La Diaspora palestinienne et la conversion des capitaux issus de la

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La Diaspora palestinienne et la conversion des capitaux issus de la rente
pétrolière
Tiers Monde, Paris, 2001, p. 623-643.
Sari Hanafi
I. L’insertion difficile de l’économie palestinienne aux Emirats .............................................................. 2
II. Territorialisation des capitaux en dehors des Emirats .......................................................................... 4
III. Deux Modes d'entrepreneuriat "communautaire" et "individualiste" ................................................. 6
L' entrepreneuriat communautaire .................................................................................................. 7
Au Canada et Aux Etats Unies .......................................................................................................... 7
Dans les Territoires palestiniens ..................................................................................................... 8
Entrepreneuriat individualiste .......................................................................................................... 8
IV. Question de la motivation : Investisseur entre l’homo oeconomicus et l’homo ‘patriotus’ ............... 9
Bibliographie ......................................................................................................................................... 15
Annexe ................................................................................................................................................... 16
Tableau 1 : Niveau d'études des hommes d'affaires .......................................................................... 16
Tableau 2 : Activité économique exercée ............................................................................................ 16
Avec le processus de paix, pourraient se rétablir des liens économiques, régionaux et
internationaux interrompus par une longue période de belligérance. Déjà partiellement reliées
à leur communauté d’origine, les diasporas contribueront à façonner la géographie et les
contenus des réseaux économiques de demain. Cet article propose d’examiner certaines
hypothèses concernant le fonctionnement des réseaux locaux, régionaux et internationaux de
la diaspora palestinienne à travers l’étude de la communauté d’affaires palestinienne des
Emirats arabes unies (ci-après les Emirats).
Nous analysons ainsi l’interaction entre deux processus antagoniques d’insertion et
d’exclusion auxquels font face toutes les communautés migrantes de ce pays. Une telle étude
doit également questionner le mode d’autonomisation par rapport à la rente pétrolière dans
l’économie des Emirats arabes unis en pointant les sites, les secteurs et les modalités
d’investissement des capitaux produits par cette rente, directement aux EAU ou dans
l’économie internationale. Cette période actuelle que d’aucuns n’hésitent pas à qualifier de
« réduction de la rente » ou de « post-rentière » se situe plutôt malgré tout dans un entre-deux
tant elle reste marquée par les pesanteurs et les dépendances induites par la rente pétrolière,
qui n’ont pas seulement une incidence économique mais affectent également la structure
sociale et politique des Emirats. On rejoint là une observation de Granoveter (1985) qui
souligne que les transactions économiques sont toujours enchâssées dans la structure sociale
et ne peuvent être appréhendées ex nihilo.
Cet contribution se base sur des enquêtes conduites en 1995 et 1996 auprès de cent
trente hommes d'affaires palestiniens possédant des capitaux issus de la rente pétrolière, et
résidant soit dans les Emirats (pour soixante et onze d'entre eux), soit dans le reste du monde,
en particulier au Canada (dix-sept), soit, encore, alternativement dans ces deux zones.1
1
- Cette contribution fait partie d’un programme de recherche "L'économie palestinienne dispersée",
lancé par le Centre d'études et de documentation économique, juridique et sociale au Caire (CEDEJ) qui vise à
mener des enquêtes empiriques auprès d'hommes d'affaires palestiniens, afin notamment d'étudier les relations
entre diaspora et centre. Quelque 600 entretiens ont donc été réalisés ces trois dernières années essentiellement
I. L’insertion difficile de l’économie palestinienne aux Emirats
Les communautés palestiniennes des Emirats arabes unis sont d'implantation assez
récente en comparaison avec la communauté iranienne, mais elles sont d'une grande
importance numérique dans la sphère des affaires. L'un des facteurs principaux de leur
ascension sociale au sein de cette dernière réside dans la mobilisation d'un capital technique
et scientifique : 64%2 de nos interlocuteurs ont un niveau universitaire et 19% ont le
baccalauréat (voir tableau 1). Beaucoup d'actuels entrepreneurs furent en début de carrière de
simples employés d'entreprises, installés ensuite à leur compte et gérant maintenant leurs
propres affaires. Leur réussite est celle d'une intégration économique, à laquelle ont contribué
les motivations de ceux qui, ayant un statut de réfugié, éprouvent la nécessité de s'autoaffirmer, d'exister socialement et donc d'abord économiquement. De plus, le système de
contrat annuel de travail renouvelable incite les Palestiniens à créer leur propre entreprise. Il
semble que nos interlocuteurs aient été contraints de se mettre à leur compte, non pas tant par
appât du gain, qu'en raison de l'état du marché de l'emploi et de mesures discriminatoires les
poussant à quitter le statut de salarié.
Des activités liées à la rente pétrolière
Les hommes d’affaires palestiniens sont présents dans des secteurs très variés mais qui
relèvent pour l’essentiel d’activités induites par l’économie de l’Emirat qui reste à bien des
égards marquée par la rente pétrolière. Le boom de la construction d’infrastructures et
d’immeubles est perceptible, car près du tiers de l’échantillon est très directement impliqué
dans ce secteur que cela soit par le biais de cabinets d’étude, de sociétés de construction
proprement dites ou de cabinets de contrôle et de supervision des chantiers publics.
Néanmoins, sans surprise, c’est le commerce qui demeure l’activité principale (43%). Mais le
tropisme de la construction joue à nouveau puisque près de la moitié de ces commerçants
vendent des matériaux de construction. Même ceux qui sont insérés dans le monde industriel
(16%) ont quelques liens avec le secteur précédent (fabrication de carrelage, tillage du
marbre, signalisation routière…). Cette expansion remarquable de la construction n’est pas
forcément synonyme de profits importants, car la concurrence y est particulièrement rude.
Les structures publiques sont en effet les plus importants contracteurs et certaines sociétés ont
comme partenaires un Cheikh ou un Emir qui sait utiliser son entregent pour l’obtention des
contrats. Cependant pour les Palestiniens concernés la norme est plutôt de travailler seul sans
de tels associés.
Il faut par ailleurs noter l’absence de Palestiniens non seulement dans le domaine,
certes marginal, de l’agriculture (seulement 5%) mais surtout dans les services (6%) ou dans
le tourisme (1%) alors que des Libanais y sont omniprésents (voir tableau 2).
Cependant, ces deux "niches économiques" traditionnelles que sont le Bâtiment et
travaux publics et le négoce local ont subi de plein fouet, depuis la fin des années quatreentre la Jordanie, les Emirats Arabes Unies, l'Egypte, la Syrie, Israël, le Liban, les Etats-Unis, le Canada, le
Chili, l'Angleterre et l'Australie.
2
- Nous avons dégagé ces pourcentages à partir de l'analyse du discours de nos
interlocuteurs. Du fait que nous ne pouvons pas démontrer la représentativité de
l’échantillon", ces pourcentages ici et ailleurs dans cette étude sont donnés à titre indicatif
pour montrer le poids d'une catégorie par rapport aux autres.
vingt, les conséquences de la baisse des revenus rentiers. Deux grandes trajectoires de
recyclage peuvent être décrites eu égard à l’échantillon considéré. Le premier est le passage
des services à l’industrie puisque la concurrence dans le premier secteur n’a fait que croître
alors que le second exige une mise en capital importante, et une expertise réelle et pointue,
autant de conditions donc qui limitent les possibilités d’accès à l’homme d’affaires ordinaire.
Cette mutation a été rendue possible par le niveau d’études élevé des entrepreneurs mais aussi
par les avantages fiscaux de la zone franche de Jebel Ali, notamment l’absence d’un
partenaire local [kafil]3 et la liberté de rapatrier les bénéficies et capitaux sans aucune
imposition fiscale pendant 15 ans minimum. Les plus grandes usines à Doubaï et à Abou
Dhabi fabriquant des barres d’aluminium sont ainsi possédées par des Palestiniens qui avaient
débuté leur carrière comme fabricants de fenêtres et de portes. Mais il faudrait citer
également le secteur pharmaceutique, la production d’objets en plastique, les parfums ou la
réfrigération des fruits, etc… Une seconde trajectoire de recyclage est constituée par le
passage du commerce local au commerce international grâce à des réseaux transnationaux
que les Palestiniens de la diaspora ont été particulièrement aptes à tisser dans leur dispersion.
Une autre mode de reconversion consiste en la diversification des activités dans
différents secteurs. Les gains rapportés par l'activité principale sont utilisés, en marge de cette
dernière, dans des secteurs qui nécessitent peu d'expérience, comme le commerce et
l'immobilier, dans les Emirats comme à l'extérieur4 Le mot d'ordre est alors de ne pas mettre
"tous ses œufs dans le même panier" et de ne pas risquer ses capitaux dans une seule activité.
Et ce d'autant plus que la guerre du Golfe a largement fragilisé la position des Palestiniens,
beaucoup plus que celle de leurs homologues originaires d'autres pays arabes, puisqu'ils ne
savent en général pas où se rendre en cas d'expulsion. La guerre a reconfiguré l’état d’esprit
ambiant en développant une « psychologie du temporaire », un sentiment d’être « toujours de
passage » (Sanbar, 1989 : 73) et a renforcé une culture liminale d’exil (Naficy, 1995) qui
légitime cette diversification à la fois spatiale et sectorielle de l’activité économique.
Cette reconversion économique a été facilitée par la dispersion géographique du
peuple palestinien et par l'existence de leurs réseaux sociaux et économiques transnationaux.
Ces derniers ont d'abord permis la constitution d'entreprises combinant le capital, le savoirfaire et les connaissances technologiques appartenant aux différents segments de la parenté
souvent spatialement dispersés. Voici deux exemples révélateurs de ce déploiement des
réseaux familiaux :
La Famille M. est une famille qui a quitté la Jordanie et migré à Doubaï en 1976. Les huit
frères sont dispersés entre la Jordanie, les Emirats arabes unis, la Cisjordanie, la Roumanie.
Initialement, l’affaire familiale débute classiquement dans le secteur de la construction et par
l’association avec un kafil. Après quelques problèmes avec lui, il est décidé de monter une
fabrique de fenêtres et de portes en aluminium. Mais les affaire périclitent. La présence d’un
des frères, étudiant en médicine à Bucarest, permet d’ouvrir une société d’import/export entre
les deux pays. Cette société connaît un grand développement car la Roumanie est en pleine
phase de libéralisation économique et de reconstruction. La Roumanie peut également
exporter quelques produits très bon marché qui sont immédiatement revendu dans le monde
arabe.
3
Dans les pays du golfe, le kafil est le ressortissant du pays avec lesquels il est nécessaire de
s’associer pour obtenir une licence. Celui-ci est d’emblée actionnaire à 51% même s’il se
cantonne d’ordinaire au seul rôle de facilitateur. « Le kafil c’est comme le sel, il faut le
mettre dans tous les plats » affirme plein d’amertume un homme d’affaires palestinien.
4
Jusqu'en 1999, l'Emirat de Sharja était le seul à permettre aux étrangers d'acheter des
terrains et des immeubles.
L’autre cas illustre plus un phénomène courant. Un homme d’affaires palestinien disposant
d’un certain entregent peut ainsi obtenir pour l’un de ses amis rentré dans les territoires sous
autorité palestinienne la représentation de grandes marques d’électroménager, surtout
coréennes et japonaises.
Cependant ces réseaux transnationaux sont souvent affectés dans leur fonctionnement
par les difficultés de déplacement de leurs membres, en particulier dans les pays arabes, dont
les frontières sont souvent hermétiquement fermées aux Palestiniens, et surtout à ceux d'entre
eux qui ont le statut de réfugié. Le rôle que peuvent jouer ces réseaux dans les échanges
économiques au sein du Moyen Orient dépend donc de la subtilité des stratégies des
entrepreneurs palestiniens et reste ainsi potentiellement faible.
A la vue des cas évoqués et des difficultés rencontrées par les acteurs de ces
recyclages, il est clair que ces derniers ne sont pas chose aisée, qu'il s'agisse de ceux opérés
par les hommes d'affaire ou par des fonctionnaires accédant à la retraite et désirant se lancer
dans les affaires. Malgré ces difficultés, leur volonté de se recycler en investissant ailleurs et
en délocalisant leurs activités reste grande. Le statut juridique des Palestiniens dans les
Emirats - ils ne sont considérés que comme résidents temporaires - fragilise en effet leur
position économique. De plus, nombre d'entre eux ont connu de désagréables expériences
avec leur kafil, dans un pays où l'appareil juridique fonctionne avec "deux poids, deux
mesures", les uns pour les personnes des Emirats et les autres pour les étrangers - en cas de
litige entre une personne des Emirats et un étranger, affirment beaucoup de Palestiniens
interrogés, le juge donne la plupart du temps raison au premier. Enfin, beaucoup craignent de
payer le prix d'une éventuelle nouvelle déstabilisation du Golfe, comme ce fut le cas pendant
la deuxième guerre qu'il a connu. Face à ces deux processus antagonistes d'insertion
provisoire des communautés migrantes et de limitation de leurs possibilités d'action, les
Emirats deviennent donc un lieu de passage et une "plaque tournante" pour les hommes
d'affaires palestiniens, bien plus qu'un lieu d'ancrage et de "développement durable" de leurs
activités économiques, dans la mesure où celles-ci peuvent se développer, non sans
difficultés, en se délocalisant.
Ainsi, si ces derniers ont opté pour la diversification sectorielle et spatiale de leurs
activités, la nature de ce processus et la détermination d'un lieu d'implantation ne sont pas
d'abord fonction, comme cela est censé être le cas dans une économie mondialisée, d’une
rationalité économique fondant ses choix sur un calcul de maximisation sous contrainte
(législation en matière d'investissement et de fiscalité, par exemple), prenant en compte un
ensemble de facteurs comme la taille du marché, le coût de la main d’œuvre, ses
qualifications technologiques et performances, ainsi que la présence d'infrastructures
adéquates. Ces diversification et relocalisation sont d'abord tributaires de contraintes de type
clairement politique, comme les relations conjoncturelles entre les pays d'investissement et
l’Autorité nationale palestinienne (ainsi que l’OLP), le statut que les investisseurs
palestiniens peuvent acquérir dans ces pays, ainsi que leurs possibilités de déplacement liées
au type de document de voyage dont ils bénéficient.
Si les Emirats ne peuvent guère retenir les capitaux palestiniens issus de redistribution
de la rente pétrolière mais amorçant leur réduction de rente et si les autres pays arabes ne
répondent guère aux conditions susceptibles de les attirer, quelles sont alors les destinations
de ces capitaux ?
II. Territorialisation des capitaux en dehors des Emirats
Nos enquêtes auprès de cent trente hommes d'affaires palestiniens ayant des capitaux
provenant du Golfe et répartis surtout entre les Emirats, le Canada, les Etats-Unis et la
Grande Bretagne, nous ont permis de compter le nombre d'investissements – mais non pas le
volume des capitaux investis, car nos interlocuteurs n'ont pas toujours donné de chiffres
précis à ce sujet. Selon l'enquête, seulement 38% des investissements concernent le Moyen
Orient (hormis les Emirats) : soit 24% pour les Territoires palestiniens, 10% pour la Jordanie,
2% pour la Syrie et le même chiffre pour l'Egypte.
Les investissements en Territoires palestiniens
Il faut également mettre l’accent sur le fait que les investissements orientés vers les
Territoires palestiniens sont bien moins importants qu’il n'est en général pensé. Certes,
quelques hommes d’affaires palestiniens ont l’intime conviction qu’ils devront un jour quitter
les Emirats et retourner en Palestine, même si aujourd’hui ce droit du retour est limité. Ceuxlà ont décidé de contribuer à la construction de l’entité palestinienne. Mais un investissement
décidé dans une situation économique et politique aussi délicate semble indiquer que la
rationalité est plus qu’économique : il s’agit d’obtenir une position sociale supérieure. Il y a
ainsi 34 projets économiques qui ont débuté depuis le renouveau du processus de paix. Sur
les 75 membres de l’échantillon sélectionné pour cette étude, plus d’un tiers a investi dans les
Territoires. Ce nombre est considérable, eu égard à l’attitude des Palestiniens vis-à-vis de
l’Amérique. Il semble en tout cas qu’on retrouve cette occurrence entre proximité et
investissements. Le type d’investissement est également fonction de l’origine des
Palestiniens. En effet, ceux qui ont dû fuir en 1948 – au nombre de 8 dans l’échantillonprennent en général des parts dans des sociétés d’investissement comme PADICO et
International Salam Company puisqu’ils n’ont pas un accès privilégié aux Territoires
palestiniens. Les Palestiniens originaires de Cisjordanie et de Gaza se comportent
différemment. Ils mettent en place un projet avec la collaboration d’un parent ou d’un ami au
terme d’une visite pour prendre les ultimes décisions. Le tableau 3 montre quels sont les
secteurs choisis.
La part du lion des investissements des hommes d'affaires palestiniens ayant des
capitaux provenant du Golfe revient donc aux pays d'implantation situés hors du Moyen
Orient (62% en tout, soit 24% au Canada, 22% au Etats-Unis, 11% à l'Europe, 3% à
l'Australie et 2% à l'Asie). Cette part est en réalité plus importante si l'on prend en compte le
volume de ces investissements, dont certains se montent à quelques millions de dollars.
Dans les paragraphes qui suivent nous allons poser quelques questions concernant les
choix géographiques des investissements et pourquoi les palestiniens des Emirats sont allés
investir si loin, mais aussi sur les investissements en territoires palestiniens, leurs domaines et
motivations. Pour pouvoir répondre à ses questions, nous allons étudier les modes de
l’entrepreneuriat palestinien dans les pays du recyclage des capitaux palestiniens.
Depuis la première guerre du Golfe entre l'Iraq et l'Iran et la détérioration de la
situation économique dans les pétromonarchies qui s'en est suivie, des licenciements massifs
ont touché les immigrés dans les Emirats ; les Palestiniens de ces pays et tout
particulièrement les plus riches ont tenté d’émigrer en Amérique, et surtout au Canada. Le
choix de ce pays n'était certainement lié ni à l'expérience professionnelle ni au savoir-faire
entrepreneurial acquis dans les pays du Golfe, qui sont fort éloignés de ceux propres au
monde des affaires canadien. En fait, la politique canadienne d'immigration a encouragé, en
pratiquant des quota élevés, la venue des Arabes. Cette politique, surtout celle du Québec,
répond à des considérations internes mais aussi à un soucis humanitaire à l'égard des victimes
des guerres du Liban5 et du Golfe. De plus, de nombreux hommes d'affaires ont pu immigrer
grâce aux visas destinés aux investisseurs et entrepreneurs. En étudiant la situation des
immigrés venus au Canada depuis les Emirats, on a constaté peu de "success stories" et la
fréquence des échecs. Les motivations de migration des hommes d'affaires palestiniens
constituent un exemple révélateur du caractère non exclusif du pur comportement d'homo
oeconomicus, car créer une entreprise ressortit, certes, d’intérêts économiques mais aussi
d'intérêts sociaux comme celui de l'obtention de la nationalité canadienne. Une bonne partie
de nos interlocuteurs ont donné comme motifs principaux pour leur demande d’immigration,
d'une part la possibilité d'études universitaires de haute qualité pour leurs enfants et d'autre
part l’obtention de la nationalité canadienne, ceci afin de pouvoir circuler librement dans le
monde et en particulier dans les pays arabes. Certains d’entre eux déclarent cependant avoir
mal estimé le coût de la vie au Canada. Ils ont amené un capital gagné péniblement dans le
Golfe et l'ont déposé en banque, sans tenir compte du niveau très élevé des impôts, et ont,
pour certains, très vite été réduits à demander une aide à l’administration canadienne
(welfare). Passés ainsi du statut de businessman à celui de "welfareman", certains, blessés par
cette déchéance, ont quitté la Canada dès l’obtention de leur passeport. La plupart des
hommes d'affaires palestiniens rencontrés dans la diaspora et ayant un passeport canadien ont
raconté comment ils ont été "ruinés" pendant leur séjour au Canada.6 L'on peut alors
légitimement se poser la question de savoir dans quelle mesure les modes d'investissement de
ces capitaux issus de la rente continuent à relever de comportements propres au système
rentier, ou dans quelle mesure ces derniers ont été dépassés pour se muer en modes
d'investissement dans activités proprement productives. Peut-on alors les classifier ce que ils
relèvent de la rente de ce qu’ils ne le sont pas ?
Pour mener cette entreprise difficile nous nous appuyons sur mon étude des modes de
l’entreprenariat correspondant aux stratégies entrepreneuriales déployées par les hommes
d'affaires palestiniens à l'issue de leur expérience dans le Golfe. Nous nous contentons dans
cet article de présenter quelques éléments qui nous aident à comprendre notre problématique
de départ à savoir dans quelle mesure le choix du site et le secteur de reconversion des
capitaux issus de la rente est plus ‘enchâssé’ (embedded) dans la structure sociale des
entrepreneurs ayant ces capitaux que déterminé par le type de système économique dont ses
capitaux ont issus.
III. Deux Modes d'entrepreneuriat "communautaire" et "individualiste"
Le "mode d’entrepreneuriat " désigne l’expérience économique façonnée et non pas
une "mentalité économique". Sous cette notion, l'on ne regroupe pas seulement la nature des
capitaux investis (issus ou non d'un système rentier, par exemple), mais aussi les formes de
mobilisation, exclusives ou combinées, dans les pratiques entreprenariales, des réseaux
familiaux, communautaires, nationaux ou transnationaux. Les types et sites d'investissements
de capitaux palestiniens ne sont donc pas a priori considérés comme déterminés par leur
nature "rentière" d'origine mais comme liés au jeu des interactions entre acteurs appartenant
5
- En particulier à la suite du massacre de Sabra et Shatila.
- "Ce passeport m'a coûté mes économies gagnées aux Emirats arabes unis, c'est-à-dire,
120.000 de dollars canadiens. Pendant 3 ans, j’ai payé pour ma famille et moi-même des
billets d’avion, un loyer, des meubles, une voiture, etc." Un homme d'affaires palestinien
raconte.
6
ou se reliant à des réseaux de nature et d'extensions diverses (communautaires ou existant
dans le pays-hôte) et activant, couplant, modifiant - voir créant – ces réseaux.
L' entrepreneuriat communautaire
L’entrepreneuriat communautaire concerne l’entrepreneur qui utilise les réseaux familiaux ou ethniques dans
l’établissement et le développement des affaires. C’est un mode d’entrepreneuriat qui a fleuri surtout dans le
continent américain aussi bien au Nord qu’au Sud, et nos interlocuteurs ont souligné l’importance des premiers
contacts souvent communautaires dans le nouveau monde. Cependant, si la solidarité communautaire a
fonctionné de façon remarquable pour une communautaire villageoise provenant souvent de la Cisjordanie, on a
montré dans des travaux antérieurs que le mode de entrepreneuriat communautaire n’a pas été très bénéfique
7
pour les nouveaux arrivés du Golfe vers les Etats Unis, Canada et Angleterre. La littérature sur le thème
d’(ethnic business) a mis l'accent sur les success stories permis par un ensemble de pratiques et de relations
économiques dites "communautaires" et sur l'appui objectif que ces dernières constituent pour des stratégies
entrepreneuriales, ceci surtout lors de la phase initiale des projets mis en œuvre par de nouveaux migrants
(Portes, 1993; Introduction). Contrairement aux thèses de ce courant d'analyse, nos enquêtes montrent que
l'"entrepreneuriat communautaire" ne constitue pas nécessairement un atout dans le contexte des expériences des
hommes d'affaires palestiniens venus du Golfe. A titre d’illustration, nous allons prendre deux exemples dans
deux contextes économiques différents, au Canada et au Territoires palestiniens
Au Canada et Aux Etats Unies
L'entrepreneuriat communautaire prend principalement la forme d'une mobilisation du capital de relations
sociales et économiques possédées au sein de la communauté. Les réseaux "ethniques" peuvent être
avantageusement mobilisés pour mener certains types d'activités économiques que la communauté contrôle
grâce à l'exploitation d'un savoir-faire spécifique (on parle de "niche économique" pour de telles activités).
Nous allons examiner, à partir de notre terrain au Canada, si les immigrés arabes - dont les Palestiniens – y ont
construit une économie de type communautaire.
En fait, ces derniers n'ont pu trouver au Canada une place du point de vue de la division internationale de
travail. Ils n'ont développé ni la production de biens intégrant des technologies avancées, ni de produits bon
marché commercialisables soit au Moyen Orient, soit au Canada même, alors que des Indiens et des Chinois, par
exemple, ont pu se créer une "niche économique" bien adaptée à leur production. Les commerces, de gros ou de
détail, constituent des activités aléatoires, du fait d'une concurrence très farouche. De plus, l'absence de quartiers
proprement arabes dans les grandes villes du Canada a privé les commerçants arabes du bénéfice d'une clientèle
"ethnique" (Hanafi, 1997). Cependant, des réussites arabes et palestiniennes notoires existent dans ce domaine,
en particulier dans les activités de restauration de type fast food, dont les exploitants ont remplacé avec succès le
hamburger par le falafel.
Une autre stratégie entrepreneuriale communautaire déployée par les Palestiniens a consisté en la collecte de
fonds familiaux en vue de leur investissement dans le secteur de la promotion immobilière. Cependant, cette
activité est en fort déclin. Elle exige certes peu de savoir-faire "technique", mais les promoteurs palestiniens,
ayant fait l'hypothèse imprudente de valeurs immobilières en constante augmentation (comme fut le cas dans la
plupart des pays arabes), ont été surpris par le brusque déclin de la valeur des terrains en Amérique de Nord en
général, notamment à Montréal et en Californie, et ont beaucoup perdu beaucoup d'argent dans ce domaine.
Ainsi, les investissements palestiniens en Amérique (dans le domaine de commerce et de la promotion
d’immobilier) relevant du mode d’entreprenariat communautaire semblent plutôt influencés par l’origine de ces
capitaux issus de la rente : une expérience dans une économie du modèle rentier au Golfe est utilisée pour
d’activités non productive. Or cette influence est partielle car la nature du contexte économique de la société
d'accueil ainsi que le (dys)fonctionnement des réseaux sociaux transnationaux palestiniens expliquent les
échecs nombreux et les quelques réussites des stratégies entrepreneuriales communautaires mises en place par
les hommes d'affaire palestiniens. Face à ces échecs cependant, et pour réussir le recyclage de leurs capitaux
issus de la rente, certains hommes d'affaires palestiniens sont passé à un mode d'entrepreneuriat individualiste.
L’exemple ci-après illustre comment la stratégie communautaire a été bénéfique dans un contexte de recyclage
des capitaux du Golfe dans les Territoires palestiniens,.
7
- Voir (Sari Hanafi, 1997 : chapitre 3). Pour plus de détail le lecteur peut se référer à mon
livre en arabe qui paraîtra en janvier 2001. (Hanafi, 2001)
Dans les Territoires palestiniens
La mise en réseau entre famille de l’extérieur et de l’intérieur dans une période
d’instabilité politique et de conditions contraignantes s’est révélée être un atout majeur pour
faciliter l’implantation d’affaire et le retour dans les territoires. Dans ce cas, on a souvent
affaire non pas à une figure d’entrepreneur-individu mais plutôt un entrepreneur-famille. Pour
comprendre cette figure j’évoque cet exemple :
N. est une famille qui a immigré aux Etats-Unis dans les années 80, en provenant des
Emirats. Elle est composée de trois frères et trois sœurs. Ces dernières étant mariées, les
affaires économiques concernent seulement les frères qui envoient aussi de l’argent à leurs
parents âgés et retraités dans les Territoires. Ils possèdent en 1985 seulement 4 épiciceries
prospères à Chicago et ses alentours. En 1992 avant le début du processus de paix, le frère
aîné S. N. a visité après une longue absence sa famille, qui l’a convaincu d’investir en
territoires, façon d’établir un pied dans leur pays d’origine et en espérant que cela facilite
leur regroupement familial. En effet, possédant la nationalité américaine et ayant perdu leur
carte d’identité palestinienne, ces trois frères ont déposé une demande auprès l’autorité
israélienne pour le regroupement familial. Ayant acheté une grande pâtisserie à Ramallah,
chacun des trois frères prend le relais de l’autre quand l'un doit quitter les territoires pour
renouveler son visa de tourisme. Comme il est plus facile de partir à Amman par la voie
terrestre, ils ont décidé d’investir à Amman, façon de rentabiliser leur voyage en Jordanie. Ils
ont investi avec leur cousin dans une manufacture de prêt-à-porter espérant trouver un
marché aux Etats-Unis grâce à leurs connaissances et leurs relations, ainsi que dans un
magasin de tissu et de prêt- à- porter. En 1998, les trois frères éprouventdu mal à mener leur
vie tiraillée entre ces trois pays. Ils gardent leurs investissements mais ils abandonnent la
gestion de leur pâtisserie et ils retournent aux Etats-Unis en attendant que le regroupement
familial aboutisse. Cependant leur présence en Palestine n’a pas été en vaine, ils ont construit
un bâtiment à Ramallah pour la location. De plus ils gardent aussi quelques investissements
financiers avec des sociétés holding.
Cet exemple est typique de l’entrepreneur-famille qui grâce à cette association
familiale, fait que certains membres restent entre deux mondes ou même entre des mondes.
Entrepreneuriat individualiste
Deux stratégies essentielles ont été utilisées par les entrepreneurs palestiniens arrivés du
Golfe en Amérique du Nord : la joint-venture avec un savoir faire local dans le pays hôte et
l’acquisition d’une expertise par le retour à l’université et une spécialisation plus poussée.
La coopération avec un partenaire local s’avère souvent d’une importance majeure. C’est
d’ailleurs un comportement nouveau pour des entrepreneurs plus habitués à s’établir en
affaires en s’appuyant sur des relations familiales ou des amitiés. Ceux qui investissent avec
des Canadiens ont saisi l’importance d’avoir une expertise renouvelée et d’étendre leurs
réseaux afin de nouer des contacts notamment dans le domaine industriel. Parmi les cinq cas
de succès révélés par l’enquête, quatre sont le fruit d’une association avec des Canadiens. Un
groupe est présent dans la biotechnologie, le design, la fabrication de serres et de systèmes
d’irrigation. Un autre est spécialisé dans le séchage, le rabotage et l’emballage de bois
d’œuvre. Un troisième s’est spécialisé dans l’agro-alimentaire (poissons et fruits de mer) et a
deux usines, l’une à Gloucester (Massachusetts) et l’autre à Seattle (état de Washington). Le
dernier est une société d’informatique.
La seconde stratégie est le retour à l’université pour acquérir un nouveau diplôme. C’est une
stratégie individualiste car elle remet en cause une stratégie communautaire bien connue qui
veut que le fils hérite du travail du père. Dans l’échantillon des Emirats, 65% des personnes
avaient un diplôme universitaire, dont plus de la moitié un diplôme d’ingénieur. Lorsqu’on
considère ceux qui ont migré au Canada, aux Etats-Unis et au Royaume uni, on constate que
le taux passe à 90%. Cette stratégie est d’autant plus efficace que le diplôme est acquis dans
le pays d’immigration.
Ainsi, on peut affirmer d’une certaine manière que le mode d’entrepreneuriat communautaire
s’inscrit en forte continuité avec des stratégies économiques datant de l’âge d’or de la
résidence dans le Golfe. Le mode individualiste est lui plus nettement en rupture, ce qui doit
rappeler que la structure sociale dans laquelle se déploie l’activité économique joue un rôle
premier.
IV. Question de la motivation : Investisseur entre l’homo oeconomicus et l’homo
‘patriotus’
Les niches économiques palestiniennes dans le Golfe, surtout la commerce et la
construction, ont posé un problème de la transmission vers la Palestine d'un savoir-faire
acquis à l'étranger, dans la mesure où ces activités économiques ont déjà largement fleuri
parmi la population locale de ces territoires. Dès lors l'apport de ces entrepreneurs a été
beaucoup plus financier que dans le savoir-faire. Les sociétés d'action créées par des
entrepreneurs palestiniens promenants comme PADICO, Salam International, Arab Company
ont permis la combinaison entre les financiers ("capitaines" de l'industrie, pour parler comme
Veblin) et les ingénieurs. Mais quelles motivations ses investisseurs ont pour contribuer à
l’économie de leur pays d’origine ?
Ni le modèle d’homo economicus ni le modèle d’homo ‘partiotus’ ne permis pas
d’appréhender les motivations d’investissement : la patrie n’est pas une terre abstraite, elle est
un lieu chargé des mémoires mais avant tout un lieu de sociabilité avec la famille et les amis.
Un lieu ou l’homme cherche à la fois intérêt économique mais aussi prestige et promotion
sociale .
Pour comprendre la portée de l’action entrepreneuriale de l’entrepreneur je me réfère
à la théorie de l’action humaine de Israel Kirzner qui comme le bien noté Jean Pierre
Cassarino (1997a) propose un profil subjectiviste de l’entrepreneur.8 Joseph Schumpeter
considère l’entrepreneur comme modernisateur et innovateur qui apporte de nouvelle
combinaison liant les technologies et les marchés et le considère aussi comme le facteur clé
du dynamisme économique dans la société industrielle (Schumpeter, 1976 ; Casson, 1990 :
45). Or l’entrepreneur schumpeterien ne prend pas de risque9. Par contre, pour McClelland,
l’entrepreneur est motivé intrinsèquement et prend de risque sans qu’il soit forcément
compensé par la société en termes financiers ou matériels (Yasumuro, 1993 : 77). On arrive à
8
- Je dois beaucoup dans la réflexion de ce paragraphe aux travaux de J. P. Cassarino sur les
entrepreneurs migrants tunisiens. (1997a, 1997b)
9
- En effet, Schumpter mais aussi J.B. Clark ont distingué entre l’entrepreneur qui rien à
perdre dans son action et le capitaliste qui envisage l’hasard dans les affaires. (Krizner,
1982 : 156)
Israel Kirzner qui a une vision claire de l’importance de la fonction de risque. A la suite de la
théorie de Mises de l’action humaine (Humain Action), il considère l’entrepreneur comme à
la fois innovateur mais aussi spéculateur et preneur de risque : « La fonction entrepreneriale
est inséparable de la spéculation au regard d’un futur incertain » (Mises cité par Krizner,
1982 : 139) ainsi l’entrepreneur est toujours spéculateur, ne se contentant pas de calculer
ses profits à partir de la présente situation du marché mais essayant d’envisager l’avenir.
L'‘action humaine’ de l’entrepreneur ne peut pas se référer à un postulat de la rationalité. Une
rationalité qui avec un cadre donné, des objectifs visés et des ressources rares, envisage une
seule manière d’allouer la ressources. Dans ce cas la prise de décision est parfaitement
déterminée. Par contre, dans le cadre de l’action humaine de Mises, l’action prend en compte
un cadre des fins-moyens que l’homme conçoit, fonction de sa vision non pas seulement du
présent mais aussi du futur laissant ainsi l’entrepreneur de choisir entre différentes
possibilités.
Cette approche théorique va nous aider à appréhender l’action entrepreneuriale des
investisseurs palestiniens aux Territoires. Leur comportement économique ne résume pas à
un simple calcule mathématique du gain et de la perte dans une présente situation
certainement décourageante mais il envisage un futur meilleur. A notre question sur les
motivations de retour et d’investissement en Palestine, la plupart de nos interlocuteurs ont
bien indiqué qu’ils sont conscients du fait que les Territoires palestiniens ne sont pas pour
l’instant la meilleure place d’investissement. C’est surtout ceux qui ont en train d’établir des
affaires industrielles qui ont évoqué qu'à différents égards la Palestine ne peut pas
concurrencer les pays voisins comme la Jordanie et l’Egypte (main d’œuvre et coût de
l’infrastructure comme électricité et transport sont plus chers, etc.) Cependant la décision a
pris en compte des facteurs sociaux comme le désir de vivre en Palestine, la présence des
parents, le prestige social d’investir dans le village d’origine, les connaissances de terrain, les
anciennes relations de business…. C’est alors l’objectif de l’investisseur non pas de
maximiser son profit mais de satisfaire sa position dans sa structure sociale et ses réseaux
sociaux. Le récit de l’un de nos interlocuteurs illustre ces motivations en faveur de
l’investissement en Palestine.
T. S est un homme d’affaires résident aux Emirats et ayant des investissements en
Europe, et en Asie. A la suite de processus de paix, il a décidé pour la première fois depuis
1967 de visiter son village natal près de Naplouse. Il l’a visité 5 fois, et y resté un mois
chaque fois afin de renouer ses relations avec sa famille et les gens de village mais aussi pour
chercher une opportunité pour l’investissement. Comme il a une longue expérience dans la
commercialisation de produits pharmaceutiques, a voulu ouvrir une usine dans cette branche
Mais des spécialistes l’ont déconseillé de le faire du fait que trois usines en territoires
couvrent certains besoins de produits degrande consommation. En même temps le commerce
dans ce domaine n’est pas une bonne idée puisqu’il n’a pas suffisamment de relations ni avec
les commerçants ni avec l’autorité nationale palestinienne (parce que certains produits sont
sujets à monopole que l’ANP autorisesous forme d’une licence de commerce). Il a quand
même construit une maison sur une terre qu'il a héritée de ses parents et il a acheté des
terrains pour le futur. Ces terrains furent très coûteux mais ils sont sujets à spéculation
depuis le début du processus de paix. En 1994 il a décidé d’investir dans l’industrie
agroalimentaire mais après un an d’attente l’autorité israélienne at refusé parce que cette
industrie consomme beaucoup d’eau. Un semestreplus tard il décide de donner à la place
d’investir. Il a fondé un petit hôpital dans son village qui porte le nom de son père. Depuis fut
beaucoup sollicité par des villageois pour des services personnels ou par la municipalité
(pour améliorer les routes, pour construire un mosquée et pour le fonctionnement de
l’hôpital). Il a déclaré être quelquefois très irrité par ces sollicitations. Il leur a dit que : « Je
n’ai pas trouvé mon argent sur la route, ni gagné au loto ». Finalement il a fait quelques
donations, surtout de la part de sa famille et ses parents, pour les chômeurs
En 1994, il a fondé une manufacture moderne de produits plastiques et PVC
(chaussures, assiettes, etc.) Il a nomméson fils directeur et lui a donné comme conseil
d’employer les membres de la famille. Un an plus tard, son fils a commencé à se plaindre du
fait que les employés ne respectent pas les horaires de travail et demandent toujours des
augmentations. Devenue "welfare hotel" (pour parler comme Geertz), l’usine a connu
unesituation financière très dure. Sur un coup de colère, le fils a expulsé quelques membres
de la famille et employé d’autres personnes, mais la situation est demeurée critique. T.S. a
donné à son fils encore un an pour améliorer le management et redresser cette situation. Entre
temps un autre fils a fini son étude d'Economie à l’Université de Harvard aux Etats-Unis et il
lui demandé de rejoindre son frère afin de chercher d’autres investissements en Territoires
palestiniens. Il investit dans quelques sociétés holding et ses actions dans la société de
télécommunication palestinienne Paltel a été une véritable réussite (les valeurs des actions ont
été triplées en plus du bénéfice). Sept ans après le début de l’établissement de ses affaires, il
déclare qu’il arrive à zero sum game. Mais il est satisfait et déclare avoir confiance en
l’avenir des territoires. Depuis 1998 il passe la moitié de son temps en Palestine et prépare
lui-même sa candidatureaux prochaines élections municipales.
Cet exemple montre bien que le comportement économique de ce ‘humain actor’, y
compris ses donations, est déterminé par une matrice complexe de motivations qui va de
l’altruisme jusqu’aux considérations économiques et sociales.
V. Conclusion : Réseaux économiques et une diaspora au fragile centre de gravité
Tout au long de cet article, j’ai tenté de montrer que le recyclage spatial des capitaux palestiniens issue du Golfe
a été fonction des facteurs qui dépassent largement le domaine purement économique. Dans cette conclusion, je
dois aller plus loin concernant la contribution de la diaspora palestinienne du Golfe dans l'économie
palestinienne. Si les acteurs économiques de la diaspora ont été étudiés précédemment comme individus, il est
indispensable pour saisir les relations entre centre et périphéries de les appréhender en termes de réseaux
sociaux et économiques. On se pose ainsi la question de l’effet de la nature de la diaspora palestinienne sur les
réseaux économiques.
Ce sont les travaux de Joel Kotkin qui ont souligné l'importance des réseaux de certaines diasporas dans ces
dernières années du XXe siècle. Auteur du Tribes: How Race, Religion and Identity Determine Success In the
New Global Economy (italique) (1993), il trace les connections entre ethnicité et le succès économique. Il nous
montre comment l'allégeance au sein du groupe est devenue une force indispensable dans l'économie mondiale.
Ces tribus mondiales combinent un fort sentiment d'origine commune avec deux éléments essentiels ?,
caractères?facteurs essentiels dans le monde moderne : la dispersion géographique (avec des réseaux
mondialisés) et la croyance au progrès scientifique. En d'autres mots, ils combinent ce que les libéraux ont pensé
intrinsèquement séparé : l'identité ethnique et l'adaptation cosmopolite. Kotkin prédit que dans le contexte actuel
d'après guerre froide et la réduction du pouvoir de l'Etat-Nation, ce genre de groupe vont se développer.
Cependant le concept de tribu globalisée pour parler de la diaspora est exagéré au point de ne plus laisser de
place à l'individu. Cette conception a défini la migration comme un processus de création de réseaux sociaux
qui entretient de façon perpétuelle un lien étroit entre les pays d'origine et ceux d’immigration. Or, cette
définition n’est pas pertinente dans tous les cas. Une micro-analyse devrait voir dans quelle mesure les réseaux
sociaux et économiques de la diaspora palestinienne existent et quels sont leurs types. On peut tenter ici de
l'esquisser sans entrer dans des détails qui excéderaient le cadre de cet article.
Une diaspora a besoin d'un centre de gravité ayant deux fonctions: d'abord, c'est un centre où les flux de
communication transitent et les informations se diffusent entre les différents pays des périphéries ; c'est
également un centre où les membres de familles se rencontrent. Si la première fonction suggère que ce centre
n'est pas nécessairement physique, une institution suffisant à effectuer cette tâche, la deuxième fonction exige
une territorialité de ce centre. Les relations d'abord sociales puis économiques sont favorisées par la fréquence
des rencontres. Si les membres sont éparpillés aux quatre vents comme la plupart des familles palestiniennes, le
centre facilite cette rencontre, car les Palestiniens des pays arabes ayant souvent des laisser-passers ne leur
permettant que très difficilement de voyager entre les pays arabes (question de visa) ou dans les autres pays
lointains (question financière). De plus Israël ne leur permet pas de visiter les Territoires palestiniens. Quant aux
Palestiniens résidant ailleurs et qui jouissent d'autres nationalités, ils ont peu intérêt à voyager fréquemment
dans les pays arabes, sauf si les membres de leurs familles sont bien concentrés dans un de ces pays. En
conséquence, il faut un centre de gravité où tous ses membres ont intérêt à se rencontrer. On peut imaginer que
c'est naturellement les Territoires palestiniens qui constituent ce centre. Or, ce centre est visiblement faible.
D'une part, la majorité des Palestiniens de l'extérieur n'ont pas accès aux Territoires palestiniens (interdiction par
Israël). D'autres part, une partie de la diaspora a perdu confiance dans la gestion des affaires publiques par
l'Autorité nationale palestinienne. Ici il faut introduire une distinction entre ceux qui sont originaires de la
Cisjordanie et Gaza et ceux qui sont issus de la Palestine historique (actuellement Israël).
Si les Territoires palestiniens sont un centre important pour les premiers, ce n'est certainement pas le cas pour
les autres. Interdits de résider dans leur ville ou village natal, voire de les visiter, (dans certain cas ce lieu
n'existe plus sur la carte géographique), ces derniers ont perdu la référence territoriale de leur identité
palestinienne, ce qui affaiblit aussi leur intérêt à considérer les Territoires palestiniens actuels comme un centre
de gravité. Pourtant, l'élite économique de ces deux groupes, qui joua un rôle majeur dans la question nationale
en supportant, tant financièrement qu'humainement, la lutte de résistance menée par l'OLP durant 50 ans , refuse
dorénavant de se transformer en simples banquiers à la Rotschild.
Certains pensent que ce centre de gravité pourrait être partagé avec la Jordanie du fait de sa proximité avec la
Cisjordanie et de sa politique de naturalisation de ses réfugiés palestiniens, acquérant ainsi la confiance de la
diaspora palestinienne. Il est vrai, selon mes enquêtes sur les réseaux d'affaires, que la Jordanie a bien attiré des
investisseurs palestiniens venant du Golfe mais aussi de l'Amérique. Certains entre eux à l'origine ont cherché à
investir en Palestine, mais ils se sont heurtés à l'incertitude politique des Territoires palestiniens et à leur climat
hostile aux investissements. C'est ainsi que la Jordanie peut constituer un centre de gravité ad hoc (ou au moins
un nœud central pour les réseaux palestiniens) mais il restera aussi faible que celui des Territoires palestiniens.
Par ailleurs, la vulnérabilité de ces deux centres est aggravée par la compétition politique et économique qui
quelquefois les oppose.
La fragilité du(des) centre(s) de gravité dans le cas palestinien nous conduit à nous interroger sur le degré de
diasporisation des Palestiniens de l'extérieur. Le fonctionnement normal d'une diaspora exige un centre de
gravité, comme c'est le cas d'Israël pour les juifs, la Chine pour les Chinois, l'Arménie pour les Arméniens. La
figure 1 montre comment les différentes communautés de ces diasporas munies d'un centre de gravité se
connectent parfaitement, alors que la figure 2 illustre la faiblesse dans la connexion dans le cas de l’absence de
ce centre. On a schématiser le cas palestinien dans la figure 3 ou la connexion est semblable de la figure 2 à
cause de la vulnérabilité des centres de gravité.
Relations fortes
Relations faibles
Relations fortes
Figure 2
Diaspora sans centre de gravité
Jord
anie
Palest
ine
Figure 3
Diaspora palestinienne avec deux centres faibles de gravité
Relations faibles
Relations fortes
Bibliographie
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et là-bas. La diaspora palestinienne dans des perspectives sociale et économique),
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Sanbar, Elias (1989) "La diaspora palestinienne", Hérodote, Paris: La Découverte/
Maspero, 2ème trim, pp. 71-80.
Schumpeter, J. A. (1976) Capitalism, Socialism and Democracy, New York: T. Bottomore Ed.
Yasumuro, Ken’ichi (1993) ‘Engineers as funtional alternatives to entrepreneurs in Japonese industrialisation’
in Jonathan Brown and Mary B. Rose Entrepreneurship, Networks and Modern Business, Manchester and New
York: Manchester University Press, p. 76-101.
Annexe
Tableau 1 : Niveau d'études des hommes d'affaires
Nombre
Pourcentag
e
Etudes
Universitaires
Baccalauréat
53
67%
15
19
Au-dessous
de
Baccalauréat
6
7%
Sans
réponse
Total
6
7%
80
100%
Tableau 2 : Activité économique exercée
Activité
économique
Nombre
Pourcentage du nombre
total d'hommes d'affaires
Agriculture
Commerce
Construction
Finance
Immobiliers
Industrie
Service
Tourisme
Total
4
43
28
2
0
16
5
1
99
5%
54%
35%
3%
0%
20%
6%
1%
Tableau 3
Investissements dans les Territoires
palestiniens
Industrie
Commerce
Construction
Immobiliers
Tourisme
Finance
Service
Total
Nombre Pourcentage
4
12%
2
6%
3
9%
4
12%
2
6%
13
38%
6
18%
34
100%
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