Le Courrier de la Transplantation - Vol. XI - n° 2 - avril-mai-juin 2011 73
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5. Devauchelle B, Testelin S,
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Références
bibliographiques
Regard chirurgical sur la greffe de visage
altérée soit par la tumeur, soit par la chirurgie d’exérèse.
Quelle place peut alors prendre une technique chirur-
gicale, la greffe, qui ne peut qu’approcher une forme
(celle du donneur) et ouvrir au travail de reconstitution
d’une fonction ?
L’allotransplantation de tissu composite au niveau de
la face va aux défigurations traumatiques lorsque, soit
d’emblée, soit au stade des séquelles, l’impasse théra-
peutique est évidente (du fait que l’on se contente
d’exploiter les propres ressources du patient, ou parce
que l’épithèse est inacceptable).
Topographie et profondeur de la perte de substance à
réparer sont, d’un point de vue chirurgical, les motifs
premiers à prendre en compte. S’il s’agit d’un geste
de première intention, l’échec, toujours possible, soit
chirurgical, soit par rejet aigu, n’expose qu’au risque de
retour à l’état initial. En revanche, si le patient a déjà fait
l’objet de divers temps de reconstruction antérieurs,
cet échec remet en cause tout le travail entrepris et
expose à des séquelles encore plus difficiles à réparer.
Amputation par morsure, scalp facial traumatique,
explosion et blast constituent les meilleures indications.
Il y a lieu de s’interroger chirurgicalement et éthique-
ment sur l’indication de la transplantation faciale chez
les sujets porteurs de brûlures étendues. La seule obser-
vation rapportée à ce jour s’est soldée par le décès du
patient. Substituer un transplant au masque facial figé
par les greffes cutanées préalables oblige à sacrifier
délibérément la peau déjà reconstruite. Le risque infec-
tieux est en outre majoré. L’observation rapportée par
C. Angrigiani et al. (4), substituant un double lambeau
scapulaire au masque facial greffé d’un brûlé, conforte
l’idée qu’une transplantation ne vaut que si elle res-
titue au moins une certaine dynamique, emportant en
profondeur le SMAS et, partant, les muscles peauciers.
La transplantation faciale se doit donc d’avoir comme
objectif la réhabilitation fonctionnelle autant que la
réhabilitation esthétique : c’est ce qui lui donne son
sens et sa raison d’être.
Aujourd’hui, la malformation faciale congénitale fissu-
raire ne peut pas relever de l’allotransplantation, et ce
pour diverses raisons techniques, éthiques, etc. Trop
d’inconnues (croissance et immunosuppression) et trop
d’obstacles matériels (dons d’organes hypothétiques
statistiquement) rendent son indication théorique inap-
propriée. En revanche, la maladie tumorale bénigne
entrant dans le cadre d’une pathologie héréditaire
(neuro fibromatose de von Recklinghausen) ou la mal-
formation vasculaire étendue (malformation artério-
veineuse) engageant le pronostic vital et à expression
retardée constituent davantage des pistes de réflexion.
C’est ainsi qu’en janvier 2007, à Paris, un patient atteint
d’une maladie de von Recklinghausen de type I, inva-
lidante et déformante, a bénéficié, avec un résultat
morphologique prometteur, d’une allotransplantation
concernant plus de la moitié de la partie inférieure de la
face. D’autres cas ont suivi, au sujet desquels, au vu de
l’infiltration habituelle des structures nerveuses de ces
maladies et de l’incongruence des diamètres des nerfs
à réanastomoser, on s’interrogera, plus tard, quant à la
capacité pour le transplant de recouvrer une dynamique.
La problématique qui se pose ici vaut pour partie
également pour les malformations artério-veineuses.
Le risque de réactivation de la tumeur vasculaire par
un geste chirurgical, même étendu, n’est pas nul.
Cependant, l’abstention thérapeutique, admise dès
lors que la tumeur est quiescente, repose autant sur
l’inconnue pronostique que sur l’impossibilité à recons-
truire valablement la perte de substance générée par la
chirurgie d’exérèse. Une fois cet obstacle levé grâce à la
transplantation, on s’interroge sur les éventuels effets du
traitement immunosuppresseur sur la maladie. Au-delà
de l’effet anti-VEGF de nouvelles molécules, cette voie,
dans cette indication particulière, mérite d’être vérifiée.
Et qu’en est-il, alors, des tumeurs malignes ? L’allo-
transplantation n’a pas sa place dans la réparation des
pertes de substance liées à leur exérèse dès lors que
l’on connaît les risques, en rapport avec l’immunosup-
pression, d’apparition de cancers cutanés ou de lym-
phomes. De ce point de vue, la transplantation de scalp
et d’oreilles réalisée en Chine il y a quelques années après
exérèse d’un mélanome malin (le patient est décédé
au bout de 2 mois), tout comme la transplantation de
langue réalisée à Vienne après ablation d’un carcinome
épidermoïde (le patient est décédé 1 an après) doivent
être considérées comme de graves erreurs d’indication.
Conclusion
“Il n’y a pas d’indication à la greffe de visage. Il n’y a, au
bout du compte, qu’une magnifique histoire d’individus
à réécrire et à réinventer chaque fois” (5). Ainsi un acte
chirurgical n’appartient pas à celui qui le réalise, mais
à celui qui le reçoit. La responsabilité de sa réussite
ou de son échec tient cependant à celui qui en a posé
l’indication et l’a effectivement pratiqué. Et l’exploit, si
tant est qu’il existe (les médias utilisent volontiers ce
mot), ne se mesure pas en étendue de surface ou de
profondeur, mais en temps, celui-là seul qui permet, a
posteriori et a posteriori seulement et en dépit de ce
que, avec le vieillissement, il porte en lui de modification
de notre corps tout entier, d’affirmer qu’il y a bien eu
greffe de visage.
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