96 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXIX - no 3 - mai-juin 2014
Points forts
L’allogreffe de cellules
souches permet-elle d’obtenir
l’éradication ?
Une des questions importantes concernant le
patient de Berlin a été et reste de déterminer les
rôles respectifs, dans le processus d’éradication,
du greffon CCR5Δ32 et du traitement utilisé dans
le cadre de la greffe. Des allogreffes de cellules
souches ont été pratiquées chez les patients infectés
par le VIH bien avant la description du cas du patient
de Berlin (3). Si les premières études, effectuées
dans les années 1980, visaient essentiellement à
analyser la faisabilité de celles-ci chez les patients
atteints du VIH, ce n’est que plus tard que l’impact
de ce type de stratégie sur le virus lui-même a été
étudié. Jusqu’à l’an dernier, peu d’observations,
parmi la soixantaine de cas décrits, permettaient
d’évoquer un possible effet des allogreffes de moelle
et des thérapeutiques associées sur le contrôle de
la réplication virale (3). Une analyse plus fi ne du
réservoir viral circulant a été effectuée récemment,
chez 2 patients VIH allogreffés appelés “patients de
Boston” (tableau I) [4]. Contrairement au patient de
Berlin, ces sujets ont reçu une allogreffe de moelle
venant de donneurs non porteurs de la mutation
CCR5Δ32, ce type de greffon étant extrêmement
rare (1). Une réaction du greffon contre l’hôte a
été observée chez ces 2 patients, chez lesquels a
également été mise en évidence une diminution des
taux d’anticorps anti-VIH. L’absence de détection,
par différentes techniques, de la persistance d’un
réservoir viral sanguin, malgré une analyse effec-
tuée sur un très grand nombre de cellules chez les
2 patients (ainsi que dans le tube digestif, pour
l’un d’entre eux) et l’existence d’un chimérisme
complet ont conduit à proposer une interruption
thérapeutique. Celle-ci s’est accompagnée d’un
rebond de la charge virale, avec un tableau de
primo-infection survenu entre 3 et 7 mois après
l’arrêt du traitement (5). Les différences entre les
régimes thérapeutiques (tableau I) pourraient expli-
quer les différences d’impact sur le réservoir viral
entre le patient de Berlin et les patients de Boston ;
c’est toutefois l’utilisation d’un greffon provenant
d’un donneur CCR5Δ32 qui est retenue comme
principal facteur expliquant l’évolution favorable
dans le cas du patient de Berlin.
L’inactivation de CCR5 :
un outil pour l’éradication ?
La disponibilité de donneurs CCR5Δ32 représentant
un facteur limitant, plusieurs équipes se sont intéres-
sées à l’utilisation de techniques permettant d’inac-
tiver l’expression de CCR5, telles que les nucléases de
type Zinc Finger (ZF). Les résultats les plus promet-
teurs ont été apportés par un modèle de souris NSG
dont le gène CCR5 avait été inactivé dans les précur-
seurs CD34+ (6). Dans ce modèle où l’inactivation est
effectuée avant l’infection, les lymphocytes T CD4+
CCR5− issus des précurseurs modifi és sont rapide-
ment sélectionnés après infection des souris avec une
souche virale VIH de tropisme CCR5. Chez ces souris,
la greffe de cellules CD34+ modifi ées permet ainsi un
contrôle de l’infection dans le sang mais aussi dans
les tissus. Les résultats d’un essai de phase I/II de
réinjection de lymphocytes T CD4 rendus défi cients
en CCR5 par l’utilisation de ZF ont été récemment
rapportés (7). Cet essai concernait 12 patients traités
en phase chronique. La perfusion de lymphocytes
modifi és s’est accompagnée d’une augmentation des
lymphocytes circulants, dont environ 14 % étaient
effectivement CCR5−. Le traitement antirétroviral a
été arrêté chez 4 patients. Cet arrêt s’est accompagné
d’un contrôle de la réplication virale chez 1 seul des
4 patients. Si la stratégie a été considérée comme
sûre, son effi cacité réelle reste à démontrer. D’autres
stratégies de thérapie génique sont en cours d’étude ;
elles visent notamment à inactiver CXCR4 et CCR5
ou à exciser le virus intégré. Pour l’heure, nous ne
disposons que de résultats très préliminaires.
Quelle est l’effi cacité actuelle
des traitements modifi ant
la latence ?
Du fait de la complexité des stratégies décrites, les
recherches se sont davantage orientées vers l’uti-
lisation de molécules susceptibles de modifi er la
»
Le seul cas d’éradication du VIH chez un individu est celui d’un patient ayant subi une allogreffe de
moelle provenant d’un donneur CCR5Δ32. Les tentatives d’allogreffe de greffons non mutés se sont
soldées par des échecs.
»
De nombreux médicaments modificateurs de la latence du virus sont en cours d’évaluation, notamment
dans des stratégies où ils sont associés à des vaccins thérapeutiques.
»
Les modalités utilisées pour quantifier le réservoir viral semblent actuellement insuffisantes pour juger
de l’éradication du virus chez un individu.
»
Si l’éradication virale reste un objectif difficile à atteindre à court terme, différentes observations
suggèrent que la prise en charge très précoce de l’infection permet d’obtenir un contrôle de l’infection
sans traitement.
Mots-clés
VIH
CCR5
Éradication
Patient de Berlin
Vaccin
Highlights
»
More than 30 years after
the discovery of HIV, a way to
cure this infection has yet to
be found. Only 1 case of HIV
eradication has been reported
so far in a patient, after allo-
geneic hematopoietic stem
cell transplant (HST) from a
homozygous CCR5Δ32 donor.
Results obtained with HST
from CCR5 wild type donors
have been disappointing.
While gene therapy approaches
may represent a main tool to
cure HIV-1 infection, several
concerns, namely the toxicity
of conditioning required, and
the cost of the procedures,
are clear impediments for
their development. Therefore,
strategies using molecules
(HDAC inhibitors, IL-7) that
may induce the expression of
the latent integrated virus have
been developed. However, they
are unable to effi ciently clear
all latently infected cells and
need to be associated with
strategies that aim to stimulate
HIV-specifi c immune response,
namely vaccination. Finally,
now described in different clin-
ical settings, a functional cure
may appear a more conceivable
goal in a near future.
Keywords
HIV
CCR5
Cure
Berlin Patient
Vaccine