
vingt, les conséquences de la baisse des revenus rentiers. Deux grandes trajectoires de
recyclage peuvent être décrites eu égard à l’échantillon considéré. Le premier est le passage
des services à l’industrie puisque la concurrence dans le premier secteur n’a fait que croître
alors que le second exige une mise en capital importante, et une expertise réelle et pointue,
autant de conditions donc qui limitent les possibilités d’accès à l’homme d’affaires ordinaire.
Cette mutation a été rendue possible par le niveau d’études élevé des entrepreneurs mais aussi
par les avantages fiscaux de la zone franche de Jebel Ali, notamment l’absence d’un
partenaire local [kafil]
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et la liberté de rapatrier les bénéficies et capitaux sans aucune
imposition fiscale pendant 15 ans minimum. Les plus grandes usines à Doubaï et à Abou
Dhabi fabriquant des barres d’aluminium sont ainsi possédées par des Palestiniens qui avaient
débuté leur carrière comme fabricants de fenêtres et de portes. Mais il faudrait citer
également le secteur pharmaceutique, la production d’objets en plastique, les parfums ou la
réfrigération des fruits, etc… Une seconde trajectoire de recyclage est constituée par le
passage du commerce local au commerce international grâce à des réseaux transnationaux
que les Palestiniens de la diaspora ont été particulièrement aptes à tisser dans leur dispersion.
Une autre mode de reconversion consiste en la diversification des activités dans
différents secteurs. Les gains rapportés par l'activité principale sont utilisés, en marge de cette
dernière, dans des secteurs qui nécessitent peu d'expérience, comme le commerce et
l'immobilier, dans les Emirats comme à l'extérieur
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Le mot d'ordre est alors de ne pas mettre
"tous ses œufs dans le même panier" et de ne pas risquer ses capitaux dans une seule activité.
Et ce d'autant plus que la guerre du Golfe a largement fragilisé la position des Palestiniens,
beaucoup plus que celle de leurs homologues originaires d'autres pays arabes, puisqu'ils ne
savent en général pas où se rendre en cas d'expulsion. La guerre a reconfiguré l’état d’esprit
ambiant en développant une « psychologie du temporaire », un sentiment d’être « toujours de
passage » (Sanbar, 1989 : 73) et a renforcé une culture liminale d’exil (Naficy, 1995) qui
légitime cette diversification à la fois spatiale et sectorielle de l’activité économique.
Cette reconversion économique a été facilitée par la dispersion géographique du
peuple palestinien et par l'existence de leurs réseaux sociaux et économiques transnationaux.
Ces derniers ont d'abord permis la constitution d'entreprises combinant le capital, le savoir-
faire et les connaissances technologiques appartenant aux différents segments de la parenté
souvent spatialement dispersés. Voici deux exemples révélateurs de ce déploiement des
réseaux familiaux :
La Famille M. est une famille qui a quitté la Jordanie et migré à Doubaï en 1976. Les huit
frères sont dispersés entre la Jordanie, les Emirats arabes unis, la Cisjordanie, la Roumanie.
Initialement, l’affaire familiale débute classiquement dans le secteur de la construction et par
l’association avec un kafil. Après quelques problèmes avec lui, il est décidé de monter une
fabrique de fenêtres et de portes en aluminium. Mais les affaire périclitent. La présence d’un
des frères, étudiant en médicine à Bucarest, permet d’ouvrir une société d’import/export entre
les deux pays. Cette société connaît un grand développement car la Roumanie est en pleine
phase de libéralisation économique et de reconstruction. La Roumanie peut également
exporter quelques produits très bon marché qui sont immédiatement revendu dans le monde
arabe.
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Dans les pays du golfe, le kafil est le ressortissant du pays avec lesquels il est nécessaire de
s’associer pour obtenir une licence. Celui-ci est d’emblée actionnaire à 51% même s’il se
cantonne d’ordinaire au seul rôle de facilitateur. « Le kafil c’est comme le sel, il faut le
mettre dans tous les plats » affirme plein d’amertume un homme d’affaires palestinien.
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Jusqu'en 1999, l'Emirat de Sharja était le seul à permettre aux étrangers d'acheter des
terrains et des immeubles.