Les metteurs en scène ont acquis dans le spectacle vivant, un rôle de premier
plan. Mais alors qu’à l’Opéra on conserve les mises en scène, au théâtre, on ne
reprend que très rarement une mise en scène. Pourquoi selon vous ?
Il n’y a pas de répertoire pour la mise en scène ou très peu, hormis à la Comédie
Française. Encore une fois, le théâtre est un art de l’éphémère, du moment présent.
Il me semble aussi que le regard porté par un metteur en scène est souvent daté, en
prise avec un questionnement lié à l’époque, et ce quelqu’en soit l’esthétique. Ça
n’aurait pas grand sens de reprendre une mise en scène des années 50, hormis un
témoignage sur la façon dont on envisageait le texte à l’époque. « Le Bourgeois
gentilhomme » a été monté des centaines de fois, et si cela a été possible, c’est
aussi parce que le temps passe, parce que la société évolue, parce que les artistes
ont à chaque génération des questions différentes. Le texte est toujours là, c’est le
regard du metteur en scène qui le met en prise avec l’époque présente. On en
revient à ce que je vous disais : le théâtre est un art de l’ici et du maintenant, aussi
surprenant que cela puisse paraître dans nos sociétés où tout est patrimoine.
Inversement, il y a aussi des textes qui ne parlent plus à l’époque. On ne monte
quasiment plus du tout « Les femmes savantes ». Le texte est considéré comme trop
anti-féministe et les metteurs en scène n’ont pas encore trouvé l’angle qui permettrait
de le faire entendre aujourd’hui, dans le contexte qui est le notre. Autrement dit, il y a
très peu de mises en scène intemporelles. Il n’y a guère que Giorgio Strehler qui soit
très classique dans sa forme, son « Arlequin » a été monté plusieurs fois en 20 ans,
sans que cela ne pose de problème.
En musique, le goût historiciste, notamment avec l’époque baroque s’est avéré très
stimulant artistiquement parlant. On ne constate rien de tel avec le théâtre. Le théâtre
demeure un texte, une vision à un moment donné. Et puis le texte n’est qu’un des
éléments du spectacle, il y les acteurs, la bande son et la musique, les lumières…
Tout cela ne peut pas être reproduit à 50 ans d’intervalle, les acteurs ont vieilli…
Finalement, il n’y a qu’à la Comédie Française où l’on accorde encore une forme de
suprématie au texte, que l’on trouve des spectacles en répertoire, car la vision du
metteur en scène n’y est pas prépondérante.
On reproche au théâtre d’être coûteux, quels sont les arguments qui justifient
selon vous le subventionnement public ?
Sans la subvention publique, le théâtre de création, de recherche, bref, celui qui se
situe dans le champ de l’art, ne pourrait tout simplement pas exister. Le coût de
production d’un spectacle est trop élevé et la pression économique ne le permet pas.
C’est pour cela qu’il faut un subventionnement. Pour permettre l’apparition de
spectacles qui ne pourraient se constituer dans le cadre du marché. C’est vrai pour le
théâtre, comme pour de nombreux autres secteurs : la notion de service public se
fonde justement sur cette inadéquation entre la rentabilité d’un service et la demande
dont il peut faire l’objet. Je situe le théâtre dans ce champ là, dans celui du service
public.
Maintenant, la subvention ne règle pas tout. Il est probable que les œuvres
pourraient être davantage diffusées, qu’il faut améliorer leur circulation. Il y a aussi
une prise de conscience qui dépend des gens de théâtre. Pendant longtemps, le
théâtre subventionné allait dans le même sens, il reposait sur cette idéologie
engagée, d’un théâtre militant, où le collectif pourrait faire bouger les choses. Mais
nous sommes loin de ce temps là, aujourd’hui, on est dans une société beaucoup
plus individualiste, et le théâtre, même public, ne se distingue pas de cette tendance.