TRIBUNE
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La Lettre du Gynécologue - n° 263 - juin 2001
ujourd’hui, une femme française a une probabilité
de près de 90 % d’atteindre l’âge de 65 ans, de
48,5 % d’atteindre 85 ans et de 1,7 % d’atteindre
100 ans. Ce vieillissement de la population féminine, qui doit
s’accroître au cours des prochaines décennies, s’accompagnera
d’une augmentation notable du nombre de femmes atteintes de
cancer : une femme sur quatre développera un cancer entre
60 et 79 ans.
Le cancer du sein est une affection fréquente et grave dont le
risque croît avec l’âge, au moins jusqu’à 80 ans. Au-delà de
50 ans, une femme a un risque de 11 % de développer un can-
cer du sein, dont 7 % après 70 ans. Le cancer du sein consti-
tuera donc un problème encore plus grave dans les années à
venir, sauf si nous disposons rapidement de moyens de préven-
tion efficaces. L’avenir est aujourd’hui au moins aussi préoc-
cupant pour les femmes âgées que pour les plus jeunes. En
effet, si la mortalité par cancer du sein a baissé au cours des
cinq dernières années aux États-Unis et en Europe, ce bénéfice
ne concerne que les femmes de moins de 60 ans ; pour les plus
âgées, la mortalité a continué à augmenter.
En recherchant les causes de cette dissociation du pronostic
selon l’âge, on peut mettre en évidence les effets des préju-
dices et des injustices dont sont victimes les femmes âgées
atteintes de cancer du sein.
LES EXCLUSIONS LÉGALES, SOCIALES ET MÉDICALES
DES FEMMES ÂGÉES
Dépistage : discrimination et préjugés
Le dépistage systématique du cancer du sein est encore très
inégalement appliqué en France : en effet, il y a des diffé-
rences régionales considérables dans ce domaine. En plus, il
existe aussi des exclusions. Ainsi, la limite d’âge supérieure,
précédemment fixée à 64 ans, vient d’être relevée à 69 ans,
contre 75 aux États-Unis, bien que la longévité moyenne des
femmes françaises soit supérieure à celle des Américaines.
L’espérance de vie d’une femme française de 75 ans est de
9,2 ans et la majorité des cancers du sein se développent chez
des femmes âgées de plus de 70 ans. La limite d’âge actuelle
reste donc discriminatoire, car infondée sur le plan médical.
Cette attitude est d’autant plus préjudiciable qu’il existe déjà
trop souvent des barrières psychologiques et socio-écono-
miques pour le dépistage du cancer du sein chez les femmes
âgées. Ces dernières ont trop souvent des craintes et des atti-
tudes négatives, face au cancer du sein notamment. De plus,
elles ont souvent plus de difficultés à exprimer leurs symp-
tômes à leurs proches, et même parfois à leur médecin. Ces
derniers n’ont pas toujours le temps, la patience ou la forma-
tion nécessaires pour assurer ce dépistage précoce lorsqu’ils
reçoivent en consultation une femme âgée, parfois atteinte par
plusieurs comorbidités.
On évoque, trop facilement, comme un alibi et sans données
exhaustives, la faible évolutivité des tumeurs du sein chez les
femmes âgées. Certes, il paraît logique que les tumeurs ayant
la vitesse de progression (temps de doublement) la plus rapide
apparaissent plus précocement. Cela n’empêche pas d’observer
des tumeurs faiblement ou fortement agressives à tout âge.
Rien ne peut justifier un retard au diagnostic lié à l’âge.
L’exclusion thérapeutique
Les préjugés et les exclusions retardent aussi significativement
l’accès de personnes âgées aux progrès thérapeutiques. Si on
prend les résultats publiés par le Early Breast Cancer Trialist
Group, qui portent sur un groupe de 20 000 patientes incluses
dans des essais de chimiothérapie adjuvante de leur cancer, il n’y
a que 609 femmes âgées de plus de 70 ans sur 18 000 patientes
incluses dans cette étude, qui reste la principale référence dans le
traitement de cette maladie. La sous-représentation des femmes
âgées est flagrante dans tous les groupes thérapeutiques : chirur-
gie, radiothérapie et même hormonothérapie. Ainsi, on prive les
femmes de plus de 70 ans des références thérapeutiques dont
bénéficient les patientes plus jeunes, et qui ont aujourd’hui
l’indispensable recul du temps permettant de prendre en compte
les résultats à long terme dans la prise de décision thérapeutique.
On doit espérer que ce type de discrimination ne sera plus à
l’œuvre pour de nouvelles techniques, comme par exemple celle
du ganglion sentinelle.
Globalement, il est indispensable de rattraper le retard accu-
mulé dans le domaine des essais thérapeutiques chez les per-
sonnes âgées. Faut-il simplement leur ouvrir la porte des essais
à venir ou définir une politique de recherche et de traitement
semblable à celle qui existe actuellement, mais dont les
“seniors” sont exclus ? Ou faut-il modifier spécifiquement et
profondément les modalités de l’essai thérapeutique en cancé-
Le cancer du sein chez les femmes âgées :
préjugés et préjudices
●C. Jasmin*, R. Sverdlin*, M. Riofrio*
* Service d’oncologie, hôpital Paul-Brousse, 12, avenue Paul Vaillant-
Couturier, 94804 Villejuif.
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