DOSSIER Gestion des céphalées pendant la grossesse et le post-partum Management of headaches during pregnancy and postpartum Anne Ducros* E n raison de leur fréquence élevée chez les femmes en âge de procréer, les céphalées sont un problème souvent rencontré durant la grossesse et le post-partum. Les céphalées primaires, sans lésion sous-jacente, sont les plus fréquentes, et regroupent les migraines, les céphalées dites “de tension” et les algies vasculaires de la face. Les céphalées secondaires sont moins fréquentes, mais ont des causes beaucoup plus variées, dont certaines potentiellement très graves. La gestion des céphalées doit suivre les mêmes règles strictes qu’en dehors de la grossesse, et l’imagerie cérébrale, si elle est jugée nécessaire, ne doit pas être récusée en raison de la grossesse. L’objectif prioritaire est d’établir un diagnostic précis et de trancher entre une céphalée primaire, une céphalée secondaire bénigne (syndrome grippal) et une céphalée secondaire à une affection grave nécessitant des explorations et le traitement en urgence (éclampsie, hypertension intracrânienne). La deuxième étape est de proposer un traitement le plus spécifique possible, en proscrivant les médicaments potentiellement tératogènes ou toxiques pour le fœtus. Imagerie cérébrale et grossesse Il est possible d’effectuer une imagerie cérébrale quel que soit le terme de la grossesse, lorsque la situation clinique le justifie. Des recommandations précises peuvent être consultées sur le site Internet du Centre de recherche sur les agents tératogènes (CRAT) [http://www.lecrat.org]. En pratique, toute femme enceinte ayant une céphalée inhabituelle doit donc avoir une imagerie cérébrale. Le scanner doit se faire avec un tablier de plomb. Les agents de contrastes iodés peuvent être utilisés, mais ils augmentent le risque d’hypothyroïdie après le deuxième trimestre. L’IRM ne demande aucune précaution particulière. Si le recours au gadolinium est nécessaire, son utilisation est envisageable quel que soit le terme de la grossesse. En cas de céphalée inhabituelle et compte tenu des différentes causes à rechercher, il est préférable d’obtenir une IRM cérébrale et cervicale en première intention, avec séquences artérielles et veineuses, puis, éventuellement, une injection de gadolinium dans un second temps. Gestion d’une céphalée inhabituelle au cours de la grossesse et du post-partum Certaines pathologies spécifiques à la grossesse, comme l’éclampsie, sont susceptibles de se révéler par des céphalées ; d’autres étiologies de céphalées secondaires s’observent plus fréquemment au cours de la grossesse et du post-partum qu’en dehors de cette période. Orientation diagnostique La partie cruciale de la démarche diagnostique est l’interrogatoire (1). La question clé est : “Avez-vous déjà ressenti ce type de mal de tête avant votre grossesse ou depuis son début ?” Une réponse négative indique une céphalée aiguë inhabituelle, qui doit être considérée comme secondaire jusqu’à preuve du contraire. En revanche, une réponse positive suggère une récidive de céphalée primaire, crise de migraine le plus souvent, dont la patiente reconnaît les caractéristiques. Chez les patientes migraineuses connues, qui n’ont pas eu de crise pendant leur gros- * Neurologue, centre d’urgence des céphalées, hôpital Lariboisière, Paris. La Lettre du Gynécologue • nos 372-373 mai-juin 2012 | 31 LG 2012-05/06ok.indd 31 05/06/12 15:05 Mots-clés Points forts Céphalée Migraine Imagerie cérébrale Grossesse Post-partum »» Tout au long de la grossesse et du post-partum, la prise en charge des céphalées doit suivre les mêmes règles qu’en dehors de la grossesse. La première étape est d’établir un diagnostic précis. L’imagerie cérébrale, si elle est jugée nécessaire, ne doit pas être récusée. »» Une céphalée inhabituelle doit toujours faire rechercher une cause secondaire. Certaines pathologies, telles que l’éclampsie et l’angiopathie du post-partum, surviennent électivement durant la grossesse et le post-partum. »» Le plus souvent, la céphalée est primaire. La migraine est la cause la plus fréquente. Le traitement de crise est le paracétamol associé en cas d’échec à la codéïne. En cas de crises fréquentes, un traitement de fond peut être maintenu, ou parfois instauré en cours de la grossesse. Il doit privilégier l’amitriptyline ou le propranolol. Highlights »» The management of headaches during pregnancy and postpartum follows the same rules as outside these periods. The first step is to make a precise diagnosis. When judged necessary, cerebral imaging has to be performed. »» An unusual acute or progressive headache warrants the search for a secondary cause. Some conditions such as eclampsia and postpartum angiopathy are specific to pregnancy and postpartum. »» In most cases, the headache is primary. Migraine is the most frequent cause. Treatment for acute attacks relies on acetaminophen, and in case of inefficiency of this first-line treatment, on acetaminophen with codeine. Frequent attacks require a prophylactic treatment. Amitriptyline and propranolol may be used throughout all the pregnancy. Keywords Headache Migraine Cerebral imaging Pregnancy Postpartum sesse, une forte crise de migraine peut survenir dans les premiers jours du post-partum. Si la patiente reconnaît sa crise comme habituelle, aucun examen n’est nécessaire. Les questions suivantes précisent le mode d’apparition de la céphalée, brutal ou progressif, et l’évolution de la douleur depuis son installation. L’intensité de la douleur, son type, sa localisation, l’association à des troubles digestifs ou à une photophobie ne permettent pas de trancher entre causes primaires et secondaires. En revanche, toute anomalie à l’examen clinique est également en faveur d’une céphalée secondaire : la fièvre oriente vers une cause infectieuse, une hypertension artérielle vers une éclampsie, un déficit neurologique focal vers une lésion du parenchyme cérébral, une nuque raide vers un syndrome méningé. Si une céphalée secondaire est suspectée (tableau), des examens complémentaires doivent être réalisés avec une imagerie cérébrale (scanner cérébral sans injection et/ou IRM complète d’emblée avec séquences veineuses et angiographie) puis une ponction lombaire (analyse du liquide et mesure de la pression). Une hémorragie méningée est à suspecter en premier lieu devant toute céphalée rapide ou brutale. De nombreuses autres pathologies peuvent se révéler par une céphalée inhabituelle, brutale ou progressive, au cours de la grossesse ou du post-partum. Parfois, il s’agit d’une affection dont la survenue lors de cette période est fortuite : par exemple, une méningite virale banale. En revanche, certaines affections doivent être particulièrement recherchées. Hémorragie sous-arachnoïdienne C’est le premier diagnostic à envisager devant toute céphalée brutale. La céphalée peut être isolée, sans syndrome méningé (qui peut être retardé de plusieurs heures) ni troubles de la conscience (dont l’apparition dépend de l’abondance de l’hémorragie). Le diagnostic repose sur la réalisation en urgence d’un scanner cérébral sans injection et, dans tous les cas où celui-ci est normal, d’une ponction lombaire (PL) avec recherche de pigments biliaires. La principale cause d’hémorragie méningée au cours de la grossesse est la rupture d’un anévrysme. Contrairement à une notion classique, la plupart des ruptures anévrys- males surviennent durant la grossesse et sont rares lors du travail et du post-partum immédiat. Éclampsie L’éclampsie est rare, mais demeure l’une des principales causes de mortalité maternelle (2). La prééclampsie se définit par la survenue durant la grossesse d’une hypertension artérielle supérieure à 140/90 mmHg et d’une protéinurie supérieure à 300 mg/24 heures. On parle d’éclampsie quand surviennent des crises comitiales ou un coma. Le tableau clinique est celui d’une encéphalopathie hypertensive avec céphalées, troubles de la vigilance, crises comitiales, troubles visuels et autres déficits focaux. La céphalée précède souvent les autres signes d’encéphalopathie. L’IRM cérébrale montre un œdème cérébral vasogénique avec des hypersignaux symétriques à prédominance postérieure, cortico-sous-corticaux, en séquences FLAIR et T2 (leuco-encéphalopathie postérieure). L’angiographie par résonance magnétique (ARM) montre souvent une vasoconstriction segmentaire et diffuse, similaire à celle observée dans l’angiopathie du post-partum. Des infarctus cérébraux et des hémorragies peuvent survenir. Le traitement nécessite généralement une prise en charge en réanimation avec baisse contrôlée de la pression artérielle, et parfois une interruption thérapeutique de grossesse. Thromboses veineuses cérébrales Elles ont une incidence voisine de 10 pour 100 000 accouchements et surviennent volontiers durant la deuxième ou la troisième semaine de postpartum. Les céphalées sont le symptôme le plus fréquent (90 %) et le plus précoce. Elles sont d’expression très variable, progressives et diffuses, témoignant d’une hypertension intracrânienne, brutales et intenses “en coup de tonnerre”, ou à type de crise de migraine avec ou sans aura. La céphalée peut être strictement isolée et, dans ces cas, le scanner cérébral et le liquide cérébro­spinal sont souvent normaux. Le meilleur examen pour le diagnostic est l’IRM, qui objective la thrombose elle-même (séquences T1 et T2*), et l’obstruction d’un ou plusieurs sinus veineux (veinographie). 32 | La Lettre du Gynécologue • nos 372-373 mai-juin 2012 LG 2012-05/06ok.indd 32 05/06/12 15:05 DOSSIER Tableau. Céphalées secondaires de la grossesse et du post-partum. Manifestations cliniques Examens permettant le diagnostic Orientation Hypertension intracrânienne idiopathique (grossesse) Céphalée progressive, acouphènes, éclipses visuelles IRM cérébrale strictement normale Pression élevée du LCS avec composition normale PL soustractive Limiter la prise de poids Acétazolamide Hémorragie sous-arachnoïdienne (grossesse plus que travail ou post-partum) Céphalée brutale diffuse Syndrome méningé Parfois paralysie du III (nerf moteur oculaire commun) Parfois céphalée isolée Scanner PL si le scanner est normal IRM (FLAIR, T2*) Artériographie à la recherche d’un anévrysme (80 %) Embolisation ou chirurgie si anévrysme Antalgiques (morphine) Nimodipine Éclampsie (grossesse après 20 SA plus que post-partum) Céphalée précédant les signes d’encéphalopathie (troubles de la conscience, déficits focaux, épilepsie) Pression artérielle élevée Protéinurie Œdèmes cérébraux en IRM (Posterior Reversible Encephalopathy Syndrome [PRES]) Parfois hémorragies ou infarctus cérébraux Hospitalisation en réanimation Baisse de la pression artérielle Magnésium Angiopathie du post-partum (syndrome de vasoconstriction cérébrale réversible) Céphalées en coup de tonnerre répétées soit spontanées, soit lors d’efforts avec Valsalva Parfois signes focaux ou épilepsie Imagerie et angiographie précoces peuvent être normales IRM normale ou petite hémorragie corticale (30 %), ou œdème vasogénique type PRES (10 à 40 %), hématome (10 à 20 %), infarctus (5 à 30 %) Angiographie : vasoconstriction artérielle segmentaire diffuse, PL normale ou élévation légère des GB/GR Repos strict Arrêt des médicaments adrénergiques et sérotoninergiques Antalgiques Nimodipine Thrombose veineuse cérébrale (post-partum) Céphalée progressive (rarement céphalée brutale) Parfois signes focaux Parfois épilepsie Scanner souvent normal PL normale ou pression élevée et/ou élévation GB/GR IRM (thrombus) VRM ou angioscanner veineux (obstruction veineuse) PL soustractive avant anticoagulation si hypertension intracrânienne Héparine Antalgiques Nécrose pituitaire (post-partum) Céphalée brutale Troubles visuels IRM Antalgiques, corticothérapie Hypotension du LCS par brèche durale (post-partum) Céphalée orthostatique dans les 24 à 72 heures suivant la péridurale Pas d’examen nécessaire si tableau typique Epidural blood patch puis repos pendant 3 à 4 jours GB : globules blancs ; GR : globules rouges ; LCS : liquide cérébrospinal ; PL : ponction lombaire ; VRM : veinographie par résonance magnétique. Angiopathie du post-partum C’est une forme clinique du syndrome de vasoconstriction cérébrale réversible, qui associe des céphalées sévères, parfois accompagnées de crises comitiales et/ou de déficits focaux, à une vasoconstriction réversible des artères cérébrales (3). Les céphalées typiques sont “en coup de tonnerre”, à la fois très intenses et brutales, volontiers déclenchées par la toux ou l’effort, et se répètent en salves pendant 1 à 3 semaines. Elles commencent généralement au cours de la première semaine, après une grossesse normale ou après une pré-éclampsie. Dans la moitié des cas, on retrouve une prise de vasoconstricteurs : dérivés ergotés utilisés en traitement d’une hémorragie de la délivrance ou pour inhiber la lactation, norépinéphrine utilisée dans les protocoles d’anesthésie épidurale ou inhibiteurs de la recapture de la sérotonine mis en route pour une dépression. Le scanner et la PL peuvent être strictement normaux. Des lésions cérébrales sont trouvées dans environ un Figure. Angiopathie du post-partum. Une femme de 42 ans accouche d’un enfant en bonne santé, au terme d’une grossesse compliquée d’une prééclampsie. Trois jours après l’accouchement, elle a une céphalée en coup de tonnerre. L’IRM en T2* (à gauche) réalisée 2 jours après le début de la céphalée montre une hémorragie méningée inter-hémisphérique. L’artériographie pratiquée le lendemain montre des sténoses segmentaires des branches de second, troisième et quatrième ordre des artères cérébrales antérieures (à droite), moyennes et postérieures. L’angiographie de contrôle à 2 mois est normale. Elle est asymptomatique après 12 mois de suivi. La Lettre du Gynécologue • nos 372-373 mai-juin 2012 | 33 LG 2012-05/06ok.indd 33 05/06/12 15:05 DOSSIER Neurologie et gynécologie tiers des cas : œdème vasogénique, petites hémorragies méningées de la convexité (figure), hémorragies ou infarctus cérébraux. L’évolution peut être catastrophique avec infarctus multiples et décès, y compris chez des patientes vues initialement pour des céphalées isolées. Le diagnostic nécessite une angiographie cérébrale (par IRM, scanner, rarement conventionnelle), montrant des rétrécissements artériels segmentaires et diffus (figure), puis un contrôle montrant la normalisation des artères en 1 à 3 mois. L’angiopathie du post-partum peut également être associée à une dissection d’une ou de plusieurs artères cervicales. Dans ce cas, les céphalées sont volontiers associées à des cervicalgies. Le traitement repose sur le repos strict, l’arrêt des médicaments vaso-actifs, les traitements symptomatiques (antalgiques, antiépileptiques) et la nimodipine. Apoplexie pituitaire Également nommée “syndrome de Sheehan”, l’apoplexie pituitaire est rare. Elle associe des céphalées brutales et intenses et des troubles visuels. Le diagnostic peut être difficile sur le scanner cérébral, l’IRM étant plus sensible. L’apoplexie pituitaire peut entraîner une hémorragie méningée de faible abondance, la PL montrant alors un liquide hémorragique. Céphalées par hypertension intracrânienne Elles sont progressives, diffuses, de fin de nuit ou matinales, augmentées par la toux et les efforts de poussées, avec nausées, et parfois troubles visuels (diplopie, éclipses visuelles). Le fond d’œil montre un œdème papillaire (qui peut être retardé). L’imagerie cérébrale doit rechercher une lésion tumorale ou une thrombose veineuse. La grossesse peut entraîner une augmentation de volume de certaines tumeurs, telles les adénomes hypophysaires, les méningiomes et les neurofibromes. En l’absence de lésion à l’imagerie, une PL permet de mesurer la pression du liquide et d’établir le diagnostic d’hypertension intracrânienne idiopathique en cas de pression élevée (plus de 25 cm d’eau) et de composition normale. Cette affection touche préférentiellement les jeunes femmes en surpoids et peut débuter ou s’aggraver durant la grossesse. Les céphalées sont typiquement associées à des acouphènes et des éclipses visuelles. Le traitement repose sur la PL soustractive, si besoin répétée. L’acétazolamide est classé en catégorie C par la Food and Drug Administration (FDA) durant la grossesse (un risque ne peut être écarté). Cependant, en l’absence d’effet tératogène rapporté, il est utilisé en cas de nécessité. Céphalées après une ponction durale Elles représentent environ 5 % des céphalées du postpartum. Elles sont liées à une hypotension intra­ crânienne par fuite persistante de liquide céphalospinal au travers d’une brèche durale accidentelle lors d’une anesthésie péridurale. La céphalée typique est de type orthostatique, apparaissant dès le lever ou la mise en position assise, augmentant ensuite pour devenir intense ou très intense, avec nausées, cervicalgies et parfois malaise. Au pire, la station debout est impossible. La céphalée s’améliore dès la mise en décubitus (tête à plat, sans coussin) et disparaît en 10 à 15 minutes à plat. Ce type de céphalée est quasi pathognomonique d’une hypotension du liquide céphalospinal par brèche durale. Le traitement repose sur l’epidural blood patch, qui ne contre-indique pas la réalisation future d’une nouvelle anesthésie péridurale. Céphalées au cours d’une dépression du post-partum Elles sont volontiers bilatérales, diffuses, décrites comme intenses, et accompagnent le syndrome dépressif. Si la céphalée est mise en avant par une patiente réticente à admettre des troubles psychologiques, des explorations devront éliminer une cause secondaire, avant de conclure à un syndrome dépressif. Gestion de la migraine tout au long de la grossesse Évolution de la migraine pendant la grossesse Environ 1 femme sur 3 est migraineuse et des liens étroits unissent migraine et vie hormonale féminine. Pendant la grossesse, la migraine s’améliore chez 55 à 90 % des patientes, le plus souvent à partir du deuxième trimestre. Mais la migraine peut aussi rester inchangée ou même s’aggraver durant la grossesse, notamment la migraine avec aura. Une telle aggravation ne concerne que 3 à 7 % des migraineuses, mais pose souvent des problèmes thérapeutiques. Enfin, une première crise de migraine, le plus souvent avec aura peut survenir pendant la gros- 34 | La Lettre du Gynécologue • nos 372-373 mai-juin 2012 LG 2012-05/06ok.indd 34 05/06/12 15:05 DOSSIER sesse. À la moindre suspicion de migraine avec aura symptomatique (en pratique, à la moindre petite atypie sémiologique de la crise ou si la patiente est vue pendant ou au décours immédiat de la crise), une imagerie cérébrale est nécessaire (4). Prise en charge de la migraine De nombreux traitements de crise et de fond de la migraine sont utilisables en cas de grossesse et permettent, dans la majorité des cas, aux jeunes femmes migraineuses de vivre cette période sereinement. Dans la mesure du possible, les migraineuses en âge de procréer doivent être informées avant la grossesse des médicaments antimigraineux qu’elles pourront prendre lorsqu’elles seront enceintes. En effet, certains traitements sont à éviter absolument en cas de grossesse : les AINS en traitement de crise, la flunarizine, le méthysergide, le topiramate et, surtout, le valproate de sodium en traitement de fond. En pratique, ces traitements doivent être associés chez les femmes en âge de procréer à une contraception efficace. Si une femme migraineuse exprime un désir de grossesse à brève ou moyenne échéance, il vaut mieux choisir un traitement de fond compatible. Traitements de la crise de migraine au cours de la grossesse Selon les recommandations du CRAT, de nombreux traitements non spécifiques ou spécifiques sont utilisables. Cependant, les propositions du CRAT divergent notablement des recommandations officielles. Le paracétamol est utilisable sans restriction, quel que soit le terme. En revanche, il faut rappeler que l’utilisation ponctuelle ou chronique de tous les AINS (y compris l’aspirine ≥ 500 mg/j et les inhibiteurs de COX-2) est formellement contre-indiquée à partir du début du 6e mois de grossesse (24 SA). L’aspirine peut être utilisée ponctuellement pendant les 5 premiers mois, il est en revanche préférable d’éviter tous les autres AINS avant 24 SA, même en traitement ponctuel. En cas d’inefficacité du paracétamol, on peut utiliser, quel que soit le terme de la grossesse, des antalgiques de palier 2 (codéine ou tramadol), en se souvenant que ces lointains dérivés morphiniques peuvent augmenter les nausées. La possibilité d’utiliser les triptans, antimigraineux spécifiques, quel que soit le terme, en cas d’échec du paracétamol, est retenue par le CRAT contre les recommandations usuelles. Elle repose sur des données humaines et animales. Elle concerne en premier lieu le sumatriptan (Imigrane®), disponible depuis 1991. Les données obtenues chez les femmes enceintes exposées au sumatriptan au cours du premier trimestre sont très nombreuses, issues de vastes registres, et rassurantes. Aux deuxième et troisième trimestres, les données disponibles sont moins nombreuses, mais aucun élément inquiétant n’a été signalé à ce jour. Malgré ces données rassurantes et la prise de position du CRAT, la prescription de triptan reste contre-indiquée pendant la grossesse. En pratique, si une patiente migraineuse a pris du sumatriptan ou un autre triptan alors qu’elle ne se savait pas enceinte, il convient de la rassurer quant au risque malformatif. Par la suite, chez la majorité des patientes, les crises de migraine s’améliorent et deviennent sensibles au paracétamol. Si tel n’est pas le cas, les dérivés morphiniques doivent être utilisés. Parfois, un traitement des nausées et des vomissements peut être nécessaire, on préférera la doxylamine (Donormyl®). En France, la doxylamine n’a pas l’Autorisation de mise sur le marché dans cette indication, mais au Canada c’est l’antiémétique de référence chez la femme enceinte. Si la doxylamine se montre inefficace ou mal tolérée, le métoclopramide peut être utilisé quel que soit le terme de la grossesse. Traitement de fond au cours de la grossesse Lorsque les crises migraineuses persistent ou s’aggravent, un traitement de fond est nécessaire. Des méthodes non médicamenteuses doivent être utilisées en première intention, notamment le repos, le respect des horaires de coucher et des repas réguliers, l’acupuncture ou la relaxation si possible. Si l’instauration ou la poursuite d’un traitement de fond est nécessaire, l’amitriptyline, le propranolol ou le métoprolol sont utilisables. Si la patiente désire allaiter, on préférera l’amitriptyline ou le propranolol. Avant d’instaurer un traitement de fond pendant la grossesse, il faut se souvenir des objectifs et des limites d’un tel traitement. Un traitement de fond est utilisé en cas de crises fréquentes (plus de 2 par mois) depuis au moins 2 mois, longues et/ou rebelles au traitement de crise. Un traitement de fond efficace permet de réduire la fréquence des crises de 50 % et cette efficacité sera évaluée après 2 mois de traitement, car le délai d’action est long. Le traitement doit être La Lettre du Gynécologue • nos 372-373 mai-juin 2012 | 35 LG 2012-05/06ok.indd 35 05/06/12 15:05 DOSSIER Neurologie et gynécologie augmenté progressivement par paliers de quelques jours. Le Laroxyl® est un antidépresseur imipraminique Références bibliographiques 1. Valade D, Ducros A. Acute headache in the emergency department. Handb Clin Neurol 2010;97:173-81. 2. Lipstein H, Lee CC, Crupi RS. A current concept of eclampsia. Am J Emerg Med 2003;21:223-6. 3. Ducros A, Bousser MG. Reversible cerebral vasoconstriction syndrome. Pract Neurol 2009;9:256-67. 4. Ducros A. Migraine et algies faciales. Rev Prat 2006;56:2291301. 5. Leroux E, Valade D, Taifas I et al. Suboccipital steroid injections for transitional treatment of patients with more than two cluster headache attacks per day: a randomised, double-blind, placebo-controlled trial. Lancet Neurol 2011;10:891-7. utilisé de très longue date et aucun élément inquiétant n’est retenu à ce jour. Dans la migraine, la posologie initiale est de 5 mg (5 gouttes), en augmentant progressivement pour atteindre la dose efficace (15 à 50 mg/j), qui est bien inférieure à celle utilisée dans la dépression. Par conséquent, les effets néonatals sont mineurs ou absents. Pour le propranolol, aucun effet malformatif n’a été observé à ce jour. Le traitement est instauré à 20 mg/j le matin et ensuite progressivement augmenté tous les 4 à 7 jours jusqu’à atteindre 40 à 120 mg/j selon la tolérance et l’efficacité. Les concentrations plasmatiques fœtales de propranolol étant équivalentes à celles de la mère, une bradycardie et/ou une hypoglycémie néonatales sont possibles. Si le propranolol est poursuivi jusqu’à l’accouchement, il faut donc adapter la surveillance du nouveau-né (fréquence cardiaque et glycémie). Il vaut donc mieux prévoir d’arrêter le propranolol 4 à 5 semaines avant le terme. En cas d’inefficacité ou d’intolérance au Laroxyl® ou aux bêtabloquants, l’utilisation d’un autre traitement peut être envisagée au cas par cas : pizotifène, oxétorone, indoramine. Autres céphalées primaires au cours de la grossesse Les céphalées dites “de tension musculaire” peuvent apparaître ou s’aggraver en cours de grossesse, notamment si celle-ci est difficile ou mal acceptée. Le traitement médicamenteux, si nécessaire, repose sur l’amitriptyline aux mêmes doses qu’en traitement de la migraine. L’algie vasculaire de la face (AVF) est rare chez la femme, et s’améliore généralement durant la grossesse avec rémission chez 6 femmes sur 8. Cependant, les rares patientes continuant à faire des crises atroces doivent absolument être traitées soit par oxygénothérapie à haut débit (10-15 l par minute pendant 15 minutes au masque facial en cas de crise), soit par sumatriptan injectable (2 injections sous-cutanées par jour au maximum), en cas de totale inefficacité de l’oxygène. Le traitement de fond repose sur le vérapamil, qui, selon les données du CRAT, peut être poursuivi en prévision d’une grossesse et utilisé ensuite quel que soit le terme. Ces recommandations concernent cependant les doses “cardiologiques” jusqu’à 480 mg/j. Au-delà, il n’y a pas de données disponibles. Si les crises flambent, on peut proposer 3 infiltrations sous-occipitales de cortivazol pendant 1 semaine (visant le grand nerf occipital), qui permettent dans plus de 90 % des cas de stopper ou de réduire très nettement la fréquence des crises (5). Conclusion Les céphalées doivent être gérées de manière stricte et systématique durant la grossesse et le post-partum. Certaines affections vasculaires surviennent électivement durant cette période et se révèlent volontiers par des céphalées isolées. Une céphalée inhabituelle doit impérativement être explorée par une imagerie cérébrale complète (parenchyme, artères et veines), puis une PL à la recherche d’une cause secondaire. Le plus souvent, il s’agit tout de même d’une céphalée primaire et surtout d’une migraine. Contrairement aux idées reçues, de nombreux traitements de crise et de fond sont utilisables pour soulager les patientes. ■ Abonnez-vous en ligne ! www.edimark.fr Bulletin d’abonnement disponible page 67 36 | La Lettre du Gynécologue • nos 372-373 mai-juin 2012 LG 2012-05/06ok.indd 36 05/06/12 15:05