REVUE DE PRESSE dirigée par le Pr T. Moreau
370 | La Lettre du Neurologue • Vol. XIV - n° 11 - décembre 2010
Commentaire
Sans trop de surprise, c’est certain, dans ce travail
à vocation plutôt fondamentale, l’importance
de l’hippocampe dans la gestion des mémoires
épisodiques est à l’honneur. Néanmoins, tradition-
nellement, les études concernant les bases neuro-
biologiques de la mémoire posent généralement
la question: “Comment l’hippocampe permet-il
l’intégration de nouvelles expériences au sein de
notre réseau de souvenirs préexistants?” Or, dans
cette étude, qui a de surcroît le mérite d’avoir été
réalisée chez l’homme, l’approche est radicalement
opposée, puisqu’elle aborde le devenir des anciens
souvenirs lors de l’incorporation de nouvelles infor-
mations. Les auteurs ont eu la subtilité de mettre
en évidence le fait que l’apparente distorsion des
souvenirs anciens au profit d’une nouvelle expé-
rience cachait une possibilité de survie des expé-
riences initiales, et ce en corrélation avec l’activité
hippocampique.
Référence bibliographique
Kuhl BA, Shah AT, DuBrow S et al. Resistance to forgetting
associated with hippocampus-mediated reactivation
during new learning. Nat Neurosci 2010;13(4):501-6.
Commentaire
Dans leur article, les auteurs discutent longuement
les éventuelles limitations de leur étude (sensibilité
des tests, durée de l’entraînement, etc.), et montrent
de manière convaincante que, si la pratique de
ces jeux avait un effet, il serait mineur. Outre son
actualité télévisuelle, cette étude présente l’intérêt
de remettre en question une conception naïve du
cerveau qui l’assimilerait à un muscle. Tout comme
il ne semble pas y avoir de relation simple entre
la taille du cerveau et les performances cognitives
de son propriétaire, il apparaît que la pratique
d’une gymnastique intellectuelle déconnectée de
toute réalité ne rend pas plus apte à exercer sa
mémoire ou son attention, même sur d’autres jeux
du même type, et, a fortiori, sur les problèmes bien
plus complexes de la vie quotidienne.
Référence bibliographique
Owen AM, Hampshire A, Grahn JA et al. Putting brain
training to the test. Nature 2010;465(7299):775-8.
Le cerveau et le muscle…
Il existe aujourd’hui de nombreux jeux électroniques dits “cognitifs” dont la pratique est
supposée améliorer les capacités cognitives de ceux, jeunes ou âgés, qui veulent bien les
pratiquer régulièrement. C’est cette “supposée amélioration” qu’a examinée une étude
récemment publiée dans Nature. Pour cela, une cohorte de sujets (n = 11 430) a été soumise
à un ensemble de séances d’entraînements durant 6 semaines via le site Internet de la
BBC. D’abord soumis à des tests de référence (mémoire à court terme et visuo-spatiale,
apprentissage de paires d’objets), les sujets ont ensuite été divisés en 3 groupes: le premier
groupe a été entraîné à la résolution de problèmes ; le deuxième a effectué différentes
tâches cognitives comparables à celles que l’on trouve dans les offres commerciales des
“jeux cognitifs” (mémoire à court terme, attention, etc.) ; enfin, le troisième groupe a dû
résoudre des questions “obscures”, les sujets pouvant utiliser toutes les ressources à leur
disposition (Internet, livres, etc.). Les résultats montrent que, même si les sujets améliorent
leurs performances aux tests pour lesquels ils ont été entraînés, cette amélioration n’apparaît
pas quand ils sont à nouveau testés par les épreuves classiques de mémoire ou d’attention.
Autrement dit, il semble que l’entraînement n’améliore pas les capacités cognitives générales
des sujets, mais seulement les aptitudes spécifiques à réussir tel ou tel jeux.
S. Valerio, États-Unis
apprentissage. D’après les modèles computationnels, l’hippocampe, de par ses propriétés
anatomiques et fonctionnelles, serait capable de contourner ce phénomène d’interférence
en orchestrant 2 mécanismes appelés pattern separation et pattern completion. Le pattern
separation réfère à un codage spécifique de l’information conduisant à l’individualisa-
tion des représentations mnésiques d’événements partageant certains aspects. Le pattern
completion permet aux mémoires précédemment encodées d’être réactivées à partir d’un
élément partiel qu’elles partagent avec l’événement présent, cette réactivation ayant pour
conséquence de favoriser leur pérennité. Pour B.A. Kuhl et al., la question était de savoir
lequel de ces 2 mécanismes est privilégié afin que, au cours de l’encodage d’un nouvel
événement, un souvenir ancien reposant sur des informations similaires puisse résister à
l’oubli. Les auteurs ont utilisé un protocole d’apprentissage de type AB-AC et ils ont mesuré
l’activité cérébrale de sujets sains par imagerie fonctionnelle: une paire d’images AB est
apprise puis rappelée, puis une nouvelle paire AC (qui partage donc l’élément A avec l’an-
cienne paire AB) doit être également encodée puis rappelée. Chaque paire d’images est
associée à une récompense monétaire arbitraire. Le test de résistance à l’oubli est effectué
en fin de session en présentant l’élément A seul et en demandant de rappeler l’élément B.
De façon prévisible, tout nouvel apprentissage AC diminue la probabilité de rappel correct
d’AB au cours du test de résistance. Cependant, un des résultats les plus importants de cette
étude indique que le niveau d’activation de l’hippocampe au moment de l’encodage de la
nouvelle paire AC permet de prédire la résistance à l’oubli d’AB. En effet, plus l’activité de
l’hippocampe est importante au moment du nouvel encodage AC, meilleur sera le rappel
d’AB. Enfin, les auteurs ont mis en évidence que cette forte activation de l’hippocampe au
moment du second encodage était corrélée à l’activation spécifique de structures relatives
à la récompense monétaire associée à la paire AB. Ainsi, pour les auteurs, au moment de
l’encodage d’AC, l’activité de l’hippocampe refléterait non seulement le traitement de la
paire AC, mais également la réactivation de la représentation de la paire AB. Rappelons que,
par définition, le mécanisme de pattern separation assure la ségrégation d’une nouvelle
représentation au moment de son encodage et ne nécessite donc pas la réactivation d’an-
ciennes représentations. Ce dernier résultat suggérerait donc que, au cours de l’encodage
d’une représentation pouvant générer des interférences, la résistance à l’oubli d’anciennes
représentations similaires serait assurée par un mécanisme de pattern completion.
E. Lesburgères, Bordeaux