InfectIons en obstétrIque:
un nouveau challenge?
Agnès Le Gouez, Catherine Fischer-Tibi,
Hôpital Antoine Béclère, Département d’Anesthésie-Réanimation,
157 rue de la porte de Trivaux, BP 405, 92141 Clamart cedex, France.
INTRODUCTION
Dans les pays développés, la mortalité maternelle varie de 1,8 à 5,9 pour
100000 naissances[1]. Elle se dénit comme étant «cès d’une femme survenu
au cours de la grossesse ou dans un délai de 42jours après sa terminaison, quelle
qu’en soit la durée ou la localisation, pour une cause quelconque déterminée ou
aggravée par la grossesse ou les soins qu’elle a motivés, mais ni accidentelle,
ni fortuite »[2]. Pour les années 2006-2008, 261 femmes sont décédées au
Royaume Uni en relation directe ou indirecte avec une grossesse, soit une
mortalité maternelle de 11,39 pour 100000 grossesses[3]. Les morts de cause
obstétricale directe ont diminué de 6,24 pour 100000 en 2003-2005 à 4,67 pour
100000grossesses en 2006-2008 (p=0,02), principalement par une diminution
des causes thromboemboliques et hémorragiques à un degré moindre. Malgré
cette diminution du taux global de mortalité, le rapport condentiel sur les
morts maternelles au Royaume-Uni entre 2006 et 2008 a mis en évidence une
augmentation de la mortalimaternelle liée au sepsis. La mortalité liée au sepsis
a quasiment triplé au cours des 25dernières années[4], le sepsis devenant ainsi
la cause principale de mort maternelle directe. Il semble également exister une
recrudescence des infections graves à Streptocoque bêta-hémolytique Lanceeld
du groupe A communautaire (Strepto A).
Ces constatations soulèvent plusieurs questions cruciales. Est-ce que la
grossesse a un impact sur la survenue de sepsis re? Est-ce que la grossesse
inuence les chances de survie en cas de sepsis sévère? La grossesse et ses
modications physiologiques masquent-t'elles les signes de sepsis retardant
ainsi son diagnostic et son traitement? La grossesse interfère-t-elle également
avec la réponse de l’organisme aux agressions microbiennes et donc avec le
prol évolutif de la maladie infectieuse? Ou est-ce que, tout simplement, le
sepsis sévère a une mortalité élevée qu’il soit ou non associé à une grossesse?
Pourquoi existe-t-il une telle recrudescence des infections à Strepto A?
Cette élévation de la mortalité maternelle liée au sepsis dans le triennium
2006-2008, associée au fait qu’une insufsance de soins était en cause dans
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70 % des morts maternelles directes, fait des infections en obstétrique un
nouveau challenge pour les anesthésistes réanimateurs, en collaboration étroite
avec les équipes obstétricales. Il faut également garder à l’esprit la présence
d’un «2ème patient», représenté par le fœtus: un sepsis en pré-partum peut
rapidement conduire à une altération de l’état fœtal.
Il est donc primordial de reconnaître rapidement les signes d’infection vère,
de les traiter et de développer des recommandations pour améliorer les soins
aux femmes enceintes[3].
1. DÉFINITIONS
Le terme «sepsis» recouvre une grande variété de symptômes, depuis des
signes mineurs jusqu’au choc avec défaillance multiviscérale. Dans la pratique
obstétricale il n’existe pas nition claire du sepsis. Le terme de sepsis puerpéral
est déni dans la classication internationale (ICD-10) comme une température
>38°C pendant plus de 24h ou récurrente, après l’accouchement. Il s’y ajoute
la dénition de l’Organisation Mondiale de la santé (OMS) d’une infection du
tractus génital survenant entre la rupture des membranes ou le travail et le
42ème jour post-partum avec au moins 2 des items suivants présents: douleur
pelvienne, èvre, pertes vaginales anormales, odeur anormale des pertes, retard
à la rétraction utérine. Depuis 1992, une conférence de consensus nord améri-
caine a introduit les dénitions standards correspondant aux différents stades
du processus infectieux: Systemic Inammatory Response Syndrome (SIRS),
sepsis, sepsis sévère et choc septique pour la population générale (TableauI)
Ces dénitions des différents stades évolutifs de l’infection ne constituent pas
d’excellents outils diagnostics chez la femme enceinte. En effet, tous les critères
inclus dans la dénition du SIRS sont augmentés physiologiquement au cours
de la grossesse: la fréquence cardiaque, la fréquence respiratoire, le taux de
leucocytes. D’autres facteurs expliquent également la difculté à dénir le sepsis
en contexte obstétrical. Le sepsis peut survenir n’importe quand pendant la
grossesse, le travail ou en post-partum, et provenir de foyers infectieux diversnon
limités au tractus génital. D’ailleurs dans l’enquête sur la mortalité maternelle,
les décès peuvent être classés comme directs ou indirects en fonction de
l’origine infectieuse (exemple: Streptocoque A ou méningite respectivement).
L’OMS propose alors de remplacer le terme de sepsis puerpéral par l’infection
puerpérale, incluant ainsi les infections extra-génitales (exemple l’abcès du sein)
et les infections fortuites (exemplele paludisme).
Tableau I
Dénition du sepsis Mortalité
(parmi les patients
de réanimation)
SIRS
(Au moins 2 critères)
Température > 38° ou < 36° 7%
Fréquence Cardiaque > 90/mn
Fréquence Respiratoire > 20/mn
Globules Blancs > 12000 ou < 4000
Sepsis SIRS + Infection documentée 16%
Sepsis sévère Sepsis + Dysfonction d’organe 20%
Choc septique Sepsis Sévère + Hypotension nécessi-
tant vasopresseurs ou inotropes
46%
Obstétrique 363
2. EPIDÉMIOLOGIE
La femme enceinte est exposée au sepsis. En effet dans cette population,
l’incidence des bactériémies est élevée: 7,5/1000 dans la population obstétricale
générale, dont 8 à 10% développent un sepsis[5]. Pour les parturientes hospita-
lisées cette incidence des bactériémies est plus élevée: voisine de 10% dans la
plupart des séries[6-8]. Seule une très faible proportion évoluera vers une forme
grave (moins de 4% de sepsis graves parmi ces patientes). La prévalence des
infections sévères en revanche est faible: en France, en 2002, selon le rapport
du comité national d’expert sur la mortalité maternelle (CNEMM) elle était de
22,4±10,5 pour 100000 naissances vivantes[2]. L’incidence du choc septique
dans le péri-partum, varie entre 1/8000 et 1/44000 selon les études[9,10]. En
cas de bactériémie documentée, l’évolution vers un choc septique est observée
dans 0 à 10% des cas. Parmi les parturientes hospitalisées en unité de soins
intensifs, l’incidence du sepsis est voisine de 60%, celle du sepsis sévère de
25% et celle du choc septique seulement de 3%[11]. Ces chiffres ne sont pas
du tout comparables avec la population générale non obstétricale des patients
de soins intensifs chez qui le sepsis sévère constitue l’un des premiers motifs
d’hospitalisation et de morbi-mortalité en réanimation. Dans la période du post-
partum, les principales causes de ré-hospitalisation dans les 6semaines suivant
l’accouchement sont infectieuses(endométrite, cellulites, fasciites nécrosantes,
pneumopathies, cholécystites, appendicites) et toutes sont plus fréquentes après
une césarienne, notamment réalisée en urgence, qu’après un accouchement
par voie basse. En effet, une bactériémie complique 14 % des césariennes
réalisées pour échec du travail, surtout en cas d’accouchement prématuré ou
en contexte de chorio-amniotite[12,13]. La femme enceinte est donc exposée
à des bactériémies fréquentes mais développe rarement des infections vères.
Si, dans la population générale, la mortalité en cas de choc septique reste
très élevée (30 à 60%), elle est en revanche beaucoup plus faible chez la femme
enceinte: de 0 à 20%. Le sepsis est l’une des 5causes de mortalité maternelle
dans le monde, responsable de 75000décès par an. Cependant, la mortalité
maternelle d’origine infectieuse diffère de façon extrêmement importanteautour
de la planète: de 0,01 à 28,5 pour 100000 femmes selon l’OMS[14]. Dans
les pays en développement, le paludisme, le virus HIV et les pneumopathies
communautaires sont des causes fréquentes non obstétricales de sepsis
maternel [15]. En 2008, le VIH serait impliqué dans 61000 décès maternels
dans le monde (sur un total de 343000 morts maternelles soit une incidence de
251/100000 naissances) dont 95% sont concentrés en Afrique subsaharienne
et en Asie[16]. Le manque d’accès aux soins prénataux ainsi que le statut nutri-
tionnel de la population sont, dans ces pays, fortement associés à une incidence
plus élevée d’infections au cours de la grossesse. Aux Etats-Unis, sur la période
1991-1999, 12% des décès maternels étaient d’étiologie infectieuse (34% dans
la sous-population des morts fœtales in utero et avortements). En France, selon
les données de l’INSERM, entre 1996 et 2002, le sepsis était la cause de 5%
des morts maternelles, les données plus récentes (2004 à 2006) rapportent
un chiffre stable de 3,3 % [2]. L’analyse des registres aux Pays-Bas montre
que pour la même période (2004-2006) 7,7% des morts maternelles étaient
d’origine infectieuse[17]. Au Royaume Uni, le rapport condentiel sur la mortalité
maternelle publié en 2011 rapporte sur la période 2006-2008 un taux de mortalité
au sepsis de 1,13 pour 100000grossesses[3]. Dans le précédent rapport,
période 2003-2005, la mortalité due au sepsis était de 0,85 et de 0,65 pour la
période 2000-2002. Dans la moitié des cas, l’infection est survenue après une
césarienne. L’analyse des cas distingue les décès par cause obstétricale directe
résultant de complications obstétricales (grossesse, travail et suites de couches),
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d’interventions, d’omissions, d’un traitement incorrect ou d’un enchaînement
d’événements résultant de l’un quelconque des facteurs ci-dessus, des décès
par cause obstétricale indirecte résultant d’une maladie préexistante ou d’une
affection apparue au cours de la grossesse sans qu’elle soit due à des causes
obstétricales directes, mais qui a été aggravée par les effets physiologiques de
la grossesse. Ainsi l’infection représente 24% des causes directes de décès
et en fait la 1ère étiologie. L’analyse montre que la recrudescence des infections
graves à Streptocoque bêta-hémolytique Lanceeld du groupe A communautaire
(Strepto A) est responsable de la moitié des cas de décès d’origine infectieuse
(13cas sur 26).
Si la mortalité maternelle reste importante à évaluer, elle reste heureusement
très faible dans nos pays et le critère de la morbidité maternelle sévère semble
plus intéressant à considérer. En effet, la morbidité maternelle sévère estimée
aux Etats-Unis entre 1991 et 2003 s’avère 50fois plus élevée que la mortalité,
soit une incidence pour ce critère de 5,1/1000[18]. Dans le groupe de patientes
qui présentait des critères de morbidité vère, 4% étaient représentés par
les septicémies en tant que diagnostic principal. Dans les pays qui disposent
également de registres performants (Pays-Bas, Royaume Uni), l’analyse de
la morbidité sévère d’origine infectieuse montre que l’incidence est de 4 à
21/100000. La survenue du sepsis a lieu dans 44% des cas en pré-partum, 10%
au moment de l’accouchement, et dans 46% des cas en post-partum[17]. Les
pays industrialisés de l’hémisphère nord (Europe, Etats-Unis, Canada), en 2002,
la prévalence des infections maternelles graves nécessitant une hospitalisation
en réanimation, étaient de 22,4±10,5 pour 100000naissances vivantes.
Les facteurs de risque de sepsis sévère mis en évidence par ces études
épidémiologiques étaient: les grossesses multiples (RR 6,5), les grossesses
obtenues en PMA (RR 5,8), l’accouchement par césarienne (RR 3,1), l’âge
maternel >35ans (RR 1,6)[17]. Les facteurs de risque de sepsis obstétricaux
sont résumés dans le TableauII[4]. Parmi ceux-ci, l’accouchement par césarienne
présente un risque d’infection du post-partum de 7,6 % versus 1,6 % pour
l’accouchement par voie basse et ce malgré une antibioprophylaxie[4], le risque
d’infection de paroi étant 50% plus élevé en cas de césarienne urgente. A noter
que dans les pays où l’interruption volontaire de grossesse n’est pas autorisée
par la loi, les avortements septiques contribuent fortement à la morbidité et à
la mortalité maternelle infectieuse. Dans une étude argentine, en 2007, 26%
des admissions de patientes obstétricales en soins intensifs étaient liées à un
sepsis, parmi lesquelles 46% compliquaient un avortement[15].
Tableau II
Facteurs de risque de sepsis en obstétrique
Obstétricaux Liés au patient
Amniocentèse et procédures inva-
sives intra-utérine
Sutures du col
Rupture prolongée des membranes
Travail prolongé avec plus de 5 exa-
mens vaginaux
Traumatisme vaginal
Césarienne
Rétention placentaire
Obésité
Diabète et intolérance au glucose
Décit immunitaire
Anémie
Drépanocytose
Pertes vaginales
Antécédents d’infection pelvienne
Antécédents d’infection à Streptocoque
B
Conditions socio-économiques défavo-
rables
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3. GROSSESSE, SUSCEPTIBILIAUX INFECTIONS ET MODIFICA-
TIONS DU SYSTÈME IMMUNITAIRE
Les modications anatomiques et hormonales liées à la grossesse expliquent
en partie le risque accru d’infections. Le risque d’infection urinaire est considé-
rablement majoré par ces modications: l’utérus gravide comprime la vessie et
les uretères dont le tonus musculaire est diminué par l’imprégnation hormonale,
entraînant une dilatation urétérale, une stase urinaire et un reux vésico-ureteral.
Ainsi, le risque d’évolution vers la pyélonéphrite d’une infection urinaire basse
est multiplié par 10 au cours de la grossesse. Ce risque est accru par la présence
d’une sonde urinaire en contexte de césarienne. La contamination du contenu
utérin par la ore vaginale est responsable de la majorité des chorio-amniotites
et endométrites. Ce type d’infections ascendantes est favorisé par la rupture
prématurée et/ou prolongée des membranes, par une infection vaginale ou une
vaginose bactérienne, par les manœuvres au cours de l’accouchement ou d’une
césarienne. D’ailleurs, l’accouchement par césarienne est l’un des principaux
facteurs de risque d’infection maternelle sévère[14]. Les infections pulmonaires
sont favorisées par le reux gastro-œsophagien lié à une incontinence du sphinc-
ter inférieur de l’œsophage par hyperpression intra-abdominale et imprégnation
hormonale, mais aussi par les modications de la course diaphragmatique et
des volumes pulmonaires.
De plus, la femme enceinte a longtemps été considérée comme «immu-
nodéprimée». Il s’agit plutôt d’un état immunitaire modié dit de «tolérance
immunitaire» nécessaire au veloppement de la grossesse. Cet état d’immuno-
suppression relatif entraîne principalement une diminution de l’immunité cellulaire
et donc des altérations de la réponse maternelle aux infections. L’équilibre du
système de réponse immunitaire est modié: le système T-helper 2 (interleu-
kine10) prédomine, alors que la réponse cytokinique T-helper 1 (interleukine12,
interféronγ) est réprimée. Cette dysrégulation de la balance cytokinique pro/
anti inammatoire se traduit par une réduction de la réponse clinique. De plus,
plusieurs molécules impliquées dans la modulation de la réponse immunitaire
sont modiées par la grossesse: taux de cortisol, progestérone, noradrénaline.
Il s’y associe le développement du système immunitaire fœtal qui peut modier
par lui-même la réponse maternelle aux infections. Ces phénomènes évoluent
au cours de la grossesse, ce qui explique les diverses réponses aux infections,
variables non seulement en fonction des germes mais aussi du terme de la
grossesse. C’est ce phénomène de tolérance et de modication du système
immunitaire qui explique au moins en partie la moindre intensité de la réponse
clinique et systémique à l’agression bactérienne et modie le prol évolutif de
l’infection.
Une autre explication provient des modications physiologiques cardiovascu-
laires survenant au cours de la grossesse. L’augmentation du débit cardiaque, du
volume d’éjection systolique, de la compliance du ventricule gauche, du volume
sanguin et plasmatique, la diminution des résistances vasculaires systémiques
et le maintien de la contractilité myocardique contribuent à maintenir un état
d’hypervolémie au cours de la grossesse et donc à une meilleure tolérance
à l’hypovolémie, phénomène majeur au cours du choc septique. Cependant,
certaines de ces modications cardiovasculaires comme l’augmentation de la
fréquence cardiaque et la vasodilatation périphérique conduisent à une diminution
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