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Médecine
& enfance
Le TDAH et son double : mise au
point pour les pédiatres praticiens
EDITORIAL
M. Boublil, pédopsychiatre, pôle mère-enfant,
hôpital d’Antibes
« J’imagine mon moi comme dans un
prisme ; tous les personnages qui tournent
autour de moi sont des moi qui m’agacent
par leurs agissements. » E.T.A. Hoffmann
Bien sûr, la Ritaline® est à prescription
initiale hospitalière. Certes, le TDAH
(trouble de déficit de l’attention avec ou
sans hyperactivité) semble une maladie
complexe, réservée à des hyperspécialistes. Oui, il semble bien que son diagnostic nécessite des examens neuropsychologiques chiffrés, aux sigles difficiles à retenir, et dont l’interprétation
est encore plus difficile… Mais au bout
du compte, il faut bien que le praticien
possède un savoir pratique et assez de
bon sens pour comprendre de quoi il est
question, mais aussi pour intervenir à
bon escient et expliquer en termes clairs
aux familles ce qui se passe.
TDAH : QU’EST-CE QUE CELA
SIGNIFIE ?
TDAH veut dire trois choses :
첸 soit l’enfant souffre d’un TDA, et il
s’agit alors exclusivement d’un trouble
attentionnel ;
첸 soit c’est un TDH, et il s’agit alors uniquement d’hyperactivité ;
첸 soit encore il a un TDAH, et il souffre
des deux atteintes.
Pour certains, l’un ne va pas sans
l’autre, et le trouble associe :
첸 inattention : absence de suivi des instructions, négligence des détails, distraction et, à l’extrême, abandon des activités en cours ;
첸 hyperactivité : incapacité à rester assis, agitation quasi incessante, sans repos ni fatigue ;
첸 impulsivité : tendance à interrompre
les conversations, incapacité d’attendre
son tour, mais aussi colères, insultes.
Mais on n’éprouve le besoin de poser un
diagnostic qu’à partir du moment où ces
manifestations gênent les apprentissages et/ou la vie sociale et familiale.
LA MÉTHODE
Elle est américaine. Elle recense les
symptômes, cote leur intensité, fournit
aux parents et aux enseignants des
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questionnaires (Conners ou autres)
pour une première approche. On ne recherche pas une maladie, mais un
trouble, à partir uniquement de ce que
l’on voit. Et c’est celui qui « voit » qui cote. Il est lui-même le mètre étalon. Des
parents perturbés, une maîtresse intolérante peuvent être les évaluateurs de
l’enfant. C’est davantage son mode de
réaction à un milieu donné qui est évalué que sa capacité à se concentrer. Cependant, si un enfant est depuis toujours inadapté à tous les milieux sociaux
du fait de son comportement, tout cela
prend une valeur.
Quelques exemples :
첸 un enfant né en France en fin d’année, pas vraiment mûr pour le CP, va
être agité parce qu’il ne désire que jouer
(il est en somme trop jeune pour ce
qu’on lui demande) sera coté « pathologique ». Une étude canadienne montre
d’ailleurs que les enfants nés en décembre sont deux à trois fois plus nombreux à être traités par Ritaline® que
ceux nés en début d’année ;
첸 un enfant débordé par des mésententes parentales, anxieux et dépressif,
peut lui aussi être coté « pathologique » ;
첸 un enfant qui s’agite depuis toujours,
qui n’a jamais arrêté de bouger depuis
qu’il est dans le ventre de sa mère, et
dont l’instabilité ne s’apaise pas avec le
temps est évocateur de TDAH.
LES EXAMENS COMPLÉMENTAIRES
On cherche à éliminer les causes d’agitation qui ne relèvent pas des TDAH. On recherche donc des causes d’hyperactivité
comme :
첸 un retard de langage : bilan orthophonique ;
첸 une déficience intellectuelle ou une
précocité : test de niveau (WPPSIWISC) ;
첸 une dyspraxie : bilan ergothérapique
et/ou psychomoteur ;
첸 des troubles mentaux ou un autisme :
consultation pédopsychiatrique.
On cherche aussi à compléter les questionnaires en observant si, en situation
de test, l’enfant peut être attentif, en
évaluant :
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첸 l’attention sélective : écouter une
chose sans se distraire ;
첸 l’attention divisée ou partagée : se
concentrer sur plusieurs choses à la fois
ou sur plusieurs sources d’information ;
첸 l’attention soutenue, que l’on peut
conserver longtemps, même si c’est long
et ennuyeux.
Les neuropsychologues étudient séparément ces différents types d’attention
dans leurs tests. En fait, il est compliqué
de séparer différentes fonctions du psychisme, qui dépendent de tellement de
facteurs, notamment psychoaffectifs : la
motivation, l’intérêt de ce qui est proposé…
A cela s’ajoute l’étude d’autres paramètres :
첸 la capacité d’inhibition : celle de maîtriser l’impulsivité, de mettre de côté ce
qui distrait ;
첸 la flexibilité attentionnelle : possibilité de changer de point d’intérêt.
Ces tests destinés à évaluer se nomment
D2, TEACH, Wisconsin, « coup de fusil »
(attention auditive), « dans le ciel » (attention visuelle). Et on rapporte tout cela au lobe frontal ou pariétal… Vous aurez compris que l’entreprise ressemble
au démontage d’un moteur afin de le réviser : on s’intéresse successivement à
chacune des parties du fonctionnement
psychique, comme si ces fonctions pouvaient être isolées les unes des autres, et
comme si nous fonctionnions toujours
et pour toutes choses de la même façon.
Au terme de ces examens, il importe
que l’enfant demeure entier et indivisible, ce qui n’est pas facile, car ainsi réduit à des fonctions, on pourrait en
perdre l’unité !
LE DIAGNOSTIC
On ne le pose qu’après six ou sept ans.
Auparavant, on parlera de turbulence,
susceptible de passer avec l’âge.
On ne le pose que s’il n’existe pas à l’évidence une pathologie causale. Cependant, on étend les indications du traitement à tous les cas où les difficultés attentionnelles entravent les apprentissages. De nombreuses publications démontrent ainsi l’efficacité de la Ritaline® chez les enfants autistes dispersés.
Le diagnostic nécessite qu’il y ait un médecin capable de synthétiser les avis divers, car si on les juxtaposait simplement, on aboutirait à des prises en charge multiples et non coordonnées (ce qui
arrive parfois). Si tout a été fait, on
peut, au mieux, poser un diagnostic lors
d’une synthèse multidisciplinaire.
Les diagnostics différentiels principaux
peuvent être de deux ordres :
첸 savoir si l’enfant est agité parce qu’il
est mal, ou s’il est mal parce qu’il est
agité (éternel problème de la poule et
de l’œuf…) ;
첸 savoir si un autre diagnostic symptomatique est plus vraisemblable. On parle ainsi de TOP (trouble oppositionnel
avec provocation) ou de trouble bipolaire, qui peuvent aussi être des comorbidités. Cette manière de penser, bien
qu’officiellement admise, peut choquer
les tenants de l’enfant total et unique, et
ceux-ci parlent plus volontiers de neuro-psycho-pathologie.
Une remarque importante « en passant ». Si, aux Etats-Unis, 1 garçon sur 8
et 1 fille sur 12 sont sous Ritaline®, c’est
parce que des facteurs autres que médicaux interviennent : obtention d’avantages si le diagnostic est posé (remboursement de frais médicaux, accès à des
classes à petits effectifs, etc.), moindre
coût pour la collectivité que les autres
prises en charge nécessitant beaucoup
de personnel, pouvoir des laboratoires,
hégémonie du DSM…
LE TRAITEMENT
Le mieux serait de débuter par les traitements non médicamenteux. En pratique, cela se fait peu. Un article de ce
numéro fait le point sur ces traitements.
En France, le traitement très souvent
prescrit est la Ritaline®, sous toutes ses
formes, de 0,5 à 1,5 mg/kg/j, qu’elle
soit à effet immédiat (Ritaline® 10, 20)
ou retard (Ritaline® LP 20, 30, Concerta® LP 18, 36, 54, Quazym® LP 10, 20,
30) ; ces trois médicaments sont tous à
base de méthylphénidate, mais leur tolérance, leur efficacité et leurs effets secondaires sont parfois très différents,
d’où l’intérêt d’en changer en cas d’intolérance de l’un d’eux).
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Certains, pensant qu’il s’agit d’une maladie chronique, donnent le traitement
en continu, ce qui rend le sevrage plus
compliqué. D’autres ne le prescrivent
que pour les jours d’école. En fin
d’après-midi, lorsque le médicament
cesse d’être efficace, on observe un rebond d’hyperactivité, parfois impressionnant, et certains ajoutent une petite
dose pour les devoirs du soir (par
exemple 5 mg).
Certains parents décrivent leurs enfants
sous traitement comme des « zombis »,
tristes mais calmes. D’autres sont
confrontés à une agressivité inhabituelle. En début de traitement, on relève
souvent des céphalées, des maux de
ventre, un manque d’appétit.
Après une première prescription hospitalière sur ordonnance sécurisée valable
quarante-huit heures, le médecin traitant peut renouveler le traitement pendant un an, en surveillant la taille et le
poids (un retard est en général rattrapé
à la fin du traitement).
Quant aux traitements non médicamenteux, on dit qu’ils sont indispensables et
que les résultats sont meilleurs quand
ils sont associés au médicament.
QUE PENSER ?
Notons tout d’abord que les prévalences
réelles sont beaucoup moins importantes que ce qui est annoncé (10 %,
8 %, 5 %…), mais aussi que les théories
neurodéveloppementales qui visent à
en faire une maladie caractérisée, d’origine cérébrale, durant toute la vie, sont
en pratique discutables : on voit qu’à
certaines périodes de la vie de l’enfant,
les choses s’apaisent, et qu’au fil des années, la prise de médicaments connaît
(heureusement) des interruptions.
Ceux qui sont partisans de prescriptions
élargies reprochent aux frileux de laisser les enfants se diriger vers une désinsertion sociale sans rien faire. Ceux qui,
au contraire, s’opposent à « droguer les
enfants » reprochent un abord purement symptomatique, à courte vue,
sous la pression des laboratoires, et
dont on ne connaît pas les conséquences à long terme.
Comme souvent, la vérité se situe sur la
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médiane. Mais on peut légitimement se
demander si tenter de sauver un enfant
du décrochage socioscolaire et familial
peut passer par une médication. Le problème est autant éthique que médical.
Certes, lorsque l’on pose la question aux
enfants, ils disent avoir envie de mieux
travailler à l’école et de faire plaisir à
leurs parents. Mais une molécule peutelle prétendre modifier le destin de nos
enfants (même si c’est « pour leur bien »,
comme on le leur dit toujours…) ?
Donnerions-nous à nos propres enfants
ce que nous prescrivons à d’autres ? Ce
n’est pas très « DSM » ni « EBM », mais
c’est une question que nous devrions
tous nous poser.
Un certain nombre de choses sont en
tout cas selon moi bien établies : le moi
de l’enfant ne saurait être scindé, avec
un moi « extérieur » dont les gesticulations, l’attention et la mémoire seraient
sans lien avec son histoire, sa famille,
son inconscient et sa personnalité profonde en construction. La vie déborde
toute tentative de la cerner, de l’enfermer dans des catégories, et l’enfant se
joue de classifications trop rigides, qui
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voudraient le saisir et le maîtriser comme on le ferait d’une machine.
Par ailleurs, il est essentiel que la place
du pédiatre demeure centrale : on voit
certains parents ou enseignants davantage soucieux de leur confort que de
l’intérêt de l’enfant, et pour qui le diagnostic d’hyperactivité permet d’éviter
toute remise en question. Les enfants
« difficiles » ont toujours existé. En revanche, il y a des niveaux de souffrance
qu’il faudrait s’efforcer d’éviter à l’enfant. C’est ce critère qui devrait toujours
nous guider.
첸
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