Actualités en Néphrotoxicité La toxicité rénale secondaire à l’administration d’un médicament est un évènement grave. Elle peut se présenter cliniquement de plusieurs façons, la plus classique étant l’insuffisance rénale aiguë (IRA), définie par les KDIGO comme une augmentation de la créatininémie de 26,5 µmol ou 1,5 fois le taux de base, ou par une oligurie inférieure à 0,5ml/kg/heure pendant plus de 6 heures (1). Elle survient principalement chez des patients ayant des facteurs de risque tel qu’une insuffisance rénale préexistante, un âge avancé, des troubles hydroélectrolitiques ou un cancer. L’utilisation combinée ou rapprochée dans le temps de plusieurs médicaments néphrotoxiques (antiinflammatoires non stéroïdiens, cisplatine, produits de contrastes iodés, etc…) est également un facteur de risque de néphrotoxicité (tableau 1). La connaissance des médicaments entraînant ces effets rénaux est la base d’une meilleure prévention et également d’une meilleure prise en charge des patients. Nous présentons ici quelques médicaments ayant fait l’objet de publications récentes à propos de leur néphrotoxicité. Tableau 1 : Facteurs de risques de néphrotoxicité (2) Facteurs liés au patient Facteurs liés au médicament – Âge > 65 ans, sexe féminin – Néphrotoxicité intrinsèque du médicament – Insuffisance rénale préexistante ou de ses métabolites – Maladies : diabètes, myélome, lupus, – Dose administrée cancer… – Durée du traitement, voie d’administration – Rétention hydrosodée : cirrhose, – Expositions répétées insuffisance cardiaque, syndrome Interactions médicamenteuses néphrotique. – Utilisation combinée ou rapprochée dans le – État de déshydratation, déplétion temps d’agents néphrotoxiques volémique – Compétition au niveau des transporteurs – Perturbations métaboliques : acidose, membranaires et accumulation de hypokaliémie, hypomagnésémie, médicaments au niveau tubulaire hypercalcémie… – Infection, choc septique – Transplantation rénale Le vémurafénib, indiqué dans le traitement du mélanome non résécable ou métastatique, a été mis sur le marché en 2011. Dans le Résumé des caractéristiques du produit (RCP), aucun effet indésirable rénal n’est mentionné excepté une étude d’efficacité et de tolérance non publiée effectuée chez 132 patients et ayant mis en évidence une pollakiurie et une protéinurie chez 1-10% des patients traités. Cependant, une dégradation de la fonction rénale parfois irréversible a récemment été rapportée chez plusieurs patients traités par vémurafénib, avec ou sans protéinurie. Une analyse retrospective menée chez 16 patients atteints de mélanome et présentant une insuffisance rénale préexistante de stade 3 et 4 a montré une baisse significative du débit de filtration glomérulaire (DFG) d’en moyenne 29 ml/min un mois après le début du traitement par vémurafénib chez 15 d’entre eux (93,7%). Chez 5 patients, cette dégradation s'accompagnait d'une protéinurie significative sans hypertension associée. Cette baisse a persisté durant 3 mois en moyenne et jusqu'à 8 mois (3). Quatre cas publiés rapportent également une dégradation de la fonction rénale, associée à un rash cutané sévère de grade 3, rapidement réversible à l’arrêt du traitement(4). Par ailleurs, une série de 8 cas colligés par le Service ICAR en collaboration avec les médecins nous les ayant rapportés a été publiée cet été (5). La baisse du DFG était de 20 à 74% par rapport au niveau de base, avec ou sans protéinurie. Une biopsie rénale a mis en évidence une nécrose tubulaire aiguë. Enfin, un syndrome de Fanconi sans altération du DFG sous vémurafénib a également été rapporté (6). Le mécanisme physiopathologique de la néphrotoxicité du vémurafénib reste inexpliqué. Plusieurs hypothèses ont été évoquées dont une origine immunoallergique (4) et une toxicité tubulaire liée à l’activité antiproliférative du vémurafénib (5,6). L’ipilimumab, anticorps monoclonal disposant d’une AMM pour le traitement du mélanome non résécable ou métastatique, a également fait l’objet d’une publication récente sur sa néphrotoxicité. Dans le RCP, les effets indésirables mentionnés sont de type immunoallergique, des cas de néphrites et d’IRA étant rapportés chez 0,1 à 1% des patients traités lors des essais cliniques. Dans la littérature, 7 cas de toxicité rénale ont été rapportés, 5 IRA, 1 néphrite et 1 syndrome néphrotique. Trois cas de néphrites interstitielles aiguës granulomateuses ont été mis en évidence par biopsie. Six patients ont récupéré complètement leur fonction rénale dans le mois qui a suivi l’arrêt du traitement et après corticothérapie, et nous ne disposons pas des données pour le dernier patient (7). Le dabigatran, anticoagulant oral direct peut entraîner des hémorragies du tractus urogénital dont une hématurie chez 0,1à 10% des patients selon l’indication. Le RCP ne mentionne pas d’autres effets rénaux. Cependant, un cas d’IRA a été rapporté chez un homme de 79 ans. Son DFG est passé de 69 à 27 ml/min/1,73m², après 6 semaines de traitement par dabigatran. Après 5 jours d'arrêt du dabigatran pour effectuer la biopsie rénale, les paramètres de coagulation n'ont pas été suffisamment modifiés pour envisager le geste. Le patient a donc été hémodialysé pour éliminer les concentrations résiduelles de dabigatran, mais également car sa fonction rénale continuait à se dégrader. La biopsie rénale a mis en évidence un athéroembolisme rénal probablement dû au dabigatran. Le dabigatran a été définitivement arrêté mais le patient n'a pas récupéré sa fonction rénale initiale et est resté hémodialysé (8). Pour le cobicistat, la rilpivirine et le dolutégravir, nouveaux antirétroviraux disponibles pour le traitement des infections à VIH, il ne s’agit pas d’une réelle néphrotoxicité mais leur utilisation est associée à une augmentation de la créatininémie par inhibition des transporteurs membranaires responsables de sa sécrétion tubulaire. Cette augmentation de la créatininémie induit une fausse diminution du DFG s’il est estimé par les formules basées sur la créatininémie. Le cobicistat, utilisé comme booster dans des associations d’antirétroviraux est associé à une augmentation de la créatininémie correspondant à une diminution du DFG estimé d’en moyenne 10 ml/min/1,73m² dans les 7 premiers jours de traitement (9). Une augmentation légère et régulière de la créatininémie, entre 5,69 et 9,07 μmol/L a été mise en évidence entre 2 et 4 semaines après l’instauration d’un traitement par rilpivirine (10), et entre 10,2 et 13,4 μmol/L pour le dolutegravir (11). Une mesure du DFG par méthode isotopique ou iohexol est alors recommandée. En pratique, ces mesures n’étant pas applicables en routine, un suivi régulier de la fonction rénale via l’estimation du DFG par les formules basées sur la créatininémie peut être effectué, en tenant compte de l’élévation de la créatininémie induite par le médicament au début du traitement. Un suivi de la fonction tubulaire par la recherche d’une protéinurie, d’une glucosurie normoglycémique, le suivi de la phosphatémie et de la phosphaturie doit également être mis en place car ces trois médicaments sont utilisés en association avec d’autres médicaments entraînant une réelle néphrotoxicité (12). Vous pouvez retrouver ces informations ainsi que des données relatives à la néphrotoxicité d’autres médicaments sur le SiteGPR®. Le 2 janvier 2015, Dr. Blandine Aloy (1)KDIGO. Kidney Int Suppl 2012. (2) Perazella MA. Clin J Am Soc Nephrol 2009. (3) Uthurriague C et al. J. Eur. Acad. Dermatol. Venereol 2014. (4) Regnier-Rosencher E et al. Br. J. Dermatol 2013. (5) Launay-Vacher V et al. Cancer 2014. (6) Denis D et al. JAMA 2014. (7) Izzedine H et al. Invest New Drugs 2014. (8) Shafi ST et al. WMJ 2013. (9) German P et al. J. Acquir. Immune Defic. Syndr. 2012. (10) Molina JM et al. Lancet 2011. (11) Walmsley SL et al. N. Engl. J. Med. 2013. (12) Gutiérrez F et al. AIDS Rev. 2014.