour servir avant tout des intérêts personnels : faire des économies, veiller à sa santé... Si une personne en recherche
d'appartement s'intéresse à la consommation d'énergie des logements, c'est davantage pour estimer les frais à venir que
pour préserver l'environnement. Si une personne privilégie les cosmétiques bio ou mange des produits bio, c'est parce
qu'elle est convaincue que c'est meilleur pour sa santé... On a du mal en tant que consommateur à avoir une vision
holistique du développement durable.
C'est la même chose pour l'entreprise, et je sais que je peux choquer en affirmant cela : l'entreprise ne s'engage pas
dans des pratiques socialement responsables pour la planète, mais bel et bien parce qu'elle y gagne. Actuellement, ces
pratiques ne sont pas encore généralisées donc elles sont encore différenciantes. C'est ce que l'on appelle du marketing
sociétal. C'est par exemple une entreprise qui s'associe au Téléthon et reverse une partie du bénéfice de ses ventes à
l'association. C'est intéressant pour elle en termes d'image, pour augmenter ses ventes, pour toucher des nouveaux
clients qui opteront exceptionnellement pour ce produit car il est associé au Téléthon, etc. Ensuite, des entreprises
s'engagent dans des pratiques socialement responsables aussi parce que leurs concurrents le font. encore, cela ne
veut pas dire que certains chefs d'entreprise ne soient pas intimement convaincus de l'intérêt de pratiques durables. J'en
ai croisé un dans ma carrière : il venait à son travail à vélo, était un consommateur éclairé, veillait aux pratiques de son
entreprise, etc. mais il ne communiquait pas là-dessus... jusqu'au jour il est venu nous voir pour envisager comment
utiliser cela dans son argumentation commerciale.
Aujourd'hui, il est certain que ces pratiques socialement responsables se développent mais ne soyons pas naïfs quant
aux motivations diverses des entreprises, comme des consommateurs-usagers.
La montée en puissance d'internet ces dernières années a-t-elle changé les pratiques du marketing ?
Pour moi, non, les supports ont changé, les moyens sont peut-être démultipliés mais les concepts, et c'est ce qui
m'intéresse en tant que chercheur, n'ont pas changé. Par exemple, le bouche-à-oreille prend une nouvelle ampleur avec
les mails, les blogs, les réseaux sociaux, etc. mais il a toujours existé.
Quelles sont les principales méthodologies utilisées en marketing ?
Nous en utilisons beaucoup. Les sciences de gestion dans leur ensemble se définissent par leur objet. On va utiliser tous
les instruments susceptibles d'étudier cet objet : les méthodes de la sociologie, de la psychologie, de l'ethnologie, des
mathématiques, des statistiques, etc. Le marketing utilise et agrège les données obtenues grâce à ces différentes
méthodes.
En marketing, on peut distinguer les méthodologies quantitatives et qualitatives. Celles-ci regroupent les études de cas,
les entretiens individuels, les « focus group » l'on rassemble un groupe de consommateurs et d'usagers afin de
comprendre leurs attitudes ou comportements à l'égard d'une offre, les récits de vie, les journaux de consommation, les
observations de vidéos, etc. On croise ensuite ces données de différentes sources : on parle de triangulation. Cette
étape est essentielle car, sur certains sujets, les discours des consommateurs/usagers peuvent être biaisés. Les sujets
en lien avec le développement durable en particulier font l'objet de biais de désirabilité sociale : tout le monde adhère aux
concepts du développement durable, mais dans les faits, certaines pratiques ne sont pas si faciles que cela à adopter.
On traite ensuite ces données avec des logiciels d'analyse qualitative comme NVivo utilisé dans notre laboratoire. Ces
logiciels sont intéressants car ils permettent de faire des classifications, du comptage de mots, etc. donc finalement,
obtenir des chiffres.
Quant aux méthodologies quantitatives, on utilise toute la palette qui existe en marketing : beaucoup d'analyses
factorielles, de variance, de régression, etc. Cela dépend de la manière dont sont collectées les données.
Nous menons également des expérimentations, issues des pratiques de la psychologie. Le principe consiste à placer
des groupes de personnes dans des conditions particulières et à observer les différences et similitudes. Par exemple,
faire goûter le même produit mais de couleurs différentes.
Mais comment un professionnel du marketing peut-il maîtriser autant de méthodes ?
La formation à la recherche est un des enjeux de la formation doctorale. Lors d'une thèse en gestion ou en marketing, un
doctorant doit apprendre et utiliser une large palette de méthodes pour traiter son sujet : des méthodes quantitatives,
qualitatives et des expérimentations. Ensuite, un chercheur ayant besoin de telle ou telle méthode saura nouer des
collaborations, apprendre auprès d'autres professionnels pour acquérir les méthodes dont il a besoin. Nous nous
efforçons toujours d'aborder l'objet d'étude au travers de plusieurs méthodologies.
Percevez-vous une demande croissante des acteurs socio-économiques et/ou des collectivités vis-à-vis de votre
discipline ? Comment l'expliquez-vous ?
Pour des questions de gestion et de marketing, ce ne sont malheureusement pas les professionnels en gestion et en
marketing que l'on vient chercher mais des économistes et des sociologues. Les sciences de gestion sont des disciplines
jeunes en France puisqu'elles ont réellement émergé dans les années 1970-80 et manquent encore de reconnaissance.
Et il y a des rivalités entre ces disciplines, sciences de gestion, économie, sociologie. Mais les sciences de gestion se
définissent par leur objet, ce qui n'est pas le cas des autres disciplines. L'économie s'intéressait jusqu'à présent à ce qu'il
y avait en-dehors de l'entreprise et celle-ci était considérée comme une boîte noire. Ayant une double formation en
économie et gestion, je constate que l'économie reste encore très intellectuelle et éloignée des pratiques et du concret,
contrairement à la gestion qui est ancrée dans la réalité. Aujourd'hui, les économistes s'ouvrent aux questions de gestion
et de marketing, mais ne sont pas vraiment au fait des recherches actuelles dans ces disciplines. Pourtant, dans les
formations, l'économie est encore un passage obligé pour ensuite, pouvoir étudier la gestion, ce qui est un non-sens.
En revanche, la gestion est énormément sollicitée dans le cadre de contrats de recherche. Notre laboratoire participe
actuellement à de nombreux projets. Le critère décisif pour accepter ou non ces contrats est simple : il faut qu'il y ait un
intérêt pour la recherche. Souvent on nous sollicite en tant qu'universitaire pour faire du conseil. Expliquer à une
entreprise ce qu'elle doit faire pour implémenter une procédure de développement durable ne m'intéresse pas en tant
que directrice de laboratoire. Il suffit pour cela que l'entreprise envoie un de ses collaborateurs dans une de mes
formations et s'engage réellement dans un processus de formation continue. Or, ce n'est pas la vocation des laboratoires
de recherches qui doivent avant tout produire de la connaissance partagée. Cela signifie que l'entreprise doit ouvrir ses
données, jouer le jeu, collaborer, même si finalement on doit lui dire des choses qui ne lui plaisent pas. Nous publions
ensuite les résultats obtenus en conservant l'anonymat de l'entreprise.
Cette demande est-elle aussi vive de la part des collectivités ?
Les contacts avec les entreprises sont nombreux mais rares avec les institutionnels. Ce qui entretient la méconnaissance
vis-à-vis des sciences de gestion et de leurs apports possibles. Si l’on considère la place lyonnaise qui vous est plus
familière, l'IAE de Lyon travaille en permanence avec le privé, mais l'Université Lyon 2, qui regroupe une large palette de
disciplines à l'exception de celles touchant le commercial, travaille davantage avec les institutionnels. Cela s'explique
aussi par les profils des personnes en poste dans les institutions : on y trouve rarement des personnes diplômées en
sciences de gestion et marketing, elles connaissent peu ces formations (par exemple les filières MAE -Management et
Administration des Entreprises- en formation continue) et entretiennent cette situation.
Nous ne jouons peut-être pas assez notre rôle également. Comme nous avons de nombreuses relations avec les
entreprises, qui sont très chronophages, nous ne faisons pas forcément l’effort de rentrer en contact avec les institutions
pour leur présenter notre offre de formation.
Concrètement, comment engager une collaboration avec le CRCGM ?
Les demandes de collaborations passent par un service de valorisation, ces services existent à présent dans toutes les
universités. Elles recueillent les besoins et déterminent le type de coopérations possibles : soit des coopérations de
recherche (économiquement beaucoup plus avantageuses pour l'entreprise ou la collectivité), soit des coopérations de
conseil. Il y a aussi la possibilité de rentrer dans des Chaires ou dans des pôles de compétitivité, ce qui permet de
bénéficier des fonds publics.
Nous sommes partenaires par exemple de la société parisienne Métropole Gestion, spécialisée dans le « rating » RSE
des entreprises. Certains de nos chercheurs ont également mené des recherches en collaboration avec Michelin et le
Nouvel Hôpital d’Estaing à Clermont.
Nous travaillons aussi avec le Club des 1000 entreprises citoyennes d'Auvergne qui est un collectif de dirigeants qui
militent en faveur de l'implication sociale de l'entreprise. Des chercheurs du laboratoire ont travaillé sur l'implémentation
du personnel des entreprises au développement durable.
Nous avons trois projets principaux de collaboration en cours pour 2012. Premièrement, nous avons postulé dans le
cadre du pôle de compétitivité Viameca pour un financement de la DATAR visant à accompagner les petites entreprises
dans l’adoption d’innovations robotiques. Deuxièmement, nous développons une chaire en Gestion des Ressources
Humaines pour les TPE (Très Petites Entreprises) ancrée sur le réseau des entreprises d’Auvergne. Troisièmement,
nous finalisons une chaire sur l’alter-gouvernance, basée sur l’étude des formes de gouvernance originales
(coopératives, gestion collective, …) en partenariat avec le syndicat des scop et de grandes coopératives françaises
(Limagrain, Crédit Agricole…).
Quels sont les principaux domaines de recherches du CRCGM ?
Le CRCGM est un laboratoire de gestion puridisciplinaire, c'est-à-dire qu’il couvre l’ensemble des domaines de la gestion
(finance, marketing, stratégie, gestion des ressources humaines, logistiques, comptabilité…). Il serait trop long de vous
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