DOSSIER THÉMATIQUE Oncodermatologie Les voies de signalisation activées dans le mélanome et les principes actuels du génotypage Signalling pathways activated in melanoma and the current principles of genotyping N. Dumaz*, S. Mourah** * Inserm U976 ; UMR-S 976, UFR de médecine Paris-Diderot, Paris. ** Laboratoire de pharmacogénomique, hôpital Saint-Louis, Paris ; Inserm U940, Paris ; UMR-S 940, université Paris-Diderot, Paris. L e mélanome cutané, tumeur issue des mélanocytes, est devenu un problème majeur de santé publique dans de nombreux pays. À un stade précoce, le mélanome sous une forme localisée est curable par exérèse chirurgicale. Néanmoins, à un stade avancé, le mélanome est de très mauvais FC α-MSH R T K R T K RAS AC MC1R ATP AMPc PTEN PI3K BRAF PKA AKT MEK CREB mTOR ERK MITF Prolifération/différenciation/survie AC : Adenylyl Cyclase ; AMPc : AMP cyclique ; CREB : cAMP Responsive Element Binding Protein ; ERK : Extracellular signal-Regulated Kinase ; FC : facteur de croissance ; MEK : Mitogen-activated ERK Kinase ; MITF : MIcrophtalmia-associated Transcription Factor ; MSH : Melanocyte Stimulating Hormone ; mTOR : mammalian Target Of Rapamycin ; PI3K : phosphatidylinositol 3-kinase ; PKA : Protein Kinase A ; PTEN : Phosphatase and TENsin homolog located on chromosome 10 ; RAS : RAt Sarcoma ; RTK : récepteur à activité tyrosine kinase. Figure 1. les trois voies de signalisation majeures impliquées dans le développement des mélanomes. La voie PI3K (gauche), la voie MAPK (centre) et la voie de l’AMPc (droite). Les protéines indiquées en orange sont codées par des gènes fréquemment mutés ou amplifiés dans les mélanomes cutanés. 536 | La Lettre du Cancérologue ̐ Vol. XX - n° 9 - novembre 2011 pronostic, car les formes métastatiques sont résistantes aux chimiothérapies. Par conséquent, l’identification des cibles moléculaires pour le diagnostic et le traitement des patients au stade métastatique est d’une importance particulière et a été récemment l’objet d’intenses recherches. De nombreuses altérations génétiques ont été décrites ces dernières années dans le mélanome cutané, permettant de mettre en évidence de nouvelles cibles thérapeutiques potentielles. Au moins 3 voies de transduction du signal sont impliquées dans la mélanogenèse : la voie des MAPK (Mitogen-Activated Protein Kinases), celle de la PI3K (phosphatidylinositol 3-kinase) et celle de l’AMPc (AMP cyclique) [figure 1]. Leurs implications dans le développement des mélanomes, leur intérêt thérapeutique et les principes du génotypage sont détaillés ci-dessous. La voie MAPK La voie MAPK est activée en aval de la plupart des récepteurs des facteurs de croissance (FC). C’est une cascade essentielle de signaux de transduction qui contrôle la survie, la croissance et la différenciation cellulaire, mais aussi la transformation tumorale (1). L’activation de la voie MAPK est initiée par les récepteurs à activité tyrosine kinase (RTK). Ces derniers sont des protéines transmembranaires formées d’un domaine amino-terminal qui lie le ligand extracellulaire et d’un domaine carboxy-terminal qui possède une activité tyrosine kinase. La liaison du ligand à son RTK induit l’activation du récepteur, qui se traduit Points forts » Le mélanome est un cancer de la peau dont l’incidence augmente de façon constante. La découverte récente d’altérations génétiques fréquentes et récurrentes dans les mélanomes cutanés permet une classification moléculaire de ces tumeurs en sous-groupes distincts, ouvrant ainsi la voie à la thérapie ciblée. » Plusieurs voies de signalisation telles que MAPK, PI3K, AMPc et cycline D1/CDK4 sont impliquées dans la progression de cette maladie et sont affectées par certaines mutations oncogéniques. Dans chaque voie, plusieurs cibles thérapeutiques potentielles ont été identifiées, et des inhibiteurs spécifiques sont en développement. » Certains inhibiteurs, comme ceux ciblant c-KIT ou BRAF, ont montré une certaine efficacité dans des essais cliniques et devraient rapidement être utilisés en clinique. Malheureusement, certains sous-groupes de mélanomes, comme ceux présentant des mutations de RAS, n’ont pas encore de traitement ciblé approprié. » Nous commençons tout juste à comprendre comment les différentes voies de signalisation activées dans les mélanomes interagissent entre elles, mais il est clair qu’il va être nécessaire de combiner plusieurs inhibiteurs pour obtenir une efficacité thérapeutique à long terme. par l’autophosphorylation de résidus tyrosine dans le domaine intracellulaire. Ces tyrosines phosphorylées servent de sites de liaison pour des protéines adaptatrices responsables de l’activation de plusieurs molécules et donc de plusieurs voies de signalisation (figure 1, p. 536) [2]. Dans les mélanocytes, la voie MAPK est activée par différents facteurs de croissance et stimule la prolifération cellulaire (3). La situation est différente dans le mélanome, où la voie MAPK est activée de façon constitutive dans la majorité des tumeurs grâce à l’acquisition d’une mutation dans l’une des protéines de la voie MAPK, comme détaillé ci-dessous. tumeurs stromales gastro-intestinales (GIST), ayant une mutation de domaine juxta-membranaire de c-KIT, répondent à un inhibiteur de c-KIT (7), suggérant que les mélanomes porteurs d’une mutation de c-KIT pourraient être traités par un tel inhibiteur. En effet, les formes mutées de c-KIT sont capables de transformer des mélanocytes en culture, et ces cellules transformées sont très sensibles à l’imatinib, un inhibiteur de c-KIT qui inhibe leur prolifération (8). Plusieurs inhibiteurs de c-KIT sont en cours de développement clinique pour différentes tumeurs, dont le mélanome (tableau I). Tableau I. Inhibiteurs de kinases en développement clinique. Le récepteur c-KIT Cibles c-KIT est le récepteur du SCF (Stem Cell Factor), qui joue un rôle central dans le développement de multiples lignées cellulaires, dont les mélanocytes. Ainsi, les mutations qui inactivent le récepteur sont associées aux taches blanches dépigmentées que l’on retrouve dans le piébaldisme chez l’homme et chez la souris “Dominant White Spotting” (4). La liaison du SCF à c-KIT induit l’activation du récepteur et l’autophosphorylation des résidus tyrosine spécifiques dans la partie intracellulaire du récepteur. Ces acides aminés phosphorylés sont des sites d’accueil pour différentes protéines, qui à leur tour contrôlent plusieurs voies de signalisation intracellulaire, dont les voies MAPK et PI3K. Jusqu’à récemment, les données publiées suggéraient que c-KIT agissait comme un gène suppresseur de tumeur dans le mélanome, puisque son expression est réduite ou perdue lors de la progression tumorale du mélanome vers les stades invasifs et métastatiques (5). Cependant, il a récemment été démontré que certains mélanomes surexpriment c-KIT, y compris dans des lésions métastatiques, et des mutations activatrices de c-KIT ont récemment été identifiées dans moins de 3 % des mélanomes (6). Bien que globalement rares, les mutations de c-KIT sont plus fréquentes dans les mélanomes muqueux, acraux et les mélanomes survenant sur peau avec élastose solaire (Chronic Sun Damage ou CSD melanoma). Ces mutations affectent le domaine juxta-membranaire du récepteur. Ces résultats sont importants sur le plan thérapeutique, puisque les tumeurs de type c-KIT Imatinib, nilotinib, sunitinib, dasatinib RAF PLX4032/vémurafenib, GSK2118436, XL281/BMS-908662, Raf265/Chir-265, SB-590885 MEK PD0325901, AZD6244, AZD3844, AZD8330, RDEA119, GDC-0973/XL518, GSK1120212, RO4987655 AKT GSK2141795, MK2206, GSK690693, perifosine/KRX-0401, VQD-002, TCN-PM/VD-0002 mTOR Rapamycine/sirolimus, Rad001/évérolimus, CCI-779/temsirolimus, MK8669/ridaforolimus, BEZ235*, XL765/SAR245409*, GSK2126458*, BGT226*, AZD8055, OSI-027, SF1126* PI3K GDC0941, BEZ235*, BKM120, XL147/SAR245408, XL765/SAR245409*, GSK2126458*, PX-866, SF1126*, BGT226* CDK4 PD0332991, LY2835219, LEE011, P1446A-05 Inhibiteurs en développement clinique * Inhibent à la fois mTOR et PI3K. La petite GTPase RAS Les protéines RAS sont des petites GTPase qui forment le lien essentiel entre le RTK et l’activation de la voie MAPK. La protéine RAS agit comme un interrupteur moléculaire : elle est “on” lorsqu’elle est liée au GTP (guanine triphosphate) et “off” quand elle est liée au GDP (guanine diphosphate). Après activation d’un RTK, le complexe protéique Shc/Grb2/SOS s’y fixe et stimule le remplacement du GDP par le GTP sur RAS, l’activant ainsi (9). Les réponses cellulaires à l’activation de RAS sont variées du fait que Mots-clés Mélanome Voies de signalisation Inhibiteurs Thérapie Génotypage Highlights » Melanoma is a deadly skin cancer, the incidence of which has been increasing worldwide. The recent discovery of frequent and recurrent genetic alterations in cutaneous melanoma allows a molecular classification of these tumours into distinct subgroups, opening the road to oncogene-targeted therapy. » Several signalling pathways are involved in the progression of this disease, with oncogenic mutations affecting the MAPK, the PI3K, the cAMP and the cyclin D1/ CDK4 pathways. In each pathway, several potential therapeutic targets have been identified, and specific inhibitors are under development. » Some drugs, such as those targeting c-KIT or BRAF, are showing promising clinical activity and are quickly moving into the clinics. However, some melanoma subgroups, such as those with RAS mutations, are still without appropriate therapy. » We are just beginning to understand the interplays between the different signalling pathways, but it is clear that we will need to develop appropriate combination therapy strategies to achieve long-term clinical efficacy. Keywords Melanoma Signalling pathways Inhibitors Therapy Genotyping La Lettre du Cancérologue ̐ Vol. XX - n° 9 - novembre 2011 | 537 DOSSIER THÉMATIQUE Oncodermatologie Les voies de signalisation activées dans le mélanome et les principes actuels du génotypage la protéine RAS associée au GTP peut lier plusieurs protéines effectrices, telles que les protéines RAF, PI3K, RalGDS et phospho lipase Cε (10). Il y a 3 protéines RAS très similaires, HRAS, KRAS et NRAS, et les mutations des acides aminés 12, 13 ou 61 de l’une des 3 protéines RAS les convertissent en oncogènes. Ces mutations inhibant l’activité GTPase des protéines RAS, celles-ci, liées en permanence au GTP, sont donc actives de façon constitutive. Environ 20 % des mélanomes présentent une mutation d’un gène RAS et, dans la plupart des cas, cette mutation est située au niveau du codon 61 de NRAS (Q61R ou Q61K) [11]. Les protéines RAS ont plusieurs effecteurs qui peuvent contribuer aux propriétés oncogéniques de la forme mutée RAS (figure 1, p. 536). La présence de mutations de RAS ou de RTK en amont de RAS suggère que la protéine RAS pourrait être une bonne cible thérapeutique pour le traitement du mélanome. Les seuls agents développés à ce jour qui affectent l’activité de RAS sont les inhibiteurs de farnésyl transférase (FTI). Ces agents inhibent la modification post-traductionnelle des protéines RAS, empêchant de fait leur localisation membranaire, qui est nécessaire à leur activité (12). Un grand nombre de FTI très efficaces ont été identifiés (13), mais la farnésylation n’étant pas un processus propre aux seules protéines RAS, l’utilisation de ces inhibiteurs est limitée par leur manque de spécificité. Les protéines RAS pouvant donc difficilement être ciblées par des inhibiteurs spécifiques, les recherches actuelles s’orientent plutôt vers des cibles impliquées dans les voies de signalisation activées en aval de RAS comme RAF, MEK, PI3K, AKT ou mTOR, qui sont impliquées dans les voies MAPK et PI3K. Au sein d’une même voie de signalisation, les mutations sont mutuellement exclusives : c’est le cas, par exemple, des mutations de c-KIT, NRAS et BRAF, qui toutes 3 activent la voie MAPK et ne sont quasiment jamais retrouvées de façon concomitante dans les mélanomes (6, 11). Les kinases de la famille RAF Les protéines RAF sont des sérine/thréonine kinases qui jouent un rôle pivot dans la voie MAPK. La famille des kinases RAF est composée de 3 membres : ARAF, BRAF et CRAF (également appelé Raf-1), qui partagent une architecture commune et qui sont soumis à une régulation complexe (14). Les protéines RAF sont recrutées à la membrane plasmique par liaison directe aux protéines RAS actives et sont activées en plusieurs étapes. Les protéines RAF phospho- 538 | La Lettre du Cancérologue ̐ Vol. XX - n° 9 - novembre 2011 rylent et activent une protéine kinase appelée MAPK/ ERK kinase (MEK), qui à son tour active une troisième protéine kinase appelée ERK. ERK est elle-même une protéine kinase qui phosphoryle de nombreuses cibles, notamment des facteurs de transcription, régulant ainsi l’expression de nombreux gènes (figure 1, p. 536). Le gène BRAF, qui est impliqué dans la voie MAPK, est muté dans 50 à 70 % des mélanomes cutanés (15). La mutation la plus commune se trouve dans le domaine kinase de BRAF, avec une substitution de la valine en glutamate au codon 600 (V600E) représentant 80 % des mutations observées (16). La protéine mutante BRAFV600E active la voie MAPK de façon constitutive, stimulant la prolifération et la survie cellulaires, qui sont essentielles à la croissance tumorale (17, 18). La protéine mutante BRAFV600E contribue également à la néoangiogenèse en provoquant l’expression et la sécrétion autocrine du VEGF (Vascular Endothelial Growth Factor) [19]. La présence fréquente de mutations de BRAF dans le mélanome fait de cette protéine une cible attrayante dans cette pathologie. Plusieurs inhibiteurs de RAF ont été développés. Ils sont de 2 sortes : d’une part, des inhibiteurs de classe I, qui agissent spécifiquement sur la protéine mutante BRAFV600E ; d’autre part, des inhibiteurs de classe II, qui inhibent toutes les protéines RAF. Les inhibiteurs de classe I incluent le vémurafénib, XL281 et GSK2118436, qui sont des inhibiteurs spécifiques de la protéine mutée BRAFV600E et qui ont montré leur efficacité dans des modèles précliniques (tableau I, p. 537) [20]. Leur activité clinique est en cours d’étude, et les résultats des essais cliniques sont présentés dans l’article “Résultats et perspectives des thérapies ciblées” (p. 572). Le premier inhibiteur de RAF de classe II a avoir été testé en clinique fut le sorafénib. Cet inhibiteur a démontré une certaine efficacité dans des modèles précliniques de mélanomes (18), mais les résultats cliniques ont été décevants en raison de la capacité du sorafénib à inhiber un large spectre de kinases, augmentant ainsi sa toxicité (21, 22). Cependant, d’autres inhibiteurs ciblant toutes les kinases RAF sont en cours de développement clinique et ne devraient pas être négligés, en particulier pour cibler les mélanomes mutés sur RAS dans lesquels la protéine CRAF joue un rôle prédominant (23). Par ailleurs, MEK étant le seul substrat décrit de BRAF, c’est une cible thérapeutique intéressante pour les mélanomes mutés sur BRAF. Dans des modèles précliniques, les inhibiteurs de MEK induisent une réduction significative de la croissance du mélanome (24). Néanmoins, ces inhibiteurs n’ont pas, jusqu’à présent, montré DOSSIER THÉMATIQUE une efficacité significative sur les mélanomes dans les essais cliniques, leur toxicité limitant la dose maximale utilisable (24). Une nouvelle génération d’inhibiteurs de MEK est en développement clinique (tableau I, p. 537). Si leur toxicité est limitée, ces inhibiteurs pourraient être utiles pour traiter des patients ayant acquis la résistance aux inhibiteurs de BRAF (25). La voie PI3K La PI3K est à la fois un effecteur de RAS et un effecteur direct des RTK. Une fois activée, la PI3K convertit le PIP2 (phosphatidylinositol 4,5 phosphate) en PIP3 (phosphatidylinositol 3,4,5 phosphate), qui, en fixant les protéines ayant un domaine PH (Pleckstrin Homology), régule leur localisation et leur activité (figure 1, p. 536) [26]. Les protéines AKT (AKT1, AKT2 et AKT3), appelées aussi protéines kinase B, contiennent un tel domaine PH et sont les effecteurs les plus connus de PI3K. Les protéines AKT ont de nombreuses cibles, et en particulier plusieurs protéines associées à l’apoptose, comme la caspase 9 et BAD (27). Ainsi, lorsqu’elle est activée, la voie PI3K/AKT protège les cellules de l’apoptose. Il n’est donc pas étonnant de retrouver une activation constitutive de cette voie de signalisation dans de nombreux cancers, dont les mélanomes. La voie PI3K est régulée négativement par la lipide phosphatase PTEN (Phosphatase and TENsin homolog located on chromosome 10) qui déphosphoryle PIP3, inhibant ainsi l’activation des protéines AKT par PI3K (28). Des délétions partielles ou totales du gène PTEN ont été décrites dans 30 à 50 % des mélanomes, et des mutations ponctuelles dans 10 % d’entre eux (29, 30). Par ailleurs, l’activation constitutive de la protéine AKT3, l’isoforme prédominante AKT dans le mélanome, a été récemment retrouvée dans plus de 60 % des mélanomes (31), soulignant l’importance de l’activation de la voie PI3K dans leur développement. In situ, l’expression des protéines AKT phosphorylées et donc actives est importante dans les mélanomes invasifs et les métastases, et est inversement corrélée à la survie des patients (32). Plusieurs systèmes modèles ont montré que l’inhibition de la voie PI3K/AKT agissait sur la croissance des cellules de mélanome en culture et in vivo, démontrant que cette voie était une cible thérapeutique intéressante pour le traitement du mélanome (31). L’inhibition pharmacologique des composants de la voie PI3K vise les protéines PI3K, AKT mais aussi mTOR (mammalian Target Of Rapamycin), une cible des protéines AKT, impliquée dans la régulation de la traduction des protéines et le cycle cellulaire (tableau I, p. 537) [33]. Il est important de noter que les mutations du gène BRAF, en particulier la mutation V600E, sont également observées dans les nævus bénins, ce qui suggère que la mutation de BRAF n’est pas suffisante pour transformer les mélanocytes (34). Ainsi, plusieurs altérations génétiques sont nécessaires au développement des mélanomes. Dans un modèle de souris transgénique, la mutation V600E de BRAF coopère avec la perte de PTEN pour induire des mélanomes (35). Par ailleurs, les mutations de BRAF sont fréquemment associées à la perte de PTEN dans les mélanomes humains. Ces données suggèrent que la voie MAPK et la voie PI3K coopèrent lors du développement des mélanomes et qu’il sera nécessaire de cibler de façon concomitante ces 2 voies de signalisation pour traiter les mélanomes de façon durable. En effet, plusieurs publications montrent que cibler à la fois la voie MAPK et la voie PI3K est plus efficace pour inhiber la prolifération des mélanomes que cibler seulement l’une des 2 voies (36). Des essais cliniques allant dans ce sens sont en cours. La voie de l’AMPc et MITF La voie de l’AMPc est stimulée par des hormones mélanotropes produites par les kératinocytes comme l’α-MSH (alpha-Melanocyte Stimulating Hormone), qui se lie au récepteur MC1R (Melanocortin 1 Receptor) et stimule la production d’AMPc. L’AMPc active la protéine kinase A (PKA), qui phosphoryle et active le facteur de transcription CREB (cAMP Responsive Element Binding Protein), qui à son tour, stimule l’expression de la protéine MITF (figure 1, p. 536) [37]. La protéine MITF est un facteur de transcription situé au centre de multiples voies de signalisation contrôlant la différenciation, la morphologie, la prolifération et la survie des différentes cellules de la lignée mélanocytaire : les mélanoblastes, les mélanocytes et les mélanomes (38). Il a récemment été montré que le gène MITF était amplifié dans environ 20 % des mélanomes, mais pas dans les nævus (39). L’amplification de MITF est corrélée à une diminution de la survie globale des patients. L’expression ectopique de MITF coopère avec la protéine mutante BRAFV600E pour transformer des mélanocytes humains, démontrant que MITF peut agir comme un oncogène dans le mélanome (39). L’inhibition de l’expression de MITF induit l’apoptose des lignées de mélanomes dans lesquelles le gène MITF est amplifié, mais aussi des lignées dans La Lettre du Cancérologue ̐ Vol. XX - n° 9 - novembre 2011 | 539 DOSSIER THÉMATIQUE Oncodermatologie Les voies de signalisation activées dans le mélanome et les principes actuels du génotypage lesquelles il ne l’est pas (39, 40). La protéine MITF est donc une cible potentielle dans le mélanome, mais moduler son activité in vivo semble encore difficile. La voie p16/CDK4 Le clinicien prescripteur du génotypage remplit la fiche dédiée téléchargeable sur le site Internet de la plate-forme de génétique moléculaire de son secteur Cette demande est transmise au médecin anatomopathologiste qui détient le prélèvement tumoral Le médecin anatomopathologiste envoie cette fiche accompagnée de la tumeur au laboratoire réalisant le génotypage Le laboratoire réalise le test et envoie les résultats au clinicien prescripteur et anatomopathologiste qui lui a adressé le prélèvement Figure 2. La demande de génotypage dans les mélanomes, réalisée en 3 étapes, selon les modalités établies par l’INCa. La protéine p16 (CDKN2A) régule le cycle cellulaire à travers son interaction avec la kinase CDK4. En effet, alors que la protéine kinase CDK4 s’associe à la cycline D1 pour stimuler la progression du cycle cellulaire, la protéine p16, en se liant à CDK4, inhibe le cycle cellulaire. Les mutations germinales du gène p16 prédisposent au développement du mélanome, et des mutations ou délétions somatiques de p16 sont des événements fréquents dans le mélanome (41). Des mutations activatrices de CDK4 ont été décrites dans le mélanome familial ainsi que dans des cas sporadiques de mélanome (42). Enfin, l’amplification des gènes codant pour la cycline D1 ou CDK4 a été observée dans un sous-ensemble de mélanomes (43). Ces données démontrent que l’activité du complexe CDK4/cycline D1 est un élément important dans la transformation des mélanocytes, et par là même que CDK4 est une cible thérapeutique dans le mélanome. Des inhibiteurs spécifiques de CDK4/CDK6 qui sont en développement préclinique et clinique pourraient avoir un intérêt thérapeutique dans certains mélanomes (tableau I, p. 537). Génotypages dans les mélanomes : outils d’orientation thérapeutique Développement de la médecine personnalisée et de la pharmacogénomique en oncologie La caractérisation moléculaire de la tumeur devient un critère déterminant dans le choix de la stratégie thérapeutique, qui ne repose plus seulement sur le type et le stade de la maladie. Elle permet un accès optimal aux thérapies ciblées : un traitement n’est prescrit qu’aux seuls patients susceptibles d’en bénéficier, et un traitement inutile, toxique et coûteux est épargné aux autres. En agissant sur des altérations moléculaires spécifiques, les thérapies ciblées constituent ainsi des traitements personnalisés. Cette approche innovante est particulièrement axée sur l’identification de biomarqueurs prédictifs de la réponse et du suivi aux thérapies ciblées. 540 | La Lettre du Cancérologue ̐ Vol. XX - n° 9 - novembre 2011 Depuis 2001, plusieurs thérapies ciblées ont reçu une autorisation de mise sur le marché (AMM) restreinte à un groupe de pathologies présentant des altérations moléculaires spécifiques, parmi lesquelles : les cancers du sein avec amplification du gène HER2 dans 15 à 20 % des cas, les cancers du poumon avec la présence de mutations d’EGFR dans près de 12 % des cas, et les cancers colorectaux métastatiques avec la présence de mutations du gène KRAS dans environ 40 % des cas. Dans le mélanome, il s’agit de rechercher les mutations des gènes BRAF et de c-KIT chez les patients atteints d’un mélanome métastatique. En effet, le mélanome métastatique est une affection de pronostic redoutable (médiane de survie : 6,2 mois). La chimiothérapie de référence, la dacarbazine, permet d’obtenir des taux de réponse de 7,5 % de courte durée. L’ipilimumab, anticorps monoclonal anti-CTLA4, augmente la survie de patients prétraités de 30 %. L’avènement des thérapies ciblées dans le mélanome en est à ses débuts. Environ 50 % des mélanomes métastatiques présentent des mutations activatrices sur le gène BRAF. La plus fréquente (74 % des cas) est celle localisée sur le codon 600 (BRAFV600E). Plus de la moitié des patients porteurs de cette mutation sont répondeurs aux inhibiteurs de BRAF actuellement évalués dans le cadre d’essais cliniques (20). L’inhibiteur vémurafénib, dont les résultats obtenus en phase II sont disponibles et qui est évalué actuellement en phase III, a obtenu l’AMM en août 2011. Le génotypage BRAF conditionnera ces traitements. En effet, c’est précisément cette population de patients qui est identifiée par génotypage et qui pourra bénéficier d’un traitement par ces inhibiteurs. Par ailleurs, un sous-groupe de mélanomes est caractérisé par une grande fréquence des mutations et amplifications de c-KIT (15 %, contre moins de 1 % pour l’ensemble des mélanomes) [6]. Ce sous-groupe est représenté par les mélanomes acraux, muqueux ou les mélanomes de Dubreuilh. La recherche de ces mutations, centralisée à l’hôpital Saint-Louis (Paris) dans le cadre d’inclusions dans le programme hospitalier de recherche clinique (PHRC) “étude du nilotinib dans les mélanomes porteurs de mutations de c-KIT”, est également réalisée suite à des données de réunions de concertation pluridisciplinaire. En France, ces tests sont réalisés depuis 2009 pour la prescription de thérapies ciblées au sein des plates-formes de génétique moléculaire labellisées et soutenues par l’Institut national du cancer (INCa) [figure 2]. DOSSIER THÉMATIQUE En pratique Les mutations de BRAF (exon 15, codon V600) sont recherchées systématiquement en première intention (positivité d’environ 50 %). En cas de négativité, le séquençage des exons 11, 13, 17 et 18 de c-KIT est réalisé pour les mélanomes muqueux, acrolentigineux et ceux induits par une exposition chronique au soleil, parmi lesquels 10 à 30 % sont positifs. Enfin, en cas de négativité de cette deuxième étape de génotypage, le séquençage des exons 2 et 3 de NRAS peut être réalisé en vue d’une caractérisation complète de ces tumeurs dans la perspective du développement d’autres inhibiteurs susceptibles d’avoir une activité sur les mélanomes mutés NRAS, tels que les inhibiteurs de MEK. Depuis 2009, le nombre de tests réalisés par le laboratoire de pharmacogénomique de l’hôpital SaintLouis (plate-forme de l’AP-HP soutenue par l’INCa) ne cesse de progresser (tableau II). par polymérase (Polymerase Chain Reaction [PCR]) de l’exon 15 (figure 3) ou par PCR en temps réel avec sondes fluorescentes détectant spécifiquement la mutation V600E (figure 4). Tableau II. Génotypage des mélanomes à l’hôpital Saint-Louis. Test 2009 2010 2011 2 premiers trimestres BRAF 24 222 160 Mutations c-KIT 5 44 35 Amplification c-KIT 24 222 160 NRAS 12 122 80 G T G A A A A G T A G w G A A A G T/A G A A A G A G 100 T C T Génotype sauvage Méthodologie de génotypage BRAF, c-KIT et NRAS dans les mélanomes ➤ Extraction des ADN à partir de blocs de tumeurs incluses en paraffine ou de prélèvements biopsiques congelés après vérification histologique et macrodissection afin d’assurer, au sein de l’échantillon, un pourcentage de cellules tumorales entre 70 et 80 %. ➤ Extraction des ADN par kit FFPE Qiagen® après déparaffinage ou kit DNeasy Blood and Tissue Qiagen®. L’analyse quantitative des ADN extraits est réalisée. ➤ Génotypage BRAF : il est réalisé par séquençage des produits d’amplification par la réaction en chaîne A G A A A A 100 T T C C T Mutant hétérozygote V600E A T C A A A T A A 100 T C A G A G A T C G C Q 4,0 Hétérozygote Q Allèle Y A C hv VIC Allèle X Les deux Allèle Y Contrôle négatif Sauvage 5,0 FAM A C T Figure 3. Génotypage BRAF : séquençage Sanger de l’exon 15 de BRAF. Principe de la méthode ▾▾▾ Q T Mutant homozygote V600E Présentation des résultats selon les différents génotypes ▸▸▸ FAM T 3,0 2,0 FAM Homozygote Q G C 1,0 0,0 Figure 4. Génotypage BRAF : discrimination allélique par PCR en temps réel. 0,3 0,8 1,3 1,8 2,3 2,8 3,3 Allèle X La Lettre du Cancérologue ̐ Vol. XX - n° 9 - novembre 2011 | 541 DOSSIER THÉMATIQUE Oncodermatologie Les voies de signalisation activées dans le mélanome et les principes actuels du génotypage ➤ Génotypage c-KIT : les exons 11, 13, 17 et 18 sont séquencés par la méthode de Sanger après une réaction de PCR spécifique. Les mutations c-KIT se produisent avec la fréquence la plus élevée (environ 70 %) dans l’exon 11 du domaine juxta-membranaire, mais aussi dans le domaine kinase I, exon 13 (environ 17 %), et dans le domaine kinase II, l’exon 17 (environ 15 %) [tableau III]. Les mutations de c-KIT sont réparties sur toute la longueur des 4 exons. Par conséquent, il est nécessaire de réaliser un séquençage de l’intégralité de ces exons. La principale difficulté du génotypage de c-KIT est due à la qualité de l’ADN à séquencer. Les tissus à génotyper sont en grande majorité des prélèvements fixés puis inclus en paraffine (FFPE). Il faut tenir compte d’un pourcentage de prélèvements non informatifs de 10 à 25 % en fonction des centres. La découverte dans le mélanome de mutations fréquentes dans les voies de signalisation a représenté une percée majeure dans la génétique de ce cancer ces dernières années. Le développement rapide d’inhibiteurs spécifiques apporte un grand espoir pour le traitement de certains mélanomes. Cependant, chaque mélanome présentant plusieurs altérations génétiques, il devient maintenant clair que plusieurs oncogènes devront être ciblés pour obtenir une réponse durable au traitement. C’est donc un traitement spécifique et à la carte pour chaque mélanome qui se profile à l’horizon. Dans cette optique, il est important de développer des systèmes de génotypage des mélanomes fiables, précis et rapides pour adapter le traitement des patients. ■ Références bibliographiques 1. 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Mutations Acide aminé n % K550N 1 2 11 Satzger I et al., Br J Cancer 2008 Y553N 1 2 11 Curtin JA et al., J Clin Oncol 2006 W557R 3 5 11 Beading C et al., Clin Cancer Res 2008 ; Rivera RS et al., Virchows Arch 2008 ; Satzger I et al., Br J Cancer 2008 K558N 1 2 11 Beading C et al., Clin Cancer Res 2008 K558E 1 2 11 Tate G et al., Cancer Genet Cytogenet 2009 V559A 4 6 11 Beading C et al., Clin Cancer Res 2008 ; Curtin JA et al., J Clin Oncol 2006 ; Jiang X et al., Clin Cancer Res 2008 ; Torres-Cabala et al., Mod Pathol 2009 V559G 1 2 11 Torres-Cabala et al., Mod Pathol 2009 V559D 1 2 11 Beading C et al., Clin Cancer Res 2008 V560D 2 3 11 Quintas-Cardama A et al., Nat Clin Prat Oncol 2008 ; Torres-Cabala et al., Mod Pathol 2009 N566D 1 2 11 Curtin JA et al., J Clin Oncol 2006 V569G 1 2 11 Rivera RS et al., Virchows Arch 2008 L576P 23 37 11 Antonescu CR et al., Int J Cancer 2007 ; Beading C et al., Clin Cancer Res 2008 ; Curtin JA et al., J Clin Oncol 2006 ; Satzger I et al., Br J Cancer 2008 ; Willmore-Payne C et al., Hum Pathol 2005 ; Willmore-Payne C et al., Hum Pathol 2006 ; Went PT et al., J Clin Oncol 2004 ; Sekine S et al., Virchows Arch 2009 ; Torres-Cabala et al., Mod Pathol 2009 R634W 1 2 13 Curtin JA et al., J Clin Oncol 2006 K642E 10 16 13 Ashida A et al., Int J Cancer 2009 ; Curtin JA et al., J Clin Oncol 2006 ; Rivera RS et al., Virchows Arch 2008 ; Lutzky J et al., Pigment Cell Melanoma Res 2008 ; Torres-Cabala et al., Mod Pathol 2009 N655K 1 2 13 Torres-Cabala et al., Mod Pathol 2009 D816H 3 5 17 Curtin JA et al., J Clin Oncol 2006 D816V 2 3 17 Torres-Cabala et al., Mod Pathol 2009 D820Y 1 2 17 Ashida A et al., Int J Cancer 2009 N822I 1 2 17 Torres-Cabala et al., Mod Pathol 2009 Y823D 1 2 17 Beading C et al., Clin Cancer Res 2008 A829P 1 2 18 Curtin JA et al., J Clin Oncol 2006 I841V 1 2 18 Satzger I et al., Br J Cancer 2008 Total 62 Exon Références Acide aminé Mutations (n) Délétion 576 1 11 Monsel et al., Oncogene 2010 Délétion 579 1 11 Satzger I et al., Br J Cancer 2008 Délétion 554-559 1 11 Beading C et al., Clin Cancer Res 2008 Délétion intronique (-1) 1 Duplication de 7 codons 1 11 Hodi FS et al., J Clin Oncol 2008 Délétion 566-572 1 11 Torres-Cabala et al., Mod Pathol 2009 Délétion 566-574 1 11 Torres-Cabala et al., Mod Pathol 2009 712 | La Lettre du Cancérologue ̐ Vol. XX - n° 9 - novembre 2011 Exon Références Curtin JA et al., J Clin Oncol 2006