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Allocution de Didier Migaud,
Premier Président de la Cour des comptes
Présentation à la presse du rapport public thématique
sur l’État et le financement de l’économie
jeudi 12 juillet 2012
Mesdames, messieurs,
Soyez les bienvenus à la Cour des comptes ce matin, à l’occasion de la publication d’un
nouveau rapport public thématique qui porte cette fois sur l’État et le financement de l’économie.
Vous remarquerez que la Cour publie un grand nombre de rapports en ce mois de juillet : il
s’agit de la simple conséquence du choix de la juridiction de s’abstenir de toute publication à sa
propre initiative entre mars et juin, pendant la période électorale.
Le financement de l’économie rassemble tous les processus qui permettent aux particuliers,
aux entreprises et aux administrations, bref à l’ensemble des agents économiques, de couvrir les
besoins de financement liés à leur activité.
Sans en avoir toujours conscience, beaucoup d’entre nous font quotidiennement appel à
ces mécanismes lorsque nous contractons un emprunt pour acheter un logement ou lorsque nous
déposons notre épargne à la banque. De même, lorsqu’une entreprise contracte un prêt pour
financer un projet ou lorsqu’elle introduit des titres sur les marchés financiers, elle s’insère dans un
système plus large, le système de financement de l’économie. Ce système organise la circulation
des richesses, des épargnants vers les porteurs de projets, en faisant ou non intervenir des
intermédiaires, contre une rémunération et compte tenu d’un certain niveau de risque.
Vous le comprenez, la qualité de ces mécanismes est une des conditions essentielles pour
le bon fonctionnement d’une économie et sa capacité à générer de la croissance. Elle doit donc
constituer un point de vigilance majeur pour les pouvoirs publics.
Le financement de l’économie recouvre de vastes enjeux financiers, d’une importance
cruciale pour le fonctionnement de notre économie, à l’heure même où celle-ci traverse une grave
crise. Or, en dépit de l’importance des moyens publics engagés pour répondre à cette situation et
des risques que cette intervention comporte, les analyses qui dressent un diagnostic global des
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instruments mobilisés par l’État demeurent rares : le dernier document de synthèse sur ce sujet est
un livre blanc publié il y a vingt-six ans sous l’égide de Pierre Bérégovoy. Le rapport que la Cour
publie aujourd'hui présente donc un caractère inédit.
La Cour a pensé indispensable d’établir cette synthèse alors que la crise économique et
financière perdure et que des interrogations sont soulevées sur la reprise de la croissance et sur
l’efficacité des multiples interventions de l’État. Elles appellent manifestement à la réflexion et à la
recherche de cohérence dans l’action de l’État. Ce rapport apparaît donc à un moment charnière et
permet d’éclairer des choix qui peuvent être majeurs pour la croissance.
Il démonte et analyse pièce par pièce les différents circuits de financement de l’économie
française et les resitue dans une analyse de long terme, pour rendre ce sujet accessible à tous les
acteurs de l’économie et aux citoyens et leur en fournir une vision d’ensemble. Il répond donc
particulièrement à la mission constitutionnelle de la Cour d’informer les citoyens.
Avant de vous en présenter les constats et les principales recommandations, permettez-moi
de souligner que ce travail s’appuie sur de nombreux rapports que la Cour a pu produire au cours
des dernières années, ainsi que sur la consultation de très nombreux experts et de parties
prenantes, dont vous trouverez la liste en annexe du rapport.
L’analyse de la Cour privilégie les évolutions profondes par rapport aux phénomènes
transitoires, afin de rendre compte des impacts durables de la crise.
Elle ne porte pas un diagnostic sur les causes de la dégradation de la compétitivité de la
France mais analyse ses conséquences et fournit des pistes pour favoriser l'investissement. Elle ne
porte aucun jugement sur la conduite des politiques européennes et sur le contenu de la politique
monétaire, car telle n’est pas la mission de la Cour.
Pour vous présenter ce rapport, j’ai autour de moi Christian Babusiaux, président de la
formation inter-chambre qui a préparé ce rapport, Jean-Marie Bertrand, président de chambre et
rapporteur général de la Cour, Gabriel Ferriol auditeur et rapporteur général de ce rapport,
Catherine Julien-Hiebel, conseillère référendaire, et Monique Saliou, conseillère maître et contre-
rapporteur. Je tiens également à remercier vivement les autres membres de l’équipe de synthèse :
Emmanuel Bichot et Pascal Helwaser, conseillers référendaires, Christine Baillion, Jean-Pierre
Beysson et Julien Tiphine, rapporteurs ainsi que Raphaëlle Hours, Sophie Maillard et Tom Durand.
Outre l’équipe de synthèse, je ne peux remercier chacun des douze autres rapporteurs de la
première chambre qui ont participé à l’instruction du rapport, mais je les remercie à travers Raoul
Briet, président de cette chambre.
Quels sont les quatre principaux messages qui ressortent de l’analyse de la Cour ?
Le premier message est que la situation du financement de l’économie présentait des
facteurs de fragilité dès avant la crise, certains relevant directement de la
responsabilité de l’État ;
Le deuxième message est que la crise a aggravé ces fragilités et aura des
conséquences durables sur le financement de l’économie française ;
Troisième message : les outils très divers utilisés par l'État ont chacun révélé des
limites, à des degrés divers ;
Quatrième message : l’État dispose néanmoins de marges de manœuvre dont il peut
tirer profit pour améliorer le financement de l’économie.
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Je reviens d’abord sur le premier message, celui d’une situation en apparence saine mais
porteuse, dès avant la crise, de nombreuses fragilités.
En France, le taux d’épargne des ménages est traditionnellement élevé et se situe entre
15 % et 17 % de leur revenu disponible brut. Cette épargne brute, soit un flux de 214 Md€ en 2011,
constitue naturellement un atout pour le financement de l’économie, mais à condition que les circuits
du financement de l’économie lui permettent d'être dirigée vers la satisfaction des besoins de
financement des acteurs économiques.
Les épargnants souhaitent à la fois une rentabilité de leur épargne, mais également une
disponibilité permanente de celle-ci pour répondre à des besoins immédiats. Le tiers des
placements financiers des ménages, soit 1 375 Md€ d’épargne accumulée, prend ainsi la forme de
contrats d’assurance-vie, qui sont en apparence une forme d’épargne longue mais, qui, en réalité
qui peuvent être utilisés comme une épargne disponible. Les autres formes les plus répandues
d’épargne sont les livrets d’épargne réglementée, notamment le livret A, le livret de développement
durable et le livret d’épargne populaire, pour 331 Md€ au total pour ces trois produits.
En regard de cette épargne qui doit être disponible, les porteurs de projets souhaitent
généralement des financements longs. Aussi, pour satisfaire tant l’offre que la demande,
l’intervention d’intermédiaires est nécessaire, capables d’assurer ce qu’on appelle la transformation
financière.
La France se distingue par l’importance du rôle joué par le secteur bancaire dans le
financement de l’économie, qui assure la majeure partie de cette transformation. Les sociétés
d’assurance y participent également, mais de façon plus marginale.
Grâce à cette organisation, les emprunteurs français ont bénéficié jusqu’à récemment d’un
crédit bancaire abondant, représentant environ 2 000 Md€ d’encours, soit le double de la
capitalisation des entreprises du CAC40. En outre, le crédit bancaire est en France, moins cher et
moins sélectif que dans d’autres pays.
Au-delà de sa responsabilité en matière de régulation financière, l’État assure six fonctions
essentielles :
par la fiscalité et les dépenses fiscales, il agit sur l’épargne et l’autofinancement ;
il accorde des subventions d’investissement ;
il intervient en tant qu’actionnaire des entreprises publiques ;
il organise des circuits d’épargne réglementée ;
il oblige les entités publiques à déposer leurs disponibilités auprès du Trésor ;
enfin, il accorde sa garantie à de nombreux acteurs publics ou privés, afin de les aider
à couvrir leurs risques.
Dès avant la crise, ce modèle traditionnel présentait de nombreuses fragilités sous-jacentes.
Première fragilité : l’épargne des Français s’est orientée de façon croissante vers
l’immobilier, dont la valorisation rapide a enrichi les ménages. Elle a parallèlement aggravé leur
endettement et réduit leur épargne financière. L’immobilier a également absorbé une part majeure
des capacités de financement.
Deuxième fragilité : cette épargne s’est davantage orientée vers l’étranger, notamment à
travers l’assurance-vie et sans que les épargnants en soient toujours conscients. Près de 45 % du
patrimoine financier des ménages est désormais formé d’actifs non-résidents, c’est à dire d’actions,
d’obligations, ou d’autres titres financiers étrangers.
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Troisième fragilité : le système bancaire distribue davantage de crédits qu’il ne détient de
dépôts. Il présente un besoin structurel de refinancement, c’est à dire d’emprunt à court terme sur
les marchés financiers, pour disposer de la liquidité nécessaire à leur activité de crédit. Ils sont de
ce fait plus exposés aux soubresauts des marchés financiers.
Quatrième fragilité : les entreprises ont connu une érosion progressive de leur rentabilité,
qui a pesé sur leur capacité à dégager des profits. La France présente la plus faible part des profits
dans la valeur ajoutée en Europe. Cette baisse tendancielle du taux de marge des entreprises pèse
sur leur résultat, donc sur leur capacité à dégager elles-mêmes les ressources leur permettant
d’investir. Le graphique qui s’affiche rapporte l’investissement à l’épargne dégagée. Il illustre la
baisse régulière depuis 2000 du taux d’autofinancement des entreprises françaises. En 2011, le
besoin de financement des entreprises s’est creusé pour atteindre 65 Md€, ce qui met en évidence
leur dépendance par rapport aux financements externes.
Or ce financement est en France essentiellement de nature bancaire pour les PME, celles-ci
ayant un accès plus difficile aux autres formes de financement. En général, seules les grandes
entreprises ont recours aux marchés d’actions ou aux émissions d’obligations. L’apport de fonds
propres à des sociétés non cotées, ce qu’on appelle le capital-investissement, est encore peu
développé et est concentré sur les seules entreprises les plus matures. Les opérations de capital-
risque et de capital-développement, qui interviennent en début du cycle de vie d’une entreprise sont
peu nombreuses et affichent des rentabilités faibles. Par manque de solutions alternatives, les PME
indépendantes, les porteurs de projet et les collectivités territoriales de taille moyenne, se trouvent
dans une situation de quasi-dépendance à l’égard du crédit bancaire. En ce qui concerne les
entreprises, certaines peuvent se trouver ainsi prises dans un cercle vicieux de sous-
investissement.
Certaines de ces fragilités sont directement liées à l’action de l’État.
En premier lieu, la fiscalité sur les entreprises et sur l’épargne n’est pas neutre ; elle
contribue à accentuer les déséquilibres relevés :
les intérêts d’emprunts sont entièrement déductibles du revenu fiscal des entreprises,
alors que les dividendes ne le sont pas, ce qui les incite à avoir recours au financement
par endettement plutôt que par fonds propres ;
la fiscalité des entreprises, en dépit de l’affichage d’un taux réduit d’impôt sur les
sociétés pour les entreprises à chiffre d’affaires limité, défavorise au contraire les PME :
le taux implicite d’imposition des entreprises de plus de 5 000 salariés est de 19 % alors
que celui des PME de 10 à 249 salariés est de 37 % ;
enfin, les prélèvements obligatoires pèsent plus lourdement qu’en Allemagne – nous le
redisons dans ce rapport –, sur les facteurs de production, c’est à dire sur la masse
salariale et sur le capital fixe. Cette forme de fiscalité pénalise l’autofinancement des
entreprises ;
du côté des épargnants, la fiscalité des revenus privilégie l’épargne sans risque et
l’immobilier : 42 % de l’épargne sans risque bénéficie d’un avantage fiscal contre
seulement 12 % de l’épargne risquée.
En second lieu, les administrations publiques, c'est à dire l'ensemble formé par l'État, ses
opérateurs, les régimes de protection sociale et les collectivités territoriales, présentent un déficit
récurrent. Plus de trente cinq années de déficit annuel des administrations publiques ont entraîné un
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gonflement de la dette jusqu’à un niveau aujourd’hui proche de 90 % du PIB. Le déficit des
administrations publiques, qui est aussi leur besoin de financement, a été de 103 Md€ en 2011.
Depuis de nombreuses années, les administrations publiques, non seulement ne parviennent pas à
épargner, mais ne peuvent pas assurer le renouvellement du capital public dont elles ont la charge.
L’importance de leur besoin de financement – 103 Md€ – et son poids dans l’ensemble du
financement de l’économie apparaissent quand on le compare à celui des entreprises du secteur
productif, qui est de 65 Md€.
Réciproquement, les autres acteurs de l’économie, banques assurances et ménages, ne
parviennent pas à répondre à ces deux besoins de financement. Ainsi, l’économie française dans
son ensemble présente un besoin de financement de 51 Md€, c’est à dire que son investissement
total, de 411 Md€ n’est pas financé par son épargne totale, de 360 Md€. Ce besoin de financement
est apparu en 2005. Entre 1993 et 2004, la France avait, au contraire, dégagé une capacité de
financement. C’est la dégradation concomitante de sa compétitivité et de ses finances publiques qui
explique cette importante dégradation de sa balance courante, la mettant dans l’obligation de
recourir chaque année à des financements venus du reste du monde, et sans cesse plus
conséquents. Les non résidents, qui possédaient en 1998 moins d’un quart de la dette de l’État, en
détiennent aujourd’hui les deux tiers.
Cette situation place désormais l’économie française dans une situation débitrice par
rapport au reste du monde. La différence entre ses actifs financiers, c’est à dire les biens qu’elle
possède, et ses passifs financiers, c’est à dire les dettes qu’elle a contractées, est devenue négative
depuis une dizaine d’années. Elle atteignait, selon les derniers chiffres disponibles, ceux de 2010,
233 Md€. D’une certaine façon, la France est débitrice à l’égard du reste du monde de cette somme
importante, qui représente l’équivalent de 12 % de son PIB. L’Allemagne est à l’inverse dans une
situation créditrice de 518 Md€. C’est à partir de 2001 que la France est devenue débitrice, sans
bien le mesurer et sans en tirer les conséquences.
*
J’en viens maintenant au deuxième message : la crise a aggravé ces fragilités et aura
des conséquences durables sur le financement de l’économie française. On ne reviendra pas
au statu quo ante.
La crise économique amorcée en 2007 a profondément déstabilisé l’environnement
économique et financier. Elle est venue sanctionner les limites d’un modèle excessivement fondé
sur l’endettement et auquel la France elle-même a succombé. Entre 2000 et 2011, l’endettement
global des agents non financiers est passé de 150 % de PIB à 210 %, alors qu’il restait stable Outre-
Rhin. Je ne vais pas vous rappeler ici les causes et l’ampleur de cette crise. J’en viens directement
aux conséquences sur le financement de l’économie française et le rapport en met deux en
évidence. La première concerne la mise en place accélérée de nouvelles règles prudentielles et la
seconde la réduction des capacités d’intervention de l’État.
La crise a touché les offreurs de financement, malgré les mesures prises par la puissance
publique : prêts, prises de participation, octroi de garanties. Ils doivent désormais se conformer à
des normes prudentielles renforcées, pour mieux assurer la stabilité du système financier. Il s’agit
de Bâle III pour les banques et de Solvabilité II pour les assureurs. Même si la pleine application de
ces normes n’est prévue que pour 2019, leurs effets sont anticipés par les marchés et les normes
comptables, ce qui les érige, dès aujourd’hui, en standards de fait. Leur impact sur les banques
françaises est d’autant plus important que celles-ci disposent structurellement de moins de liquidités
que celles de certains autres pays. En effet, elles ne disposent pas de l’essentiel de l’épargne
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