Prise en charge de la femme diabétique en salle d’accouchement : le point de vue de l’anesthésiste-réanimateur ● M. Andréoletti* L a prise en charge de la femme diabétique est nécessairement pluridisciplinaire, et ce dès le début de la grossesse ou une fois le diagnostic posé. Cette approche inclut l’obstétricien, l’anesthésiste-réanimateur et le pédiatre, comme pour toute grossesse pathologique, mais aussi l’endocrinologue. Plus spécifiquement, en salle d’accouchement, l’anesthésisteréanimateur est amené à gérer l’analgésie du travail ou l’anesthésie pour manœuvres obstétricales ou césarienne, mais aussi le contrôle glycémique du péripartum. Actuellement, un diabète antérieur à la grossesse est retrouvé chez 0,1 à 0,2 % des femmes enceintes, de type 1 (dans 75 % des cas) ou 2. La fréquence du diabète gestationnel peut être estimée à 5 % des grossesses, mais ce chiffre serait actuellement en augmentation (1). Le diabète gestationnel est défini par une glycémie à jeun supérieure ou égale à 1,4 g/l (7,8 mmol/l). Le dépistage et le diagnostic peuvent aussi être faits lors d’une hyperglycémie provoquée par voie orale (le plus souvent test de O’Sullivan, c’est-à-dire une glycémie prélevée une heure après l’ingestion de 50 g de glucose). Si la glycémie est supérieure ou égale à 2 g/l (11 mmol/l), le diagnostic est posé. Si elle est supérieure à 1,3 g/l, une hyperglycémie provoquée orale (HGPO) classique doit être réalisée. Ces tests sont généralement proposés entre 24 et 28 semaines d’aménorrhée (SA) aux femmes présentant un facteur de risque de diabète gestationnel (obésité, glycosurie, antécédent de gros enfant, antécédent familial de diabète de type 2) (2). L’association grossesse et diabète est donc relativement fréquente et les complications obstétricales doivent être parfaitement connues des anesthésistes. Dès lors que le diagnostic est fait, il est important de prévoir une consultation d’anesthésie pour évaluer rapidement la patiente sur ce plan. LA CONSULTATION D’ANESTHÉSIE La consultation d’anesthésie d’une future parturiente diabétique doit permettre de préciser : – l’équilibre glycémique et les modalités de traitement (régime, insuline) +++, – l’existence ou non de complications dégénératives du diabète (insuffisance rénale, ischémie myocardique silencieuse, * Anesthésiste, hôpital Antoine-Béclère, 127, rue de la Porte-de-Trivaux, 92140 Clamart. La Lettre du Gynécologue - n° 269 - février 2002 neuropathie dysautonomique et sensitivomotrice +++), – l’existence d’une HTA, qui peut être antérieure à la grossesse ou s’intégrer dans un tableau de toxémie gravidique, plus fréquente en cas de diabète, – les antécédents d’infections urinaires en cours de grossesse, qui peuvent déséquilibrer le diabète et provoquer une décompensation acidocétosique. L’accès aux voies aériennes doit être soigneusement évalué, puisque, dans le cadre du diabète, même gestationnel, le risque d’intubation difficile est multiplié par 10. La toxémie gravidique accroît encore les difficultés d’intubation. Le signe du prieur est recherché dans les diabètes de type 1, permettant d’évaluer la limitation de la mobilité articulaire et plus particulièrement la difficulté d’extension du rachis cervical. Un signe du prieur est prédictif d’une exposition difficile. Dans les diabètes de type 2 et les diabètes gestationnels, c’est l’obésité (index de masse corporelle > 30) qui constitue le principal facteur d’intubation difficile. L’examen de la région lombaire permet de préciser les éventuels problèmes d’abord de l’espace péridural. On notera par ailleurs l’existence d’un hydramnios, d’une macrosomie fœtale, la nécessité d’une tocolyse (attention aux ß2-mimétiques et au risque d’acidocétose) et les modalités prévues d’accouchement (déclenchement, césarienne programmée). Les résultats de la numération formule sanguine de début de grossesse ainsi que le groupe sanguin seront notés. Toutes ces données sont regroupées dans le dossier d’anesthésie, qui doit accompagner le dossier obstétrical et pouvoir être consulté sans délai. CONDUITE DE L’ANALGÉSIE ET DE L’ANESTHÉSIE AU COURS DU TRAVAIL ET DE L’ACCOUCHEMENT Déclenchement Le déclenchement programmé est une modalité d’accouchement fréquemment retenue. L’anesthésiste-réanimateur doit avoir à l’esprit qu’il s’agit d’une modalité à fort risque de manœuvres instrumentales lors de l’expulsion et à risque de césarienne en urgence au cours du travail. L’analgésie péridurale est la technique de choix, assurant un excellent niveau d’analgésie, un bon relâchement du périnée, et permettant de réduire les taux circulants de catécholamines et de cortisol, participant donc à l’équilibre tensionnel et glycémique (3). 23 D O S S I E R L’analgésie péridurale peut être renforcée à tout moment, pour permettre des manœuvres obstétricales ou la réalisation d’une césarienne en semi-urgence. L’analgésie péridurale est idéalement réalisée tôt dans le travail, avec, à titre systématique : – pose d’une voie veineuse de gros calibre (16 G), – utilisation de sérum salé à 0,9 % pour l’expansion volémique en cas d’hypovolémie et tout au long du travail (le Ringer lactate doit être évité), – décubitus latéral gauche pour prévention de la compression aortocave, – la concentration d’anesthésique local doit être la plus faible possible (en association avec un morphinique) pour limiter le bloc moteur, tout en procurant une analgésie de qualité, dont le niveau et la symétrie seront régulièrement testés. Les patientes diabétiques sont classiquement plus sensibles aux anesthésiques locaux et l’existence préalable d’une neuropathie sensitivomotrice doit faire éviter tout risque de compression nerveuse, en cas de mauvaise position non ressentie sur la table d’accouchement. Césarienne L’installation pour césarienne doit éviter tout point de compression. En cas de césarienne programmée, une anesthésie péridurale ou une rachianesthésie peuvent être réalisées en respectant les mêmes consignes que pour l’analgésie du travail (prévention de la compression aortocave, utilisation de sérum salé à 0,9 % comme soluté de remplissage). Toute hypotension doit être immédiatement corrigée, par l’injection intraveineuse directe d’éphédrine ou, mieux, par la perfusion continue en Y de 500 ml de sérum salé à 0,9 % contenant 30 mg d’éphédrine et 100 µg de néosynéphrine, dont le débit sera modulé en fonction de la pression artérielle (4). L’anesthésie générale sera réservée aux contre-indications de l’anesthésie médullaire. En cas de césarienne en urgence : – si l’extraction doit être réalisée dans les 5 mn (procidence du cordon par exemple), le seul choix possible est l’anesthésie générale, qu’il y ait une péridurale en place ou non. L’alcalinisation du contenu gastrique doit être systématiquement réalisée avant l’induction par un anti-H2 effervescent immédiatement efficace ; – si la césarienne est urgente, dans un délai de 15-20 mn environ, une analgésie péridurale efficace et symétrique peut être complétée rapidement jusqu’à un niveau T4 avec de la lidocaïne 2 % adrénalinée. S’il n’y a pas de cathéter en place, on pourra choisir l’anesthésie générale ou la rachianesthésie, selon les cas et l’existence ou non de contre-indications à l’une ou l’autre de ces techniques. SURVEILLANCE ET CONTRÔLE GLYCÉMIQUE EN PÉRIPARTUM Pendant toute la grossesse, le contrôle glycémique doit être optimisé, en se basant sur les glycémies pré- et postprandiales, y compris pour le diabète gestationnel (5). 24 Si l’optimisation de l’équilibre glycémique dès le début de la grossesse est indispensable pour réduire les complications maternofœtales, la période du travail et de l’accouchement nécessite également d’obtenir une normoglycémie. En effet, l’hyperglycémie maternelle péripartum aggrave l’acidose et l’hypoxie fœtales et elle est à l’origine d’hypoglycémies chez le nouveau-né, en raison de l’hyperinsulinisme fœtal. Le placenta métabolise le glucose maternel en lactate, ce qui augmente l’acidose fœtale. Il est donc recommandé de ne pas utiliser de Ringer lactate, précurseur du glucose, pendant le travail (6). En pratique (tableau I) : Lorsque l’accouchement est programmé, il est recommandé de remplacer la veille au soir l’insuline lente par une même dose d’insuline intermédiaire. La parturiente reste à jeun le matin, avec mise en route : – d’une insulinothérapie à la seringue électrique dès que la glycémie est supérieure à 1,20 g/l (6,5 mmol/l), – d’une perfusion de glucosé à 5 % sur une base de 125 à 150 g de glucose par 24 heures. La surveillance de la glycémie est horaire. Les objectifs sont de maintenir une glycémie entre 5 et 6 mmol/l (0,9 à 1,1 g/l). Tableau I. Exemple de protocole d’insulinothérapie intraveineuse, selon glycémies horaires (7). Glycémie capillaire (mmol/l) < 04,4 < 05,5 < 07,7 < 10,0 < 12,2 > 12,2 Insuline (unités/heure) Apports 0 G 5% 0,5 G 5% 1 G 5% 1,5 G 5% 2 NaCl 0,9 % 2,5 NaCl 0,9 % Le protocole d’insulinothérapie sera réajusté au cours du travail selon les glycémies observées. Dans les heures qui suivent l’accouchement, les besoins en insuline baissent de 50 à 60 %. En cas d’accouchement par voie basse, l’insulinothérapie peut être reprise par voie souscutanée ou par pompe, à doses adaptées aux glycémies préprandiales. En cas de césarienne, l’insulinothérapie par voie intraveineuse sera poursuivie à doses adaptées avec une perfusion de glucosé à 5 % jusqu’à la reprise du transit. Chez le nouveau-né, le cycle glycémique et l’alimentation sont commencés dès la naissance. Au total, la prise en charge anesthésique d’une parturiente diabétique en salle d’accouchement est guidée par l’évaluation réalisée en consultation d’anesthésie. Il s’agit d’un accoucheLa Lettre du Gynécologue - n° 269 - février 2002 ment à fort risque de manœuvres obstétricales, où l’analgésie péridurale est recommandée. Le contrôle de la glycémie doit être impérativement assuré pour limiter les effets délétères sur le nouveau-né. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Tchobroutsky C. Grossesse et diabète (y compris le diabète gestationnel). Rev Prat 1998 ; 48 : 93-7. 2. Jovanovic L, Pettitt DJ. Gestational diabetes mellitus. JAMA 2001 ; 286 (20) : 2516-8. 3. Shnider SM, Abboud TK, Artal R et al. Maternal catecholamines decrease during labor after lumbar epidural anesthesia. Am J Obstet Gynecol 1983 ; 147 : 13-5. 4. Mercier FJ, Riley ET, Frederickson WL et al. Phenylephrine added to prophylactic ephedrine infusion during spinal anesthesia for elective cesarean section. Anesthesiology 2001 ; 95 (3) : 668-74. 5. Metzger BE, Coustan DR. Summary and recommendations of the 4th International Workshop-Conference on gestational diabetes mellitus. The organizing committee. Diabetes Care 1998, B161-B167. 6. De la Chapelle A, Gleize V, Benoit S et al. Diabète et grossesse : implications en anesthésie. In : Conférences d’actualisation de la SFAR, 2001, 309-24. 7. Vambergue A. Surveillance glycémique au cours du travail et de l’accouchement. Mt Endocrinologie 2001 ; 3 : 252-4. URGENT NANCY quartier résidentiel Causi MICA Gynécologue médical loue à partir d’avril 2002 beau cabinet tenu 30 ans équipement haut de gamme Vente ultérieure possible Conditions à débattre Tél. : 06 16 40 34 59 La Lettre du Gynécologue - n° 269 - février 2002 25