Images en Dermatologie • Vol. VII • n
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3 • mai-juin 2014
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Éditorial
L’acceptation de la maladie
A. Grimaldi
(Service de diabétologie, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris)
L
a maladie chronique est le grand défi de notre système de santé,
l’obligeant àrevoir son organisation et menaçant son finance-
ment solidaire. Mais c’est aussi,les gestionnaires l’oublient trop
souvent, un défi pour les patients comme pour les médecins. L’an-
nonce du diagnostic d’une maladie chronique − ce ne sera jamais plus
comme avant et c’est pour toujours − évoque inexorablement le terme de la
vie. C’est pourquoi le travail d’acceptation de la maladie a été assimilé à un
travail de deuil soumis à ses lois. “Tout nouveau deuil ravive tous les deuils
antérieurs et tout deuil non fait interdit tout nouveau deuil.” Chacun de nous
serait donc ainsi doté d’une plus oumoins grande “aptitude au deuil” (lorsque
je vis M. S., diabétique mal équilibré, pour lapremière fois, il me dit d’un ton
ferme : “Pouvez-vous, s’il vous plaît, docteur, ne pas me dire que je n’accepte
pas ma maladie”, et 15 minutes plus tard, il m’apprenait qu’il avait un fils
unique et qu’un jour il l’avait trouvé pendu).
Pour éviter le risque d’effondrement psychique ou de dépression inhérent
audeuil, le patient peut mettre en œuvre des mécanismes de défense : le déni,
la pensée magique, la minimisation, la dénégation, le clivage, les conduites
à risque, voire les addictions... Ces mécanismes initialement protecteurs
deviennent, en se chronicisant, une deuxième maladie qui, parfois, fait souffrir
le patient en secret et surtout peut menacer sa vie. Lepatient a 2 maladies : il
est malade et il est malade d’être malade. L’individualisme exacerbé de notre
société postmoderne laisse entendre que l’individu est libre deseschoix et
qu’il est donc responsable de leurs conséquences. Mais la double maladie
n’est pas le résultat d’un choix fait en toute liberté, après uneinformation
éclairée et une délibération raisonnée. Car l’autonomie du patient a été plus
ou moins brisée par l’annonce du diagnostic. La reconquête de cetteauto-
nomie suppose la guérison de cette deuxième maladie. Il est donc essentiel
d’en faciliter l’expression par le malade pour que, malgré les ruses de la
raison, il en prenne conscience avant d’en prendre distance grâce à un travail
de “réflectivité”. Comme ledisait Hannah Arendt, “Tous les chagrins sont
supportables si on en fait un conte ousi on les raconte.”, et Boris Cyrulnik
d’ajouter : “C’est difficile de s’adresser à quelqu’un pour expliquer ce que
l’on a vécu.” Encore faut-il, en effet, que les soignants témoignent d’une
empathie, c’est-à-dire qu’ils soient non seulement disposés à écouter, mais
aussi aptes à comprendre et à se laisser toucher. “N’y a-t-il pas, dans tout
récit de patient apparemment banal, de quoi nous émouvoir ?”, interroge la
psychologue Anne Lacroix.
Du coup, un élément essentiel pour lutter contre l’objectivation des patients
par les soignants et contre “l’industrialisation de la médecine” me semble
être ledéveloppement de l’empathie des professionnels de santé. Une étude
récente
(1)
montre qu’il existe unerelation inverse entre l’empathie des méde-
cins traitants etletaux d’hémoglobineA1c de leurs patients diabétiques.
Cet article a initialement
été publié dans
La Lettre
du Neurologue
d’octobre2013 (p.227).