Les anciennes sociétés et l`obligation d`immatriculation

CHRONIQUE
DROIT COMMERCIAL
Alain Castonguay* et Pierre Pratte**
Les anciennes sociétés et l’obligation d’immatriculation
INTRODUCTION
Le Code civil du Québec
(C.c.Q.) et la Loi sur la publicité
légale des entreprises indivi-
duelles, des sociétés et des person-
nes morales1obligent les sociétés
en nom collectif et les sociétés en
commandite à s’immatriculer en
suivant les formalités prévues à
cette loi. Cette obligation s’impose
tant aux sociétés formées depuis le
1er janvier 1994, date d’entrée en
vigueur du C.c.Q., qu’à celles déjà
existantes à cette date. Ces der-
nières avaient jusqu’au 1er janvier
1995 pour s’exécuter2, à défaut de
quoi elles sont considérées comme
des sociétés en participation à
compter de l’expiration de cette
date3. Selon plusieurs, ce change-
ment serait irréversible pour les
anciennes sociétés, de sorte qu’une
immatriculation tardive ne per-
mettrait pas à la société retarda-
taire de redevenir une société en
nom collectif ou en commandite. Si
cette position s’avérait exacte, les
anciennes sociétés, qui ont négligé
de s’immatriculer en temps oppor-
tun, se verraient sanctionner bien
lourdement. On peut se demander
si cela correspond bien à l’inten-
tion du législateur. Nous en dou-
tons.
Autrefois, le Code civil du
Bas-Canada (C.c.B.-C.) et la Loi
sur les déclarations des compa-
gnies et des sociétés4obligeaient les
sociétés commerciales5à se décla-
rer auprès des autorités compéten-
tes. Cette obligation n’était cepen-
dant pas toujours respectée. De
sorte que, au moment de l’entrée
en vigueur du nouveau Code civil,
certaines sociétés existantes
étaient en défaut de se déclarer
selon l’ancien système. Prenant
appui sur l’article 118 L.A.R.C.C.,
on a soutenu que seules ces socié-
tés défaillantes étaient suscepti-
Revue du Barreau/Tome 60/Automne 2000 475
* Notaire.
** Avocat.
1. L.R.Q., c. P-45 (ci-après: L.P.L.).
2. Art. 519 L.P.L. et art. 118 de la Loi sur l’application de la réforme du Code civil
(L.Q. 1992, c. 57) (ci-après: L.A.R.C.C.).
3. Art. 2189, al. 2 C.c.Q. et art. 118 L.A.R.C.C.
4. L.R.Q., c. D-1 (ci-après: L.D.C.S.). Cette loi a été remplacée par la L.P.L.
5. Pour la définition d’une société commerciale sous l’emprise du C.c.B.-C., voir
l’ancien art. 1863.
bles de devenir des sociétés en par-
ticipation en cas de non-imma-
triculation dans le délai prescrit6.
Pour les autres sociétés existantes
au 31 décembre 1993, soit celles
qui s’étaient déclarées conformé-
ment aux anciennes dispositions
législatives, le défaut d’immatricu-
lation n’entraînerait aucune sanc-
tion civile7.
Nous avons trouvé intéres-
sante l’idée de différencier les
anciennes sociétés dûment décla-
rées des anciennes sociétés en
défaut de se déclarer. Cependant,
après analyse, il nous a paru préfé-
rable de proposer une autre solu-
tion. Ainsi, d’une part, nous
pensons que la loi n’entend pas
traiter différemment les anciennes
sociétés, selon qu’elles étaient en
règle ou non avec le système de
déclaration existant avant le 1er
janvier 1994. Mais, d’autre part,
nous croyons que la sanction civile,
imposée aux anciennes sociétés en
défaut de s’immatriculer en temps
opportun, n’a pas un caractère per-
manent; une telle sanction cesse-
rait dès l’immatriculation, même
si faite après le 1er janvier 1995.
L’ARTICLE 2189 C.C.Q. ET
LES SOCIÉTÉS EXISTANTES
AU 31 DÉCEMBRE 19938
L’article 118 L.A.R.C.C. se lit
comme suit:
Les sociétés qui sont en défaut
de se déclarer lors de l’entrée
en vigueur de la loi nouvelle
deviennent des sociétés en parti-
cipation, en application des dis-
positions du nouveau code, si
elles n’y ont pas remédié à l’expi-
ration d’un délai d’un an à comp-
ter de cette entrée en vigueur.
On remarquera que cette dis-
position réfère aux sociétés «en
défaut de se déclarer lors de l’en-
trée en vigueur de la nouvelle loi».
Logiquement, disent certains9,il
ne peut s’agir que d’un défaut
d’exécution s’étant produit sous
l’ancien système. Partant de là, ils
signalent que cet article ne s’appli-
querait pas aux anciennes sociétés
qui s’étaient déclarées conformé-
ment aux dispositions en vigueur
avant le 1er janvier 1994. Même
plus, dans le cas des sociétés décla-
rées10, ils ajoutent que le défaut
d’immatriculation selon les nou-
velles dispositions ne pourrait
476 Revue du Barreau/Tome 60/Automne 2000
6. Marc-André LABRECQUE, «Commentaires relatifs aux principales règles
régissant la transition des sociétés civiles, des sociétés en nom collectif et des
sociétés en commandite du Code civil du Bas Canada au Code civil du Québec»,
(2000) 102 R. du N. 295.
7. Ibid.
8. Dans le présent texte, nous ne discutons pas de la sanction prévue au deuxième
alinéa de l’art. 115 L.A.R.C.C. Lorsque nous parlons des sociétés existantes
au 31 décembre 1993, nous visons les anciennes sociétés commerciales, plus
particulièrement les anciennes sociétés en nom collectif ou en commandite. Tou-
tefois, on peut penser que les conclusions auxquelles nous arrivons sont suscep-
tibles de s’appliquer aux anciennes sociétés civiles (devenues des sociétés en
nom collectif aux termes de l’art. 115, al. 1 L.A.R.C.C.) qui ont fait défaut de
s’immatriculer dans le délai prescrit.
9. M.-A. LABRECQUE, loc. cit., note 6.
10. C.-à-d. les sociétés qui se sont déclarées conformément aux formalités prévues
dans les anciennes dispositions législatives.
entraîner qu’une sanction péna-
le11. À première vue, le texte de
l’article 118 L.A.R.C.C. pourrait
soutenir ces prétentions. Cepen-
dant, une analyse plus large nous
conduit à une solution différente.
Voyons cela.
L’article 118 L.A.R.C.C. n’ap-
paraissait pas au départ dans le
Projet de loi 3812. Il fut ajouté en
commission parlementaire lors de
l’étude, article par article, dudit
projet de loi. L’amendement pro-
posé correspond au texte actuel de
cet article. Lors de la présentation
de cet ajout, on donna le commen-
taire suivant:
Cet amendement vise à repor-
ter d’un an l’application, aux
sociétés existantes, des règles
du nouveau Code qui prévoient
désormais qu’à défaut de se
déclarer les sociétés en comman-
dite ou en nom collectif, y com-
pris celles qui étaient soumises
au régime de ces sociétés, seront
considérées comme des sociétés
en participation.13
Si notre compréhension de ce
commentaire est exacte, il est pos-
sible qu’une erreur se soit glissée
lors de la rédaction du texte de
loi. Le problème, nous semble-t-
il, résulterait du fait que les mots
«lors de l’entrée en vigueur de la
loi nouvelle», que l’on retrouve à
l’article 118 L.A.R.C.C.14, n’au-
raient pas été reliés à la bonne
chose. Nous pensons que, dans
l’esprit du commentateur, il s’agis-
sait de «reporter d’un an l’applica-
tion, à toutes les sociétés existan-
tes, des règles du nouveau Code».
Pour être conforme à cette idée,
il aurait fallu que l’article 118
L.A.R.C.C. parle des «sociétés exis-
tantes lors de l’entrée en vigueur
de la loi nouvelle» plutôt que du
«défaut de se déclarer lors de l’en-
trée en vigueur de la loi nouvelle»,
comme le dit actuellement cet arti-
cle. Plus concrètement, pour res-
pecter ce que nous croyons être la
pensée du commentateur15, la dis-
position transitoire aurait dû se
lire comme suit:
Les sociétés existantes lors de
l’entrée en vigueur de la loi nou-
velle, qui sont en défaut de se
déclarer conformément à cette
loi, deviennent des sociétés en
participation, en application des
dispositions du nouveau code, si
elles n’y ont pas remédié à l’expi-
ration d’un délai d’un an à comp-
ter de cette entrée en vigueur.
Il est intéressant de consta-
ter que les commentaires du minis-
tre de la Justice vont dans le même
sens. En effet, le ministre écrit que
l’article 118 L.A.R.C.C. «vise à
reporter d’un an l’application, aux
sociétés existantes lors de l’entrée
en vigueur de la loi nouvelle, des
règles du nouveau code»16. Et, plus
loin, de parler du «défaut de se
Revue du Barreau/Tome 60/Automne 2000 477
11. M.-A. LABRECQUE, loc. cit., note 6. Pour la sanction pénale applicable, voir les
art. 107 et 525 L.P.L.
12. Précisons que ce Projet de loi est devenu la L.A.R.C.C.
13. Source: Pierre-André CÔTÉ et Daniel JUTRAS, Le droit transitoire civil –
Sources annotées, Cowansville, Éditions Yvon Blais, édition à feuilles mobiles.
14. Notons que ces mots n’apparaissent pas comme tels dans les propos du com-
mentateur.
15. Il est possible que l’article 118 L.A.R.C.C. ait été rédigé par un légiste du gou-
vernement, suite à une demande du commentateur.
16. MINISTÈRE DE LA JUSTICE DU QUÉBEC, Commentaires du ministre de la
Justice, Tome III, Publications du Québec, 1993, commentaire sous l’art. 118, p.
95 (nos italiques).
déclarer conformément à la loi
[nouvelle]»17. Ainsi, malgré la
rédaction actuelle de l’article en
question, le ministre de la Justice
considère, d’une part, que la dispo-
sition transitoire s’adresse à toutes
les anciennes sociétés et pas seule-
ment à celles qui sont en défaut de
se déclarer selon l’ancien système
et, d’autre part, que le défaut, dont
il est question à l’article 118
L.A.R.C.C., doit s’entendre d’un
défaut d’immatriculation en vertu
de la L.P.L. et non d’un défaut de
déclaration en vertu du C.c.B.-C. et
de L.D.C.S. comme cet article peut
le laisser croire. Il y a donc une dif-
férence importante entre le texte
de loi et les commentaires qui l’ont
accompagné. Nous sommes enclin
à penser que les commentaires du
ministre reflètent probablement la
véritable intention du législateur.
Cependant, sans intervention de
nos élus ou des tribunaux, il nous
faut, pour l’instant, vivre avec le
texte de loi, tel qu’il est rédigé
actuellement. Qu’à cela ne tienne,
nous croyons néanmoins possible
d’arriver au même résultat que
celui envisagé par les commenta-
teurs.
Le deuxième alinéa de l’ar-
ticle 2189 C.c.Q. se lit comme suit:
[La société en nom collectif ou
en commandite] est tenue de se
déclarer, de la manière prescrite
par les lois relatives à la publi-
cité légale des sociétés; à défaut,
elle est réputée être une société
en participation, sous réserve
des droits des tiers de bonne foi.
Cette disposition énonce
l’obligation de déclaration18 et la
sanction applicable en cas de
défaut. Notons qu’aucun délai
d’exécution n’est spécifié. C’est
donc ailleurs qu’il faut chercher
pour le trouver. Comme nous
invite à le faire cet article, c’est
vers la L.P.L. qu’il faut se tourner
pour trouver la réponse. Le délai
est de soixante jours pour les socié-
tés formées depuis le 1er janvier
199419 et au plus tard le 1er janvier
1995 pour les sociétés existantes
au 31 décembre 199320. Par ail-
leurs, quant à l’obligation d’imma-
triculation et à la sanction qui l’ac-
compagne, toutes deux prévues à
l’article 2189 C.c.Q., trois possibili-
tés s’offrent à nous: 1) elles ne
s’appliquent qu’aux sociétés for-
mées après l’entrée en vigueur de
cet article; 2) elles s’appliquent à
toutes les sociétés, y compris celles
existantes au 31 décembre 1993;
3) elles s’appliquent à toutes les
sociétés (anciennes et nouvelles),
sauf exception prévues ailleurs.
Qu’en est-il au juste?
Selon le premier alinéa de
l’article 3 L.A.R.C.C., la «loi nou-
velle est applicable aux situa-
tions juridiques en cours [au 1er
janvier 1994]». Certes, en matière
contractuelle, tels les contrats de
société, le premier alinéa de l’ar-
ticle 4 L.A.R.C.C.21 écarte ce prin-
cipe général, mais seulement pour
478 Revue du Barreau/Tome 60/Automne 2000
17. Ibid.
18. «Immatriculation» selon la nouvelle terminologie utilisée dans la L.P.L.
19. Art. 9 L.P.L.
20. Art. 519 L.P.L.
21. Le premier alinéa de l’art. 4 L.A.R.C.C. se lit comme suit: «Dans les situations
juridiques contractuelles en cours lors de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle,
la loi ancienne survit lorsqu’il s’agit de recourir à des règles supplétives pour
déterminer la portée et l’étendue des droits et des obligations des parties, de
même que les effets du contrat.»
la détermination des obligations
et des conséquences juridiques du
contrat entre les parties contrac-
tantes22; pour le reste, la loi nou-
velle est applicable. Or, manifeste-
ment la règle énoncée au deuxième
alinéa de l’article 2189 C.c.Q.
déborde le cadre du premier alinéa
de l’article 4 L.A.R.C.C. Ainsi, a
priori, il faut tenir que toutes les
sociétés existantes au 31 décembre
1993 sont soumises à l’obligation
d’immatriculation et à la sanction
prévues au deuxième alinéa à l’ar-
ticle 2189 C.c.Q. Ces articles 3 et
4 L.A.R.C.C. sont situés dans le
premier chapitre intitulé «Disposi-
tions générales». Quant à l’article
118 de cette même loi, il est loca-
lisé au deuxième chapitre intitulé
«Dispositions particulières». Au
sujet de ces dispositions particuliè-
res, on retrouve le commentaire
suivant23:
Certaines de ces dispositions
prévoient des exceptions aux
principes généraux ou aux règles
de bases énoncées dans le pre-
mier chapitre [...]. D’autres dis-
positions de ce chapitre ont pour
seul but de préciser ou d’indi-
quer la règle de droit à appliquer
[...].
L’article 118 L.A.R.C.C.
constitue-t-il une exception aux
principes formulés aux articles
généraux de cette loi ou contient-
il plutôt une précision au sujet
d’une règle de droit? On l’a vu, nor-
malement l’article 2189 C.c.Q. est
applicable aux sociétés existantes
au 31 décembre 1993. Il y aurait
donc exception, si la disposition
particulière excluait, pour certai-
nes sociétés existantes, la sanc-
tion prévue au deuxième alinéa
de l’article 2189 C.c.Q. Or, l’article
118 L.A.R.C.C. ne formule aucune-
ment une telle exception; au con-
traire. En effet, en lisant la dis-
position transitoire, on constate
que les anciennes sociétés en
défaut de se déclarer deviennent
des sociétés en participation en
application des dispositions du
nouveau code. Ainsi donc, l’article
2189 C.c.Q., et en particulier la
sanction civile qui y est prévue,
s’applique aux anciennes sociétés
ayant omis ou négligé de se décla-
rer selon l’ancien système. En fait,
l’article 118 L.A.R.C.C. ne vient
que préciser le délai d’exécution
de l’obligation d’immatriculation
prévue au Code civil.
Qu’en est-il des sociétés
déclarées selon les anciennes
règles? L’article 2189 C.c.Q. ne fai-
sant aucune distinction entre les
anciennes sociétés en défaut de se
déclarer et les anciennes sociétés
dûment déclarées, nous ne voyons
pas pourquoi ces dernières ne
seraient pas soumises à la sanction
qui y est prévue. Certes, compte
tenu de la rédaction de l’article 118
L.A.R.C.C., on pourrait soutenir
que le législateur, en se pronon-
çant expressément au sujet des
anciennes sociétés en défaut de
se déclarer, excluait implicitement
les autres sociétés existantes, soit
celles qui n’étaient pas en défaut
de se déclarer. Autrement dit, il
y aurait là un signe que les ancien-
nes sociétés déclarées seraient
exclues de l’application de la nou-
velle sanction prévue à l’article
2189 C.c.Q. Nous ne pensons pas
qu’il en soit ainsi.
Revue du Barreau/Tome 60/Automne 2000 479
22. MINISTÈRE DE LA JUSTICE DU QUÉBEC, op. cit., note, 16, commentaire
sous l’art. 4, p. 8 (nos italiques).
23. Id., commentaire général à la p. 17.
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