Les anciennes sociétés et l`obligation d`immatriculation

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CHRONIQUE
DROIT COMMERCIAL
Alain Castonguay* et Pierre Pratte**
Les anciennes sociétés et l’obligation d’immatriculation
INTRODUCTION
Le Code civil du Québec
(C.c.Q.) et la Loi sur la publicité
légale des entreprises individuelles, des sociétés et des personnes morales1 obligent les sociétés
en nom collectif et les sociétés en
commandite à s’immatriculer en
suivant les formalités prévues à
cette loi. Cette obligation s’impose
tant aux sociétés formées depuis le
1er janvier 1994, date d’entrée en
vigueur du C.c.Q., qu’à celles déjà
existantes à cette date. Ces dernières avaient jusqu’au 1er janvier
1995 pour s’exécuter2, à défaut de
quoi elles sont considérées comme
des sociétés en participation à
compter de l’expiration de cette
date3. Selon plusieurs, ce changement serait irréversible pour les
anciennes sociétés, de sorte qu’une
immatriculation tardive ne permettrait pas à la société retardataire de redevenir une société en
nom collectif ou en commandite. Si
cette position s’avérait exacte, les
anciennes sociétés, qui ont négligé
de s’immatriculer en temps opportun, se verraient sanctionner bien
lourdement. On peut se demander
si cela correspond bien à l’intention du législateur. Nous en doutons.
Autrefois, le Code civil du
Bas-Canada (C.c.B.-C.) et la Loi
sur les déclarations des compagnies et des sociétés4 obligeaient les
sociétés commerciales5 à se déclarer auprès des autorités compétentes. Cette obligation n’était cependant pas toujours respectée. De
sorte que, au moment de l’entrée
en vigueur du nouveau Code civil,
certaines sociétés existantes
étaient en défaut de se déclarer
selon l’ancien système. Prenant
appui sur l’article 118 L.A.R.C.C.,
on a soutenu que seules ces sociétés défaillantes étaient suscepti-
*
**
1.
2.
Notaire.
Avocat.
L.R.Q., c. P-45 (ci-après: L.P.L.).
Art. 519 L.P.L. et art. 118 de la Loi sur l’application de la réforme du Code civil
(L.Q. 1992, c. 57) (ci-après: L.A.R.C.C.).
3. Art. 2189, al. 2 C.c.Q. et art. 118 L.A.R.C.C.
4. L.R.Q., c. D-1 (ci-après: L.D.C.S.). Cette loi a été remplacée par la L.P.L.
5. Pour la définition d’une société commerciale sous l’emprise du C.c.B.-C., voir
l’ancien art. 1863.
Revue du Barreau/Tome 60/Automne 2000
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bles de devenir des sociétés en participation en cas de non-immatriculation dans le délai prescrit6.
Pour les autres sociétés existantes
au 31 décembre 1993, soit celles
qui s’étaient déclarées conformément aux anciennes dispositions
législatives, le défaut d’immatriculation n’entraînerait aucune sanction civile7.
Nous avons trouvé intéressante l’idée de différencier les
anciennes sociétés dûment déclarées des anciennes sociétés en
défaut de se déclarer. Cependant,
après analyse, il nous a paru préférable de proposer une autre solution. Ainsi, d’une part, nous
pensons que la loi n’entend pas
traiter différemment les anciennes
sociétés, selon qu’elles étaient en
règle ou non avec le système de
déclaration existant avant le 1er
janvier 1994. Mais, d’autre part,
nous croyons que la sanction civile,
imposée aux anciennes sociétés en
défaut de s’immatriculer en temps
opportun, n’a pas un caractère permanent; une telle sanction cesserait dès l’immatriculation, même
si faite après le 1er janvier 1995.
L’ARTICLE 2189 C.C.Q. ET
LES SOCIÉTÉS EXISTANTES
AU 31 DÉCEMBRE 19938
L’article 118 L.A.R.C.C. se lit
comme suit:
Les sociétés qui sont en défaut
de se déclarer lors de l’entrée
en vigueur de la loi nouvelle
deviennent des sociétés en participation, en application des dispositions du nouveau code, si
elles n’y ont pas remédié à l’expiration d’un délai d’un an à compter de cette entrée en vigueur.
On remarquera que cette disposition réfère aux sociétés «en
défaut de se déclarer lors de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi».
Logiquement, disent certains9, il
ne peut s’agir que d’un défaut
d’exécution s’étant produit sous
l’ancien système. Partant de là, ils
signalent que cet article ne s’appliquerait pas aux anciennes sociétés
qui s’étaient déclarées conformément aux dispositions en vigueur
avant le 1er janvier 1994. Même
plus, dans le cas des sociétés déclarées10, ils ajoutent que le défaut
d’immatriculation selon les nouvelles dispositions ne pourrait
6.
Marc-André LABRECQUE, «Commentaires relatifs aux principales règles
régissant la transition des sociétés civiles, des sociétés en nom collectif et des
sociétés en commandite du Code civil du Bas Canada au Code civil du Québec»,
(2000) 102 R. du N. 295.
7. Ibid.
8. Dans le présent texte, nous ne discutons pas de la sanction prévue au deuxième
alinéa de l’art. 115 L.A.R.C.C. Lorsque nous parlons des sociétés existantes
au 31 décembre 1993, nous visons les anciennes sociétés commerciales, plus
particulièrement les anciennes sociétés en nom collectif ou en commandite. Toutefois, on peut penser que les conclusions auxquelles nous arrivons sont susceptibles de s’appliquer aux anciennes sociétés civiles (devenues des sociétés en
nom collectif aux termes de l’art. 115, al. 1 L.A.R.C.C.) qui ont fait défaut de
s’immatriculer dans le délai prescrit.
9. M.-A. LABRECQUE, loc. cit., note 6.
10. C.-à-d. les sociétés qui se sont déclarées conformément aux formalités prévues
dans les anciennes dispositions législatives.
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L’article 118 L.A.R.C.C. n’apparaissait pas au départ dans le
Projet de loi 3812. Il fut ajouté en
commission parlementaire lors de
l’étude, article par article, dudit
projet de loi. L’amendement proposé correspond au texte actuel de
cet article. Lors de la présentation
de cet ajout, on donna le commentaire suivant:
chose. Nous pensons que, dans
l’esprit du commentateur, il s’agissait de «reporter d’un an l’application, à toutes les sociétés existantes, des règles du nouveau Code».
Pour être conforme à cette idée,
il aurait fallu que l’article 118
L.A.R.C.C. parle des «sociétés existantes lors de l’entrée en vigueur
de la loi nouvelle» plutôt que du
«défaut de se déclarer lors de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle»,
comme le dit actuellement cet article. Plus concrètement, pour respecter ce que nous croyons être la
pensée du commentateur15, la disposition transitoire aurait dû se
lire comme suit:
Cet amendement vise à reporter d’un an l’application, aux
sociétés existantes, des règles
du nouveau Code qui prévoient
désormais qu’à défaut de se
déclarer les sociétés en commandite ou en nom collectif, y compris celles qui étaient soumises
au régime de ces sociétés, seront
considérées comme des sociétés
en participation.13
Les sociétés existantes lors de
l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, qui sont en défaut de se
déclarer conformément à cette
loi, deviennent des sociétés en
participation, en application des
dispositions du nouveau code, si
elles n’y ont pas remédié à l’expiration d’un délai d’un an à compter de cette entrée en vigueur.
Si notre compréhension de ce
commentaire est exacte, il est possible qu’une erreur se soit glissée
lors de la rédaction du texte de
loi. Le problème, nous semble-til, résulterait du fait que les mots
«lors de l’entrée en vigueur de la
loi nouvelle», que l’on retrouve à
l’article 118 L.A.R.C.C.14, n’auraient pas été reliés à la bonne
Il est intéressant de constater que les commentaires du ministre de la Justice vont dans le même
sens. En effet, le ministre écrit que
l’article 118 L.A.R.C.C. «vise à
reporter d’un an l’application, aux
sociétés existantes lors de l’entrée
en vigueur de la loi nouvelle, des
règles du nouveau code»16. Et, plus
loin, de parler du «défaut de se
entraîner qu’une sanction pénale11. À première vue, le texte de
l’article 118 L.A.R.C.C. pourrait
soutenir ces prétentions. Cependant, une analyse plus large nous
conduit à une solution différente.
Voyons cela.
11. M.-A. LABRECQUE, loc. cit., note 6. Pour la sanction pénale applicable, voir les
art. 107 et 525 L.P.L.
12. Précisons que ce Projet de loi est devenu la L.A.R.C.C.
13. Source: Pierre-André CÔTÉ et Daniel JUTRAS, Le droit transitoire civil –
Sources annotées, Cowansville, Éditions Yvon Blais, édition à feuilles mobiles.
14. Notons que ces mots n’apparaissent pas comme tels dans les propos du commentateur.
15. Il est possible que l’article 118 L.A.R.C.C. ait été rédigé par un légiste du gouvernement, suite à une demande du commentateur.
16. MINISTÈRE DE LA JUSTICE DU QUÉBEC, Commentaires du ministre de la
Justice, Tome III, Publications du Québec, 1993, commentaire sous l’art. 118, p.
95 (nos italiques).
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déclarer conformément à la loi
[nouvelle]» 17 . Ainsi, malgré la
rédaction actuelle de l’article en
question, le ministre de la Justice
considère, d’une part, que la disposition transitoire s’adresse à toutes
les anciennes sociétés et pas seulement à celles qui sont en défaut de
se déclarer selon l’ancien système
et, d’autre part, que le défaut, dont
il est question à l’article 118
L.A.R.C.C., doit s’entendre d’un
défaut d’immatriculation en vertu
de la L.P.L. et non d’un défaut de
déclaration en vertu du C.c.B.-C. et
de L.D.C.S. comme cet article peut
le laisser croire. Il y a donc une différence importante entre le texte
de loi et les commentaires qui l’ont
accompagné. Nous sommes enclin
à penser que les commentaires du
ministre reflètent probablement la
véritable intention du législateur.
Cependant, sans intervention de
nos élus ou des tribunaux, il nous
faut, pour l’instant, vivre avec le
texte de loi, tel qu’il est rédigé
actuellement. Qu’à cela ne tienne,
nous croyons néanmoins possible
d’arriver au même résultat que
celui envisagé par les commentateurs.
Le deuxième alinéa de l’article 2189 C.c.Q. se lit comme suit:
[La société en nom collectif ou
en commandite] est tenue de se
déclarer, de la manière prescrite
par les lois relatives à la publicité légale des sociétés; à défaut,
elle est réputée être une société
17.
18.
19.
20.
21.
478
en participation, sous réserve
des droits des tiers de bonne foi.
Cette disposition énonce
l’obligation de déclaration18 et la
sanction applicable en cas de
défaut. Notons qu’aucun délai
d’exécution n’est spécifié. C’est
donc ailleurs qu’il faut chercher
pour le trouver. Comme nous
invite à le faire cet article, c’est
vers la L.P.L. qu’il faut se tourner
pour trouver la réponse. Le délai
est de soixante jours pour les sociétés formées depuis le 1er janvier
199419 et au plus tard le 1er janvier
1995 pour les sociétés existantes
au 31 décembre 199320. Par ailleurs, quant à l’obligation d’immatriculation et à la sanction qui l’accompagne, toutes deux prévues à
l’article 2189 C.c.Q., trois possibilités s’offrent à nous: 1) elles ne
s’appliquent qu’aux sociétés formées après l’entrée en vigueur de
cet article; 2) elles s’appliquent à
toutes les sociétés, y compris celles
existantes au 31 décembre 1993;
3) elles s’appliquent à toutes les
sociétés (anciennes et nouvelles),
sauf exception prévues ailleurs.
Qu’en est-il au juste?
Selon le premier alinéa de
l’article 3 L.A.R.C.C., la «loi nouvelle est applicable aux situations juridiques en cours [au 1er
janvier 1994]». Certes, en matière
contractuelle, tels les contrats de
société, le premier alinéa de l’article 4 L.A.R.C.C.21 écarte ce principe général, mais seulement pour
Ibid.
«Immatriculation» selon la nouvelle terminologie utilisée dans la L.P.L.
Art. 9 L.P.L.
Art. 519 L.P.L.
Le premier alinéa de l’art. 4 L.A.R.C.C. se lit comme suit: «Dans les situations
juridiques contractuelles en cours lors de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle,
la loi ancienne survit lorsqu’il s’agit de recourir à des règles supplétives pour
déterminer la portée et l’étendue des droits et des obligations des parties, de
même que les effets du contrat.»
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la détermination des obligations
et des conséquences juridiques du
contrat entre les parties contractantes22; pour le reste, la loi nouvelle est applicable. Or, manifestement la règle énoncée au deuxième
alinéa de l’article 2189 C.c.Q.
déborde le cadre du premier alinéa
de l’article 4 L.A.R.C.C. Ainsi, a
priori, il faut tenir que toutes les
sociétés existantes au 31 décembre
1993 sont soumises à l’obligation
d’immatriculation et à la sanction
prévues au deuxième alinéa à l’article 2189 C.c.Q. Ces articles 3 et
4 L.A.R.C.C. sont situés dans le
premier chapitre intitulé «Dispositions générales». Quant à l’article
118 de cette même loi, il est localisé au deuxième chapitre intitulé
«Dispositions particulières». Au
sujet de ces dispositions particulières, on retrouve le commentaire
suivant23:
Certaines de ces dispositions
prévoient des exceptions aux
principes généraux ou aux règles
de bases énoncées dans le premier chapitre [...]. D’autres dispositions de ce chapitre ont pour
seul but de préciser ou d’indiquer la règle de droit à appliquer
[...].
L’article 118 L.A.R.C.C.
constitue-t-il une exception aux
principes formulés aux articles
généraux de cette loi ou contientil plutôt une précision au sujet
d’une règle de droit? On l’a vu, normalement l’article 2189 C.c.Q. est
applicable aux sociétés existantes
au 31 décembre 1993. Il y aurait
donc exception, si la disposition
particulière excluait, pour certaines sociétés existantes, la sanc-
tion prévue au deuxième alinéa
de l’article 2189 C.c.Q. Or, l’article
118 L.A.R.C.C. ne formule aucunement une telle exception; au contraire. En effet, en lisant la disposition transitoire, on constate
que les anciennes sociétés en
défaut de se déclarer deviennent
des sociétés en participation en
application des dispositions du
nouveau code. Ainsi donc, l’article
2189 C.c.Q., et en particulier la
sanction civile qui y est prévue,
s’applique aux anciennes sociétés
ayant omis ou négligé de se déclarer selon l’ancien système. En fait,
l’article 118 L.A.R.C.C. ne vient
que préciser le délai d’exécution
de l’obligation d’immatriculation
prévue au Code civil.
Qu’en est-il des sociétés
déclarées selon les anciennes
règles? L’article 2189 C.c.Q. ne faisant aucune distinction entre les
anciennes sociétés en défaut de se
déclarer et les anciennes sociétés
dûment déclarées, nous ne voyons
pas pourquoi ces dernières ne
seraient pas soumises à la sanction
qui y est prévue. Certes, compte
tenu de la rédaction de l’article 118
L.A.R.C.C., on pourrait soutenir
que le législateur, en se prononçant expressément au sujet des
anciennes sociétés en défaut de
se déclarer, excluait implicitement
les autres sociétés existantes, soit
celles qui n’étaient pas en défaut
de se déclarer. Autrement dit, il
y aurait là un signe que les anciennes sociétés déclarées seraient
exclues de l’application de la nouvelle sanction prévue à l’article
2189 C.c.Q. Nous ne pensons pas
qu’il en soit ainsi.
22. MINISTÈRE DE LA JUSTICE DU QUÉBEC, op. cit., note, 16, commentaire
sous l’art. 4, p. 8 (nos italiques).
23. Id., commentaire général à la p. 17.
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Il faut se rappeler que la
L.A.R.C.C. a été adoptée en 1992,
alors que la L.P.L. a été adoptée
seulement en 1993. C’est donc dire
qu’au moment de rédiger la
L.A.R.C.C., l’article 2189 C.c.Q.,
qui réfère aux «lois relatives à
la publicité légale des sociétés»24,
renvoyait le lecteur à la législation
en vigueur à ce moment-là, entre
autres à la L.D.C.S.25. D’ailleurs,
dans ses commentaires le ministre
de la Justice indique que la «référence [...] aux lois relatives à la
publicité légale des sociétés vise
l’actuelle Loi sur les déclarations des compagnies et sociétés
[...], laquelle devrait faire l’objet de
modifications»26. Ainsi, même s’il
était prévu de modifier cette dernière loi27, cela n’avait toujours
pas été fait lors de l’adoption de la
L.A.R.C.C. C’est donc dans ce contexte historique qu’il faut analyser
l’article 118 L.A.R.C.C.
Lors de l’adoption de l’article
118 L.A.R.C.C., en 1992, les sociétés qui n’étaient pas en défaut de
se déclarer28 respectaient, cette
année-là du moins, l’obligation
de déclaration prévue à l’article
2189 C.c.Q. Techniquement, en
l’absence d’un nouveau système de
publicité pour les sociétés commerciales, il devenait inutile de prévoir, pour les sociétés déclarées, un
délai quelconque pour s’immatriculer. On comprend, alors, pourquoi le législateur n’a pas pris soin
de stipuler, dans la L.A.R.C.C., le
délai dans lequel ces sociétés
devaient se déclarer. Ce n’est donc
pas le désir de soustraire ces sociétés à la sanction prévue à l’article
2189 C.c.Q. qui a amené nos élus à
légiférer seulement à l’égard des
sociétés en défaut de se déclarer.
C’est tout simplement qu’il apparaissait inutile de le faire à ce
moment-là.
Le 4 novembre 1993, était
adoptée la L.P.L. Cette loi créa un
nouveau système de publicité tout
en remplaçant la L.D.C.S. L’efficacité du nouveau système supposait
que les sociétés déjà déclarées au
31 décembre 1993 se déclarent à
nouveau, mais, cette fois, selon les
modalités prévues à la nouvelle
loi. C’est pourquoi, à compter de ce
moment-là, il devenait utile, voire
nécessaire, de prévoir un délai
d’immatriculation pour les sociétés déclarées. Rappelons-nous que
la L.A.R.C.C. était demeurée silencieuse à l’égard de ces sociétés,
puisque, à l’époque, ces dernières
étaient déjà déclarées selon la
législation en vigueur et qu’il
aurait été inutile de prévoir un tel
délai. Se posa alors le choix de
l’endroit où un tel délai serait
édicté. Fallait-il amender la
L.A.R.C.C. ou fallait-il plutôt légiférer à ce sujet directement dans
la nouvelle loi sur la publicité
légale? Nos élus ont choisi la
deuxième option. En vertu de
l’article 519 L.P.L., les sociétés
déclarées avaient jusqu’au 1er janvier 1995 pour s’immatriculer. Cet
article se lit comme suit:
24. Voir le deuxième alinéa de l’article 2189 C.c.Q.
25. Précitée, note 4.
26. MINISTÈRE DE LA JUSTICE DU QUÉBEC, Commentaires du ministre de la
Justice, Tome II, Publications du Québec, 1993, commentaire sous l’art. 2189, p.
1380.
27. Rappelons que le législateur a choisi de remplacer cette loi par la L.P.L.
28. C’est-à-dire celles qui s’étaient déclarées selon les modalités prévues à la
L.D.C.S.
480
Revue du Barreau/Tome 60/Automne 2000
La déclaration d’immatriculation d’une société visée aux paragraphes 2o et 3o de l’article 2
et existant le 31 décembre 1993
doit être présentée à l’inspecteur
général pour dépôt au plus tard
le 1er janvier 1995.29
Ainsi, rien ne permet de
voir dans l’article 118 L.A.R.C.C.
une exclusion implicite de la loi
nouvelle (c.-à-d. le nouveau Code
civil) à l’égard des sociétés déclarées. C’est pourquoi, il nous apparaît que l’article 2189 C.c.Q. est
applicable à ces sociétés30. Certes,
on peut dire que la L.P.L. oblige les
sociétés qui se sont déclarées selon
l’ancien système à s’immatriculer
selon le nouveau31. Mais cette obligation est d’abord imposée par le
Code civil, la L.P.L. ne faisant que
compléter ce dernier, en précisant
les modalités et le délai d’exécution de l’obligation d’immatriculation déjà prévue à l’article 2189
C.c.Q. La L.P.L. ne se substitue
pas et ne déroge pas au Code civil
du Québec. Ainsi, la L.P.L. n’écarte
aucunement l’obligation d’immatriculation et la sanction prévues à
l’article 2189 C.c.Q., à l’égard des
sociétés qui n’étaient pas en défaut
de se déclarer lors de l’entrée en
vigueur du nouveau Code civil.
L’IMMATRICULATION
TARDIVE
La L.P.L. n’empêche pas une
société de s’immatriculer après
l’expiration du délai prescrit. De
fait, les autorités compétentes
acceptent les déclarations produites hors délai. On peut se
demander quels sont les effets de
l’immatriculation tardive.
Selon l’article 2189 C.c.Q., la
société fautive est réputée être une
société en participation, alors que
selon l’article 118 L.A.R.C.C., la
société fautive devient une société
en participation. Certains32 voient
une différence entre «réputée être
une société en participation» et
«devenir une société en participation». La première mesure serait
temporaire et prendrait fin sitôt
l’obligation de déclaration exécutée33; la seconde sanction serait de
nature permanente et se continue-
29. Les paragraphes 2o et 3o de l’article 2 visent les sociétés formées au Québec et
celles formées à l’extérieur du Québec mais qui exercent une activité au Québec.
30. Certains s’en remettent essentiellement à l’art. 519 L.P.L. pour obliger les
anciennes sociétés déclarées à s’immatriculer. Voir M.-A. LABRECQUE, loc.
cit., note 6, p. 308: «[Les sociétés déclarées avant l’entrée en vigueur du nouveau
Code] devaient cependant se conformer à l’obligation d’immatriculation prévue
par l’article 519 de la Loi sur la publicité légale des entreprises, des sociétés et
des personnes morales [...]». Il nous semble que cet article ne fait que préciser le
délai dans lequel l’obligation d’immatriculation doit être exécutée.
31. Voir le paragraphe 2o de l’article 2 L.P.L.
32. Nabil N. ANTAKI et Charlaine BOUCHARD, Droit de l’entreprise, Tome I:
Entrepreneurs et société de personnes, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1999,
p. 409 et s.
33. Autrement dit, une fois l’immatriculation obtenue, il ne faudrait plus considérer la société retardataire comme une société en participation mais bien comme
une société en nom collectif ou en commandite. Nous sommes d’accord avec
cette interprétation de l’art. 2189 C.c.Q. D’une part, le défaut d’immatriculation n’empêche pas la société d’exister comme société en nom collectif ou en
commandite, car l’immatriculation n’est pas une mesure constitutive de la
société mais plutôt informative (voir: N.N. ANTAKI et C. BOUCHARD, op. cit.,
note 32, p. 275). Ainsi, bien que cachée par la présomption, la véritable
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481
rait même au-delà de l’immatriculation tardive. Ainsi donc, l’article 118 L.A.R.C.C. impliquerait
beaucoup plus que la présomption
prévue à l’article 2189 C.c.Q. Nous
ne sommes pas d’accord avec cette
vision des choses.
Certes, aux articles voisins34
le législateur a utilisé le verbe
«devenir» dans le sens de «transformer», ce qui implique un changement de nature véritable. Par
conséquent, si on appliquait la
règle d’interprétation qui veut
qu’un même mot ait le même
sens 35 , l’article 118 L.A.R.C.C.
impliquerait un changement réel
au niveau de la société et pas simplement une présomption temporaire comme c’est le cas à l’article
2189 C.c.Q. Sauf que cette règle
d’interprétation n’est pas absolue. D’ailleurs, il n’est pas rare que
les tribunaux attribuent au même
mot un sens différent, même si utilisé de façon rapprochée36. Dans le
34.
35.
36.
37.
38.
482
présent cas, plusieurs motifs nous
incitent à donner au verbe «devenir» une signification différente.
Premièrement, l’article 118
L.A.R.C.C. énonce que les sociétés
retardataires deviennent des sociétés en participation en application
des dispositions du nouveau code.
C’est donc dire que cet article ne
constitue qu’une application particulière de l’article 2189 C.c.Q.
C’est pourquoi il faut donner au
verbe «devenir» le sens de «réputé
être», puisque celui-là n’est qu’une
application de celui-ci. Deuxièmement, on peut s’appuyer sur les
commentaires du ministre de la
Justice. Ce dernier écrit «qu’à
défaut de se déclarer, les sociétés
en commandite ou en nom collectif
[...] seront considérées comme des
sociétés en participation»37. Troisièmement, hormis le deuxième
alinéa de l’article 115 L.A.R.C.C.38,
les articles voisins à l’article 118
L.A.R.C.C. visent à établir ce qu’il
nature de la société n’a jamais cessé d’exister. D’autre part, une fois l’immatriculation obtenue, il n’y a aucune raison pour maintenir la sanction civile. Ici,
quelques précisions s’imposent. Premièrement, une fois l’immatriculation tardive obtenue, il n’est pas nécessaire que les associés transfèrent à la société les
biens détenus par elle au 1er janvier 1995, même si pendant un certain temps
ces mêmes biens ont été réputés appartenir aux associés en raison de la présomption prévue à l’art. 2189 C.c.Q. (voir l’art. 2252 C.c.Q.). Par contre, il en va
autrement pour les biens que la société aurait pu acquérir durant que courait la
sanction civile. Ces biens devront faire l’objet d’un transfert. Deuxièmement,
les responsabilités encourues par les associés, pendant que courait la présomption, demeurent soumises aux règles sur la société en participation (voir les art.
2252 et s. C.c.Q.), même après l’immatriculation tardive.
Voir les art. 115, al. 1, 116 et 117 L.A.R.C.C.
Pierre-André CÔTÉ, Interprétation des lois, 3e éd., Montréal, Thémis, 1999, p.
419 à 422.
Ibid.
MINISTÈRE DE LA JUSTICE DU QUÉBEC, op. cit., note 16, commentaire
sous l’art. 118, p. 95 (nos italiques). Voir, Le Nouveau Petit Robert, éd. 1999,
RÉPUTER [...] Être réputé (et attribut): qui est tenu pour, considéré comme
(nos italiques). Comparer avec le premier alinéa de l’art. 115 L.A.R.C.C. où, à
propos des sociétés civiles qui deviennent des sociétés en nom collectif, le
ministre dit que les sociétés civiles sont transformées en sociétés en nom collectif plutôt que considérées comme des sociétés en nom collectif (MINISTÈRE DE
LA JUSTICE DU QUÉBEC, op. cit., note 16, commentaire sous l’art. 115, p. 93).
Voir à la note 8.
Revue du Barreau/Tome 60/Automne 2000
advient des anciennes sociétés
empruntant une forme qui n’est
pas reconduite dans le nouveau
Code civil. Or, cet article 118
L.A.R.C.C. a un tout autre but: il
énonce une sanction en cas d’inexécution de l’obligation d’immatriculation dans le délai imparti. Les
dispositions en cause39 n’ayant pas
le même objet, il est donc possible
de donner au même mot un sens
différent. Quatrièmement, on instaurerait un double régime40, alors
que le législateur s’est efforcé, tout
au long du Code civil du Québec,
d’uniformiser les approches41.
Enfin, on peut même se
demander si la sanction prévue
à l’article 118 L.A.R.C.C. n’a pas
été abrogée implicitement par
l’adoption de l’article 519 L.P.L.
On constatera que la formulation
de ce dernier article est suffisamment large pour couvrir toutes les
sociétés existantes au 31 décembre
1993, y compris les sociétés en
défaut de se déclarer. L’article 118
L.A.R.C.C. accorde à ces sociétés
un délai d’un an pour s’immatriculer; l’article 519 L.P.L. est au
même effet. L’une et l’autre de
ces dispositions constituent une
«disposition transitoire», étant
toutes deux coiffées de ce titre.
Comme ces deux articles ont le
même objet, il ne serait peut-être
pas interdit de penser que l’un,
ayant été adopté postérieurement
à l’autre, remplace cet autre,
entraînant par la même occasion
l’abrogation implicite de l’article
118 L.A.R.C.C. comprenant la
sanction qui y est prévue. En
effet, on considère que les règles de
l’ancienne disposition qui ne sont
pas reprises dans la nouvelle disposition de remplacement sont
implicitement abrogées42. De sorte
que la sanction applicable aux
anciennes sociétés en défaut de
se déclarer serait celle prévue à
l’article 2189 C.c.Q., vu la portée
générale de ce dernier article, et
non pas celle énoncée à l’article 118
L.A.R.C.C.
CONCLUSION
Pour résumer, nous dirions
ceci:
Compte tenu du deuxième
alinéa de l’article 2189 C.c.Q., de
l’article 3 L.A.R.C.C. et de l’article 519 L.P.L., tant les anciennes
sociétés en défaut de se déclarer
au 31 décembre 1993 que celles
dûment déclarées à cette même
date devaient s’immatriculer au
plus tard le 1er janvier 1995; à
défaut, elles sont réputées être des
sociétés en participation à compter de l’expiration de cette dernière date, sous réserve des droits
des tiers de bonne foi. Dans tous
les cas, l’immatriculation tardive
a mis fin à la présomption et ce,
sans autre formalité. Néanmoins,
les rapports juridiques nés durant
la période où la société était réputée être une société en participation demeurent régis par les dispositions sur la société en participa-
39. C.-à-d., d’un côté, les art. 115, al. 1, 116 et 117 et, de l’autre côté, l’art. 118
L.A.R.C.C.
40. Un pour les nouvelles sociétés et les anciennes sociétés dûment déclarées au 31
décembre 1993, et un autre pour les anciennes sociétés en défaut de se déclarer
au 31 décembre 1993.
41. On songe, par exemple, à la responsabilité contractuelle et extracontractuelle
dont les règles ont été unifiées à plusieurs égards.
42. P.-A. CÔTÉ, op. cit., note 35, p. 131.
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tion, sous réserve des droits des
tiers de bonne foi.
Ces solutions nous semblent
préférables à plusieurs égards.
Tout d’abord, elles sont plus conformes à ce que nous croyons être
la volonté du législateur. Celui-ci
voulait, par la sanction civile prévue à l’article 2189 C.c.Q., faire
pression sur les sociétés existantes au 31 décembre 1993, afin que
ces dernières s’immatriculent de
la manière prescrite à la L.P.L.
En excluant cette sanction pour les
sociétés déclarées au 31 décembre
1993, on limiterait grandement la
portée du moyen de pression.
Ensuite, il y a un avantage
pratique indéniable à traiter sur
un même pied toutes les anciennes
sociétés. On sait que les sociétés commerciales devaient déposer
auprès du protonotaire une déclaration de société dans chacun des
districts judiciaires dans lesquels
elles faisaient commerce43. On sait
également que tout changement
dans le personnel de la société,
dans le nom, dans le titre ou raison
sous lesquels la société entendait
conduire ses affaires obligeait les
associés à produire une nouvelle
déclaration auprès du protonotaire44. Un manquement à l’une ou
l’autre de ces obligations pouvait conduire à l’imposition d’une
amende45. Compte tenu que la loi
43.
44.
45.
46.
47.
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associait ces défauts de déclaration
à une infraction pénale, cela nous
semble suffisant pour considérer
la société en défaut sur l’un de
ces points comme étant «en défaut
de se déclarer lors de l’entrée en
vigueur de la loi nouvelle»46. D’ailleurs, l’article 118 L.A.R.C.C. ne
fait aucune distinction en ce qui
concerne les défauts de déclaration. Aussi faut-il tenir que toute
omission, quelle qu’elle soit 47 ,
constitue un défaut de déclaration.
Bien malin qui pourrait certifier
que telle société n’était pas en
défaut de se déclarer lors de
l’entrée en vigueur du nouveau
Code civil.
Enfin, une fois l’immatriculation obtenue, les tiers sont dorénavant à même de connaître
l’existence de la société en nom collectif ou en commandite, en consultant le registre tenu par
l’Inspecteur général des institutions financières. Il y aurait une
part de mauvaise foi à vouloir invoquer la sanction attachée à un
ancien défaut d’exécution, alors
que le premier contact avec la
société a eu lieu après l’immatriculation.
Toutes ces raisons justifient
amplement la reconnaissance des
solutions que nous préconisons. Il
reste maintenant à convaincre les
tribunaux de les entériner.
Art. 1834, al. 1 C.c.B.-C. et art. 9 L.D.S.C.
Art. 9(4) L.D.S.C.
Art. 1834, al. 2 C.c.B.-C. et art. 14 L.D.S.C.
Art. 118 L.A.R.C.C.
Que ce soit le manque de production d’une déclaration dans tous et chacun des
districts judiciaires où cela était nécessaire ou que ce soit le manque de production d’une déclaration additionnelle suite à un changement d’associé.
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