ACTUALITÉS SCIENCES Coordonné par E. Bacon (Inserm et clinique psychiatrique, Strasbourg) Traitement antidépresseur, absence de supériorité des bithérapies sur les monothérapies : l’étude CO-MED E. Haffen (service de psychiatrie de l’adulte, CHU de Besançon ; université de Franche-Comté) La prise en charge thérapeutique initiale de l’épisode dépressif caractérisé est à l’heure actuelle relativement bien codifiée ; elle fait l’objet de nombreuses recommandations, notamment de la part des sociétés savantes européennes et nord-américaines. Cependant, comme le rappellent A.J. Rush et al. (1), les maladies dépressives sont fréquemment récurrentes : la récupération, souvent incomplète, fait le lit d’un nouvel épisode et du passage à la chronicité. La rémission constitue ainsi l’objectif à atteindre pour limiter les risques d’évolution péjorative de la maladie. Certaines des méta-analyses les plus récentes montrent en aigu des effets des antidépresseurs plutôt modestes, le taux moyen de rémission étant de l’ordre de 30 à 50 % (2, 3) . De ce fait, nombre d’auteurs conviennent qu’il est essentiel de développer de nouvelles stratégies thérapeutiques qui visent avant tout la guérison symptomatique dès la prise en charge initiale d’un épisode dépressif. Certains préconisent des stratégies d’adaptation très rapide du traitement dès la deuxième semaine en cas de réponse thérapeutique insuffisante (4) , d’autres l’utilisation de posologies élevées dès l’instauration d’inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (IRS) [5] , voire des associations thérapeutiques dès la prise en charge initiale. Ainsi, l’étude CO-MED (1) explore pour la première fois l’intérêt de la combinaison de 2 antidépresseurs à court et long terme lors du traitement de première intention en ambulatoire d’une dépression majeure chronique et/ou récurrente. Les auteurs argumentent ce choix en évoquant d’autres pathologies médicales, pour lesquelles des combinaisons de traitements sont fréquemment efficaces. L’étude indépendante CO-MED (1), financée par le National Institute of Mental Health, a ainsi évalué l’efficacité, à 12 semaines et à 7 mois, de 3 traitements : 2 associations d’antidépresseurs (escitalopram 20 mg/j et bupropion LP 400 mg/j ou mirtazapine 45 mg/j et venlafaxine 300 mg/j), et 1 monothérapie antidépressive (escitalopram 20 mg/j) chez des patients présentant une dépression caractérisée chronique et/ou récurrente, sans caractéristique psychotique ni troubles bipolaires. (%) 70 // American Journal of Psychiatry // Nature Neuroscience // Journal of Affective Disorders Monothérapie : escitalopram + placebo (n = 224) Rémission Réponse 60 50 Bupropion (libération continue) + escitalopram (n = 221) Rémission Réponse 40 30 20 Venlafaxine LP + mirtazapine (n = 220) Rémission Réponse 10 0 12 semaines (phase aiguë) 7 mois (phase long terme) Figure. Taux de rémission et de réponse chez des patients atteints de dépressions : comparaison d’une monothérapie à l’association de 2 antidépresseurs. La rémission était définie par des scores inférieurs à 8 et à 6, respectivement, sur les 2 dernières évaluations consécutives sur l’échelle QIDS-SR à 16 items. La réponse était définie par une réduction de plus de 50 % du score sur l’échelle QIDS-SR. La Lettre du Psychiatre • Vol. VII - n° 4 - juillet-août 2011 | 105 ACTUALITÉS SCIENCES Le critère principal d’évaluation était le taux de rémission à 12 semaines de traitement, évaluée à l’aide de l’échelle QIDS-SR (< 6/8). La réponse au traitement, les effets indésirables, la qualité de vie et le nombre de sorties d’essai constituaient les critères secondaires d’évaluation. Dans 9 centres aux États-Unis, en tout 665 patients ont été inclus dans l’étude. Les résultats ne montrent pas de différence significative entre les traitements. En particulier, il n’y a pas de bénéfice pour les 2 associations d’antidépresseurs comparativement à la monothérapie par escitalopram : 38,9 % de rémission dans le bras escitalopram et bupropion, 37,7 % pour l’association mirtazapine et venlafaxine, versus 38,8 % pour l’escitalopram en monothérapie. À 7 mois, les résultats restent comparables dans les 3 bras de traitement, avec 46,6 % et 41,8 % de rémission pour les associations et 46 % pour le bras escitalopram (figure, p. 105) . Par ailleurs, la tolérance était significativement inférieure dans le groupe venlafaxine-mirtazapine à ce qu’elle était dans le groupe monothérapie escitalopram, à 12 semaines et 7 mois de traitement. L’étude a quelques limites : en premier lieu, il est difficile de généraliser les résultats à l’ensemble de la population des patients présentant des épisodes chroniques et/ou récurrents ; ensuite, l’on notera qu’il n’y a pas eu d’entretien clinique structuré pour évaluer l’épisode en cours et les éventuelles comorbidités de l’axe I du DSM-IV-TR, ni non plus de randomisation après la phase aiguë ou de stratification selon le degré d’amélioration à 12 semaines de traitement ; les évaluations cliniques ont été réalisées sans double aveugle et, enfin, il n’y a pas de certitude quant à la suffisance des posologies en bithérapies. Pour évaluer ce dernier point, les auteurs ont isolé 86 patients ayant reçu au cours du traitement 225 mg/j de venlafaxine LP et 30 mg/j de mirtazapine. Les taux de rémission observés pour ces patients étaient de 33,7 % à 12 semaines et de 41,9 % à 7 mois. Le sousdosage ne semble pas être la cause de l’efficacité modeste de cette bithérapie. A.J. Rush et al. (1) concluent que l’association de 2 antidépresseurs n’est pas un traitement de première ligne de la dépression caractérisée chronique et/ou récurrente. La prescription d’une bithérapie ne présente pas d’avantages 106 | La Lettre du Psychiatre • Vol. VII - n° 4 - juillet-août 2011 cliniques sur celle d’une monothérapie en termes de rémission et de taux de réponse après 12 semaines ou 7 mois de suivi. Références bibliographiques 1. Rush AJ, Trivedi MH, Stewart JW et al. Combining Medications to Enhance Depression Outcomes (CO-MED): Acute and Long-Term Outcomes of a Single-Blind Randomized Study. Am J Psychiatry 2011;168(7):689-701. 2. Kirsch I, Deacon BJ, Huedo-Medina TB, Scoboria A, Moore TJ, Johnson BT. Initial severity and antidepressant benefits: a metaanalysis of data submitted to the Food and Drug Administration. PLoS Med 2008; 5(2):e45. 3. Melander H, Salmonson T, Abadie E, van Zwieten-Boot B. A regulatory Apologia--a review of placebo-controlled studies in regulatory submissions of new-generation antidepressants. Eur Neuropsychopharmacol 2008;18(9):623-7. 4. Tadić A, Gorbulev S, Dahmen N et al.; EMC Study Group. Rationale and design of the randomised clinical trial comparing early medication change (EMC) strategy with treatment as usual (TAU) in patients with major depressive disorder--the EMC trial. Trials 2010;26(11):21. 5. Papakostas GI, Charles D, Fava M. Are typical starting doses of the selective serotonin reuptake inhibitors sub-optimal? A metaanalysis of randomized, double-blind, placebo-controlled, dosefinding studies in major depressive disorder. World J Biol Psychiatry 2010;11(2 Pt 2):300-7. Conflit d’intérêts. L’auteur déclare avoir reçu des honoraires, dans le cadre de conférences, comités consultatifs et réunions de consultants, des laboratoires Euthérapie, Janssen, Lilly, Lundbeck, Pfizer et Sanofi-Aventis. Activation striatale et corticale et connectivité spécifique associées aux idées suicidaires et à la dépression dans le trouble bipolaire de type II Salt Lake City (États-Unis) Le trouble bipolaire de type II se manifeste par des épisodes de dépression sévère et d’hypomanie. Les perturbations induites au cours des épisodes dépressifs sont comparables à celles du trouble bipolaire de type I, mais cette condition est en outre associée à des taux élevés de tentative de suicide. En dépit de sa gravité et du risque de suicide associé, cette pathologie n’a à ce jour guère fait l’objet d’études en imagerie cérébrale fonctionnelle. Cependant, des anomalies de fonctionnement et de connectivité du striatum et de la structure médiane du cortex semblent impliquées dans les troubles de l’humeur. Une équipe américaine a réalisé la première démonstration en IRM fonction- nelle de l’existence de telles aberrations dans la dépression du trouble bipolaire de type II. Seize sujets non médicamentés présentant un trouble bipolaire de type II et 19 témoins sains ont participé à l’étude. Les patients ont été examinés pendant un épisode de dépression. Des analyses d’activation et de connectivité fonctionnelle ont été réalisées, et les résultats montrent que la dépression du trouble bipolaire de type II s’accompagne d’anomalies fonctionnelles du striatum et de la structure médiane du cortex ainsi que de troubles de la connectivité entre ces 2 régions. Il semble en outre qu’une augmentation de la connectivité entre le striatum, la région linguale droite et le cervelet gauche puisse contribuer directement à l’expression de la pathologie dépressive. De plus, cette étude apporte de premiers éléments tendant à démontrer que, dans cette pathologie, les zones d’activation cérébrale associées aux idées suicidaires seraient différentes de celles qui sont corrélées à la sévérité de la dépression. En effet, l’idéation suicidaire était corrélée négativement à l’activation du putamen gauche, cependant que la sévérité de la dépression était corrélée positivement à l’activation du thalamus gauche. Par ailleurs, la zone supérieure bilatérale du putamen était corrélée de façon positive à la dépression, mais négativement aux idées suicidaires. Il faut noter, cependant, que l’étude n’a été menée qu’avec des hommes. Si ces observations sont confirmées, elles apporteront un jour nouveau sur la neurobiologie du trouble bipolaire de type II, aussi bien que sur les processus neuronaux qui sous-tendent les idées suicidaires. > Marchand WR, Lee JN, Garn C et al. Striatal and cortical midline activation and connectivity associated with suicidal ideation and depression in bipolar II disorder. J Affect Disord 2011 ; Epub ahead of print. Déficience en oméga 3 et dépression Bordeaux, Dijon, Marseille (France) et Biscaye (Espagne) Dans les pays industrialisés, les régimes alimentaires se sont appauvris en acides gras essentiels depuis le début du xxe siècle. Ils ont notam- WPA Journal en ligne d’après le WPA 15th World Psychiatric Association Congress Buenos Aires Buenos Aires, Argentine 18-22 septembre 2011 Recevez en direct du WPA. les temps forts du congrès sur simple demande à [email protected] Accédez au e-journal, présenté sous forme de brèves et d’interviews d’experts, en vous connectant sur www.edimark.fr/ejournaux/WPA/2011/ Votre e-journal les 20, 21, 22 et 23 septembre 2011 ENV/11/191/X - septembre 2011 ment évolué vers une carence en acides gras essentiels poly-insaturés oméga 3 au profit des oméga 6. Or, l’insuffisance alimentaire en acide gras oméga 3 a été impliquée dans de nombreux troubles, et des taux faibles d’oméga 3 ont notamment été associés à des maladies neuropsychiatriques. Toutefois, les altérations synaptiques sous-jacentes étaient pour la plupart inconnues à ce jour. Récemment, des chercheurs de l’Inserm et de l’Inra, en collaboration avec des chercheurs espagnols, ont émis l’hypothèse selon laquelle la malnutrition chronique au cours du développement intra-utérin pourrait avoir un effet sur l’activité synaptique impliquée dans des comportements émotionnels à l’âge adulte. Ils ont cherché à établir un lien entre l’apport nutritionnel en acides gras poly-insaturés, la fonction neuronale médiée par les endocannabinoïdes et la dépression. Pour vérifier leur hypothèse, les chercheurs ont étudié des souris soumises à un régime alimentaire pauvre en oméga 3. Ils ont découvert que des niveaux réduits d’acides gras oméga 3 ont des conséquences néfastes sur les fonctions synaptiques et sur les comportements émotionnels. Ils ont ainsi constaté que la carence en oméga 3 perturbe spécifiquement la communication neuronale, et que les récepteurs aux endocannabinoïdes, qui jouent un rôle stratégique dans la neurotransmission, subissent une perte de fonction. Les animaux carencés en oméga 3 présentaient une perturbation des récepteurs aux endocannabinoïdes du cortex préfrontal et du noyau accumbens, 2 structures impliquées dans la gestion de la récompense, la motivation et l’émotion. Ce dysfonctionnement neuronal s’est accompagné de comportements dépressifs chez les souris. Ces résultats pourraient être transposables à l’homme, étant donné que les zones du cerveau incriminées chez la souris coïncident avec celles du cerveau humain qui sont impliquées dans les comportements dépressifs. Ils fournissent ainsi les premiers éléments biologiques d’une explication de la corrélation observée entre les régimes alimentaires pauvres en oméga 3, très répandus dans le monde industrialisé, et des troubles de l’humeur comme la dépression. “Attention : ceci est un compte-rendu de congrès dont l’objectif est de fournir des informations sur l’état actuel de la recherche ; ainsi, les données présentées sont susceptibles de ne pas être validées par les autorités françaises et ne doivent donc pas être mises en pratique.” “Ces informations sont sous la seule responsabilité des auteurs et du directeur de la publication qui sont garants de l’objectivité de cette publication.” Sous l’égide de Avec le soutien institutionnel de > Lafourcade M, Larrieu T, Mato S, Duffaud A et al. Nutritional omega-3 deficiency abolishes endocannabinoid-mediated neuronal functions. Nat Neurosci 2011;14(3):345-50. > DiLeone RJ. Neuroscience gets nutrition. Nat Neurosci 2011;14:271-72. 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