
Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. II - n° 3 - juillet-août-septembre 2013
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La transition épithélio-mésenchymateuse : de la plasticité à la chimiorésistance
stress associés au processus tumoral (5). Par ailleurs, ces
cellules sont capables de neutraliser, voire de détourner,
le système immunitaire afin de soutenir la croissance
tumorale. Ces changements phénotypiques et fonction-
nels sont vraisemblablement la résultante de profondes
modifications épigénétiques, impliquant notamment
une évolution des profils de méthylation et d’acétylation
ou encore d’expression de micro-ARN, conduisant au
remaniement complet des profils d’expression génique.
Prises dans leur ensemble, ces données démontrent une
importante capacité des cellules en TEM à s’affranchir
des mécanismes de sauvegarde, à moduler leur profil
d’expression génique, rendant compte de leur adaptabi-
lité, ce qui en fait des cellules multirésistantes capables
d’échapper à de nombreuses thérapies.
TEM et chimiorésistance
Ces dernières années, de gros efforts ont été faits afin
de comprendre les mécanismes de chimiorésistance.
Une des approches utilisées a été d’établir des profils
d’expression génique à partir d’un pool de lignées tumo-
rales issues de divers tissus. Ces profils étaient corrélés
à la sensibilité aux drogues couramment utilisées pour
traiter les tumeurs associées à ces lignées. L’analyse de
profils provenant de cancers du sein ou de l’ovaire, par
exemple, a ainsi permis de corréler la chimiorésistance
des tumeurs à une signature génique contenant de
nombreux marqueurs de la TEM (6). À partir de là, il
était légitime d’envisager la TEM comme un mécanisme
moléculaire et cellulaire favorisant l’acquisition d’un
phénotype de résistance, d’autant plus que, aux niveaux
physiologique et pathologique, il a été démontré que
différents facteurs de transcription embryonnaires
induisant une TEM (FT-TEM) sont capables de neutra-
liser les systèmes de sauvegarde cellulaire (cf. article de
A. Puisieux et J. Caramel, p. 126). Ils apparaissent comme
des régulateurs majeurs des voies oncosuppressives
dépendantes des protéines p53 et Rb, et ont un effet
tant sur leur activation et leur stabilisation que sur leur
activité transcriptionnelle. Il a également été démontré
qu’ils étaient capables d’activer des voies de survie (AKT
et NF-κB) et de moduler l’expression ou l’activité des
membres de la famille Bcl-2 en faveur des protéines
antiapoptotiques (7). En cela, les FT-TEM sont impli-
qués dans la résistance à diverses classes de molécules
génotoxiques telles que les anthracyclines, les poisons
du fuseau mitotique ou encore les dérivés du platine.
Au-delà de ces molécules classiques, de nouvelles
classes de médicaments, telles que les inhibiteurs de
tyrosine kinases, ciblant spécifiquement certaines voies
moléculaires impliquées dans la progression tumo-
rale, ont été développées. Cependant, très rapidement,
plusieurs travaux ont mis en exergue l’apparition de
résistances imputables à la TEM (8). Dès lors, l’expres-
sion des FT-TEM et l’engagement des cellules dans un
programme de TEM ont été recherchés dans divers
cas de chimiorésistance. Ainsi, loin d’être marginale, la
TEM semble impliquée dans la résistance à une grande
majorité des molécules classiquement utilisées en thé-
rapie. Ces phénomènes de résistance ne se limitent pas
à un tissu donné mais sont retrouvés dans des organes
et tissus variés tels que le sein, la prostate, le rein, le
poumon ou encore l’ensemble du tractus digestif.
Parallèlement aux études traitant de la perte de sen-
sibilité aux drogues en lien avec la TEM, des travaux
attestent également de l’induction de ce programme
embryonnaire lors de l’exposition chronique de lignées
de carcinomes colorectaux, notamment à de faibles
doses de molécules thérapeutiques, telles que l’oxali-
platine (9). Les doses auxquelles apparaissent les mar-
queurs de TEM sont très proches des concentrations
thérapeutiques, soulignant l’intérêt potentiel que pour-
raient représenter ces marqueurs en tant qu’éléments
diagnostiques de résistance et de récurrence.
Un nouveau champ d’investigation s’est récemment
ouvert avec l’implication des micro-ARN dans la
régulation de la TEM (miR-200, miR-448, miR-Let7c)
et de l’oncogenèse de manière générale. Différents
études menées sur des lignées tumorales mais aussi
des échantillons tumoraux de patients ont montré
une perte d’expression de ces divers micro-ARN après
traitement par des molécules telles que les taxanes,
le 5-FU et le cyclophosphamide (10, 11). En cela, ces
résultats démontrent non seulement l’implication des
micro-ARN dans l’induction d’une TEM mais également
leur implication dans une probable baisse, voire une
perte, de sensibilité des tumeurs à plusieurs molécules
thérapeutiques.
Pris dans leur ensemble, ces travaux établissent une
forte corrélation entre l’induction d’une TEM et l’échap-
pement thérapeutique. Cependant, la compréhension
des mécanismes moléculaires fait défaut dans la majo-
rité des cas. Interviennent certainement l’inhibition des
systèmes de sauvegarde et l’activation de signaux de
survie, comme nous avons pu le voir précédemment.
La présence de résistances croisées semble cependant
suggérer que l’échappement thérapeutique ne résulte
pas simplement de l’activation d’une voie de signalisa-
tion donnée. Sans répondre à toutes les interrogations,
l’induction de mécanismes d’élution des molécules thé-
rapeutiques pourrait expliquer en grande partie cette
universalité en termes de résistance. En effet, les cellules