Je suis toujours étonné de voir à quel point le théâtre est un lieu de prise de parole, un lieu où s’exprime un point de vue.
Cela dit, il est rare de rencontrer des mises en scène vraiment nouvelles, le plus souvent elles innovent à la marge. Je
trouve aussi qu’il y a beaucoup de produits culturels, qui n’ont pas d’ambition artistique, qui ne sont là que pour distraire.
Mais il me semble aussi qu’il y a un retour aux origines du théâtre, aux fondamentaux. Il y a beaucoup plus de formes
simples, avec moins d’emballage, réalisées dans une plus grande précarité. C’est ce qui est intéressant pour moi dans le
théâtre aujourd’hui : repartir sur des bases modestes, directes. Ce théâtre se préoccupe davantage du sens que
d’atteindre une perfection formelle. Dans le même temps, le théâtre avec de gros moyens n’a pas disparu. Et il me paraît
aussi nécessaire d’avoir de grands spectacles, coûteux et véritablement produits. C’est un peu comme en peinture, il y a
des esquisses prometteuses et des toiles achevées. Cette cohabitation esthétique me convient. Ce retour au texte est
aussi l’expression d’un balancier qui oppose les tenants du texte à ceux de la forme. Certains pensent que le théâtre,
c’est d’abord le texte, d’autres ne lui accordent pas cette prééminence. Pour moi, le texte au théâtre est fondamental, le
théâtre est d’abord une parole. Mais un texte ne vit pas seul, il y a autant de lectures que de lecteurs. Tous les lecteurs
de Proust ne lisent pas la même chose. Et il n’y a pas un metteur en scène qui aborde un texte comme son voisin. Sa
lecture peut privilégier le sens, ou celui qu’il lui donne, ce peut être une lecture technique, musicale, faite par ce
qu’apportent les acteurs…
N’avez-vous pas l’impression qu’il y a beaucoup de textes contemporains montés au théâtre, alors qu’on dit
souvent que l’écriture théâtrale est mourante ?
Oui et non, car s’il est vrai que l’on monte beaucoup de textes écrits aujourd’hui, tous ne sont pas contemporains. Je ne
suis pas forcément qualifié pour dire ce qui est contemporain. Mais disons pour commencer à répondre à votre question,
que le théâtre contemporain n’est pas forcément un théâtre de dialogue et de personnages. Le texte contemporain est
souvent déstructuré, la parole y est distribuée autrement, il donne une importance au rythme de la langue et partant au
silence. Il est davantage fragmenté. Ce phénomène n’est pas propre au théâtre, on le retrouve en art contemporain, au
cinéma, etc. Pour autant, ces caractéristiques ne sont absolument pas impératives. Bernard-Marie Koltès, grand auteur
contemporain, propose un théâtre construit et dialogué. La contemporanéité apparaît dans son écriture. Olivier Py aussi
propose un théâtre construit. Malgré ces réserves, on peut dire qu’il y a plus de textes inédits que de classiques dans les
programmations de ces dernières années. Mais c’est un phénomène récent, dont on ne s’est pas encore aperçu, ce qui
explique la persistance de ce lieu commun sur la déshérence de l’écriture contemporaine. Les noms des auteurs ne sont
pas, et pour cause, connus, on ne les retient pas. Alors que si vous montez un Marivaux, c’est un auteur que tout le
monde connaît, qui est étudié en classe, qui va attirer les scolaires et leurs enseignants. Si vous montez Olivier Py, il
vous faudra ramer pour remplir la salle. C’est pourquoi les programmateurs demeurent malgré tout frileux avec les textes
actuels, ils préfèrent les classiques, et s’arrêtent souvent à Beckett.
Pourquoi y-a-t-il si peu de traces permettant de voir à nouveau un spectacle, alors que le concert ou la danse
sont souvent enregistrés ?
Oui, les spectacles se font et disparaissent, leur mémoire n’est pas conservée, hormis les notes prises par le metteur en
scène et qui sont du domaine privé. Il y a quelques archives au TNP, à la Comédie Française, mais cela demeure
exceptionnel et confidentiel. En fait, c’est lié à la nature même du théâtre, qui est un art de l’éphémère. Cela se passe
dans une salle, à un moment précis, et n’est pas réductible à un enregistrement. Par contre, je crois que le théâtre
repose sur une transmission orale. Lorsque j’étais étudiant, j’ai vu les premières pièces de Planchon. Cela a été pour moi
des expériences extraordinaires. La jeune génération de metteurs en scène n’a pas vu ces spectacles mais elle les
fréquente malgré tout par les échanges, les discussions qu’elle a avec les générations qui la précède. Moi même, je n’ai
pas vu Vilar ou Jouvet, mais les connais en quelque sorte, pour en avoir parlé avec d’autres. Finalement, je les fréquente
sans les avoir vu. C’est ce que leur travail a pu avoir de marquant qui m’a été transmis. Et la « subjectivité » d’un
souvenir ne me paraît pas moins intéressante que la « fidélité » d’un enregistrement… Les metteurs en scène ont acquis
dans le spectacle vivant, un rôle de premier plan. Mais alors qu’à l’Opéra on conserve les mises en scène, au théâtre, on
ne reprend que très rarement une mise en scène.
Pourquoi selon vous ?
Il n’y a pas de répertoire pour la mise en scène ou très peu, hormis à la Comédie Française. Encore une fois, le théâtre
est un art de l’éphémère, du moment présent. Il me semble aussi que le regard porté par un metteur en scène est
souvent daté, en prise avec un questionnement lié à l’époque, et ce quelqu’en soit l’esthétique. Ça n’aurait pas grand
sens de reprendre une mise en scène des années 50, hormis un témoignage sur la façon dont on envisageait le texte à
l’époque. « Le Bourgeois gentilhomme » a été monté des centaines de fois, et si cela a été possible, c’est aussi parce
que le temps passe, parce que la société évolue, parce que les artistes ont à chaque génération des questions
différentes. Le texte est toujours là, c’est le regard du metteur en scène qui le met en prise avec l’époque présente. On
en revient à ce que je vous disais : le théâtre est un art de l’ici et du maintenant, aussi surprenant que cela puisse
paraître dans nos sociétés où tout est patrimoine. Inversement, il y a aussi des textes qui ne parlent plus à l’époque. On