Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XIII - n° 3 - mai-juin 2009
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dossier thématique
Les concepts
Pour produire son effet, un médicament doit agir au
bon endroit et à une concentration adaptée” (1) mais
également au “bon moment. En effet, selon l’état dans
lequel se trouve l’organisme – constitué d’un ensemble
de rythmes biologiques – au moment de ladministra-
tion du médicament, les effets seront différents (effi-
cacité ou toxicité plus ou moins importantes) [2]. De
la conception du médicament jusqu’à son utilisation
quotidienne, ce facteur de variation peut être impliqué
à des degrés divers. Ainsi, au cours des études expé-
rimentales, il a pu être démontré que la toxicité pou-
vait dépendre du moment de l’administration de très
nombreux médicaments. La toxicité aiguë, exprimée
par exemple, par la dose létale (DL) 50, dépend de ce
moment d’administration : dès cette étape initiale, il est
donc très important de maîtriser ce facteur de variation,
puisque les études qui suivent chez l’animal puis chez
l’homme vont en dépendre (3).
Les modèles animaux, utilisant souvent des rongeurs
(rats, souris) dont la synchronisation des rythmes bilo-
giques est inversée par rapport à celle qui est observée
chez l’homme, vont donc devoir prendre en compte
cette dimension temporelle pour caractériser les effets
des médicaments : les phénomènes observés chez le rat
ou chez la souris doivent théoriquement être dans la
plupart des cas inversés de 12 heures pour être extra-
polés à l’homme. Les études chronopharmacologiques,
ou la prise en compte du moment d’administration,
impliquent des outils spécifiques et une méthodologie
adaptée. Certains de ces outils ont été développés
depuis quelques années : télémétrie, microdialyse,
pompes osmotiques, pompes à débit programma-
ble dans le temps, etc. (4). Leur intérêt réside le plus
souvent dans l’absence de stress ou d’interventions
pouvant interférer avec les rythmes enregistrés. La
télémétrie, par exemple, est une méthode autorisant
un enregistrement continu de données physiologi-
ques chez l’animal telles que la fréquence cardiaque,
la pression artérielle, la température centrale, l’activité
locomotrice, etc. qui permet de faire abstraction de
tout stress de contention, de limitation de mobilité
de l’animal… (3).
Au cours des essais cliniques chez le volontaire sain
puis chez les patients, les études de chronopharma-
cologie ont permis d’établir la réalité de limportance
du moment d’administration. L’injection de 4 mg de
xylocaïne à 8 heures entraîne une durée d’anesthésie
Concepts et avancées
en chronopharmacologie
Chronopharmacology: concepts and new trends
Bernard Bruguerolle*
* Laboratoire de pharmacolo-
gie médicale et clinique, facul-
té de médecine de Marseille,
université de la méditerranée
et hôpital La Timone, AP-HM,
Marseille.
La toxicité, l’activité et la cinétique d’un médicament dépendent
»
de son moment d’administration compte tenu de l’existence des
rythmes biologiques de l’organisme qui le reçoit.
Les études chronopharmacologiques, ou la prise en compte du
»
moment d’administration, impliquent des outils spécifiques et une
méthodologie adaptée. Certains de ces outils ont été développés
depuis quelques années : télémétrie, microdialyse, pompes
osmotiques, pompes à débit programmable dans le temps, etc.
La variation d’efficacité ou de toxicité d’un médicament peut
»
s’expliquer par deux types de mécanismes : variation temporelle du
mode d’action du médicament (pharmacodynamie) ou modification
temporelle de l’une des étapes de son devenir dans l’organisme
(pharmacocinétique).
La distribution temporelle des médicaments prenant en compte le
»
moment d’administration permet de rechercher, par une approche
différente et plus rationnelle de la thérapeutique, une meilleure
efficacité et une meilleure tolérance des médicaments en améliorant
leur rapport bénéfice/risque.
Le nouvel élan apporté par la génétique à létude des rythmes
»
biologiques et la découverte, à côté de l’horloge centrale représentée
par les noyaux suprachiasmatiques, d’horloges périphériques au
niveau du foie, du rein, de l’intestin, du cœur ou du pancréas, ouvrent
de nouvelles perspectives chronopharmacologiques.
Mots-clés : Chronopharmacologie – Médicaments – Rythmes biolo-
giques – Chronothérapie.
Keywords: Chronopharmacology Drugs Biological rhythms
Chronotherapy.
Points forts
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locale de 15 minutes alors que la même injection à
15 heures provoque une anesthésie de 30 minutes (4).
Par la suite, il a été montré que la pharmaco cinétique
d’une même dose de cet anesthésique local était sui-
vie de concentrations plasmatiques différentes selon
l’heure de l’injection, avec des concentrations plasmati-
ques plus importantes à 16 heures (4). Plus récemment,
R. Debon et al. (5) ont mis en évidence au cours de
l’accouchement une durée d’analgésie induite par la
ropivacaïne supérieure lorsque la péridurale est réalisée
à 17 heures.
Les mécanismes
La variation d’efficacité ou de toxicité d’un médica-
ment peut s’expliquer par deux types de mécanisme :
variation temporelle du mode d’action du médicament
(pharmacodynamie) ou modification temporelle de
l’une des étapes de son devenir dans l’organisme (phar-
macocinétique) [3].
La variation temporelle de l’action du médicament sur
son récepteur peut s’expliquer à la fois par les varia-
tions temporelles de sa fixation (binding) et par celles
des phénomènes de transduction qui en résultent. Les
effets chronopharmacologiques des bêtabloquants,
par exemple, dépendent essentiellement de variations
circadiennes au niveau des mécanismes de transduc-
tion mettant en jeu l’AMP cyclique et les phospho-
diestérases (6). Bien qu’elles ne soient pas directement
responsables de l’effet chronopharmacologique, les
variations de la cinétique de ces agents ont également
été démontrées.
Le deuxième mécanisme des phénomènes chrono-
pharmacologiques, bien qu’il soit moins souvent impli-
qué, repose sur les variations temporelles de l’une des
étapes du parcours du médicament dans l’organisme
pour arriver jusqu’à sa cible, compte tenu de l’existence
de rythmes biologiques de lorganisme qui le reçoit
(figure 1). Comme cela est développé dans de nombreu-
ses revues de la littérature (7, 8), l’absorption (figure 2)
[9], la distribution, le métabolisme et l’élimination des
médicaments peuvent varier au cours des 24 heures. De
récents travaux dans ce domaine ont permis d’établir
les variations circadiennes de l’expression de protéines
de transport au niveau intestinal, impliquées dans le
transport des médicaments : MDR1, MCT1, MRP2, PEPT1
et BCRP, qui pourraient conditionner des variations
chronocinétiques (10). Lessor des études chronogé-
nétiques et les récents progrès de limplication des
gènes dans les effets des médicaments ont permis
d’identifier de nombreuses variations rythmiques de
l’expression de gènes impliqués dans le métabolisme
hépatique des médicaments fournissant lexplication
des variations rythmiques de leur dégradation (11). La
plupart des médicaments ont donc un comportement
pharmacocinétique qui varie selon le moment de leur
administration. Les aspects méthodologiques de ce
type d’études (8) nécessitent autant, si ce n’est plus, de
rigueur et de contrôle des autres facteurs susceptibles
d’entraîner des variations (posture, alimentation, présen-
tation galénique, etc.) : la prise en compte simultanée de
plusieurs de ces facteurs de variation a pu être réalisée
par l’utilisation de modèles pharmacocinétiques sous
la forme de covariables (12).
Figure1. Chronopharmacocinétique.
Concentration
Concentration
Temps
8 16 24 Heures
Concentration
Temps
Temps
Le profil pharmacocinétique
d'un médicament dépend de son heure
d'administration (chronocinétique)
Figure2. Variation circadienne de l’absorption (rapport Cmax/Tmax) de carbamazépine (100 mg/kg/p.o.) administrée
par voie orale chez le rat à quatre moments différents de la journée : la variation persiste malgré la mise à jeun des
animaux qui amplifie le phénomène (9).
40
30
20
10
0
Heures
Carbamazépine : 100 mg/kg p.o. (rats)
Animaux à jeun
Animaux non à jeun
Cmax/Tmax ratio
6 18 6
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Concepts et avancées en chronopharmacologie
L’application de ces données à l’homme malade
conduit à la possibilité de choisir le meilleur moment
d’administration du médicament pour une meilleure
efficacité et/ou une meilleure tolérance en optimisant
le rapport bénéfice/risque. La prescription des corti-
coïdes est actuellement l’une des applications chrono-
thérapeutiques les plus anciennes utilisée en pratique
médicale courante : une administration le matin (en
respectant le rythme physiologique du cortisol dont
le pic de sécrétion se situe entre 7 heures et 9 heu-
res) assure une meilleure tolérance et une meilleure
efficacité. Dans l’asthme corticodépendant, l’efficacité
des corticoïdes est, elle aussi, supérieure lorsque le
maximum de la dose quotidienne est donné le matin
(et non le soir) pour soulager la crise qui survient sept
fois sur dix dans la deuxième partie de la nuit (13).
Dans le domaine de la cancérologie, l’apport de nou-
velles technologies (pompes implantables ou portables
dont le débit peut être programmé) permet l’appli-
cation de ces données. En effet, ces pompes rendent
possible une distribution temporelle des médicaments
anticancéreux, de manière à délivrer le minimum de
la dose journalière au moment où l’organisme est le
plus sensible afin d’en améliorer la tolérance : ainsi, la
chimiothérapie associant le 5-Fu (5 fluorouracile) et
des dérivés du platine par chrono modulation permet
d’améliorer la tolérance du traitement et d’augmenter
le taux de réponse jusqu’à 66 % dans les métastases des
cancers colorectaux (14). En rhumatologie, la meilleure
tolérance de l’indométacine, anti-inflammatoire non
stéroïdien, s’observe lorsqu’il est pris le soir. Plus récem-
ment, R.C. Hermida et al. (15) ont démontré, dans un
essai prospectif randomisé en double aveugle chez
plus de 330 sujets présentant une hypertension modé-
rée, la supériorité des effets de l’acide acétylsalicylique
lorsqu’il est administré le soir au coucher.
Les perspectives
Le nouvel élan apporté par la génétique à l’étude des
rythmes biologiques offre d’importantes avancées chro-
nopharmacologiques. Deux exemples dans le domaine
de la diabétologie peuvent lillustrer :
La découverte d’une association entre un variant
du gène MTN R1B, codant pour l’un des récepteurs
de la mélatonine, hormone de régulation des ryth-
mes biologiques au niveau du pancréas, et la gly-
mie, font penser que la mélatonine pourrait réguler
la sécrétion circadienne d’insuline par inhibition
directe sur les cellules bêta (16). Lintervention de la
mélatonine dans le développement du diabète de
type 2 permet ainsi d’envisager de nouvelles voies
thérapeutiques.
Récemment, il a également été montré qu’un récep-
teur nucléaire, PPAR gamma, cible des antidiabétiques
de la classe des thiazolidinediones, intervenait dans la
régulation de la rythmicité circadienne du système vas-
culaire. L’activation de PPAR gamma stimule l’expression
de Bmal1, facteur de transcription intervenant dans le
contrôle de l’horloge au niveau des vaisseaux sanguins.
Leffet protecteur cardio-vasculaire des thiazolidinediones
pourrait alors s’expliquer par une restauration des ryth-
mes circadiens (17).
On le voit maintenant, la considération des rythmes
biologiques devient incontournable dans l’évaluation
des effets des médicaments. La distribution tempo-
relle des médicaments (18) prenant en compte le
moment dadministration permet de rechercher dans
de nombreuses pathologies, par une approche dif-
férente et plus rationnelle de la thérapeutique, une
meilleure efficacité et une meilleure tolérance des
médicaments en améliorant leur rapport bénéfice/
risque.
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