questionnaires (Conners ou autres)
pour une première approche. On ne re-
cherche pas une maladie, mais un
trouble, à partir uniquement de ce que
l’on voit. Et c’est celui qui « voit » qui co-
te. Il est lui-même le mètre étalon. Des
parents perturbés, une maîtresse intolé-
rante peuvent être les évaluateurs de
l’enfant. C’est davantage son mode de
réaction à un milieu donqui est éva-
lué que sa capacité à se concentrer. Ce-
pendant, si un enfant est depuis tou-
jours inadapté à tous les milieux sociaux
du fait de son comportement, tout cela
prend une valeur.
Quelques exemples :
un enfant en France en fin d’an-
e, pas vraiment mûr pour le CP, va
être agité parce qu’il ne désire que jouer
(il est en somme trop jeune pour ce
qu’on lui demande) sera coté « patholo-
gique ». Une étude canadienne montre
dailleurs que les enfants nés en dé-
cembre sont deux à trois fois plus nom-
breux à être traités par Ritaline®que
ceux nés en début d’année ;
un enfant débordé par des mésen-
tentes parentales, anxieux et dépressif,
peut lui aussi être coté « pathologique » ;
un enfant qui s’agite depuis toujours,
qui n’a jamais arrêté de bouger depuis
qu’il est dans le ventre de sa mère, et
dont l’instabilité ne s’apaise pas avec le
temps est évocateur de TDAH.
LES EXAMENS COMPLÉMENTAIRES
On cherche à éliminer les causes d’agita-
tion qui ne revent pas des TDAH. On re-
cherche donc des causes d’hyperactivité
comme :
un retard de langage : bilan ortho-
phonique ;
une ficience intellectuelle ou une
précocité : test de niveau (WPPSI-
WISC) ;
une dyspraxie : bilan ergothérapique
et/ou psychomoteur ;
des troubles mentaux ou un autisme :
consultation pédopsychiatrique.
On cherche aussi à compléter les ques-
tionnaires en observant si, en situation
de test, lenfant peut être attentif, en
évaluant :
Médecine
& enfance
« Jimagine mon moi comme dans un
prisme ; tous les personnages qui tournent
autour de moi sont des moi qui m’agacent
par leurs agissements. » E.T.A. Hoffmann
Bien sûr, la Ritaline®est à prescription
initiale hospitalière. Certes, le TDAH
(trouble de déficit de l’attention avec ou
sans hyperactivité) semble une maladie
complexe, réservée à des hyperspécia-
listes. Oui, il semble bien que son dia-
gnostic nécessite des examens neuro-
psychologiques chiffrés, aux sigles diffi-
ciles à retenir, et dont l’interptation
est encore plus difficile… Mais au bout
du compte, il faut bien que le praticien
possède un savoir pratique et assez de
bon sens pour comprendre de quoi il est
question, mais aussi pour intervenir à
bon escient et expliquer en termes clairs
aux familles ce qui se passe.
TDAH : QU’EST-CE QUE CELA
SIGNIFIE ?
TDAH veut dire trois choses :
soit lenfant souffre dun TDA, et il
s’agit alors exclusivement d’un trouble
attentionnel ;
soit c’est un TDH, et il s’agit alors uni-
quement d’hyperactivité ;
soit encore il a un TDAH, et il souffre
des deux atteintes.
Pour certains, lun ne va pas sans
l’autre, et le trouble associe :
inattention : absence de suivi des ins-
tructions, négligence des détails, dis-
traction et, à l’extrême, abandon des ac-
tivités en cours ;
hyperactivité : incapacité à rester as-
sis, agitation quasi incessante, sans re-
pos ni fatigue ;
impulsivité : tendance à interrompre
les conversations, incapacité d’attendre
son tour, mais aussi colères, insultes.
Mais on n’éprouve le besoin de poser un
diagnostic qu’à partir du moment ces
manifestations gênent les apprentis-
sages et/ou la vie sociale et familiale.
LA MÉTHODE
Elle est américaine. Elle recense les
symptômes, cote leur intensité, fournit
aux parents et aux enseignants des
EDITORIAL
Le TDAH et son double: mise au
point pour les pédiatres praticiens
M. Boublil, pédopsychiatre, pôle mère-enfant,
hôpital d’Antibes
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lattention sélective : écouter une
chose sans se distraire ;
lattention divisée ou partagée : se
concentrer sur plusieurs choses à la fois
ou sur plusieurs sources d’information ;
lattention soutenue, que lon peut
conserver longtemps, même si c’est long
et ennuyeux.
Les neuropsychologues étudient séparé-
ment ces différents types dattention
dans leurs tests. En fait, il est compliqué
de séparer différentes fonctions du psy-
chisme, qui dépendent de tellement de
facteurs, notamment psychoaffectifs : la
motivation, l’intérêt de ce qui est propo-
sé…
A cela sajoute létude dautres para-
mètres :
la capacité d’inhibition : celle de maî-
triser l’impulsivité, de mettre de côté ce
qui distrait ;
la flexibilité attentionnelle : possibili-
de changer de point d’intérêt.
Ces tests destinés à évaluer se nomment
D2, TEACH, Wisconsin, « coup de fusil »
(attention auditive), « dans le ciel » (at-
tention visuelle). Et on rapporte tout ce-
la au lobe frontal ou pariétal… Vous au-
rez compris que l’entreprise ressemble
au démontage d’un moteur afin de le ré-
viser : on s’inresse successivement à
chacune des parties du fonctionnement
psychique, comme si ces fonctions pou-
vaient être isolées les unes des autres, et
comme si nous fonctionnions toujours
et pour toutes choses de la même façon.
Au terme de ces examens, il importe
que l’enfant demeure entier et indivi-
sible, ce qui n’est pas facile, car ainsi ré-
duit à des fonctions, on pourrait en
perdre l’unité !
LE DIAGNOSTIC
On ne le pose qu’après six ou sept ans.
Auparavant, on parlera de turbulence,
susceptible de passer avec l’âge.
On ne le pose que s’il n’existe pas à l’évi-
dence une pathologie causale. Cepen-
dant, on étend les indications du traite-
ment à tous les cas les difficultés at-
tentionnelles entravent les apprentis-
sages. De nombreuses publications dé-
montrent ainsi l’efficacité de la Ritali-
ne®chez les enfants autistes dispersés.
Le diagnostic nécessite qu’il y ait un mé-
decin capable de synthétiser les avis di-
vers, car si on les juxtaposait simple-
ment, on aboutirait à des prises en char-
ge multiples et non coordonnées (ce qui
arrive parfois). Si tout a été fait, on
peut, au mieux, poser un diagnostic lors
d’une synthèse multidisciplinaire.
Les diagnostics différentiels principaux
peuvent être de deux ordres :
savoir si l’enfant est agité parce qu’il
est mal, ou sil est mal parce quil est
agi(éternel problème de la poule et
de l’œuf…) ;
savoir si un autre diagnostic sympto-
matique est plus vraisemblable. On par-
le ainsi de TOP (trouble oppositionnel
avec provocation) ou de trouble bipolai-
re, qui peuvent aussi être des comorbi-
dités. Cette manière de penser, bien
qu’officiellement admise, peut choquer
les tenants de l’enfant total et unique, et
ceux-ci parlent plus volontiers de neu-
ro-psycho-pathologie.
Une remarque importante « en pas-
sant ». Si, aux Etats-Unis, 1 garçon sur 8
et 1 fille sur 12 sont sous Ritaline®, c’est
parce que des facteurs autres que médi-
caux interviennent : obtention d’avan-
tages si le diagnostic est posé (rembour-
sement de frais dicaux, accès à des
classes à petits effectifs, etc.), moindre
coût pour la collectivité que les autres
prises en charge cessitant beaucoup
de personnel, pouvoir des laboratoires,
hégémonie du DSM…
LE TRAITEMENT
Le mieux serait de débuter par les trai-
tements non médicamenteux. En pra-
tique, cela se fait peu. Un article de ce
numéro fait le point sur ces traitements.
En France, le traitement très souvent
prescrit est la Ritaline®, sous toutes ses
formes, de 0,5 à 1,5 mg/kg/j, quelle
soit à effet immédiat (Ritaline®10, 20)
ou retard (Ritaline®LP 20, 30, Concer-
ta®LP 18, 36, 54, Quazym®LP 10, 20,
30) ; ces trois médicaments sont tous à
base de méthylphénidate, mais leur to-
lérance, leur efficacité et leurs effets se-
condaires sont parfois très différents,
d’où l’intérêt d’en changer en cas d’into-
lérance de l’un d’eux).
Certains, pensant qu’il s’agit d’une ma-
ladie chronique, donnent le traitement
en continu, ce qui rend le sevrage plus
compliqué. Dautres ne le prescrivent
que pour les jours décole. En fin
daprès-midi, lorsque le médicament
cesse d’être efficace, on observe un re-
bond dhyperactivité, parfois impres-
sionnant, et certains ajoutent une petite
dose pour les devoirs du soir (par
exemple 5 mg).
Certains parents décrivent leurs enfants
sous traitement comme des « zombis »,
tristes mais calmes. Dautres sont
confrontés à une agressivité inhabituel-
le. En début de traitement, on relève
souvent des céphalées, des maux de
ventre, un manque d’appétit.
Après une première prescription hospi-
talière sur ordonnance sécurisée valable
quarante-huit heures, le médecin trai-
tant peut renouveler le traitement pen-
dant un an, en surveillant la taille et le
poids (un retard est en général rattrapé
à la fin du traitement).
Quant aux traitements non médicamen-
teux, on dit qu’ils sont indispensables et
que les résultats sont meilleurs quand
ils sont associés au médicament.
QUE PENSER ?
Notons tout d’abord que les prévalences
réelles sont beaucoup moins impor-
tantes que ce qui est annoncé (10 %,
8 %, 5 %…), mais aussi que les théories
neurodéveloppementales qui visent à
en faire une maladie caractérisée, d’ori-
gine cérébrale, durant toute la vie, sont
en pratique discutables : on voit quà
certaines périodes de la vie de l’enfant,
les choses s’apaisent, et qu’au fil des an-
nées, la prise de médicaments connaît
(heureusement) des interruptions.
Ceux qui sont partisans de prescriptions
élargies reprochent aux frileux de lais-
ser les enfants se diriger vers une désin-
sertion sociale sans rien faire. Ceux qui,
au contraire, s’opposent à « droguer les
enfants » reprochent un abord pure-
ment symptomatique, à courte vue,
sous la pression des laboratoires, et
dont on ne connaît pas les consé-
quences à long terme.
Comme souvent, la vérité se situe sur la
Médecine
& enfance
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médiane. Mais on peut légitimement se
demander si tenter de sauver un enfant
du décrochage socioscolaire et familial
peut passer par une médication. Le pro-
blème est autant éthique que médical.
Certes, lorsque l’on pose la question aux
enfants, ils disent avoir envie de mieux
travailler à l’école et de faire plaisir à
leurs parents. Mais une molécule peut-
elle prétendre modifier le destin de nos
enfants (même si c’est « pour leur bien »,
comme on le leur dit toujours…) ?
Donnerions-nous à nos propres enfants
ce que nous prescrivons à d’autres ? Ce
n’est pas très « DSM » ni « EBM », mais
cest une question que nous devrions
tous nous poser.
Un certain nombre de choses sont en
tout cas selon moi bien établies : le moi
de l’enfant ne saurait être scindé, avec
un moi « extérieur » dont les gesticula-
tions, l’attention et la mémoire seraient
sans lien avec son histoire, sa famille,
son inconscient et sa personnalité pro-
fonde en construction. La vie déborde
toute tentative de la cerner, de l’enfer-
mer dans des catégories, et l’enfant se
joue de classifications trop rigides, qui
voudraient le saisir et le maîtriser com-
me on le ferait d’une machine.
Par ailleurs, il est essentiel que la place
du pédiatre demeure centrale : on voit
certains parents ou enseignants davan-
tage soucieux de leur confort que de
l’intérêt de l’enfant, et pour qui le dia-
gnostic d’hyperactivité permet d’éviter
toute remise en question. Les enfants
« difficiles » ont toujours exis. En re-
vanche, il y a des niveaux de souffrance
qu’il faudrait s’efforcer d’éviter à l’en-
fant. C’est ce critère qui devrait toujours
nous guider.
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