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il peut se défendre en prouvant la qualité de son intervention.
Les juridictions sont souvent confrontées à des situations limites,
caractérisées par l’existence d’un dommage qui justifierait
l’indemnisation de la victime, mais dont le dossier ne laisse pas
apparaître les éléments permettant de qualifier une faute médi-
cale. Et, en l’absence de faute, pas d’indemnisation : le droit sanc-
tionne la faute mais laisse la place à l’erreur et à l’aléa. L’annonce
d’une loi qui prendrait en charge les conséquences de l’aléa pou-
vait encourager à patienter, mais le report perpétuel de cette loi a
conduit les juges à faire un pas.
Ainsi, avec ces arrêts du 23 juin 2000, a été adoptée la notion de
faute virtuelle, notion que connaissait la théorie générale du droit.
Le tableau actuel de la responsabilité civile peut s’apprécier à tra-
vers trois propositions.
1. Le refus d’une obligation générale de résultat
Les juridictions civiles refusent de mettre à la charge du médecin
une obligation de résultat, qui permettrait d’engager la responsa-
bilité dès que le résultat ne serait pas atteint. La ligne est inchan-
gée depuis l’arrêt Mercier de 1936 : le médecin doit tout mettre
en œuvre pour tendre au meilleur résultat possible, mais ne peut
être sanctionné du seul fait que le résultat n’a pas été atteint. Le
médecin est tenu de mettre en œuvre des soins consciencieux,
attentifs et conformes aux données acquises de la science.
La cour d’appel de Paris avait depuis plusieurs années tenté de faire
reconnaître l’existence d’une telle obligation de sécurité de résul-
tat. Un arrêt de la cour d’appel de Paris du 15 janvier 1999 vient
d’être censuré par la Cour de cassation le 23 mai 2000, ce qui devrait
mettre fin à ces tentatives minoritaires de juridiction du fond.
2. Quelques systèmes très limités d’obligation de sécurité
de résultat
Le régime de l’obligation de sécurité de résultat a été admis à
titre exceptionnel, au regard de situations bien déterminées, qui
se caractérisent par l’impossibilité dans laquelle se trouve le
patient d’établir la réalité d’une faute. Le principal domaine est
celui des infections nosocomiales, déjà évoqué, la Cour de cas-
sation, par les arrêts du 29 juin 1999, rejoignant le Conseil d’État,
qui avait ouvert la voie par l’arrêt Cohen du 9 décembre 1988.
Les juridictions administratives ont également adopté, dans des
conditions très restrictives, un régime d’indemnisation sans faute
dans l’hypothèse de dommages conséquents liés à l’usage de pro-
cédés nouveaux. La formule jurisprudentielle souligne le carac-
tère très limitatif de ce régime.
3. La faute virtuelle, ou la présomption de faute
La Cour de cassation, refusant le régime général de l’obligation
de sécurité de résultat, a préféré une voie intermédiaire, favorable
aux victimes, contraignante pour les médecins et leurs assureurs,
celle de la faute virtuelle.
C’est un classique du droit de la responsabilité, identifié par
l’adage res ipsa loquitur, qui intègre ainsi le domaine de la res-
ponsabilité médicale. Lorsque le traitement ou l’intervention pro-
voque un résultat dommageable qui n’est pas inhérent à ce trai-
tement ou à ce résultat, le constat de la survenance du dommage
établit la faute médicale : la victime n’a plus à prouver la faute.
Celle-ci se déduit du dommage non inhérent au traitement et à la
technique, mais le médecin n’est pas “condamné d’avance”. En
effet, il peut prouver qu’il n’a pas commis de faute. La notion de
faute virtuelle institue une présomption simple, qui consiste en
un renversement de la charge de la preuve. Il ne s’agit pas d’une
obligation de sécurité de résultat :
– si la victime prouve l’existence d’un dommage non inhérent
au traitement ou à l’intervention, la faute médicale est présumée ;
– le médecin peut alors démontrer que son geste ou sa prescrip-
tion n’ont pas été fautifs. Et s’il prouve sa bonne pratique, sa res-
ponsabilité est écartée.
PREMIÈRES DÉCISIONS
La Cour de cassation a rendu trois décisions qui illustrent cette
notion de faute virtuelle.
●
À l’occasion de l’extraction d’une dent de sagesse, un médecin-
stomatologue cause un traumatisme du nerf sublingual. L’expertise
ne permet pas de déterminer la réalité d’un fait fautif. La responsa-
bilité doit cependant être retenue “dès lors que la réalisation de
l’extraction n’impliquait pas l’atteinte du nerf sublingual et qu’il
n’était pas établi que le trajet de ce nerf présentait une anomalie
rendant son atteinte inévitable”. (Aff. no98-20440 du 23 juin 2000).
●
Un médecin pratiquant une ligamentoplastie du ligament croisé
antéro-externe du genou droit sectionne l’artère poplitée moyenne
de sa patiente. La cour d’appel écarte la responsabilité du médecin,
la preuve d’une faute n’étant pas rapportée, le dommage étant pré-
senté comme une complication exceptionnelle. La Cour de cassa-
tion estime au contraire que “la réalisation de la ligamentoplastie
n’impliquait pas le sectionnement de l’artère poplitée de sorte que
la cour d’appel ne pouvait exclure la faute du chirurgien sans rele-
ver que cette artère présentait une anomalie rendant son atteinte
inévitable”. (Aff. no98-19869 du 23 juin 2000).
●
À l’occasion de l’exérèse de la glande sous-maxillaire droite, un
praticien atteint le nerf grand hypoglosse et le nerf lingual, géné-
rant chez la patiente une paralysie du premier et d’importantes
névralgies avec troubles de l’élocution et de la déglutition. L’exper-
tise n’établit aucune faute de maladresse ou de négligence. Pour
autant, “dès lors que la réalisation de l’exérèse n’impliquait pas
l’atteinte du nerf hypoglosse et du nerf lingual, et qu’il n’est pas
établi que les trajets de ces nerfs auraient présenté une anomalie
rendant leur atteinte inévitable”, la Cour estime que les praticiens
ont commis une faute (Aff. no98-22032 du 18 juillet 2000).
Un principe nouveau est posé. On suivra avec intérêt l’évolution
du contentieux qui, seule déterminera la portée exacte de ce nou-
veau principe jurisprudentiel. Il n’en reste pas moins que la dicho-
tomie entre la responsabilité pénale et la responsabilité civile
s’impose chaque jour davantage. Le tableau est plutôt rassurant
pour le médecin qui voit s’éloigner le risque redoutable de
la sanction pénale. Pour autant, l’ouverture des voies d’indem-
nisation n’est pas sans conséquences pratiques, et pèse très direc-
tement sur le montant des primes d’assurance. Le médecin a
appris à soigner le dialogue avec le patient ; il devra de plus en
plus se préoccuper également de la qualité du dialogue avec son
assureur...
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CHRONIQUE DU DROIT
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La Lettre du Pneumologue - Volume IV - no2 - mars-avril 2001