La Lettre du Psychiatre Vol. VI - n° 4 - juillet-août 2010 | 127
MISE AU POINT
Soigner la dépression
à l’hôpital : vers une variété
des méthodes thérapeutiques
Hospital care of depression:
toward a variety of therapeutic methods
M.V. Chopin*
* Service de psychiatrie et de psycho-
logie médicale ; service des maladies
infectieuses et tropicales, hôpital
Saint-Antoine, Paris.
L
a dépression, processus psychopathologique
extrêmement complexe, dont l’étiologie repose
sur plusieurs facteurs biologiques, psycholo-
giques et environnementaux, se manifeste par la
perte de l’élan vital, l’inhibition et la douleur morale.
Ce trouble de l’humeur peut s’inscrire dans des
contextes cliniques variés (troubles anxieux, soma-
tiques, troubles de la personnalité, etc.), ce qui condi-
tionne le choix d’une stratégie pharmacologique,
psychothérapeutique, sociale. En ambulatoire ou
à l’hôpital, le traitement devra considérer la symp-
tomatologie au premier plan, les conséquences de
ces troubles sur les plans cognitif, physiologique et
social, le trouble psychologique sous-jacent et les
interactions familiales autour du trouble manifeste.
Il existe de multiples approches thérapeutiques qui
se fondent sur des courants théoriques différents :
psychanalyse, théories cognitivo-comportementales,
systémie. Le traitement doit souvent se concevoir
dans une perspective pluridisciplinaire, qui tolère
cette diversité des abords théoriques du problème.
À l’hôpital, l’approche psychothérapeutique d’ins-
piration psychanalytique adapte fréquemment le
cadre d’une cure classique au dispositif existant. Le
patient se voit proposer un travail en face à face,
moins frustrant, dont la fréquence peut être modulée
en fonction de sa propre tolérance. Ce travail néces-
site parfois une participation imaginaire active du
thérapeute. Cette approche se situe dans un registre
plus dynamique, dans l’ici et maintenant, et vise à
faire de la relation thérapeute-patient un échange.
D’autre part, l’orientation psychanalytique tient
compte des mobiles inconscients des patients.
Nous nous centrerons sur les approches cognitivo-
comportementale et systémique de la prise en
charge de la dépression, car ces méthodes ne sont
pas encore largement appliquées dans les hôpitaux
publiques français.
Les thérapies cognitivo-comportementales (TCC)
regroupent plusieurs méthodes qui se sont perfec-
tionnées et diversifiées au cours des dernières
années. Les aspects communs aux TCC sont une
démarche particulière où le patient reçoit l’infor-
mation complète sur ses troubles et joue un rôle
très actif dans le processus thérapeutique (lectures,
exercices entre les séances, auto-observation),
une durée globale de traitement assez courte (de
3 mois à 1 an) et des techniques ciblées et spéci-
fiques à chaque type de problématique. Ainsi, le
patient se voit proposer des techniques impliquant
le corps (relaxation), une modification des schémas
dysfonctionnels de pensées, un entraînement aux
compétences sociales, une exposition aux situa-
tions sources de conflit, ainsi qu’un travail en
groupe. L’approche cognitivo-comportementale
comprend la TCC proprement dite, la thérapie socio-
comportementale, la thérapie fondée sur la pleine
conscience de soi et la thérapie interpersonnelle.
Les TCC s’appliquent à des cas de dépression légère
ou modérée qui nécessitent parfois un traitement
antidépresseur. Le principe de participation active à
son propre traitement, commun aux TCC, suppose
une stabilisation de l’état du patient et l’absence
d’un ralentissement psychomoteur trop marqué.
Lefficacité des TCC est systématiquement revalidée
par des méta-analyses (1-5).
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Résumé
Concept
cognitivo-comportemental
de la dépression
Le concept de la dépression s’associe à celui de
troubles des fonctions cognitives, ces derniers se
manifestant par des pensées dépressives, pessi-
mistes, marquées par une dévalorisation de soi-
me, une dépciation du monde environnant
et une vision désespérée du futur. Ces pensées
s’accom pagnent d’une remémoration douloureuse
et persistante des événements de vie négatifs, tandis
que les événements positifs sont souvent négligés.
L’inhibition psychomotrice et le désinvestissement de
toute action trouvent ainsi leur fondement : puisque,
dans le passé, aucun résultat positif n’a été atteint,
l’action future perd tout son sens et son utilité. Les
expériences heureuses tombent dans l’oubli en
cédant la place aux déceptions.
La mémoire à long terme contient des structures
cognitives composées de représentations de l’indi-
vidu sur lui-même et sur le monde. Ces structures
mettent en relation l’expérience personnelle, les
concepts généraux et les règles culturelles et sociales
de fonctionnement selon des algorithmes ou des
schémas cognitifs inconscients. Les représentations
de l’expérience vécue guident l’attention sélective
et la perception des événements, et facilitent le
rappel des expériences précédentes semblables. Le
caractère rigide des schémas cognitifs est souvent
à l’origine des distorsions dans la perception et l’in-
terprétation des nouvelles expériences qui diffèrent
du schéma préexistant. Les schémas cognitifs fonc-
tionnent de manière automatique, ce qui explique la
régularité des actes de l’individu : le filtrage et l’inter-
prétation de l’information sélectionnée se déroulent
en fonction des hypothèses implicites concernant les
événements et aboutissent à une vision restrictive,
appauvrie, partielle d’une situation. Cependant, ils
peuvent être modifiés, “désappris. Ainsi, le passé
définit la façon dont le futur sera appréhendé. Ces
schémas peuvent rester latents pendant des années
et se réactiver à l’occasion d’événements particuliers.
Ils représentent un moyen rapide et économique de
traiter l’information nouvelle, mais leur utilisation
systématique et l’interprétation dysfonctionnelle
des événements risquent de les renforcer.
Les schémas cognitifs dysfonctionnels seraient
responsables du sens dépressif donné à une expé-
rience vécue, puisque leur contenu détermine les
réponses affectives et comportementales. Les sujets
sont moins émus par les événements eux-mêmes que
par l’interprétation qu’ils construisent à leur propos.
Les schémas dépressogènes activent des cognitions
sous la forme d’auto-injonctions (par exemple : “Pour
être heureux, je dois réussir tout ce que je fais et tout
le monde doit m’accepter et m’aimer”). Ces injonc-
tions laissent entrevoir une approche dichotomique
du monde, en tout ou rien. Ainsi, pour confirmer ces
postulats, les schémas cognitifs favoriseront une
déformation des événements de la réalité.
Ce mode de fonctionnement peut avoir été acquis
dans un milieu exigeant, strict qui focalise l’atten-
tion de l’enfant exclusivement sur ses erreurs sans
renforcer positivement ses réussites, ou encore dans
un contexte marqué par des pertes ou des séparations
précoces l’enfant se remet en cause et éprouve un
sentiment de dévalorisation et de culpabilité.
L’hypermnésie des événements négatifs favorise l’ins-
tallation de l’humeur dépressive qui se répercute sur
les performances intellectuelles du sujet déprimé,
notamment sur la mémoire, les capacités d’attention
et de concentration.
La dépression est un phénomène multifactoriel qui
pourrait être dû aux traits de la personnalité et à une
vulnérabilité d’ordre génétique ou biologique. Ces
facteurs renforcent les schémas dépressogènes activés
par un événement traumatique et sensibi lisent le
sujet à des événements de portée de moins en moins
importante. Ce stress permanent provoque une anti-
cipation de l’échec personnel et mène aux épisodes
dépressifs fréquents, qui tendent à se chroniciser. La
dépression peut s’inscrire dans le contexte de troubles
de l’humeur unipolaire ou bipolaire ou de troubles de
la personnalité, et s’associer à un trouble anxieux, etc.
Ce contexte clinique déterminera la façon dont une
thérapie sera mise en place.
Thérapie
cognitivo -comportementale
Généralement, le programme d’une psychothérapie
cognitivo-comportementale s’étale sur une période
La dépression s’inscrit dans de multiples contextes cliniques qui nécessitent une variété des stratégies
thérapeutiques. Les approches cognitivo-comportementale et systémique ne sont pas encore largement
appliquées dans les hôpitaux publics français. Une brève analyse des fondements théoriques et des pratiques
montre les avantages et les limites de ces approches. Enrichir l’offre de soins au moyen de ces méthodes
permettra une prise en charge pointue et individualisée du sujet déprimé.
Mots-clés
Dépression
Thérapie cognitivo-
comportementale
Thérapie systémique
Santé publique
Summary
Depression is part of multiple
clinical contexts which require
a variety of therapeutic strate-
gies. In France, cognitive-beha-
vioral and systemic approaches
are not yet widely applied in
public hospitals. A brief analysis
of the theoretical foundations
and practices shows the
advantages and limitations of
these approaches. Enhancing
health care expertise with these
methods will allow to offer an
innovative and individualized
treatment to a depressed
subject.
Keywords
Depression
Cognitive-behavioral therapy
Systemic therapy
Public health
La Lettre du Psychiatre Vol. VI - n° 4 - juillet-août 2010 | 129
MISE AU POINT
de 3 à 6 mois et comprend une vingtaine de séances,
à raison d’une ou deux séances par semaine. Comme
son nom l’indique, cette thérapie vise à restructurer
les dysfonctionnements cognitifs en mettant à
l’épreuve de la réalité le système de croyances du
sujet déprimé : elle permet donc à l’individu d’ap-
prendre à faire le tri entre les faits objectifs et leur
interprétation subjective. Les distorsions imposées
par les schémas dysfonctionnels et les postulats
dépressogènes sont d’abord testées pendant les
séances par un dialogue socratique entre le théra-
peute et le patient et, ensuite, dans la vie de tous
les jours, grâce à des mises en situation, aux jeux
de rôle et exercices.
Il s’agit d’une thérapie structurée et directive.
À chaque séance, le thérapeute et le patient s’ac-
cordent sur un agenda précisant les problèmes à
traiter : d’une part, il est important pour les deux
acteurs de la thérapie de bien organiser le temps ;
d’autre part, l’établissement commun d’un agenda
favorise le développement d’une expérience posi-
tive de plaisir et de maîtrise. Le patient collabore
activement avec le thérapeute, alors que celui-ci
met l’accent sur les difficultés actuelles auxquelles
le patient est confronté et participe à une meilleure
compréhension par le sujet de ses propres troubles.
Le thérapeute effectue régulièrement un feed-back
portant sur les aspects soulevés au cours de l’entre-
tien, essentiels dans la compréhension de la problé-
matique du patient et l’orientation de la thérapie,
ainsi que sur l’ensemble de la séance : il demande
que le patient résume ce qu’il a compris de la séance,
évoque ce qui lui a déplu et restitue ce qu’il en a
retenu lui-même. Cet échange est important non
seulement pour repérer et élaborer les pensées
négatives à propos de la thérapie, mais également
pour corriger d’éventuelles erreurs du thérapeute.
Le contenu de la séance écoulée est confronté à
l’agenda : les points laissés de côté sont reportés à
une séance ultérieure.
Aujourd’hui, de nouvelles modalités de mise en
place du traitement sont en cours d’élaboration :
le patient peut suivre le programme grâce à un
logiciel informatique ou encore sur Internet, alors
que le thérapeute supervise régulièrement le bon
déroulement de la thérapie, soutient le patient et
répond aux questions de ce dernier au cours des
communications téléphoniques ou électroniques.
Lefficacité de la TCC couvre essentiellement aux
dépressions d’intensité légère ou moyenne ainsi
qu’aux états dysthymiques. Les symptômes soma-
tiques au premier plan nécessitent un traitement
par antidépresseurs en amont ou une association
des deux méthodes. Par ailleurs, le patient doit faire
preuve de capacités d’auto-observation et d’auto-
contrôle. Les troubles de la concentration et de la
mémoire risquent de l’empêcher de faire le lien
entre son humeur dépressive, ses pensées néga-
tives et les événements extérieurs. Que le patient
ait le sens du réel est indispensable pour pouvoir
tester les postulats et les schémas dysfonctionnels
dans la vie de tous les jours, ce qui complique, voire
rend impossible, l’application d’une TCC aux cas de
mélancolie et de dépression au cours d’états psycho-
tiques. Cependant, les TCC peuvent représenter une
bonne alternative aux antidépresseurs si ceux-ci sont
refusés, contre-indiqués ou mal tolérés.
La prise en charge du trouble bipolaire doit associer
la TCC à la psychopharmacologie. Le programme
thérapeutique a un caractère éducatif : il vise, dans
un premier temps, à expliquer les mécanismes
du trouble au patient et, dans un second temps,
propose un entraînement aux compétences sociales
à travers des jeux de rôle, afin de maintenir l’insertion
socio-familiale, et un développement des habiletés
à repérer les symptômes et à y faire face.
Déroulement de la thérapie
La restructuration des schémas cognitifs dysfonc-
tionnels nécessite un sondage préalable du terrain
cognitif : de la sorte, les pensées automatiques néga-
tives et les affects dépressifs qui leur sont associés,
ainsi que les contextes favorisant l’activation de ces
pensées, sont repérés.
Les cinq premières séances permettront d’étu-
dier les émotions et les affects négatifs, ainsi que
d’isoler les monologues intérieurs et les images
dépressogènes, tels qu’ils apparaissent dans le récit
du patient ou encore au cours des jeux de rôle. La
technique du jeu de rôle s’utilise particulièrement
dans les situations où des relations interperson-
nelles posent problème : les deux protagonistes de
la thérapie reproduisent la scène et le patient livre
à voix haute les pensées engendrées par la mise en
situation. Cela permet de rendre évidents les liens
entre les cognitions dysfonctionnelles, les émotions
négatives et les comportements dépressifs. Des
questions complémentaires peuvent éclairer sur
les processus d’interprétation de la réalité et sur
les schémas cognitifs du patient. En outre, le théra-
peute peut remettre au patient un bref manuel
qui explique les relations d’interdépendance entre
pensées, émotions et comportements ainsi que les
principes de la TCC.
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Soigner la dépression à l’hôpital : vers une variété
des méthodes thérapeutiques
MISE AU POINT
Le patient est sollicité dans cette démarche, grâce
à l’établissement d’un carnet de bord ou encore
des fiches d’auto-observation. Ces fiches sont
remplies en dehors des séances et analysées avec
le thérapeute. Elles comportent habituellement trois
colonnes où :
le patient enregistre la situation, c’est-à-dire,
l’événement déplaisant inscrit dans son contexte
de souvenirs, de rêves, d’idées, etc. ;
il note les émotions gatives engendrées par
l’événement, en spécifiant leur nature et en évaluant
leur intensité de 0 à 8 ;
il inscrit les penes automatiques pdant
les émotions négatives, en évaluant son niveau de
croyance dans ces pensées (de 0 à 8) ; il situe l’évé-
nement, la survenue des pensées automatiques et
des émotions négatives dans le temps.
Finalement, le thérapeute propose au patient de
dresser un tableau de ses activités hebdomadaires,
en attribuant une note de 0 à 5 au degré de plaisir
et de maîtrise éprouvés lors de chacune d’entre elles.
Chaque jour est divisé en tranches horaires et le
patient note toutes ses actions dès le lever jusqu’au
moment du coucher. Outre l’intensité du plaisir et
de la maîtrise ressentis au cours de ces activités, qui
peut être forte ou faible, le carnet de bord permet
ainsi d’observer à long terme des plages horaires
vides durant lesquelles surviennent des ruminations,
des remémorations des échecs passés, une réac-
tivation des pensées automatiques et des affects
négatifs, qui renforcent la dépression.
Ce travail préparatif permet au thérapeute de passer
à une mise à jour progressive des contenus dépres-
sogènes des monologues intérieurs. En utilisant les
moments de forte émotion réinstaurés par un jeu
de rôle ou suscités au cours du récit du patient, le
thérapeute accède aux schémas cognitifs dysfonc-
tionnels et aide le patient à réviser sa conception
négative de soi-même, du monde environnant et
du futur. Le carnet de bord ou les fiches d’auto-
observation laisseront transparaître une série de
thèmes à caractère dépressogène, accompagnés
d’auto-injonctions qui inscrivent le patient dans un
cercle vicieux de perceptions et d’interprétations
erronées. Létablissement d’un dialogue socratique
entre deux protagonistes permet de s’affranchir de
ce cercle vicieux et d’analyser les principes illogiques
qui déterminent le comportement du patient.
Pour identifier les schémas dysfonctionnels au
cours de l’entretien, le thérapeute peut opter pour
la technique dite de la flèche descendante”, qui,
au lieu de corriger les pensées automatiques, les
poursuit, les pousse à l’extrême. Ainsi, le postulat
erroné apparaît. Cette technique fait émerger des
émotions comme la tristesse ou la culpabilité, et
le dialogue risque d’être mal vécu par le patient. Le
thérapeute devra veiller à ce que ses reformulations
des schémas dysfonctionnels ne soient pas trop
tranchées, mais se présentent plutôt sous forme
d’hypothèses, de mise en lumière progressive, car
le contraire risquerait de renforcer les pensées de
désespoir et de dévalorisation et les idées noires.
Dès le début de la thérapie, le patient est invité à
intégrer dans son quotidien des activités qui favo-
risent l’émergence des sentiments de plaisir, d’ef-
ficacité et de maîtrise, améliorant ainsi son estime
de soi. Ce programme reflète les stratégies compor-
tementales de la thérapie : des exercices pratiques
à effectuer pendant et entre les séances amènent
le patient à tester ses schémas dysfonctionnels en
les soumettant à l’épreuve de la réalité. Les jeux de
rôle permettent de préparer le sujet à l’exposition
aux situations.
Au cours des séances 5 à 10, le thérapeute aidera
le patient à développer sa capacité à opposer aux
postulats irrationnels des raisonnements alterna-
tifs qui sont plus en accord avec la réalité : cette
démarche permettra de modifier les pensées
automatiques. À cette fin, le patient adoptera de
nouveau la technique du carnet de bord ou des
fiches d’auto-observation ; le contenu de ceux-ci
sera systématiquement analysé au cours des séances
avec le thérapeute. En pratique, aux trois colonnes
“situation, “émotion, “pensée automatique”
s’ajoute une quatrième colonne “pensée alternative”.
Le sujet apprendra à porter un regard critique sur
ses pensées automatiques en examinant les situa-
tions suscitant chez lui des émotions pénibles et en
testant les hypothèses négatives sous-jacentes à
ces pensées. Puisque le sujet s’attribue systémati-
quement la responsabilité des événements et doute
de sa propre capacité à résoudre les problèmes et à
apporter des changements positifs à sa condition, il
devra apprendre à proposer une pensée alternative,
plus rationnelle, plus souple, plus nuancée. L’individu
s’autorise ainsi à prendre une distance nécessaire
par rapport aux événements, en les évaluant d’une
manière objective. Le fait d’extérioriser, du moins
partiellement, la responsabili et de nuancer la
vision d’une situation problématique en refusant
de l’appréhender en tout ou rien, serait un atout
permettant au patient de sortir des schémas habi-
tuels et prévenant, notamment, le risque suicidaire.
Les séances 10 à 20 sont réservées au travail sur les
distorsions cognitives, à savoir l’inférence arbitraire,
la surgénéralisation, l’abstraction sélective, la maxi-
La Lettre du Psychiatre Vol. VI - n° 4 - juillet-août 2010 | 131
MISE AU POINT
malisation des événements négatifs, la minimisa-
tion des événements positifs et la personnalisation.
Ainsi, le sujet tire des conclusions sans preuves, étend
une expérience négative à l’ensemble des situations
possibles, se fixe sur un détail sans importance ou
encore s’attribue à tort la responsabilité d’un événe-
ment défavorable. Il s’agit donc d’une perception
erronée des événements de la vie, causée par une
analyse qui, dès le départ, s’appuie sur des postulats
dysfonctionnels.
Le travail sur ces distorsions permet au patient de
changer la vision qu’il a de lui-même, de l’avenir et
du monde. Pour chaque situation, le thérapeute pose
au sujet des questions qui mettent en évidence les
fautes de logique de ce dernier.
La modification des schémas dysfonctionnels prend
du temps et demande une forte motivation au
patient, soumis à des règles intérieures rigides qui
sont pour lui une vérité absolue. Il ne s’agit pas de
pointer les erreurs du patient car ce sont des erreurs
qu’il arrive à chacun de faire –, ni de lui imposer
une “bonne” philosophie. Le but de la thérapie est
d’inverser les processus cognitifs dysfonctionnels,
c’est-à-dire, d’apprendre au patient à adapter ses
schémas intérieurs à la réalité externe et non plus
déformer la réalité pour l’accommoder à des règles
intérieures.
Une fois que la validité des postulats dysfonctionnels
est remise en question, le thérapeute peut utiliser
des techniques favorisant l’apparition des pensées
alternatives, à savoir les stratégies de résolution
de problèmes qui ont fait leurs preuves dans le
domaine de la gestion des entreprises et du coaching
personnel. Il s’agit de formuler le problème rencontré
en des termes adéquats et, surtout, en des termes de
changement positif, en se documentant si besoin, de
lui trouver des solutions, en établissant une liste sans
aucune censure, d’évaluer les solutions envisagées
par rapport aux bénéfices et aux risques à court, à
moyen et à long terme, de choisir une solution et
de l’appliquer, d’évaluer le résultat et de réadapter
la stratégie en cas de nécessité. Cette technique
peut être appliquée hors séances par le patient lui-
même, qui utilisera son carnet de bord ou ses fiches
d’auto-observation : cela lui permettra de visualiser
ses postulats et de les tester au quotidien.
Si nous prenons l’exemple des pensées suici-
daires, l’application de la technique de résolution
de problèmes passera par plusieurs étapes. Tout
d’abord, il est nécessaire d’effectuer une analyse
fonctionnelle pour clarifier les événements exté-
rieurs, les réponses cognitives, affectives et les
actions aboutissant au point critique, leurs consé-
quences et leurs fonctions psychologiques. L’ana-
lyse sert à individualiser la thérapie et à spécifier
les facteurs qui déclenchent et/ou maintiennent
les comportements problématiques. Les outils
sont l’entretien clinique, les grilles d’évaluation,
l’autoenregistrement et les observations directe
ou indirecte. Ensuite, le thérapeute envisagera et
explorera avec le patient d’autres solutions que le
suicide, analysera les difficultés liées à l’annula-
tion du projet suicidaire, comme la tolérance des
conséquences et des affects pénibles liés au fait
de survivre. Le thérapeute aidera également le
patient à rechercher un soutien environnemental.
À l’étape suivante, il convient de s’attarder sur les
effets négatifs réels ou potentiels du comporte-
ment suicidaire : conséquences interpersonnelles,
conséquences à long terme, effet sur l’estime de
soi, effet sur le thérapeute, tout en renforçant les
comportements non suicidaires par l’étayage du
patient et la dédramatisation des événements.
Le thérapeute doit rester attentif au fait que les
idéations suicidaires peuvent devenir un moyen de
contrôle du thérapeute par le patient dans une rela-
tion de dépendance/indépendance : dans ce cas, il
faudra démontrer l’inefficacité de cette stratégie, en
soulignant les similitudes existant entre la thérapie
et la vie et en proposant des alternatives cognitives
et comportementales. Finalement, le thérapeute
aidera le patient à inscrire son comportement actuel
et ses schémas cognitifs dans le temps, à les mettre
en rapport avec les événements passés et présents
et avec le fonctionnement de sa personnalité.
À l’issue de la thérapie, le patient intériorisera la
méthode de restructuration cognitive des pensées
automatiques et des schémas dysfonctionnels, alors
qu’une nouvelle gestion des épreuves de réalité lui
apportera le plaisir d’observer des résultats béné-
fiques probants et d’avoir le sentiment de maîtriser
la réalité. D’autres techniques peuvent améliorer
la confrontation du patient à la réalité, comme le
travail en groupe restreint ou l’exposition, sous
relaxation, aux images mentales angoissantes.
Au cours des séances de groupe, on apprend aux
patients les techniques de base du comportement
assertif, qui consiste à faire valoir son point de vue
sans se montrer ni agressif ni inhibé. Les participants
s’entraînent à faire et à recevoir des compliments
ce qui renforce leur estime d’eux-mêmes, à émettre
et à recevoir des critiques, à demander un chan-
gement positif et à refuser un service ou un bien.
Lexposition aux images mentales angoissantes et
dépressogènes se fait moyennant une relaxation
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