Entretien
Entretien
??
215
La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue - Vol. X - n° 8 - septembre-octobre 2007
fonctionnels intestinaux. D’autres manifestations, essentiellement
extra-intestinales et protéiformes, sont également fréquemment
révélatrices de la maladie : dermatite herpétiforme, déminérali-
sation osseuse inexpliquée, arthralgies, troubles neurologiques
(épilepsie, neuropathie périphérique d’origine carentielle, migraine
ou ataxie), cardiomyopathie dilatée idiopathique, troubles de la
reproduction (amenorrhée, infertilité, hypotrophie fœtale ou
fausses couches à répétition).
>
Quel est le bénéfice attendu du diagnostic
et du traitement des sujets atteints d’une
maladie cœliaque peu ou pas symptomatique ?
Pr C. Cellier Si le diagnostic des formes symptomatiques de
maladie cœliaque paraît logique, le dépistage des formes silen-
cieuses reste discuté. La disparition de symptômes mineurs
mais récidivants et la prévention de complications à long terme
pourraient être des arguments pour justifi er le dépistage des
formes peu symptomatiques ou silencieuses.
Chez les patients ayant une atrophie villositaire, le régime sans
gluten permet habituellement la rémission des symptômes liés à
l’intolérance au gluten, en particulier les troubles digestifs mimant
des troubles fonctionnels intestinaux, l’anémie ou une aphtose
récidivante. L’augmentation isolée des transaminases associée à la
maladie cœliaque se normalise dans la majorité des cas après évic-
tion du gluten. Des données récentes suggèrent qu’un sous-groupe
de sujets souff rant de diarrhée “fonctionnelle” pourrait en fait avoir
une maladie cœliaque latente ou plutôt une intolérance au gluten “a
minima”, et bénéfi cier d’une exclusion du gluten alimentaire. Il n’est
cependant pas licite, en l’état actuel des connaissances, de préconiser
un régime sans gluten en l’absence d’atrophie villositaire.
La survenue d’un lymphome invasif ou d’une sprue réfractaire
(une forme de lymphome T intra-épithélial de bas grade) est
une complication rare de la maladie cœliaque. La probabilité
de développer un lymphome ou un cancer apparaît moindre
qu’on ne le pensait auparavant, avec un risque relatif de 6 pour
le lymphome intestinal et de 1,3 pour tout type de cancer. Le
risque de lymphome associé à la maladie cœliaque ne peut donc
à lui seul justifi er un dépistage de masse.
Le risque de déminéralisation osseuse est important au cours
de la maladie cœliaque (près de 50 % des cas), qu’elle soit
symptomatique ou non, et un risque fracturaire augmenté a
été rapporté. Cependant, deux études récentes minimisent le
risque de fracture osseuse chez ces patients. Il ne peut donc
s’agir d’un argument suffi sant pour le dépistage.
>
Le régime sans gluten
est-il bien suivi à long terme ?
Pr C. Cellier Il semble diffi cile de réaliser un dépistage et de
préconiser un régime sans gluten aux sujets asymptomatiques
du fait de la mauvaise observance du régime, qui n’est bien
suivi que chez 30 % à 50 % des patients avec maladie cœliaque.
La seule possibilité d’apprécier le bénéfi ce d’un dépistage serait
d’évaluer de façon prospective, sur une durée très prolongée, le
devenir de deux groupes (régime sans gluten et régime normal)
de maladies cœliaques asymptomatiques diagnostiquées par
dépistage. Cette étude semble impossible à mettre en place.
>
Comment dépister ou diagnostiquer
une maladie cœliaque ?
Pr C. Cellier À l’échelon individuel, la recherche d’une maladie
cœliaque peut s’envisager dans deux situations distinctes. La
première est celle où une endoscopie haute est réalisée (par
exemple, devant des troubles digestifs apparemment fonction-
nels, une anémie ou un amaigrissement). Des biopsies duodé-
nales systématiques doivent être réalisées pour rechercher une
atrophie villositaire, même en présence d’un aspect endoscopique
normal de la muqueuse duodénale. La seconde situation est celle
dans laquelle les symptômes ne justifi ent pas la réalisation d’une
endoscopie digestive haute (par exemple, au cours d’une augmen-
tation inexpliquée des transaminases) ou dans laquelle le sujet est
asymptomatique mais appartient à un groupe à risque (apparenté
d’un patient cœliaque, par exemple). Une étude sérologique doit
alors être réalisée en premier lieu. La Haute Autorité de Santé
recommande désormais en première intention une recherche
d’anticorps sériques antitransglutaminase (ATG) de type IgA et
IgG. Si la recherche d’IgG n’est pas réalisable dans le laboratoire
sollicité, il faut faire un dosage pondéral des immunoglobulines
pour rechercher un défi cit sélectif en IgA, présent chez 2 à 3 %
des patients atteints de maladie cœliaque. En cas de positivité
des ATG, une confi rmation par un dosage des autoanticorps
antiendomysium (AEM) est nécessaire. Une biopsie duodénale
ne sera proposée qu’en cas de positivité des AEM IgA. En cas de
défi cit en IgA, la recherche d’AEM de type IgG est nécessaire.
>
Faut-il envisager un dépistage de masse
ou effectuer un diagnostic ciblé au sein
de populations à risque ?
Pr C. Cellier Si certains prônent un dépistage à grande échelle,
mon opinion est qu’une telle stratégie n’est pas réalisable. Il paraît
en revanche plus opportun de sensibiliser le corps médical dans
son ensemble aux nouvelles manifestations de la maladie, qui
reste encore mal connue, en particulier en médecine générale et
dans d’autres spécialités (endocrinologie, neurologie, rhumato-
logie, gynécologie, etc.). Il faut penser au diagnostic devant les
symptômes mineurs ou extradigestifs que nous avons évoqués,
en particulier chez l’adulte, même âgé. Il convient aussi de réaliser
un dépistage ciblé dans des groupes de patients à haut risque. ■
POUR EN SAVOIR PLUS
• Green P, Cellier C. Celiac disease. N Engl J Med 2007;357:1731-43.