Raconté à Juliette
Correspondances en Onco-Hématologie - Vol. IX - n° 2 - mars-avril 2014
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le plasma (alors appelé lymphe) était
responsable de cette coagulation, et pas
les cellules. Mais il a fallu attendre
1905 pour que Paul Morawitz com-
mence à décrire la cascade de la coa-
gulation en montrant que, en présence
de calcium et de thromboplastine, la
prothrombine (baptisée facteurII) était
convertie en thrombine, à son tour
capable de transformer le fi brinogène
(facteurI) en un caillot de fi brine.
Diverses études de patients défi citaires
ont ensuite progressivement conduit
à la description des autres facteurs,
jusqu’au facteurXIII en 1965 et au
kininogène de haut poids moléculaire
en 1975.
Le rôle des plaquettes dans la forma-
tion du clou hémostatique avait com-
mencé à être suspecté dès 1882 lorsque
l’italien Giulio Bizzozero en a fourni
la première bonne description, les
baptisant
piastrine
traduit en français
par “petites plaques” puis évidemment
“plaquettes”. Rudolf Virchow avait déjà
démontré, en 1856, que le thrombus
initial était formé de fi brine et de
leucocytes. Bizzozero, en regardant ce
qui se passait après l’altération de la
surface de petites veines ou d’artères
avec une aiguille, écrivait en 1883 :
“Le matériel thrombotique est constitué
de quelques leucocytes dans de larges
amas de plaquettes”, et suggérait que
“ce matériel thrombotique peut être très
effi cace pour stopper les hémorragies
en bouchant les discontinuités d’une
paroi vasculaire”. Il avait également
remarqué que le réseau de fi brine ne
se formait que lorsque des plaquettes
s’étaient accumulées. L’histoire a gardé
la mémoire de farouches disputes entre
Bizzozero et Georges Hayem qui, pour
les Français tout au moins, a donné
son nom au fameux clou hémostatique.
Virchow est quant à lui l’auteur de la
triade éponyme des facteurs favorisant
la thrombose : variations hémodyna-
miques (stase, turbulence), dysfonction-
nement ou altération de l’endothélium,
et hypercoagulabilité.
Curieusement, il n’y a aucun élément
évocateur de phlébites ou de thromboses
dans les descriptions pathologiques de
l’Antiquité et le premier cas réellement
rapporté remonte au XIIIesiècle chez
un jeune homme de 20ans, guéri après
avoir appliqué, sur sa jambe gonfl ée et
fi stulisée, de la poussière recouvrant la
tombe de saint Louis. Plus qu’un cancer,
c’était chez lui sans doute une anomalie
congénitale de thrombophilie. Le diag-
nostic de thrombose a ensuite progressé
et on en retrouve une trace croissante
dans les traités de médecine. Cette
reconnaissance diagnostique a conduit
au développement de toutes sortes de
techniques pour enlever le caillot chirur-
gicalement si c’était possible, ligaturer le
vaisseau en cause pour fi xer le thrombus
ou au moins éviter son déplacement en
immobilisant le patient parfois dans des
carcans barbares. Au début du XXesiècle,
on tentait aussi de favoriser le retour
veineux et la circulation collatérale en
plaçant les patients dans des lits incli-
nés relevant les jambes et en appliquant
sur le membre atteint des compresses
chaudes.
Les approches thérapeutiques médica-
menteuses se sont développées pro-
gressivement, autour de la Première
Guerre mondiale, lorsque les chercheurs
essayaient de trouver des substances
procoagulantes pour favoriser le traite-
ment des plaies des soldats. En 1916, un
étudiant de deuxième année de méde-
cine, Jay McLean, qui travaillait chez
William Henry Howell sur les propriétés
procoagulantes de la céphaline extraite
du cerveau, se mit à appliquer la tech-
nique d’extraction de ce composé à des
extraits de foie. Surprise : il isole alors
une substance aux propriétés anticoa-
gulantes, in vitro et chez l’animal. Les
travaux se poursuivent chez Howell, et
l’origine hépatique des extraits obte-
nus (du grec
hepar
[foie]) dicte l’éty-
mologie de l’héparine. En fait, McLean
avait isolé des phospholipides, et la
véritable héparine, un mucopolysac-
charide, est présentée par Howell à la