MISE AU POINT Soigner la dépression à l’hôpital : vers une variété des méthodes thérapeutiques Hospital care of depression: toward a variety of therapeutic methods M.V. Chopin* L a dépression, processus psychopathologique extrêmement complexe, dont l’étiologie repose sur plusieurs facteurs biologiques, psychologiques et environnementaux, se manifeste par la perte de l’élan vital, l’inhibition et la douleur morale. Ce trouble de l’humeur peut s’inscrire dans des contextes cliniques variés (troubles anxieux, somatiques, troubles de la personnalité, etc.), ce qui conditionne le choix d’une stratégie pharmacologique, psychothérapeutique, sociale. En ambulatoire ou à l’hôpital, le traitement devra considérer la symptomatologie au premier plan, les conséquences de ces troubles sur les plans cognitif, physiologique et social, le trouble psychologique sous-jacent et les interactions familiales autour du trouble manifeste. Il existe de multiples approches thérapeutiques qui se fondent sur des courants théoriques différents : psychanalyse, théories cognitivo-comportementales, systémie. Le traitement doit souvent se concevoir dans une perspective pluridisciplinaire, qui tolère cette diversité des abords théoriques du problème. À l’hôpital, l’approche psychothérapeutique d’inspiration psychanalytique adapte fréquemment le cadre d’une cure classique au dispositif existant. Le patient se voit proposer un travail en face à face, moins frustrant, dont la fréquence peut être modulée en fonction de sa propre tolérance. Ce travail nécessite parfois une participation imaginaire active du thérapeute. Cette approche se situe dans un registre plus dynamique, dans l’ici et maintenant, et vise à faire de la relation thérapeute-patient un échange. D’autre part, l’orientation psychanalytique tient compte des mobiles inconscients des patients. Nous nous centrerons sur les approches cognitivocomportementale et systémique de la prise en charge de la dépression, car ces méthodes ne sont pas encore largement appliquées dans les hôpitaux publiques français. Les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) regroupent plusieurs méthodes qui se sont perfectionnées et diversifiées au cours des dernières années. Les aspects communs aux TCC sont une démarche particulière où le patient reçoit l’information complète sur ses troubles et joue un rôle très actif dans le processus thérapeutique (lectures, exercices entre les séances, auto-observation), une durée globale de traitement assez courte (de 3 mois à 1 an) et des techniques ciblées et spécifiques à chaque type de problématique. Ainsi, le patient se voit proposer des techniques impliquant le corps (relaxation), une modification des schémas dysfonctionnels de pensées, un entraînement aux compétences sociales, une exposition aux situations sources de conflit, ainsi qu’un travail en groupe. L’approche cognitivo-comportementale comprend la TCC proprement dite, la thérapie sociocomportementale, la thérapie fondée sur la pleine conscience de soi et la thérapie interpersonnelle. Les TCC s’appliquent à des cas de dépression légère ou modérée qui nécessitent parfois un traitement antidépresseur. Le principe de participation active à son propre traitement, commun aux TCC, suppose une stabilisation de l’état du patient et l’absence d’un ralentissement psychomoteur trop marqué. L’efficacité des TCC est systématiquement revalidée par des méta-analyses (1-5). * Service de psychiatrie et de psychologie médicale ; service des maladies infectieuses et tropicales, hôpital Saint-Antoine, Paris. La Lettre du Psychiatre • Vol. VI - n° 4 - juillet-août 2010 | 127 Résumé Mots-clés Dépression Thérapie cognitivocomportementale Thérapie systémique Santé publique Summary Depression is part of multiple clinical contexts which require a variety of therapeutic strategies. In France, cognitive-behavioral and systemic approaches are not yet widely applied in public hospitals. A brief analysis of the theoretical foundations and practices shows the advantages and limitations of these approaches. Enhancing health­care expertise with these methods will allow to offer an innovative and individualized treatment to a depressed subject. Keywords Depression Cognitive-behavioral therapy Systemic therapy Public health La dépression s’inscrit dans de multiples contextes cliniques qui nécessitent une variété des stratégies thérapeutiques. Les approches cognitivo-comportementale et systémique ne sont pas encore largement appliquées dans les hôpitaux publics français. Une brève analyse des fondements théoriques et des pratiques montre les avantages et les limites de ces approches. Enrichir l’offre de soins au moyen de ces méthodes permettra une prise en charge pointue et individualisée du sujet déprimé. Concept cognitivo-comportemental de la dépression Le concept de la dépression s’associe à celui de troubles des fonctions cognitives, ces derniers se manifestant par des pensées dépressives, pessimistes, marquées par une dévalorisation de soimême, une dépréciation du monde environnant et une vision désespérée du futur. Ces pensées s’accom­pagnent d’une remémoration douloureuse et persistante des événements de vie négatifs, tandis que les événements positifs sont souvent négligés. L’inhibition psychomotrice et le désinvestissement de toute action trouvent ainsi leur fondement : puisque, dans le passé, aucun résultat positif n’a été atteint, l’action future perd tout son sens et son utilité. Les expériences heureuses tombent dans l’oubli en cédant la place aux déceptions. La mémoire à long terme contient des structures cognitives composées de représentations de l’individu sur lui-même et sur le monde. Ces structures mettent en relation l’expérience personnelle, les concepts généraux et les règles culturelles et sociales de fonctionnement selon des algorithmes ou des schémas cognitifs inconscients. Les représentations de l’expérience vécue guident l’attention sélective et la perception des événements, et facilitent le rappel des expériences précédentes semblables. Le caractère rigide des schémas cognitifs est souvent à l’origine des distorsions dans la perception et l’interprétation des nouvelles expériences qui diffèrent du schéma préexistant. Les schémas cognitifs fonctionnent de manière automatique, ce qui explique la régularité des actes de l’individu : le filtrage et l’interprétation de l’information sélectionnée se déroulent en fonction des hypothèses implicites concernant les événements et aboutissent à une vision restrictive, appauvrie, partielle d’une situation. Cependant, ils peuvent être modifiés, “désappris”. Ainsi, le passé définit la façon dont le futur sera appréhendé. Ces schémas peuvent rester latents pendant des années et se réactiver à l’occasion d’événements particuliers. Ils représentent un moyen rapide et économique de traiter l’information nouvelle, mais leur utilisation systématique et l’interprétation dysfonctionnelle des événements risquent de les renforcer. 128 | La Lettre du Psychiatre • Vol. VI - n° 4 - juillet-août 2010 Les schémas cognitifs dysfonctionnels seraient responsables du sens dépressif donné à une expérience vécue, puisque leur contenu détermine les réponses affectives et comportementales. Les sujets sont moins émus par les événements eux-mêmes que par l’interprétation qu’ils construisent à leur propos. Les schémas dépressogènes activent des cognitions sous la forme d’auto-injonctions (par exemple : “Pour être heureux, je dois réussir tout ce que je fais et tout le monde doit m’accepter et m’aimer”). Ces injonctions laissent entrevoir une approche dichotomique du monde, en tout ou rien. Ainsi, pour confirmer ces postulats, les schémas cognitifs favoriseront une déformation des événements de la réalité. Ce mode de fonctionnement peut avoir été acquis dans un milieu exigeant, strict qui focalise l’attention de l’enfant exclusivement sur ses erreurs sans renforcer positivement ses réussites, ou encore dans un contexte marqué par des pertes ou des séparations précoces où l’enfant se remet en cause et éprouve un sentiment de dévalorisation et de culpabilité. L’hypermnésie des événements négatifs favorise l’installation de l’humeur dépressive qui se répercute sur les performances intellectuelles du sujet déprimé, notamment sur la mémoire, les capacités d’attention et de concentration. La dépression est un phénomène multifactoriel qui pourrait être dû aux traits de la personnalité et à une vulnérabilité d’ordre génétique ou biologique. Ces facteurs renforcent les schémas dépressogènes activés par un événement traumatique et sensibi­lisent le sujet à des événements de portée de moins en moins importante. Ce stress permanent provoque une anticipation de l’échec personnel et mène aux épisodes dépressifs fréquents, qui tendent à se chroniciser. La dépression peut s’inscrire dans le contexte de troubles de l’humeur unipolaire ou bipolaire ou de troubles de la personnalité, et s’associer à un trouble anxieux, etc. Ce contexte clinique déterminera la façon dont une thérapie sera mise en place. Thérapie cognitivo­-comportementale Généralement, le programme d’une psychothérapie cognitivo-comportementale s’étale sur une période MISE AU POINT de 3 à 6 mois et comprend une vingtaine de séances, à raison d’une ou deux séances par semaine. Comme son nom l’indique, cette thérapie vise à restructurer les dysfonctionnements cognitifs en mettant à l’épreuve de la réalité le système de croyances du sujet déprimé : elle permet donc à l’individu d’apprendre à faire le tri entre les faits objectifs et leur interprétation subjective. Les distorsions imposées par les schémas dysfonctionnels et les postulats dépressogènes sont d’abord testées pendant les séances par un dialogue socratique entre le thérapeute et le patient et, ensuite, dans la vie de tous les jours, grâce à des mises en situation, aux jeux de rôle et exercices. Il s’agit d’une thérapie structurée et directive. À chaque séance, le thérapeute et le patient s’accordent sur un agenda précisant les problèmes à traiter : d’une part, il est important pour les deux acteurs de la thérapie de bien organiser le temps ; d’autre part, l’établissement commun d’un agenda favorise le développement d’une expérience positive de plaisir et de maîtrise. Le patient collabore activement avec le thérapeute, alors que celui-ci met l’accent sur les difficultés actuelles auxquelles le patient est confronté et participe à une meilleure compréhension par le sujet de ses propres troubles. Le thérapeute effectue régulièrement un feed-back portant sur les aspects soulevés au cours de l’entretien, essentiels dans la compréhension de la problématique du patient et l’orientation de la thérapie, ainsi que sur l’ensemble de la séance : il demande que le patient résume ce qu’il a compris de la séance, évoque ce qui lui a déplu et restitue ce qu’il en a retenu lui-même. Cet échange est important non seulement pour repérer et élaborer les pensées négatives à propos de la thérapie, mais également pour corriger d’éventuelles erreurs du thérapeute. Le contenu de la séance écoulée est confronté à l’agenda : les points laissés de côté sont reportés à une séance ultérieure. Aujourd’hui, de nouvelles modalités de mise en place du traitement sont en cours d’élaboration : le patient peut suivre le programme grâce à un logiciel informatique ou encore sur Internet, alors que le thérapeute supervise régulièrement le bon déroulement de la thérapie, soutient le patient et répond aux questions de ce dernier au cours des communications téléphoniques ou électroniques. L’efficacité de la TCC couvre essentiellement aux dépressions d’intensité légère ou moyenne ainsi qu’aux états dysthymiques. Les symptômes somatiques au premier plan nécessitent un traitement par antidépresseurs en amont ou une association des deux méthodes. Par ailleurs, le patient doit faire preuve de capacités d’auto-observation et d’autocontrôle. Les troubles de la concentration et de la mémoire risquent de l’empêcher de faire le lien entre son humeur dépressive, ses pensées négatives et les événements extérieurs. Que le patient ait le sens du réel est indispensable pour pouvoir tester les postulats et les schémas dysfonctionnels dans la vie de tous les jours, ce qui complique, voire rend impossible, l’application d’une TCC aux cas de mélancolie et de dépression au cours d’états psychotiques. Cependant, les TCC peuvent représenter une bonne alternative aux antidépresseurs si ceux-ci sont refusés, contre-indiqués ou mal tolérés. La prise en charge du trouble bipolaire doit associer la TCC à la psychopharmacologie. Le programme thérapeutique a un caractère éducatif : il vise, dans un premier temps, à expliquer les mécanismes du trouble au patient et, dans un second temps, propose un entraînement aux compétences sociales à travers des jeux de rôle, afin de maintenir l’insertion socio-familiale, et un développement des habiletés à repérer les symptômes et à y faire face. Déroulement de la thérapie La restructuration des schémas cognitifs dysfonctionnels nécessite un sondage préalable du terrain cognitif : de la sorte, les pensées automatiques négatives et les affects dépressifs qui leur sont associés, ainsi que les contextes favorisant l’activation de ces pensées, sont repérés. Les cinq premières séances permettront d’étudier les émotions et les affects négatifs, ainsi que d’isoler les monologues intérieurs et les images dépressogènes, tels qu’ils apparaissent dans le récit du patient ou encore au cours des jeux de rôle. La technique du jeu de rôle s’utilise particulièrement dans les situations où des relations interpersonnelles posent problème : les deux protagonistes de la thérapie reproduisent la scène et le patient livre à voix haute les pensées engendrées par la mise en situation. Cela permet de rendre évidents les liens entre les cognitions dysfonctionnelles, les émotions négatives et les comportements dépressifs. Des questions complémentaires peuvent éclairer sur les processus d’interprétation de la réalité et sur les schémas cognitifs du patient. En outre, le thérapeute peut remettre au patient un bref manuel qui explique les relations d’interdépendance entre pensées, émotions et comportements ainsi que les principes de la TCC. "MMNMBDY UNTR me Une deuxiè e ratuit insertion g pour és les abonn Contactez Valérie Glatin au 01 46 67 62 77 ou faites parvenir votre annonce par mail à [email protected] La Lettre du Psychiatre • Vol. VI - n° 4 - juillet-août 2010 | 129 MISE AU POINT Soigner la dépression à l’hôpital : vers une variété des méthodes thérapeutiques Le patient est sollicité dans cette démarche, grâce à l’établissement d’un carnet de bord ou encore des fiches d’auto-observation. Ces fiches sont remplies en dehors des séances et analysées avec le thérapeute. Elles comportent habituellement trois colonnes où : ➤ ➤ le patient enregistre la situation, c’est-à-dire, l’événement déplaisant inscrit dans son contexte de souvenirs, de rêves, d’idées, etc. ; ➤ ➤ il note les émotions négatives engendrées par l’événement, en spécifiant leur nature et en évaluant leur intensité de 0 à 8 ; ➤ ➤ il inscrit les pensées automatiques précédant les émotions négatives, en évaluant son niveau de croyance dans ces pensées (de 0 à 8) ; il situe l’événement, la survenue des pensées automatiques et des émotions négatives dans le temps. Finalement, le thérapeute propose au patient de dresser un tableau de ses activités hebdomadaires, en attribuant une note de 0 à 5 au degré de plaisir et de maîtrise éprouvés lors de chacune d’entre elles. Chaque jour est divisé en tranches horaires et le patient note toutes ses actions dès le lever jusqu’au moment du coucher. Outre l’intensité du plaisir et de la maîtrise ressentis au cours de ces activités, qui peut être forte ou faible, le carnet de bord permet ainsi d’observer à long terme des plages horaires vides durant lesquelles surviennent des ruminations, des remémorations des échecs passés, une réactivation des pensées automatiques et des affects négatifs, qui renforcent la dépression. Ce travail préparatif permet au thérapeute de passer à une mise à jour progressive des contenus dépressogènes des monologues intérieurs. En utilisant les moments de forte émotion réinstaurés par un jeu de rôle ou suscités au cours du récit du patient, le thérapeute accède aux schémas cognitifs dysfonctionnels et aide le patient à réviser sa conception négative de soi-même, du monde environnant et du futur. Le carnet de bord ou les fiches d’autoobservation laisseront transparaître une série de thèmes à caractère dépressogène, accompagnés d’auto-injonctions qui inscrivent le patient dans un cercle vicieux de perceptions et d’interprétations erronées. L’établissement d’un dialogue socratique entre deux protagonistes permet de s’affranchir de ce cercle vicieux et d’analyser les principes illogiques qui déterminent le comportement du patient. Pour identifier les schémas dysfonctionnels au cours de l’entretien, le thérapeute peut opter pour la technique dite “de la flèche descendante”, qui, au lieu de corriger les pensées automatiques, les poursuit, les pousse à l’extrême. Ainsi, le postulat 130 | La Lettre du Psychiatre • Vol. VI - n° 4 - juillet-août 2010 erroné apparaît. Cette technique fait émerger des émotions comme la tristesse ou la culpabilité, et le dialogue risque d’être mal vécu par le patient. Le thérapeute devra veiller à ce que ses reformulations des schémas dysfonctionnels ne soient pas trop tranchées, mais se présentent plutôt sous forme d’hypothèses, de mise en lumière progressive, car le contraire risquerait de renforcer les pensées de désespoir et de dévalorisation et les idées noires. Dès le début de la thérapie, le patient est invité à intégrer dans son quotidien des activités qui favorisent l’émergence des sentiments de plaisir, d’efficacité et de maîtrise, améliorant ainsi son estime de soi. Ce programme reflète les stratégies comportementales de la thérapie : des exercices pratiques à effectuer pendant et entre les séances amènent le patient à tester ses schémas dysfonctionnels en les soumettant à l’épreuve de la réalité. Les jeux de rôle permettent de préparer le sujet à l’exposition aux situations. Au cours des séances 5 à 10, le thérapeute aidera le patient à développer sa capacité à opposer aux postulats irrationnels des raisonnements alternatifs qui sont plus en accord avec la réalité : cette démarche permettra de modifier les pensées automatiques. À cette fin, le patient adoptera de nouveau la technique du carnet de bord ou des fiches d’auto-observation ; le contenu de ceux-ci sera systématiquement analysé au cours des séances avec le thérapeute. En pratique, aux trois colonnes “situation”, “émotion”, “pensée automatique” s’ajoute une quatrième colonne “pensée alternative”. Le sujet apprendra à porter un regard critique sur ses pensées automatiques en examinant les situations suscitant chez lui des émotions pénibles et en testant les hypothèses négatives sous-jacentes à ces pensées. Puisque le sujet s’attribue systématiquement la responsabilité des événements et doute de sa propre capacité à résoudre les problèmes et à apporter des changements positifs à sa condition, il devra apprendre à proposer une pensée alternative, plus rationnelle, plus souple, plus nuancée. L’individu s’autorise ainsi à prendre une distance nécessaire par rapport aux événements, en les évaluant d’une manière objective. Le fait d’extérioriser, du moins partiellement, la responsabilité et de nuancer la vision d’une situation problématique en refusant de l’appréhender en tout ou rien, serait un atout permettant au patient de sortir des schémas habituels et prévenant, notamment, le risque suicidaire. Les séances 10 à 20 sont réservées au travail sur les distorsions cognitives, à savoir l’inférence arbitraire, la surgénéralisation, l’abstraction sélective, la maxi- MISE AU POINT malisation des événements négatifs, la minimisation des événements positifs et la personnalisation. Ainsi, le sujet tire des conclusions sans preuves, étend une expérience négative à l’ensemble des situations possibles, se fixe sur un détail sans importance ou encore s’attribue à tort la responsabilité d’un événement défavorable. Il s’agit donc d’une perception erronée des événements de la vie, causée par une analyse qui, dès le départ, s’appuie sur des postulats dysfonctionnels. Le travail sur ces distorsions permet au patient de changer la vision qu’il a de lui-même, de l’avenir et du monde. Pour chaque situation, le thérapeute pose au sujet des questions qui mettent en évidence les fautes de logique de ce dernier. La modification des schémas dysfonctionnels prend du temps et demande une forte motivation au patient, soumis à des règles intérieures rigides qui sont pour lui une vérité absolue. Il ne s’agit pas de pointer les erreurs du patient – car ce sont des erreurs qu’il arrive à chacun de faire –, ni de lui imposer une “bonne” philosophie. Le but de la thérapie est d’inverser les processus cognitifs dysfonctionnels, c’est-à-dire, d’apprendre au patient à adapter ses schémas intérieurs à la réalité externe et non plus déformer la réalité pour l’accommoder à des règles intérieures. Une fois que la validité des postulats dysfonctionnels est remise en question, le thérapeute peut utiliser des techniques favorisant l’apparition des pensées alternatives, à savoir les stratégies de résolution de problèmes qui ont fait leurs preuves dans le domaine de la gestion des entreprises et du coaching personnel. Il s’agit de formuler le problème rencontré en des termes adéquats et, surtout, en des termes de changement positif, en se documentant si besoin, de lui trouver des solutions, en établissant une liste sans aucune censure, d’évaluer les solutions envisagées par rapport aux bénéfices et aux risques à court, à moyen et à long terme, de choisir une solution et de l’appliquer, d’évaluer le résultat et de réadapter la stratégie en cas de nécessité. Cette technique peut être appliquée hors séances par le patient luimême, qui utilisera son carnet de bord ou ses fiches d’auto-observation : cela lui permettra de visualiser ses postulats et de les tester au quotidien. Si nous prenons l’exemple des pensées suicidaires, l’application de la technique de résolution de problèmes passera par plusieurs étapes. Tout d’abord, il est nécessaire d’effectuer une analyse fonctionnelle pour clarifier les événements extérieurs, les réponses cognitives, affectives et les actions aboutissant au point critique, leurs consé- quences et leurs fonctions psychologiques. L’analyse sert à individualiser la thérapie et à spécifier les facteurs qui déclenchent et/ou maintiennent les comportements problématiques. Les outils sont l’entretien clinique, les grilles d’évaluation, l’autoenregistrement et les observations directe ou indirecte. Ensuite, le thérapeute envisagera et explorera avec le patient d’autres solutions que le suicide, analysera les difficultés liées à l’annulation du projet suicidaire, comme la tolérance des conséquences et des affects pénibles liés au fait de survivre. Le thérapeute aidera également le patient à rechercher un soutien environnemental. À l’étape suivante, il convient de s’attarder sur les effets négatifs réels ou potentiels du comportement suicidaire : conséquences interpersonnelles, conséquences à long terme, effet sur l’estime de soi, effet sur le thérapeute, tout en renforçant les comportements non suicidaires par l’étayage du patient et la dédramatisation des événements. Le thérapeute doit rester attentif au fait que les idéations suicidaires peuvent devenir un moyen de contrôle du thérapeute par le patient dans une relation de dépendance/indépendance : dans ce cas, il faudra démontrer l’inefficacité de cette stratégie, en soulignant les similitudes existant entre la thérapie et la vie et en proposant des alternatives cognitives et comportementales. Finalement, le thérapeute aidera le patient à inscrire son comportement actuel et ses schémas cognitifs dans le temps, à les mettre en rapport avec les événements passés et présents et avec le fonctionnement de sa personnalité. À l’issue de la thérapie, le patient intériorisera la méthode de restructuration cognitive des pensées automatiques et des schémas dysfonctionnels, alors qu’une nouvelle gestion des épreuves de réalité lui apportera le plaisir d’observer des résultats bénéfiques probants et d’avoir le sentiment de maîtriser la réalité. D’autres techniques peuvent améliorer la confrontation du patient à la réalité, comme le travail en groupe restreint ou l’exposition, sous relaxation, aux images mentales angoissantes. Au cours des séances de groupe, on apprend aux patients les techniques de base du comportement assertif, qui consiste à faire valoir son point de vue sans se montrer ni agressif ni inhibé. Les participants s’entraînent à faire et à recevoir des compliments – ce qui renforce leur estime d’eux-mêmes, à émettre et à recevoir des critiques, à demander un changement positif et à refuser un service ou un bien. L’exposition aux images mentales angoissantes et dépressogènes se fait moyennant une relaxation progressive : "MMNMBDY UNTR Des tarifs dégressifs pour tivités les collec Contactez Valérie Glatin au 01 46 67 62 77 ou faites parvenir votre annonce par mail à [email protected] La Lettre du Psychiatre • Vol. VI - n° 4 - juillet-août 2010 | 131 MISE AU POINT Soigner la dépression à l’hôpital : vers une variété des méthodes thérapeutiques ➤ ➤ soit selon la méthode de Jacobson ; le patient est couché. Cette méthode porte sur 16 groupes musculaires, s’accompagne d’une relaxation mentale et consiste à alterner la contraction et la relaxation ; ➤ ➤ soit selon la méthode de Schultz , qui consiste en une concentration mentale sur les images inductrices de sensations de relaxation, de calme, de chaleur, de pesanteur, et sur la respiration abdominale. Les séances de relaxation durent généralement 20 minutes, et les deux méthodes sont obligatoirement complétées par des exercices à domicile au moyen d’un disque préenregistré de 10 minutes ou par une relaxation sur indice verbal. Une autoévaluation du sujet est de rigueur. Si les symptômes du stress post-traumatique sont au premier plan, le thérapeute aidera le patient à faire le récit de son ou de ses épisodes traumatiques. Il utilisera des techniques d’exposition prolongée et répétée, en imagination, aux scènes traumatiques jusqu’à habituation à l’angoisse et extinction des comportements d’évitement issus du traumatisme, ou la méthode de désensibilisation par les mouvements oculaires (Eye Movement Desensitization and Reprocessing [EMDR]). Cette méthode, qui se fonde sur des mécanismes neuropsychologiques de déconnexion/reconnexion de différentes parties du cerveau, consiste en l’induction de saccades oculaires associées à des sensations, des images ou des pensées liées au traumatisme. Son but est la réduction de l’anxiété et des flash-backs, le changement cognitif et l’augmentation de l’estime de soi. Le thérapeute aidera le patient à réinterpréter avec plus de recul l’expérience des traumatismes anciens. Par exemple, cette resocialisation peut être réalisée au moyen de jeux de rôle dans lesquels le patient adulte réagit à la place de l’enfant qu’il était vis-à-vis de son agresseur. Le jeu permet de situer les capacités du patient à supporter et à manier une interaction sociale avec un personnage clé. Ce jeu ayant un effet émotionnel important facilite l’accès aux monologues intérieurs du patient et à ses systèmes de pensées dysfonctionnelles. La thérapie prend fin par l’établissement d’un programme de maintenance composé de tâches cognitives et comportementales. Le patient est revu tous les mois pendant les 6 premiers mois suivant la fin de la thérapie. Puis 2 entretiens sont proposés au cours du second semestre. Des séances de rappel peuvent également avoir lieu si nécessaire. Ainsi, la thérapie aurait pour effets d’inverser la proportion entre pensées négatives et positives et de rétablir une dialectique entre un fond de pensées positives et une minorité de pensées négatives. 132 | La Lettre du Psychiatre • Vol. VI - n° 4 - juillet-août 2010 Thérapie sociocomportementale de la dépression L’approche socio-comportementale de la dépression met plutôt l’accent sur l’interaction du sujet avec son milieu social. Si la TCC insiste avant tout sur le dysfonctionnement des processus cognitifs internes, l’approche socio-comportementale implique une intervention directe sur l’interaction du patient déprimé avec son environnement. On pourrait penser qu’un trop grand nombre d’événements négatifs et qu’une quantité trop faible d’expériences plaisantes dans l’environnement du patient font que celui-ci se déprime (6). Il s’agit alors de lui proposer un programme didactique d’apprentissage social, qui cherche à modifier le comportement social de l’individu en diminuant le taux d’événements aversifs et en augmentant le taux d’événements positifs. Ce type de travail se déroule en groupe, à raison de 12 séances de 2 heures. Les patients disposent d’un manuel qui explique, étape par étape, la thérapie et les aide à comprendre leurs difficultés et à appliquer les principes de cette approche. La thérapie socio-comportementale a donné naissance à d’autres méthodes voisines s’appuyant sur le modèle de la compétence sociale et du développement de la communication. Si la place de la restructuration cognitive reste très limitée dans ces approches, ces dernières proposent aux patients des techniques fondées sur le renforcement positif et l’autoévaluation de la dynamique de leur comportement social, que les sujets assimilent grâce aux jeux de rôle, à la mise en situation réelle et au programme d’activités à accomplir. Thérapie cognitive fondée sur la pleine conscience La thérapie cognitive fondée sur la pleine conscience (Mindfulness-Based Cognitive Therapy [MBCT]) vise à apprendre aux personnes qui ont souffert de dépression par le passé des techniques utiles pour éviter la rechute. La MBCT est un programme didactique qui fournit aux patients les connaissances nécessaires sur les mécanismes de la dépression et les risques de rechute, et leur enseigne des habiletés et des savoir-faire pour y faire face, et une nouvelle façon d’être dans la vie. L’objectif de cette méthode est d’aider les patients à développer la capacité de prendre entièrement conscience dans l’ici et maintenant des sensations corporelles, des sentiments et MISE AU POINT des pensées. Huit séances en groupe permettent de développer une façon différente d’être en lien avec les sensations, les pensées et les sentiments. Les patients apprennent à accepter et à reconnaître sans jugement les sentiments et les pensées négatifs, indésirables, dépressogènes, en abandonnant les schémas de résistance automatiques et préprogrammés qui ont tendance à maintenir les difficultés. Ces schémas de résistance sont activés par un souhait puissant de se débarrasser de l’humeur négative et par un fort attachement au but de se sentir heureux. De plus, ils se voient renforcés par une comparaison constante entre l’état actuel et l’état désiré. L’acceptation d’un état émotionnel particulier et des cognitions qui l’accompagnent rend les patients capables de choisir la réponse la plus adéquate à tous les sentiments, les pensées ou les situations désagréables qu’ils rencontrent. Le but n’est pas de rejeter coûte que coûte les pensées et les sentiments négatifs hors de l’esprit, mais plutôt de prévenir leur installation. La compétence de base à acquérir consiste à pouvoir quitter ces routines cognitives qui s’autoalimentent et à ne plus y revenir. Le message fondamental est : “soyez conscients, laissez aller”, “laisser aller” signifiant arrêter de s’impliquer dans ces habitudes, se libérer de l’attachement ou de l’aversion qui actionne les schémas de pensées – ce sont les tentatives d’échapper au malheur ou de l’éviter, ou d’atteindre le bonheur qui font tourner les cycles négatifs. Chaque patient bénéficie d’un premier entretien qui vise à évaluer le poids des facteurs biologiques et psychologiques dans le déclenchement, le maintien de la dépression, ou éventuellement, dans la rechute. Le travail se fait en phase de rémission : les symptômes de la dépression étant moins intenses, les patients développent une “écoute” particulièrement attentive de leur monde intérieur, leur permettant de se rendre compte des changements minimes de leur humeur. La phase active du programme implique une pratique quotidienne, reposant sur des exercices à domicile durant au moins une heure. Cette contrainte exige une motivation importante du sujet. On part du principe que l’individu est responsable de son traitement, qu’il est “expert” en ce qui le concerne et qu’il dispose d’un fond d’expériences et d’habiletés. Les séances 1 à 4 ont pour objectif l’attention : les patients se rendent compte de la vitesse à laquelle l’esprit se détourne d’un sujet à un autre et apprennent peu à peu à le ramener à un point central, qu’il s’agisse dans un premier temps du corps ou, dans un deuxième temps, du souffle. Enfin, les participants deviennent conscients de la vulnérabilité de l’esprit vagabond aux pensées et aux sentiments négatifs. Les séances 5 à 8 visent la gestion des mouvements d’humeur : le patient doit être capable de choisir de s’en occuper sur l’instant ou plus tard. Quand une pensée ou un sentiment négatif surgit, les instructions insistent sur des stratégies spécifiques permettant au sujet d’être simplement là, avant de réagir : le sujet ferme les yeux et se recentre pendant 3 minutes sur son souffle. Il déplace donc temporairement son attention de la pensée vers sa respiration avant de l’étendre à l’ensemble de son corps. Cette méthode offre un espace de liberté où le patient peut se ressourcer avant de revenir à l’étape de la gestion des difficultés. Prendre conscience des sensations corporelles permet également de se détendre et de s’y ouvrir dans l’ici et maintenant. Le patient peut choisir de traiter directement les pensées ou les sentiments négatifs, en les “regardant passer”. Il peut remarquer la partie du corps qui se crispe, se durcit à la survenue de ces pensées, en essayant de la détendre avec son souffle. Il peut choisir d’aborder la difficulté en faisant une activité plaisante qui lui procure un sentiment de maîtrise. Les expériences vécues pendant les séances font l’objet d’un feed-back de la part des patients. Finalement, le patient est encouragé à devenir plus conscient des signes qui lui sont propres et l’aver­ tissent d’une dépression imminente, et à développer des plans d’action spécifiques pour les moments où cela pourrait se produire. Cette thérapie enseigne la concentration, la vigilance par rapport aux pensées, aux sentiments, aux émotions et aux sensations corporelles. Elle apprend à être dans l’instant, à se laisser aller en restant bienveillant envers soi-même et en acceptant pleinement l’expérience, à être plutôt qu’à faire, c’est-à-dire à pratiquer la méthode sans but à atteindre (se relaxer, être heureux, être en paix), à devenir conscient de la manifestation d’un problème dans le corps. Approche systémique de la dépression L’approche systémique considère le patient déprimé en tant qu’élément d’un système familial. Celui-ci est un ensemble où chaque membre affecte et est affecté par les autres, tant sur le plan vertical qu’horizontal. Ainsi, envisagé dans une dimension circulaire, un comportement devient à la fois une réponse et un stimulus. Le système est soumis aux conditions environnementales et régi par le principe de l’homéostasie : les interactions entre les éléments contribuent à l’auto-équilibration du système. Ainsi, La Lettre du Psychiatre • Vol. VI - n° 4 - juillet-août 2010 | 133 MISE AU POINT Références bibliographiques 1. Cuijpers P, Van Straten A, Andersson G, Van Oppen P. Psychotherapy for depression in adults: a meta-analysis of comparative outcome studies. J Consult Clin Psychol 2008;76:909-22. 2. Cuijpers P, Van Straten A, S m i t F, M i h a l o p o u l o s C , Beekman A. Preventing the onset of depressive disorders: a metaanalytic review of psychological interventions. Am J Psychiatry 2008;165(10):1272-80. 3. Cuijpers P, Van Straten A, Warmerdam L , Andersson G. Psychotherapy versus the combination of psychotherapy and pharmacotherapy in the treatment of depression: a metaanalysis. Depress Anxiety, sous presse. 4. Gloaguen V, Cottraux J, Cucherat M, Blackburn IM. 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En ce sens, une maladie est une forme particulière de communication. Dans un système familial, il peut y avoir des réaménagements pathologiques dans l’équilibre homéo­ statique lors d’une crise (naissance, mort, passage à l’adolescence ou à l’âge adulte, choix d’un partenaire, vie de couple). Les stratégies adoptées, qui dépendent de l’histoire familiale, sont souvent de fausses réponses à un problème mal posé ; elles renforcent les tensions au sein du groupe familial et placent le sujet en position de bouc émissaire. De ce point de vue, la thérapie familiale va identifier les étapes du cycle de vie afin d’aider la famille à les affronter et à les accepter. Des mythes familiaux, inscrits dans l’histoire familiale, partagés par tous ses membres, présents et absents, véhiculés de génération en génération, attribuent à chacun un rôle spécifique et renforcent la cohésion du groupe. Ils sont centrés sur les thématiques d’harmonie familiale, de pardon, d’expiation et de salut, de nécessité d’un absent. Ces mythes contribuent à créer une familio-dépendance qui empêche le patient d’accéder à l’autonomie. Dans les familles dépendantes, le sujet refuse de franchir les limites du monde où les relations sont pérennes, pour aller vers du conditionnel, défectible, provisoire. Le monde selon la mythologie familiale est celui de liens idéalisés, endogamiques, c’est-à-dire consanguins, sans conflits. Par ailleurs, le système familial oblige ses membres à respecter la loyauté dans leurs relations. Évidemment, plus le système familial est rigide dans ses principes, plus le risque d’effondrement d’une partie ou de l’ensemble de ce système est important. Les dysfonctionnements interactionnels au sein du système produisent des crises, qui se manifestent par des symptômes, pseudo-solutions élaborées par un sujet et adaptées au système. Toute tentative thérapeutique de prise en charge de ces symptômes doit donc être très attentive à leur étiologie familiale. Un des objectifs du clinicien sera d’assouplir le fonctionnement du système. Il doit construire un cadre clinique extrêmement rigoureux pour permettre aux 134 | La Lettre du Psychiatre • Vol. VI - n° 4 - juillet-août 2010 familles d’y inscrire de nouveaux repères, de délimiter les barrières générationnelles et de renforcer le positionnement des parents dans des rôles moins ambigus. Les règles qui régissent le cadre doivent être énoncées aux familles. Un contrat entre la famille et le thérapeute est passé, qui va avoir un rôle important sur la restructuration de la famille. Les thérapeutes travaillent souvent à deux, voire plus, pour avoir toujours suffisamment de recul. Leur équipement technique est varié : caméras, glace sans tain, interphone. Pour organiser leur thérapie, ils distinguent l’axe synchronique, dans l’ici et maintenant, et l’axe diachronique, transgénérationnel. Des techniques variées ont un objectif à la fois clinique et diagnostique. Il peut s’agir de construire un génogramme, arbre généalogique sur au moins trois générations, qui permet d’obtenir une image rapide de modèles familiaux complexes. Le thérapeute peut envisager une sculpturation, jeu de tableau vivant où un membre de la famille désigné comme sculpteur doit représenter symboliquement un moment des relations familiales, à une époque précise. Il peut réorganiser l’espace pour tester les alliances et les oppositions, ou encore attribuer des tâches thérapeutiques à exécuter pendant et entre les séances. Par exemple, on demandera à un fils d’empêcher que la mère interrompe son époux ou on encouragera ainsi une fille à s’acheter seule des vêtements. Ces techniques aident à créer un contexte thérapeutique et à promouvoir le changement du système familial. Contrairement à l’approche psychanalytique, la thérapie familiale compte aussi sur les interactions non verbales. Ce mode thérapeutique est assez interventionniste, voire directif. Conclusion Les modalités de prise en charge de la dépression qui sont à notre disposition aujourd’hui sont variées. Cependant, il convient plutôt d’opter pour la complémentarité des méthodes. Il s’agit à la fois d’intervenir dans le milieu social du patient pour que celui-ci y trouve un soutien nécessaire, de lui proposer un traitement pharmacologique en cas de symptômes somatiques ou si la dépression est récurrente, chronique ou de forme grave, de commencer un travail sur la personnalité de l’individu, sur la manière qu’a ce dernier d’appréhender les événements de sa vie et d’intérioriser ses expériences. Ce travail peut se faire en milieu institutionnel, à condition d’une coordination et d’une formation des intervenants. ■