Le conflit de droits, c’est lorsque la situation individuelle d’une personne s’apprécie par rapport à des droits tout à fait
estimables, mais qui sont en conflit. Exemple : je suis à l’hôpital, j’ai envie de prier. La liberté de religion est un droit
fondamental. En même temps, l’hôpital est un lieu de soins, ce qui est aussi un droit estimable. D’un côté, nous avons le
discours : « je veux faire des prières et voir l’Imam » ; de l’autre, «
nous sommes un établissement de soins, fonctionnant
» Autre scénario : je suis
avec des budgets publics alloués à cette mission et administré par un règlement intérieur.
patient à l’hôpital psychiatrique. C’est un service qui est libre, aucune loi n’indique qu’un service de psychiatrie doive être
fermé. Parmi les patients se trouvent trois déments et quelqu’un estimé dangereux. Faute de personnel suffisant pour les
surveiller, la porte d’entrée est fermée à clef. Je veux sortir dans le parc, ce qui m’est refusé. Si l’on pose les termes du
conflit, nous avons d’un côté : « j » et «
’ai le droit de frapper à une porte et qu’on m’ouvre mon droit à la liberté d’aller et
» ; de l’autre « j » et «
de venir est entravé ’ai une obligation de sécurité des malades j’ai l’obligation de préserver le
». Ces quatre droits, rapidement identifiables, sont tous extrêmement précieux. Le conflit de droits doit être
personnel
admis.
Comment peut-il être résolu ?
Une fois le conflit de droits admis, il est nécessaire d’instaurer des limites clairement définies en vue d’un but. C’est la loi
qui a donné à l’hôpital une mission de santé publique. Si je laisse ce fidèle y faire ses cinq prières par jour, le service va
en être désorganisé, par manque d’espace, parce qu’il y a les visites aux malades, etc. Pour préserver la mission de
soins dévolue par la loi, je vais choisir de remettre en cause certains droits individuels de manière aussi limitée que
possible. Le même type de raisonnement est à tenir pour l’hôpital psychiatrique : je choisis de limiter fortement l’intimité
et la liberté individuelle des patients dans la stricte proportion du but pour lequel je suis institué. Voilà comment je peux
accepter de remettre en cause une liberté individuelle de manière circonstanciée. Il faut être très attentif à l’évaluation de
la restriction de liberté. Il y a eu, par exemple, le cas suivant :
- Dans une unité fermée de l’hôpital psychiatrique, réservée aux patients très agités, le directeur a donné l’ordre de
laisser entrer et sortir le courrier, mais en le faisant lire. Ceci pour éviter des lettres de menaces ou d’insultes... Un
patient a déposé un recours et a obtenu l’annulation de cette mesure car elle n’est pas strictement proportionnée au but
à atteindre, à savoir, la protection des malades. Si, en revanche, lorsqu’un patient rentre dans cette unité, l’équipe
médicale procédait à une analyse de son courrier pendant une période donnée et évaluait ensuite s’il est judicieux ou
non de poursuivre la surveillance, il y aurait toujours viol de la liberté de correspondance (qui relève de la liberté
individuelle du patient), mais cette atteinte serait limitée car strictement proportionnée au but à atteindre.
La limitation des libertés par rapport à un but d’utilité sociale, c’est la base ancestrale des libertés fondamentales dans
les démocraties.
Si l’on revient à notre processus de concertation entre professionnels de milieux divers, quel autre type
d’information est-il bon de savoir ?
Il faut bien distinguer obligation de réserve et secret professionnel. L’obligation de réserve recouvre l’ensemble des
informations dont j’ai connaissance à travers mon travail et que je n’ai pas à communiquer à l’extérieur. Au cœur de
l’obligation de réserve se trouvent les confidences. Les gens confondent souvent, au point de se mettre parfois en
difficulté lorsque la police les interroge. Si la notion de secret est trop élargie, elle ne pourra plus être protégée, ce qui ne
serait pas sans conséquences :
- Un homme frappe sa femme. Elle est très mal en point et il en a des remords. S’il sait qu’en appelant le SAMU, cela
équivaut à avertir la police, il risque de la laisser mourir. Si, au contraire, il sait qu’en appelant le SAMU, il va pouvoir
raconter qu’elle a fait une mauvaise chute, et que personne ne dira rien, sa femme pourra être prise en charge et avoir la
vie sauve. D’où l’importance de préserver le secret.
En fait, lorsqu’on se trouve dans un conflit de droits, l’idée est, en quelque sorte, d’arriver au moins mauvais
compromis ?
En quelque sorte. De toute manière, les processus de concertation sont à valoriser, car, au final, les gens y prennent des
décisions et les assument. Or, l’engagement est l’une des clefs sociales qui a malheureusement tendance à se perdre,
notamment dans le milieu médical. Toute une tradition anglo-saxonne est en train de se mettre en place en France.
Quand une décision se révèle compliquée à prendre, le réflexe est de faire appel à un comité d’éthique, en général
largement déconnecté du réel… Ce comité rend un avis, qui est suivi par les décideurs officiels. De fait, il y a une dilution
de la responsabilité. Je pense que le décideur devrait être directement la personne responsable. D’autant plus, que :
1) Chacun a droit à l’erreur : j’ai simplement pu commettre une erreur d’appréciation, ce qui n’est pas une faute.
2) Si j’analyse mal le conflit de droits, je peux effectivement me retrouver très vite dans la faute. Mais celle-ci n’engage
ma responsabilité qu’en cas de dommage. Et nombre de fautes sont commises sans jamais être appréciées sur le thème
du dommage. Ainsi, ce n’est pas parce que moralement ma responsabilité est engagée que, juridiquement, elle l’est
aussi.