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Capacités d’apprentissage phonétique chez les sujets âgés
francophones
Delvaux Véronique1 Cano-Chervel Julie2 Huet Kathy1
Harmegnies Bernard1
Piccaluga Myriam1
(1) Laboratoire de Phonétique, Institut de Recherche en Sciences et Technologies du Langage, UMONS,
Belgique
(2) Hôpital Universitaire Des Enfants Reine Fabiola, Bruxelles
[email protected]
RESUME ________________________________________________________________________
Cette étude investigue les capacités d’apprentissage phonétique chez des personnes âgées
francophones, afin de fournir la ligne de base nécessaire à des comparaisons ultérieures avec
des sujets âgés atteints de troubles de la parole. 9 hommes et 9 femmes (55-80 ans) dont la
langue maternelle est le français ont été soumis à diverses tâches de production (répétition
« la plus fidèle possible ») et de perception (discrimination AX), de pseudo-mots CV dont le
VOT varie entre 20ms (typique du français) et 100 ms (VOT extra-long). En moyenne, les
performances en discrimination sont modérées mais s'améliorent au fil du temps, avec une
importante variabilité inter-individuelle. L'analyse statistique des mesures de VOT montre que
les VOT des reproductions sont positivement corrélés aux VOT des stimuli, et que les
performances sont significativement meilleures après vs. avant la tâche de reproduction.
L'interaction significative entre les variables "Sujet" et "Tâche" est discutée ici, notamment
dans le cadre plus général du débat sur la flexibilité à l'âge adulte des mécanismes cognitifs
impliqués dans la production et la perception de la parole.
ABSTRACT _______________________________________________________________________
Phonetic learning abilities in ageing francophone speakers
This study investigates phonetic learning abilities in ageing francophone speakers, in order to
provide a baseline for further comparisons with ageing speakers affected by speech disorders.
9 male and 9 female Belgian French speakers aged 55-80 were submitted to a number of
production ("as faithfull as possible" reproduction) and perception (AX discrimination) tasks
involving CV pseudo-words of 20-ms (French typical) to 100-ms (extra-long) VOT. Overall,
discrimination performances are moderate, exhibiting large inter-individual variability and
general improvement over time. The statistical analysis of VOT measures reveals that overall,
response VOT positively correlates with stimulus VOT and that performances are significantly
better after vs. before the reproduction task. The significant interaction between Speaker and
Task is discussed here, particularly in the context of the debate on the flexibility in adult life of
the cognitive mechanisms involved in speech production and perception.
MOTS-CLES : Apprentissage phonétique, vieillissement cognitif, VOT, lien productionperception.
KEYWORDS: phonetic learning, cognitive ageing, VOT, production-perception link.
1
Introduction
Cette étude s'inscrit dans un projet de recherche de phonétique clinique visant à investiguer
les capacités d'apprentissage phonétique chez les patients francophones ayant subi un accident
vasculaire cérébral et/ou atteints de maladies dégénératives. L'objectif général du projet est
d'utiliser le paradigme d'apprentissage phonétique afin de compléter le diagnostic sur ces
pathologies, et ainsi de contribuer, à terme, au développement d'instruments de mesure de
qualité basés sur la parole et applicables au sujet francophone pathologique. Même si les
pathologies visées ne sont pas directement liées au vieillissement, dans les faits, leur
prévalence chez les personnes âgées est nettement supérieure à celle de la population
générale.
L'étude présentée ici investigue les capacités de la population âgée 'tout-venant' à maîtriser
des variantes phonétiques non familières en langue maternelle (ici: une occlusive initiale non
voisée avec un VOT long pour des sujets francophones), afin de fournir la référence nécessaire
à des comparaisons ultérieures avec des sujets pathologiques. Cette étude s'inscrit donc dans
le cadre plus large du débat sur la flexibilité, à l'âge adulte, des mécanismes cognitifs liés à la
production et à la perception de la parole, et sur leur déclin potentiel lors du vieillissement.
En langue maternelle, on s'accorde généralement sur le fait que pour des tâches "simples" (qui
incluent des syllabes, des pseudo-mots ou des mots présentés un à la fois, à une intensité
typique ou supérieure à celle d'une conversation quotidienne), les sujets âgés ne présentent
pas de déficit de compréhension de la parole par rapport à une population plus jeune lorsque
l'on contrôle les capacités auditives périphériques (Gordon-Salant S., 2005; Humes, 2008). Par
contre, dans des conditions d'écoute dégradées (adjonction de bruit, parole accélérée, écoute
dichotique), ou lorsque la tâche est plus complexe (p.ex. identification de mots dans des
phrases), un effet de l'avancement en âge est observé, en interaction ou non avec les capacités
auditives périphériques (Gordon-Salant, 2005; George et al., 2007). L'effet de l'âge est
attribué à une dégradation de mécanismes dit "de haut niveau", liés au système auditif central
et/ou à des fonctions cognitives globales telles que la mémoire de travail et l'attention
sélective (Salthouse, 2010; Humes et al., 2012), p.ex. la capacité à intégrer de l'information
partielle de provenances diverses (Krull et al., 2013). Dans le cas du VOT, Gordon-Salant et
collègues (2008) ont montré que les auditeurs anglophones âgés ont besoin d'un VOT plus
long que leurs homologues jeunes pour identifier comme pie un mot ambigu sur un
continuum buy/pie en contexte de phrase, mais pas en isolation.
En ce qui concerne la production de la parole en langue maternelle, on a constaté de
nombreuses modifications chez les sujets âgés par rapport à la population générale:
altérations de la voix (modifications de la F0, instabilités de la F0 et/ou de l'amplitude
résultant en une augmentation des tremblements, du souffle dans la voix, de l'enrouement)
(Linville, 2001); altérations des formants vocaliques (diminution généralisée liée à des
changements physiologiques structurels, voire centralisation due à une réduction de la
précision articulatoire); altérations prosodiques, notamment un ralentissement général de la
vitesse d'articulation et du débit de parole (Zelnner Keller, 2006); variabilité plus importante
dans la cinématique articulatoire traduisant une altération du contrôle moteur (Kent & Rosen,
2007); erreurs phonologiques (MacKay & James, 2004); etc..
Malgré le nombre considérable d'études rapportant les résultats d'un entraînement phonétique
en perception (voire, plus rarement, en production) de la parole dans le cadre de
l'apprentissage d'une langue seconde, il n'existe à notre connaissance que très peu d'études
investiguant les performances de sujets âgés à de telles tâches (Tajima et al., 2002; Kubo et
al., 2012). Les quelques résultats disponibles suggèrent que des sujets adultes ayant entre 60
et 70 ans sont capables d'apprendre de nouvelles catégories phonétiques, même si leurs
performances sont inférieures à celles d'adultes plus jeunes, peut-être parce qu'ils recourent
davantage aux stratégies efficaces en langue maternelle (Kubo et al., 2012).
Dans l'étude présentée ici, nous utilisons un paradigme adapté de précédents travaux visant
initialement à entraîner de jeunes adultes francophones afin qu'ils acquièrent une nouvelle
variante phonétique, non familière en langue maternelle, à savoir une occlusive initiale non
voisée avec un VOT long [th], typique de l'anglais (Piccaluga et al., 2011; Delvaux et al.,
2013). Le paradigme inclut des tâches de perception et de production de la parole (détaillées
ci-dessous), dont les modalités de réponse ont été légèrement adaptées afin d'être accessibles
aux caractéristiques culturelles du public âgé (p.ex. la réponse "même" ou "différent" à la tâche
de discrimination est simplement énoncée oralement et non pas encodée directement par le
participant via une interface logicielle).
2
2.1
Matériel et méthode
Stimuli
Les stimuli sont 5 pseudo-mots de forme C[t]V[a], où le VOT est respectivement de 20, 40, 60,
80 et 100ms (toutes les autres propriétés étant strictement invariantes). Ces 5 stimuli ont été
construits à partir d’un pseudo-mot [tha] produit en parole naturelle par une locutrice
anglophone, qui se composait d’un burst de 20ms, suivi d’une "aspiration" de 20ms (soit d’un
VOT, défini comme le délai entre l’attaque du burst et le début de l’oscillation glottique, de
40ms), et enfin d’une voyelle de 210ms. De cette production naturelle, le burst et la voyelle
ont été conservés dans tous les stimuli. Seule a été manipulée la durée de l’aspiration, qui
varie selon les stimuli entre 0 et 80ms, par pas de 20ms.
2.2
Paradigme expérimental
Le paradigme expérimental a été administré en deux jours consécutifs, à heure fixe. Il est
constitué des étapes suivantes:
Le premier jour: 1° Questionnaire de biographie linguistique; 2° Production de la "cible" de
l'apprentissage: répétition 'la plus fidèle possible' du stimulus VOT60 (5 répétitions); 3°
Perception: discrimination AX de 40 paires de stimuli (Intervalle inter-stimuli (ISI): 1000ms)
(VOT20-20; VOT40-40; VOT60-60; VOT80-80; VOT100-100; VOT20-60; VOT60-20; VOT 4080; VOT80-40; VOT60-100; VOT 100-60): 5 blocs où 8 paires de stimuli sont présentées en
ordre aléatoire, soient les 6 paires de stimuli différents ainsi que 2 paires de stimuli
identiques); 4° Production: répétition du stimulus VOT60 (5 répétitions) (idem qu’à l’étape
2°); 5° (Re)production: répétition ‘la plus fidèle possible’ des stimuli présentés un par un, soit
en ordre ‘montant’: VOT20, 40, 60, 80, 100, soit en ordre aléatoire (4 blocs en ordre montant;
pause; 4 blocs en ordre aléatoire); afin de limiter la fatigue cognitive, une pause est introduite
tous les 10 stimuli (tâche distractrice brève: commentaire libre d'images); 6° Production:
répétition du stimulus VOT60 (5 répétitions) (idem qu’à l’étape 2°).
Le deuxième jour: 7° Anamnèse médicale; 8° ‘Calibration’: production des mots du français
(via la dénomination d’images): pas, tas, k (5 répétitions; présentation en ordre aléatoire); 9°
Audiométrie tonale en conduction aérienne.
Ce paradigme expérimental permet de récolter de l'information quant aux antécédents
linguistiques (1°) et médicaux (7°) des participants, ainsi que de documenter leurs capacités
auditives (9°). Il permet également d'évaluer la capacité des participants à produire des VOT
typiques de leur L1 (8°), à produire des VOT typiques d’une L2 avant expérimentation (2°), à
discriminer entre des stimuli dont les valeurs de VOT sont, dans leur majorité, non familières
en L1 (3°), à produire des VOT typiques d’une L2 après ‘entraînement’ perceptuel uniquement
(4°), à reproduire des VOT non familiers juste après écoute du modèle, en comparant les
performances selon que l’ordre de présentation favorise ou non un effet cumulatif (ordre
montant vs. aléatoire) (5°), enfin à produire des VOT typiques d’une L2 après un
‘entraînement’ en perception et en production (6°). La phase 8° a été planifiée le deuxième
jour car il a été remarqué au cours d'une étude pilote antérieure que le paradigme de
dénomination lexicale en L1 pouvait avoir un effet perturbateur sur la tâche de discrimination
(Delvaux et al., 2014).
2.3
Participants
Les participants sont 18 francophones (ayant le français pour seule langue maternelle), 9
hommes et 9 femmes, âgés de 55 à 80 ans au moment de l'expérience.
F3
F6
F7
F8
F9
F10
F11
F12
F13
H1
H2
H3
H4
H5
H6
H7
H8
H9
M/F
Age
Origine
F
F
F
F
F
F
F
F
F
M
M
M
M
M
M
M
M
M
80
78
72
55
65
68
69
65
65
75
64
80
69
62
62
68
73
60
Bruxelles
Paris
Mons
Aix-en-Provence
Aix-en-Provence
Mons
Mons
Paris
Mons
Mons
Luxembourg
Paris
Aix-en-Provence
Aix-en-Provence
Mons
Paris
Mons
Mons
Expertise
musicale
non
non
non
non
oui
oui
oui
oui
oui
oui
non
oui
oui
oui
oui
non
non
non
Classification
audiométrique
Surdité légère
Audition normale
Surdité moyenne 1er degré
Audition normale
Audition normale
Surdité légère
Audition normale
Audition normale
Audition normale
Surdité légère
Audition normale
Surdité légère
Surdité moyenne 1er degré
Audition normale
Audition normale
Surdité légère
Audition normale
Audition normale
Perte
Auditive
30,80%
5,90%
33,30%
0,45%
1,00%
13,70%
1,00%
2,60%
1,20%
32,90%
0,80%
10,10%
34,00%
5,00%
0,50%
15,50%
11,00%
3,90%
TABLEAU 1. Résumé des caractéristiques des 18 sujets.
Les critères d'exclusion consistaient en tout antécédent rapporté de trouble du langage, ou
plus généralement d'atteinte neurologique, de trauma crânien ou de maladie dégénérative.
Quatre sujets ayant initialement pris part à l'expérimentation ont également été exclus sur la
base des résultats obtenus à l'audiométrie tonale aérienne (presbyacousie non diagnostiquée:
perte auditive moyenne supérieure à 35%). Nous avons conservé dans l'étude 5 sujets qui,
selon la classification audiométrique, sont atteints de surdité légère, ainsi que 2 autres qui
sont atteints de surdité moyenne du 1er degré, afin de tester l'hypothèse selon laquelle une
déficience auditive légère à modérée peut influencer négativement les performances aux
tâches de perception et de production. Le tableau 1 résume les principales caractéristiques des
18 sujets (genre, âge, origine géographique, expertise musicale, perte auditive mesurée et
classification audiométrique associée: BIAP, 1997).
2.4
Mesures
Afin d’évaluer les performances des sujets en production de la parole (étapes 2°, 4°, 5°, 6°, 8°
du paradigme), le VOT a été mesuré manuellement (en ms) sur l’oscillograme entre le début
du burst et le début du voisement, défini comme le passage par zéro précédant le premier
cycle glottique. Les performances en perception (étape 3° du paradigme) ont été évaluées via
le calcul de la proportion de réponses correctes (tant ‘même’ que ‘différent’) au test de
discrimination.
3
3.1
Résultats
Discrimination
Les figures 1 et 2 illustrent les résultats obtenus lors de la tâche de discrimination AX, tous
sujets confondus. La figure 1 donne le score moyen (proportion moyenne de réponses exactes:
"même" quand les 2 stimuli de la paire sont identiques, "différent" lorsqu'ils sont différents)
obtenu en fonction du temps (40 paires présentées). Elle rend compte du fait que, lorsque l'on
considère les 18 sujets comme un seul groupe, les performances sont globalement modérées,
mais qu'elles s'améliorent au cours du temps (variabilité de paire à paire plus faible, score
moyen plus élevé).
FIGURE 1. Discrimination. Evolution de la
proportion de réponses correctes au cours du
temps (18 sujets confondus).
FIGURE 2. Discrimination. Proportion de
réponses correctes en fonction du type de
paire (18 sujets confondus).
La figure 2 détaille les scores moyens obtenus en fonction du type de paire à discriminer et du
VOT (moyen) des stimuli concernés, en affichant les intervalles de confiance (95%) calculés
autour de la moyenne générale (tous sujets confondus). On constate que les performances
sont globalement meilleures pour les paires de stimuli identiques, et ce d'autant plus que leur
VOT est très faible (paires VOT20-VOT20) ou très élevé (paires VOT100-VOT100). Les
performances sont plus modérées pour les paires de stimuli différents (et avoisinent en
moyenne le niveau du hasard: .5), ce qui indique que la détection de différences de VOT de
40ms était globalement une tâche difficile pour les 18 participants âgés. La présentation d'un
stimulus court avant un stimulus plus long peut favoriser la détection (par rapport à une
présentation long/court), en particulier dans le cas de la paire VOT60-VOT100.
Au-delà des performances globales du groupe de participants, il est utile de s'intéresser aux
performances individuelles, en lien avec les caractéristiques des individus concernés. La figure
3 donne le score moyen obtenu par chacun des 18 participants, calculé ici uniquement à partir
des réponses données aux stimuli différents afin d'éviter de surestimer les performances des
sujets qui ont répondu "même" à toutes les paires présentées ou presque. Le calcul du d', qui
permet de neutraliser ce type d'effet, n'est pas approprié ici étant donné le nombre réduit de
réponses pour chaque paire (5). À l'examen de la figure 3, on constate une importante
variabilité inter-individuelle dans les performances en discrimination.
Une analyse de variance (UNIANOVA) a été réalisée avec comme variable dépendante le score
obtenu (aux paires de stimuli différents) et comme variables indépendantes le genre du sujet
(9 hommes; 9 femmes), le groupe d'âge auquel il appartient (55-64 ans: 5 sujets; 65-74 ans: 9
sujets; 75 ans et +: 4 sujets) ainsi que son niveau d'audition (audition normale: 11 sujets;
surdité légère: 5 sujets; surdité moyenne du 1er degré: 2 sujets). En ce qui concerne les effets
principaux1, l'analyse révèle qu'il n'y a pas d'effet significatif du genre (F1,535=0,05; p=0,822)
sur la performance, alors qu'il y a un effet du groupe d'âge (F2,535=12,931; p<0,001) et du
niveau d'audition (F2,535=42,305; p<0,001). Des tests Post Hoc (Tukey) révèlent par ailleurs
que les performances sont significativement meilleures pour les sujets âgés de 55 à 64 ans,
mais qu'elles ne diffèrent pas entre les 2 autres groupes d'âge, et que les performances sont
significativement plus médiocres pour les sujets présentant une surdité moyenne du 1er degré
(F7,H4, voir Figure 3), alors qu'elles sont équivalentes pour les sujets ayant une audition
normale ou une surdité légère.
FIGURE 3. Discrimination. Score moyen
(proportion de réponses correctes aux paires
de stimuli différents) en fonction du sujet
3.2
FIGURE 4. Production. VOT produit (ms)
en fonction de la tâche et du VOT entendu
(tous sujets confondus)
Production
Si l'on examine les performances globales (tous sujets confondus) aux diverses tâches de
production de la parole impliquées dans le paradigme expérimental, il apparait que les 18
sujets âgés sont parvenus à accomplir les tâches demandées avec un certain succès. La figure 4
donne les intervalles de confiance (95%) calculés autour de la moyenne générale des VOT
produits en fonction de la tâche demandée (18 sujets). Elle illustre le fait que les VOT produits
en réponse aux stimuli proposés sont nettement plus élevés que les VOT mesurés lors de la
tâche de calibration (8°), qui avait pour objectif d'établir la ligne de base des productions en
langue maternelle (en l'occurence, la moyenne des VOT produits lors de la tâche de
dénomination en français est de 28ms). Les moyennes des VOT produits lors de la tâche
principale de (re)production (4°) augmentent à mesure que le VOT entendu augmente, même
si l'on constate une réduction de l'empan des (moyennes des) VOT produits par rapport aux
VOT entendus (moyennes s'étalant de 41ms à 77ms vs. 20ms à 100ms).
Une analyse de variance UNIANOVA a été effectuée avec pour variables indépendantes la
1
L'analyse révèle également des effets d'interaction que nous n'analysons pas ici étant donné le déséquilibre des
effectifs, les sous-groupes de participant ayant été constitués a posteriori.
tâche (5 niveaux: calibration; répétition 1 (2°); répétition 2 (4°); reproduction (5°); répétition
3 (6°)) et le sujet (18 niveaux), et pour variable dépendante le VOT produit (dans le cas de la
tâche de reproduction on ne considère ici que les VOT produits en réponse aux stimuli
VOT60). L'analyse statistique indique que la tâche, le sujet, ainsi que l'interaction entre la
tâche et le sujet induisent des variations significatives de VOT produit. De plus, les tests Post
Hoc (Tukey) sur la variable "tâche" révèle l'existence de 4 sous-ensembles: (1) calibration
(Moyenne: 27ms); (2) répétition 1 (54ms) et répétition 2 (58ms); (3) répétition 2 (58ms) et
production (63ms); (4) répétition 3 (70ms). On peut en conclure que: (i) les VOT produits en
réponse aux stimuli VOT60 sont significativement différents des VOT produits en langue
maternelle, et ce dès avant l'entraînement; (ii) qu'il n'y a pas de différence significative dans
les performances en production après l'entraînement perceptuel via la tâche de discrimination
(survenant entre la répétition 1 et la répétition 2); (iii) que lors de l'entraînement en
production les VOT produits en réponse aux VOT60 sont significativement plus longs qu'au
début de l'expérimentation, avant l'entraînement perceptuel; (iv) qu'en fin d'expérimentation,
après entraînement en perception et en production, les VOT produits en réponse aux VOT60
sont significativement plus longs que lors de toutes les étapes antérieures.
L'interaction significative entre les variables "sujet" et "tâche" est illustrée dans la figure 5 pour
les 9 sujets masculins. Comme on le constate à l'examen de la figure, les profils de réponse
sont très variés d'un individu à l'autre.
FIGURE 5. Production. VOT produit (ms) en fonction de la tâche (L1: calibration (1°); Rep1:
répétition 1 (2°); Rep2: répétition 2 (4°); Prod: reproduction (5°); Rep3: répétition 3 (6°)) et
du VOT entendu pour les 9 sujets masculins.
Une analyse statistique complémentaire (UNIANOVA) a été réalisée avec comme variable
dépendante le VOT produit (en réponse aux VOT60) et commes variables indépendantes la
tâche, le genre du sujet, son niveau d'audition et son groupe d'âge. L'analyse a révélé un grand
nombre d'effets significatifs des principaux facteurs, seuls (tâche: F4,627=47,059; p<0,001;
genre: F1,627=4,049; p<0,05; niveau d'audition: F2,627=62,402; p<0,001; groupe d'âge:
F2,627=14,283; p<0,001) et en interaction. Néanmoins, les données sont difficiles à
interpréter, dans la mesure où les performances (VOT produit par rapport au VOT entendu de
60ms) n'évoluent pas de façon ordinale par rapport aux différents niveaux des variables
indépendantes. Ainsi, les tests Post Hoc (Tukey) réalisés montrent que le VOT est
significativement plus court pour les 5 sujets atteints de surdité légère, que pour le groupe
formé tant par les 11 sujets présentant une audition normale que par les 2 sujets atteints de
surdité moyenne. De même, le VOT est significativement plus élevé chez les 65-74 ans qu'il ne
l'est chez les plus jeunes (55-64ans) ou chez les plus âgés (75 ans et +).
Etant donné l'effectif réduit dans chacun des sous-groupes ici considérés, chaque individu
représente une combinaison particulière des différents niveaux de variables telles que l'âge, le
genre ou le niveau d'audition. Nous proposons dès lors ci-dessous une analyse exploratoire des
performances en production des 9 sujets masculins en lien avec les caractéristiques des
individus et nos observations quant à leurs performances en discrimination.
Tout d'abord, un seul sujet (H5) ne manifeste aucune sensibilité, dans ses productions, aux
variations de VOT dans les stimuli. H9 reste également cantonné à de faibles valeurs de VOT,
mais semble néanmoins bénéficier de l'entraînement en production. Il est à noter que H5 est
dans le tiers supérieur en ce qui concerne les performances en discrimination. Sa capacité à
détecter des différences de VOT ne se traduit manifestement pas dans une aptitude à produire
ensuite des VOT longs. Inversement, H2 est celui qui s'acquitte de la tâche de reproduction
avec le plus de succès alors que ses performances préalables en discrimination sont très
modérées. De façon générale, plusieurs sujets masculins présentent une tendance à
"l'overshoot", c'est-à-dire qu'ils produisent des VOT beaucoup plus longs qu'attendus (H1, H6,
H8). On peut considérer qu'ils ont dès lors détecté la nature du changement attendu par
rapport à leur langue maternelle (allonger le VOT), mais qu'ils ne réussissent pas, soit à
détecter les différents niveaux de VOT long, soit à ajuster finement leurs réalisations motrices
à ces différentes cibles. H3, quant à lui, corrige sa tendance à l'overshoot (répétition 1,
répétition 2) après un entraînement très réussi en production. Enfin, la figure 5 suggère que
H4 (pourtant atteint de surdité moyenne et ne démontrant aucune aptitude à la
discrimination) et H7 sont dans une certaine mesure sensibles aux variations de VOT des
stimuli en production, et qu'un entraînement plus long leur aurait peut-être été profitable.
4
Conclusion
L'étude présentée ici investigue les capacités de sujets francophones âgés à produire et à
percevoir l'occlusive initiale non voisée à VOT long [th]. Les performances lors de la tâche de
discrimination sont globalement modérées mais s'améliorent au cours du temps, ce qui
suggère qu'une expérimentation plus longue, avec un plus grand nombre de paires, aurait
permis d'améliorer le niveau général des performances. Les résultats indiquent un effet lié au
vieillissement (qui se manifeste principalement après 65 ans), ce qui confirme la nécessité
d'établir des normes spécifiques pour les sujets âgés. Par ailleurs, le seuil à viser, si l'on veut
éviter un effet parasite des capacités auditives sur les performances en discrimination, se situe
à la frontière entre surdité légère et surdité moyenne du 1er degré.
Les résultats obtenus en production de la parole confirment que la tâche préalable de
discrimination n'a pas permis, à elle seule, d'améliorer significativement la production de [t] à
VOT long. Par contre, l'entraînement en production s'est avéré efficace pour une majorité de
locuteurs. Malgré de grandes différences inter-individuelles, les sujets âgés francophones sont
globalement efficients lorsqu'on leur demande de reproduire des stimuli dont les VOT varient
entre 20 et 100ms. Pendant cet entraînement, et plus encore, immédiatement après, les
participants produisent des VOT longs, significativement différents de ceux qu'ils réalisent
dans leur langue maternelle, le français. Bien que le vieillissement induise de nombreuses
modifications structurelles et fonctionnelles des différents sous-systèmes, périphériques et
centraux, impliqués dans la production et la perception de la parole, l'étude présentée ici
confirme dès lors que les sujets âgés sont capables d'apprentissage phonétique (Kubo et al.,
2012). Une analyse exploratoire de nos données démontre l'utilité d'investiguer plus avant, au
cours d'études ultérieures, les liens entre performances individuelles en discrimination et en
production, ainsi que les effets sur la production de facteurs tels que le groupe d'âge et le
niveau d'audition.
Cette recherche a été partiellement subventionnée par l'Action de Recherche Concertée
(AUWB-2012- 12/17-UMONS- N°1).
Références
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