Équation neuromusculaire : neuropathie + leucoencéphalopathie = ? IMAGE COMMENTÉE

28 | La Lettre du Neurologue Nerf & Muscle • Vol. XV - n° 1 - janvier 2011
IMAGE COMMENTÉE
Équation neuromusculaire :
neuropathie +
leucoencéphalopathie = ?
T. Maisonobe*, F. Sedel**
Observation
Un patient, d’origine polonaise, consulte en neuro-
logie pour la première fois à l’âge de 60 ans. Il n’a
pas de maladie connue. On note cependant une sœur
décédée à 63 ans après un tableau étiqueté “atrophie
multisystématisée”, et une épilepsie généralisée chez
sa fille et sa petite-fille. Ses premiers symptômes
débutent seulement à l’âge de 46 ans avec des
troubles vésico-sphinctériens qui vont être explorés
mais sans diagnostic précis. On parle de dysautonomie
vésicale. En 2004, à 54 ans, apparaissent des troubles
de la marche avec une ataxie cérébelleuse lentement
progressive. Le premier bilan neurologique est réalisé
en 2005. On observe à l’examen clinique un patient
jovial, anosognosique, avec une marche instable, un
syndrome cérébelleux statique, une hypoesthésie
en chaussettes au tact et à la piqûre sans douleur,
l’absence de déficit moteur, des réflexes diminués ou
abolis mais un signe de Babinski bilatéral. Un électro-
neuromyogramme (ENMG) est réalisé. Il confirme
une polyneuropathie axonale sensitivo-motrice sévère
prédominante aux membres inférieurs (tableau I). L’IRM
cérébrale met en évidence une leucoencéphalopathie
touchant la substance blanche périventriculaire
postérieure, les fibres en U, les pôles temporaux et
la substance blanche sous-corticale. Il est également
noté une atrophie importante de la fosse postérieure
et des hypersignaux des faisceaux cortico-spinaux au
niveau du tronc cérébral (figure 1). Le reste du bilan est
négatif ou normal, en particulier la ponction lombaire
ainsi que de nombreux dosages métaboliques. L’état
du patient va s’aggraver progressivement avec une
marche avec 2 cannes, 4 à 5 autosondages par jour.
Les troubles cognitifs – et en particulier les troubles
mnésiques – s’aggravent également, conduisant son
entourage à de nouvelles consultations. Le patient
reste relativement anosognosique. Un nouveau bilan
est réalisé en 2009 avec une nouvelle IRM qui met
en évidence – en plus des lésions précédemment
décrites –, un doute sur des infarctus sylviens centi-
métriques bilatéraux, mais le bilan vasculaire réalisé est
normal. Un nouvel ENMG est réalisé : la neuropathie
s’est également nettement aggravée, avec certaines
valeurs limites démyélinisantes sur la conduction
motrice aux membres supérieurs (tableau II). Un
nouveau bilan métabolique est réalisé et s’avère
négatif. Cependant, sur les aspects IRM et la clinique,
il est évoqué une maladie à dépôts polyglucosans
de l’adulte. Une biopsie cutanée au niveau du creux
axillaire est réalisée. Elle met en évidence au niveau
des glandes sudoripares des corps PAS+ arrondis très
Tableau I. ENMG en 2005.
Conduction motrice
Nerfs Segment LD
(ms)
Amplitude distale
(mV)
VCM
(m/s)
Ondes F
(ms)
SPE droit Pédieux NO
SPE droit Jambier antérieur 3,6 4,8 36
SPI droit NO
SPE gauche Pédieux NO
SPE gauche Jambier antérieur 4,3 4,2 35
SPI gauche NO
Médian gauche 4,8 8,5 43 32,8
Cubital gauche 3,6 4 61 31,8
Médian droit 4,9 5,9 47 31,7
Cubital droit 2,6 4,9 56 27,9
Conduction sensitive
Nerfs Amplitude (μv) Vitesse (m/s)
Musculo-cutané inférieur droit NO
Sural droit NO
Sural gauche NO
Musculo-cutané inférieur gauche NO
Médian droit index 531
Cubital droit 5e doigt 340
Radial droit 16 36
Radial gauche 440
Cubital gauche 5e doigt 440
Médian gauche index 329
Abréviations. LD : latence distale ; VCM : vitesse de conduction motrice ; SPE : sciatique poplité externe ;
SPI : sciatique poplité interne ; NO : non obtenu.
* Département de neuro-
physiologie clinique et
laboratoire de neuropa-
thologie, hôpital de la Pitié-
Salpêtrière, Paris.
** Département de neuro-
logie, centre de référence
pour les maladies lysoso-
males, unité fonctionnelle
neurométabolique bioclinique
et génétique, Inserm
UMRS 975, hôpital de la
Pitié- Salpêtrière, Paris.
IMAGES
Figure 1. IRM cérébrale :
leucoencéphalopathie
touchant la substance
blanche périventriculaire
postérieure, les fibres en U,
les pôles temporaux
et la substance blanche
sous-corticale.
Il est également noté
une atrophie importante
de la fosse postérieure
et des hypersignaux
des faisceaux cortico-spinaux
au niveau du tronc cérébral.
La Lettre du Neurologue Nerf & Muscle • Vol. XV - n° 1 - janvier 2011 | 29
IMAGE COMMENTÉE
Tableau II. ENMG en 2009.
Conduction motrice
Nerfs Segment LD
(ms)
Amplitude
distale (mV)
VCM
(m/s)
Ondes F
(ms)
SPE droit Pédieux NO
SPE droit Jambier antérieur 6,6 2,4 23
SPI droit NO
SPE gauche Pédieux NO
SPE gauche Jambier antérieur 5,2 4,8 23
SPI gauche NO
Médian droit 9,7 5,7 34 35,9
Cubital droit 6,1 2,2 44 38,3
Conduction sensitive
Nerfs Amplitude
(μv)
Vitesse
(m/s)
Sural droit NO
Sural gauche NO
Médian droit index NO
Médian droit paume NO
Radial droit 436
Cubital droit 5e doigt NO
IMAGES
Figure 2. Biopsie cutanée
profonde au niveau
du creux axillaire. Inclusion
en paraffine ; coloration
PAS. Nombreuses glandes
excrétoires
avec des corps ronds
anormaux PAS+ évocateurs
de corps polyglucosans
(× 270).
Figure 3. Biopsie cutanée
profonde au niveau
du creux axillaire.
Prélèvement congelé ;
coloration PAS.
Même image, à plus fort
grandissement (× 540).
30 | La Lettre du Neurologue Nerf & Muscle • Vol. XV - n° 1 - janvier 2011
IMAGE COMMENTÉE
La Lettre du Neurologue Nerf & Muscle • Vol. XV - n° 1 - janvier 2011 | 31
IMAGE COMMENTÉE
évocateurs de corps polyglucosans (figures 2 et 3).
Un déficit sévère en enzyme branchante du glycogène
(GBE) est confirmé ainsi que la mutation du gène
GBE1. On conclut donc à une glycogénose de type IV,
dans une forme adulte, de révélation tardive à corps
polyglucosans avec atteinte du système nerveux à la
fois central et périphérique.
Maladies à rechercher devant
une leucoencéphalopathie
associée à une neuropathie
périphérique
1. Xanthomatose cérébro-tendineuse : avec ou sans
xanthomes cliniques mis en évidence, neuropathie
axonale ou démyélinisante, dosage du cholestanol
plasmatique.
2. Déficit en cobalamine C : dosage de l’homocystéi-
némie, acide méthylmalonique.
3. Déficit en MTHFR : dosage de l’homocystéinémie,
acide méthylmalonique.
4. Leucodystrophie métachromatique : dosage de
l’arylsulfatase A leucocytaire.
5. Maladie de Krabbe : dosage de la galacto-cérébro-
sidase leucocytaire.
6. Maladie de Refsum, troubles de la biogenèse
peroxysomale et trouble du métabolisme de l’acide
pristanique : dosage de l’acide phytanique, de l’acide
pristanique et dosage des acides gras à très longues
chaînes.
7. Maladies mitochondriales : MNGIE (neuropathie
démyélinisante, dosage de la thymidine phospho-
rylase), déficit en complexe 1 et syndrome de Kearns-
Sayre (neuropathie axonale).
8. Maladie de Fabry : dosage alpha-galactosidase
leucocytaire.
9. Adrénomyéloneuropathie : dosage des acides gras
à très longues chaînes.
10. Maladie de l’adulte à corps polyglucosans : biopsie
cutanée creux axillaire, dosage de la GBE.
Discussion
L’association d’une neuropathie périphérique et
d’une leucoencéphalopathie doit faire rechercher
en priorité un trouble inné du métabolisme (1, 2),
même lorsque les premiers symptômes sont tardifs,
à l’âge adulte, comme c’est le cas dans notre obser-
vation. Les aspects IRM de la leucoencéphalopathie
sont évocateurs de certaines pathologies (2). Le type
de la neuropathie peut aussi orienter les recherches.
Mais on sait que des neuropathies démyélinisantes
ou axonales ont été décrites dans des xanthoma-
toses cérébro-tendineuses ou des maladies de
Refsum (1). La recherche doit donc être systéma-
tique. Notre observation illustre bien cet aspect,
car les atteintes périphériques dans les maladies
à corps polyglucosans ont d’abord été présentées
comme des atteintes du motoneurone périphérique
(type corne antérieure) [3], avant que l’on s’aper-
çoive de la présence de polyneuropathies axonales
sentivo-motrices plus classiques (4). Cette obser-
vation permet de noter, avec l’évolution, des valeurs
limites démyélinisantes. La notion d’aggravation et
d’évolutivité de la neuropathie est importante à noter
dans ce cas. Cet aspect différencie les neuropathies
métaboliques des autres neuropathies héréditaires,
souvent plus stables, en particulier sur le plan ENMG.
Le spectre clinique des glycogénoses de type IV est
très large, allant de la forme néonatale très grave avec
défaillance hépatique à des formes myopathiques
ou cardiomyopathiques plus tardives jusqu’à des
formes adultes de maladies à corps polyglucosans
ou, comme ici, multisystémiques. Les éléments
d’orientation sont, pour cette dernière forme :
l’origine juive ashkénase – mais qui nest pas systé-
matique (chez les patients non juifs ashkénases, le
dosage de la GBE peut d’ailleurs s’avérer normale),
l’âge de début (vers 40-60 ans), l’importance des
sphinctériens vésicaux (qui avaient ici inauguré
la maladie), et l’association d’une neuropathie
périphérique et d’une leucoencéphalopathie. Cette
dernière peut présenter des aspects évocateurs avec
une atteinte cortico-spinale sus et sous-tentorielle
avec hypersignal dans le tronc et atrophie (5). Une
atteinte cognitive avec démence et une paraparésie
spastique sont également souvent observées. Il s’agit
d’un diagnostic important à faire car, comme dans
d’autres maladies métaboliques, un traitement pourra
peut-être être proposé prochainement et permettra
d’empêcher l’évolutivité importante décrite dans
cette observation.
1. Sedel F, Barnerias C, Du-
bourg O et al. Peripheral neu-
ropathy and inborn errors of
metabolism in adults. J Inherit
Metab Dis 2007;30:642-53.
2. Sedel F, Tourbah A,
Fontaine B et al. Leuco-
encephalopathies associated
with and inborn errors of meta-
bolism in adults. J Inherit Metab
Dis 2008;31:295-307.
3. Cafferty MS, Lovelace RE,
Hays AP et al. Polyglucosan
body disease. Muscle Nerve
1991;14:102-7.
4. Nolte KW, Janecke AR, Vor-
gerd M et al. Congenital type IV
glycogenosis: the spectrum of
pleomorphic polyglucosan bo-
dies in muscle, nerve and spinal
cord with two novel mutations
in the GBE1 gene. Acta Neuro-
pathol 2008; 116:491-506.
5. Massa R, Bruno C, Martora-
na A et al. Adult polyglucosan
body disease: proton magnetic
resonance spectroscopy of the
brain and novel mutation in
the GBE1 gene. Muscle Nerve
2008;37:530-6.
Références
bibliographiques
1 / 4 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !