130 | La Lettre du Psychiatre • Vol. VI - n° 4 - juillet-août 2010
Soigner la dépression à l’hôpital : vers une variété
des méthodes thérapeutiques
MISE AU POINT
Le patient est sollicité dans cette démarche, grâce
à l’établissement d’un carnet de bord ou encore
des fiches d’auto-observation. Ces fiches sont
remplies en dehors des séances et analysées avec
le thérapeute. Elles comportent habituellement trois
colonnes où :
➤
le patient enregistre la situation, c’est-à-dire,
l’événement déplaisant inscrit dans son contexte
de souvenirs, de rêves, d’idées, etc. ;
➤
il note les émotions négatives engendrées par
l’événement, en spécifiant leur nature et en évaluant
leur intensité de 0 à 8 ;
➤
il inscrit les pensées automatiques précédant
les émotions négatives, en évaluant son niveau de
croyance dans ces pensées (de 0 à 8) ; il situe l’évé-
nement, la survenue des pensées automatiques et
des émotions négatives dans le temps.
Finalement, le thérapeute propose au patient de
dresser un tableau de ses activités hebdomadaires,
en attribuant une note de 0 à 5 au degré de plaisir
et de maîtrise éprouvés lors de chacune d’entre elles.
Chaque jour est divisé en tranches horaires et le
patient note toutes ses actions dès le lever jusqu’au
moment du coucher. Outre l’intensité du plaisir et
de la maîtrise ressentis au cours de ces activités, qui
peut être forte ou faible, le carnet de bord permet
ainsi d’observer à long terme des plages horaires
vides durant lesquelles surviennent des ruminations,
des remémorations des échecs passés, une réac-
tivation des pensées automatiques et des affects
négatifs, qui renforcent la dépression.
Ce travail préparatif permet au thérapeute de passer
à une mise à jour progressive des contenus dépres-
sogènes des monologues intérieurs. En utilisant les
moments de forte émotion réinstaurés par un jeu
de rôle ou suscités au cours du récit du patient, le
thérapeute accède aux schémas cognitifs dysfonc-
tionnels et aide le patient à réviser sa conception
négative de soi-même, du monde environnant et
du futur. Le carnet de bord ou les fiches d’auto-
observation laisseront transparaître une série de
thèmes à caractère dépressogène, accompagnés
d’auto-injonctions qui inscrivent le patient dans un
cercle vicieux de perceptions et d’interprétations
erronées. L’établissement d’un dialogue socratique
entre deux protagonistes permet de s’affranchir de
ce cercle vicieux et d’analyser les principes illogiques
qui déterminent le comportement du patient.
Pour identifier les schémas dysfonctionnels au
cours de l’entretien, le thérapeute peut opter pour
la technique dite “de la flèche descendante”, qui,
au lieu de corriger les pensées automatiques, les
poursuit, les pousse à l’extrême. Ainsi, le postulat
erroné apparaît. Cette technique fait émerger des
émotions comme la tristesse ou la culpabilité, et
le dialogue risque d’être mal vécu par le patient. Le
thérapeute devra veiller à ce que ses reformulations
des schémas dysfonctionnels ne soient pas trop
tranchées, mais se présentent plutôt sous forme
d’hypothèses, de mise en lumière progressive, car
le contraire risquerait de renforcer les pensées de
désespoir et de dévalorisation et les idées noires.
Dès le début de la thérapie, le patient est invité à
intégrer dans son quotidien des activités qui favo-
risent l’émergence des sentiments de plaisir, d’ef-
ficacité et de maîtrise, améliorant ainsi son estime
de soi. Ce programme reflète les stratégies compor-
tementales de la thérapie : des exercices pratiques
à effectuer pendant et entre les séances amènent
le patient à tester ses schémas dysfonctionnels en
les soumettant à l’épreuve de la réalité. Les jeux de
rôle permettent de préparer le sujet à l’exposition
aux situations.
Au cours des séances 5 à 10, le thérapeute aidera
le patient à développer sa capacité à opposer aux
postulats irrationnels des raisonnements alterna-
tifs qui sont plus en accord avec la réalité : cette
démarche permettra de modifier les pensées
automatiques. À cette fin, le patient adoptera de
nouveau la technique du carnet de bord ou des
fiches d’auto-observation ; le contenu de ceux-ci
sera systématiquement analysé au cours des séances
avec le thérapeute. En pratique, aux trois colonnes
“situation”, “émotion”, “pensée automatique”
s’ajoute une quatrième colonne “pensée alternative”.
Le sujet apprendra à porter un regard critique sur
ses pensées automatiques en examinant les situa-
tions suscitant chez lui des émotions pénibles et en
testant les hypothèses négatives sous-jacentes à
ces pensées. Puisque le sujet s’attribue systémati-
quement la responsabilité des événements et doute
de sa propre capacité à résoudre les problèmes et à
apporter des changements positifs à sa condition, il
devra apprendre à proposer une pensée alternative,
plus rationnelle, plus souple, plus nuancée. L’individu
s’autorise ainsi à prendre une distance nécessaire
par rapport aux événements, en les évaluant d’une
manière objective. Le fait d’extérioriser, du moins
partiellement, la responsabilité et de nuancer la
vision d’une situation problématique en refusant
de l’appréhender en tout ou rien, serait un atout
permettant au patient de sortir des schémas habi-
tuels et prévenant, notamment, le risque suicidaire.
Les séances 10 à 20 sont réservées au travail sur les
distorsions cognitives, à savoir l’inférence arbitraire,
la surgénéralisation, l’abstraction sélective, la maxi-