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SPECTACLE NEWS (1) DISTRIBUTION
LA CRITIQUE DE PARISCOPE ( Hélène Kuttner )
« Re Orso », le Roi Ours, aurait l’apparence d’un conte pour enfants. Ne vous y fiez
pas ! On y voit un roi, tyrannique, sanguinaire et cruel, bâillonner, séduire tout un
peupleet violer les femmes avant d’être hanté par la voix d’un ver de terre qui lui
ordonne de faire cesser ses exactions. Jusque dans sa tombe, le petit ver de terre
n’aura de cesse de prévenir le monstre et de guetter son repentir. Partant de ce livret
d’Arrigo Boito, le librettiste de Verdi, le compositeur italien Marco Stroppa crée
aujourd’hui son premier opéra, un mélange explosif d’électronique, de sons amplifiés,
de voix sonorisées et subtilement transformées, avec l’Ensemble Intercontemporain
et ses musiciens experts. Coté partition, une écriture surprenante de vers scandés
par des rythmes angoissants sur des tessitures sonores qui partent du suraigu aux
basses les plus profondes. Avec Catherine Aillaud Nicolas, le metteur en scène
Richard Brunel a orchestré cet Ovni musical avec beaucoup d’intelligence et de
maestria, en s’entourant de chanteurs formidables et virtuoses, prêts à toutes les
folies. Violent et noir, le conte féodal se mue sous nos yeux en une fable barbare et
cauchemardesque déroulant son flot d’horreurs dans un palais techno-gothique
(scénographie et costumes Bruno de Lavenère). Le roi, Rodrigo Ferreira, voix de
contre ténor, a le torse dénudé mais une jupe noire et des bottes de motard à la Dark
Vador, face à son épouse forcée Oliba incarnée par la sculpturale Marisol Montalvo.
Monica Bacelli, mezzo à la présence magnétique d’Anna Magnani, est un Ver
puissant. Tous sont magnifiques, et jouent avec les musiciens autour même de la
fosse d’orchestre cette histoire politique et morale. Qui du tyran ou du peuple qui s’y
soumet faut-il condamner ? La passivité mène-t-elle forcément au désastre ? A son
pupitre, la chef d’orchestre Susanna Mälkki dirige avec précision cette descente aux
enfers de sa blondeur finlandaise, tandis que les ordinateurs de Carlo Laurenzi et
Marco Stroppa projettent le son. Une œuvre étonnante, fulgurante et à découvrir
d’urgence.