DOSSIER THÉMATIQUE Soins oncologiques de support Point sur la prise en charge d’une candidose buccale chez les patients atteints de cancer Oral candidiasis in cancer patients M. Di Palma* M. Di Palma L a candidose buccale est une pathologie souvent rencontrée chez les patients souffrant de cancer. Sa fréquence précise est néanmoins mal connue. Le diagnostic est en général facile car, la plupart du temps, l’aspect clinique suffit à identifier une candidose buccale. Néanmoins, c’est un diagnostic qui reste souvent méconnu, car les patients ne sont pas toujours correctement examinés. Les conséquences d’une candidose buccale peuvent être importantes : aggravation d’une anorexie par le biais des troubles du goût, parfois porte d’entrée d’une infection profonde. Si le diagnostic est en général facile, la thérapeutique l’est également le plus souvent. Les traitements actuellement disponibles sont, dans la majorité des cas, efficaces, bien tolérés, d’un emploi facile permettant une bonne compliance des patients. Diagnostic * Département ambulatoire, institut Gustave-Roussy, Villejuif. Le plus souvent, le diagnostic est clinique, et on peut noter la présence d’un enduit blanchâtre au niveau des muqueuses buccales et de la langue, facilement détachable avec un abaisse-langue en bois (muguet). D’autres formes cliniques existent, comme la forme érythémateuse pure, qui est fréquente en cancérologie. La plupart du temps, les examens complémentaires sont inutiles : le tableau clinique est suffisant. Un prélèvement à visée bactériologique permettant de réaliser un fongigramme est indiqué essentielle- 120 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXI - n° 2 - février 2012 ment en cas de mycose récidivante ou de résistance au traitement antifongique de première intention. Le principal agent responsable des mycoses buccales est le Candida (de l’ordre de 75 % des cas en cancérologie). C’est une levure commensale, portée de façon asymptomatique par plus de la moitié de la population humaine. La seule présence de Candida sur un écouvillon buccal ne suffit donc pas à faire porter le diagnostic de candidose buccale en l’absence d’un tableau clinique évocateur (portage sain). Dans certaines circonstances (baisse des défenses immunitaires ou altération de la barrière muqueuse en cas de mucite, par exemple), ces levures deviennent pathogènes et entraînent une infection : c’est alors que l’on parle de candidose buccale (1). Symptomatologie et conséquences pour le patient Les candidoses buccales sont des complications banales chez les patients traités pour un cancer. Cette banalité en fait un problème sous-estimé et souvent peu ou pas pris en compte. Or, les mycoses buccales peuvent provoquer des nausées, une perte d’appétit, et venir compliquer un état d’anorexie préexistant. Elles sont à l’origine de troubles du goût parfois importants, le patient parlant souvent de “goût métallique” dans la bouche. C’est également un facteur de dysphagie. De ce fait, les mycoses buccales participent à l’altération de la qualité de vie des patients. Résumé La candidose buccale est un diagnostic clinique, son traitement repose sur les antifongiques non absorbables. Mots-clés Candidose Cancer Mucite La mycose buccale peut exister de façon isolée ou compliquer une mucite, après une chimiothérapie ou une radiothérapie, par exemple. En elle-même, la mycose buccale est peu, voire n’est pas douloureuse (bien qu’il puisse y avoir, parfois, une sensation de brûlure légère superficielle), sauf, bien sûr, lorsqu’elle est associée à une mucite. Cette indolence explique probablement en partie la non-prise en compte de ce problème, les patients ne s’en plaignant pas forcément, car les modifications du goût et la dysphagie sont souvent associées, dans leur esprit (et souvent aussi pour le médecin), à la chimiothérapie. Une candidose buccale peut se compliquer d’une candidose digestive plus étendue, pharyngée, œsophagienne, voire être la porte d’entrée d’une infection fongique généralisée, ce qui, heureusement, est une éventualité rare. Épidémiologie des candidoses orales en cancérologie Dans une étude très récente, J. Gligorov et al. (2) ont rapporté les données recueillies dans 35 centres français prenant en charge des patients souffrant de cancer. Pendant 2 semaines, tous les patients adultes atteints d’une tumeur solide ou d’un lymphome en cours de traitement par chimiothérapie et/ou radiothérapie et/ou traitement ciblé étaient inclus, à l’exception des patients ayant des antécédents de candidose systémique ou ayant reçu récemment un traitement antifongique. Deux mille quarante-deux patients ont été enregistrés et 2 027 effectivement inclus dans cette étude. L’âge moyen était de 61,5 ans ; 59,7 % étaient des femmes, le cancer du sein étant le premier diagnostic, avec environ un tiers des patients concernés. Quatre-vingts pour cent des patients étaient traités pour une maladie métastatique. Dans cette cohorte, 195 patients, soit 9,6 % de la population, présentaient une candidose buccale. Les principaux diagnostics associés étaient les tumeurs des voies aérodigestives supérieures (VADS), les cancers digestifs et les lymphomes. Trente-deux pour cent de ces patients recevaient une association de radio-chimiothérapie, 7,7 % étaient traités par une polychimiothérapie. Vingt pour cent de ces patients avaient des antécédents de candidose buccale. Le principal facteur favorisant retrouvé était la présence d’une mucite dans près de 65 % des cas, une corticothérapie dans près de la moitié des cas, une mauvaise hygiène buccale et une neutropénie dans un tiers des cas. La symptomatologie était souvent fruste, se limitant à une sécheresse buccale chez 63 % des patients et à des troubles du goût pour 59 % des patients. Les douleurs buccales (liées bien sûr à la mucite sous-jacente) étaient présentes dans 43 % des cas. À noter que, chez la majorité des patients, la forme clinique était une forme érythémateuse avec peu ou pas de pseudomembrane (pour 62 % d’entre eux). Il est intéressant de comparer ces données épidémiologiques avec celles rapportées par A.N. Davis et al. (3) chez des patients en situation palliative, c’est-à-dire des adultes souffrant d’un cancer avancé, pris en charge en hôpital de jour de soins palliatifs. Dans cette étude, un prélèvement mycologique était systématique. Parmi les 390 patients inclus − moyenne d’âge de 73 ans, bon état général (76 % des patients avaient un état général OMS 0 à 2) −, un portage buccal de Candida était retrouvé dans 70 % des cas, mais avec un diagnostic clinique de candidose buccale avec confirmation microbiologique chez seulement 13 % des patients. À noter que les formes cliniques pseudo-membraneuses étaient majoritaires, et concernaient 45 % des patients. Les facteurs de risque trouvés étaient l’altération de l’état général, la corticothérapie, la présence d’une prothèse dentaire et la sécheresse buccale, ainsi que, globalement, toutes les situations d’hyposialie. En fait, l’incidence des candidoses buccales varie considérablement, dans la littérature (1), selon que l’on considère un diagnostic clinique ou un diagnostic purement microbiologique, et de simples portages de Candida sans signe clinique sont alors pris en compte, ce qui bien sûr ne correspond pas à la définition d’une candidose buccale. En moyenne, l’incidence est de l’ordre de 30 % selon la sélection plus ou moins stricte des patients considérés dans les études. Cette incidence est la plus élevée (plus de 70 %) chez les patients traités par radiothérapie ou radio-chimiothérapie pour un cancer des VADS. Summary Oral candidiasis is a frequent issue in cancer patients. The incidence is about 10%, much higher in some selected populations (over 80% in head and neck cancer patients undergoing radiation therapy). Diagnosis relies on the clinical examination of the oral cavity, and bacteriological samples are usually not required. Local treatment with non absorbable drugs is the gold standard for first line therapy. Keywords Candidiasis Cancer Mucositis La Lettre du Cancérologue • Vol. XXI - n° 2 - février 2012 | 121 DOSSIER THÉMATIQUE Point sur la prise en charge d’une candidose buccale chez les patients atteints de cancer Soins oncologiques de support Tableau. Présentation des traitements antifongiques les plus souvent utilisés. Nom Type Posologie (adulte) Durée (j) Commentaires Amphotéricine B Suspension buvable 1,5 à 2 g/24 heures, soit 3 à 4 cuillerées à café par 24 heures 15 à 21 Cette suspension buvable peut également être utilisée sous forme de bains de bouche Nystatine Suspension buvable 4 à 6 prises/24 heures 15 Comprimé muco-adhésif 1 comprimé/j 7 à 14 Miconazole Dans les 2 études rapportées ici, il s’agissait de populations non sélectionnées, ce qui explique l’incidence de candidose buccale un peu plus faible. Traitement La prise en charge des candidoses buccales fait appel essentiellement, en première intention, à un traitement local : l’amphotéricine B en bains de bouche, la nystatine en bains de bouche, ou le miconazole en comprimés muco-adhésifs (tableau). Ces molécules ne sont pas réabsorbées. Un traitement systémique ne doit pas être utilisé a priori en première intention du fait du risque d’émergence de résistances. Il doit être réservé aux formes récidivantes ou pour les patients ayant des antécédents de mycose systémique (4). L’efficacité du traitement est évaluée sur l’évolution de l’aspect clinique. La durée habituelle est de l’ordre d’une dizaine de jours. Dans l’étude de J. Gligorov et al. (2), 75 % des patients ont reçu un traitement antifongique local. Il s’agissait, dans 54 % des cas, d’amphotéricine B en bains de bouche, dans 29 % des cas de miconazole et dans 16 % des cas, de nystatine ; 25 % des patients ont reçu un traitement systémique (fluconazole oral). Comme on pouvait s’y attendre, l’observance du traitement (mesurée par l’adéquation entre le Appliquer sur la gencive supérieure juste au-dessus de l’incisive nombre de prises et la durée du traitement par rapport à la prescription) était bien meilleure avec le miconazole, traitement pris 1 fois par jour, qu’avec les bains de bouche, qui nécessitaient 6 prises par jour (88 versus 20 à 40 %), avec une efficacité quasi constante. Conclusion Les candidoses buccales sont des infections fréquentes chez les patients traités pour un cancer. Le diagnostic est, la plupart du temps, clinique, et ne nécessite pas d’examens complémentaires particuliers. L’incidence varie selon la population concernée ; elle est, dans la population générale, de 10 à 15 %, et beaucoup plus importante dans certaines populations (patients traités pour des tumeurs des VADS, par exemple). Bien que cette infection soit le plus souvent bénigne, elle est susceptible d’avoir des conséquences sur la qualité de vie des patients en majorant l’anorexie, et peut parfois être la porte d’entrée d’une infection systémique, ce qui constitue une situation particulièrement grave. Le traitement des candidoses buccales est simple et repose sur les antifongiques locaux, la surveillance du traitement étant, elle aussi, essentiellement clinique. ■ Références bibliographiques 1. Marr KA. Fungal infections in oncology patients: update on epidemiology, prevention, and treatment. Curr Opin Oncol 2010;22(2):138-42. 2. Gligorov J, Bastit L, Gervais H et al. Prevalence and treatment management of oropharyngeal candidiasis in cancer patients: results of the French CANDIDOSCOPE study. Int J Radiat Oncol Biol Phys 2011;80(2):532-9. 122 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXI - n° 2 - février 2012 3. Davis AN, Brailsford SR, Beighton D, Shorthose K, Stevens VC. Oral candidiasis in community-based patients with advanced cancer. J Pain Symptom Manage 2008;35(5): 508-14. 4. Lalla RV, Latortue MC, Hong CH et al. A systematic review of oral fungal infections in patients receiving cancer therapy. Support Care Cancer 2010;18(8):985-92.