LA THEORIE DE LA REGULATION A L’EPREUVE DES CRISES

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Fluctuation de la relation Etat-Entreprises publiques dans les pays en transition. Cas de l’Algérie
AHMED ZAID Malika, Laboratoire REDYL - UMMTO
LA THEORIE DE LA REGULATION A L’EPREUVE DES CRISES
Paris, 10-12 juin 2015
Fluctuation de la relation Etat-Entreprises publiques dans les pays en transition.
Cas de l’Algérie
Malika AHMED ZAID-CHERTOUK
Professeur des universités, Directrice du Laboratoire REDYL
Réformes économiques et dynamiques locales
Université Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou, Algérie
Faculté des sciences économiques, commerciales et de gestion
[email protected]
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Fluctuation de la relation Etat-Entreprises publiques dans les pays en transition. Cas de l’Algérie
AHMED ZAID Malika, Laboratoire REDYL - UMMTO
Fluctuation de la relation Etat-Entreprises publiques dans les pays en transition.
Cas de l’Algérie
Mots clés : Rôle de l’Etat – Entreprises Publiques – Pourvoyeur de fonds – Régulation – Algérie.
Résumé : Sous l’effet de contraintes externes (FMI, Banque mondiale) et internes (cessation
de paiement), l’Algérie s’est vue engagée dans des processus de transformations multiformes,
à la fois politiques, institutionnelles et économiques dans les décennies 1980, 1990 et 2000.
Ces transformations devaient être accompagnées de mutations dans les relations
Etat/Entreprises publiques et dans le rôle de l’Etat dans ces entreprises à travers des
évolutions radicales dans son comportement et ses principales fonctions. A l’Etat-providence,
pourvoyeur et employeur devait se substituer un Etat régulateur et distributeur. Dès lors, son
rôle et ses formes d’intervention dans les entreprises publiques devait être reconfigurés et
réduits à la lumière de ces nouvelles fonctions. En d’autres termes, il devait se désengager
progressivement de sa main mise totale sur ces entreprises pour les voir se consacrer à des
impératifs de production dans un environnement ouvert à la concurrence, excepté
éventuellement pour les entreprises fournissant des services d’intérêt général.
Sujettes à des processus de restructuration et de privatisation, les entreprises publiques
se trouvent à chaque fois confrontées à des difficultés financières et loin d’atteindre les
objectifs qui leur sont assignés si bien qu’après quatre décennies de réformes, l’Etat garde sa
suprématie sur la majeure partie des entreprises qui y ont survécu. Dans un contexte de
processus de réformes inachevés empreint d’hésitations, les entreprises publiques font figure
d’interfaces singulières aux mains d’un Etat qui n’arrive pas à opérer sa propre mue.
Ballottées d’abord entre la logique des industrialistes et celle des financiers, puis entre la
dynamique des réformateurs et le statisme des conservateurs, et loin de s’inscrire dans une
stratégie de développement clairement définie, les entreprises publiques demeurent toujours
dépendantes de l’Etat qui conserve de larges pouvoirs de décision, de financement et
d’intervention. L’on est alors en mesure de s’interroger sur l’invariabilité du rôle de l’Etat
dans les entreprises publiques et les raisons majeures de cette attitude ambivalente conduisant
ainsi à un statu quo dans le sort réservé aux entreprises publiques.
Fluctuation of atypical relationship between the State and the Public Enterprise
in transitional economy. Case of Algeria
Key words:
Role of State – Public Enterprises – Sustainer of funds – Regulation – Algeria.
Abstracts: Under the influence of external constraints (IMF, World Bank) and internal
constraints (insolvency), Algeria has been engaged in multiform transformations both in the
political, institutional and economic frameworks, in the 1980s, 1990s and 2000s. These
transformations were to be accompanied by changes in the relationships between the State and
Public Enterprises and the role of the state in these firms, through radical changes in its
behavior and its main functions. A welfare State, provider and employer would be replaced by
a distributor and regulator State. Therefore, its role and its forms of intervention in public
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enterprises should be reduced and reconfigured in the light of these new functions. In other
words, it should gradually withdraw of its total stranglehold on these enterprises to see them
devoted themselves to production requirements in an open competition, except for enterprises
providing services of general interest.
Subject to restructuring and privatization, public enterprises are whenever confronted
with financial difficulties and far from achieving the objectives assigned to them so that, after
four decades of reforms, the State retains its supremacy on the majority of enterprises which
have survived. In a context of unfinished reform process marked by hesitation, public
enterprises became singular interfaces at the hands of State that cannot operate its own moult.
First buffeted between the logic of the industrialists and that of the financiers, and then
between the dynamics of the reformers and the quadrature droop of conservatives, and far
from being part of a clearly defined development strategy, public enterprises are still
dependent on the State that retains wide powers of decision-making, funding and action. This
leads us to reflect on the invariability of the role of the State in public enterprises and the
major reasons for this ambivalent attitude thereby leading to a statu quo in the fate of public
enterprises.
After setting the theoretical framework of the study and retracing the historical process of the
evolution of Algerian public enterprises, the first section will be devoted to the analysis of
changes induced by the transformation processes involved in the relationship between the
State and public enterprises and the role of the State in these enterprises. In the second
section, we attempt to analyze what are the factors that led to the status quo and that made
these changes remain unfinished like processes from which they may arise. In the third
section we will try to show how public enterprises are kept under perfusion and transformed
into singular interfaces involved in maintaining the political regime and social peace but also
into an instrument of rent capture.
PLAN ET DEMARCHE
Après avoir défini le cadre théorique de l’étude et rappelé le processus historique
d’évolution des entreprises publiques algériennes, la première section sera consacrée à
l’analyse des mutations induites par les processus de transformations engagés dans les
relations entre l’Etat et les entreprises publiques et dans le rôle de l’Etat dans ces entreprises.
Dans la deuxième section, on tentera d’analyser quelles sont les raisons qui ont conduit au
statu quo et qui ont fait que ces mutations demeurent inachevées à l’instar des processus qui
devaient les enfanter. Dans la troisième section on essaiera de montrer comment les
entreprises publiques sont maintenues sous perfusion et transformées en interfaces singulières
qui participent au maintien du régime politique en place et la paix sociale, mais aussi en
instrument de la capture de la rente.
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La littérature économique montre que l’abondance en ressources naturelles telles que
le pétrole et le gaz peut décourager les activités productives innovantes et porteuses de
croissance à long terme en favorisant les activités de recherche de rente au détriment de celle
d’entrepreneur. Dans ces conditions, les secteurs productifs tels que l’industrie
manufacturière, ont non seulement une taille et un poids réduits dans l’économie, mais ils ne
peuvent pas jouer le rôle de moteur de la croissance à long terme.
Les pays producteurs et exportateurs d’hydrocarbures génèrent d’importants revenus
extérieurs grâce à la vente de ces ressources. Il en est qui en font un usage vertueux, dans le
sens où ils sont investis pour développer un secteur productif créateur d’emplois et moteur de
croissance conjugué au réel bien être des populations. Il en est d’autres qui dilapident ces
revenus dans des investissements improductifs à travers des projets imposants gonflant ainsi
le volume des dépenses publiques au détriment du secteur productif entraînant l’émergence de
phénomènes pervers tels que la spéculation et l’économie informelle, la corruption et la
culture de la recherche de la rente.
Dans l’analyse qui suit, nous nous servirons de l’exemple algérien pour tenter d’illustrer
comment les comportements pervers d’agents et d’acteurs, dans une situation où l’abondance
de revenus extérieurs issus de la vente d’une ressource naturelle, le pétrole, entretiennent le
déclin du secteur productif, plus particulièrement du secteur manufacturier qui participe pour
peu dans la croissance économique1. De ce fait, nous envisageons à partir de cet exemple, une
étude exploratoire de ces comportements inadéquats qui se développent dans les pays rentiers,
sous tendus par de nombreux facteurs inhérents en majeure partie à des déficits de
gouvernance favorisant ainsi la dilapidation de la rente engrangée. Ces comportements et
facteurs font le lit aux réseaux de chasseurs de rente et favorisent l’émergence d’une culture
de recherche de la rente à travers pratiquement tous les rouages et institutions de l’Etat se
traduisant par une prédominance du politique sur l’économique, l’empiètement de l’économie
informelle sur le reste des secteurs, avec leurs corollaires : la corruption, l’interruption de
processus de réformes, la multiplication de conflits et le confinement de l’Etat dans une
fonction de distribution au détriment de ses autres fonctions garantes des principaux
équilibres économiques. De nombreuses analyses ont tenté d’aborder ce paradoxe notamment
par la théorie et les modèles du syndrome hollandais mais leurs résultats montrent que cette
théorie est inopérante : soit que les hypothèses du modèle ne sont pas toutes remplies, soit que
les indicateurs utilisés, tel que l’évolution du TCER, exhibent un comportement plutôt positif
relativement aux attentes du modèle [DJOUFELKIT, 2008]. Ici, on s’appuiera sur des travaux
1
Les parts des divers secteurs hors hydrocarbures dans la structure du PIB n’ont cessé de régresser. En 1988, elles se présentent comme
suit : Hydrocarbures (20%) ; Agriculture (15%) ; Industries hors hydrocarbures (17%) ; BTP (16%) ; Transport & communication (7%) ;
Commerce (17%) ; Services (6%) ; STTP (2%) tandis qu’en 2008 elles s’établissent comme suit : Hydrocarbures (53%) ; Agriculture (8%) ;
Industries hors hydrocarbures (5%) ; BTP (10%) ; Transport & communication (10%) ; Commerce (11%) ; Services (2%) ; STTP (1%) montrant
ainsi la dépendance croissante de l’économie algérienne vis-à-vis des hydrocarbures [AINAS, 2012].
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entrepris dans le cadre de la théorie de la recherche de la rente ou rent-seeking pour faire le
lien entre les phénomènes observés dans les comportements des agents et acteurs dans une
économie rentière qui seront analysés dans le premier paragraphe en relation avec les facteurs
favorisant ou alimentant la recherche de la rente et, partant sa dilapidation, dans le second
paragraphe.
1. Les comportements rentiers des acteurs :
Une généralisation de la théorie de la recherche de rente peut être envisagée pour l'ensemble
des transferts de revenus qui transitent par l'Etat, ce qui conduit à considérer nombre de pays
en développement comme de véritables « sociétés de recherche de rente ». La présence de
rente a une influence sur le comportement des agents économiques mais aussi sur les
institutions politiques. Ces deux aspects sont intimement liés et interagissent mutuellement
pour favoriser l’essor des activités de recherche de rentes, lesquelles sont des activités de
transferts et non de création de richesses. L’abondance en certaines formes de ressources
notamment celles dont l’exploitation connait une forte concentration entre les mains d’une
minorité et qui est difficile d’accès aux nouveaux entrants, comme le pétrole et le gaz est
associée à des institutions fragiles, encourageant le comportement de recherche de rentes.
Mais en pratique, il est difficile d’isoler l’effet de la rente proprement dite sur les pays
exportateurs de ressources naturelles ; tout de même, on peut admettre que leurs économies
sont sensibles aux fluctuations et à la volatilité des cours, en particulier aux chocs provoqués
par les hausses ou les baisses brutales et à leurs effets sur le taux de change et sur l’emploi
[TALAHIT, 2012]. Pour ces pays exportateurs, c’est par le biais des revenus d’exportation
que ces fluctuations peuvent se diffuser, avec des effets sur le budget de l’Etat par la fiscalité
(redevance, impôt sur les bénéfices des compagnies pétrolières), mais aussi sur les réserves de
change, et ces effets seront d’autant plus amplifiées que la part des hydrocarbures dans les
exportations sera élevée. Une baisse importante et brutale des revenus pétroliers exerce un
choc sur l’économie. A l’opposé, une hausse importante de ces revenus qui peut être la
conséquence d’une augmentation de la demande d’énergie, consécutive à la croissance de
l’économie mondiale, ou de tensions politiques et géopolitiques se traduisant par des tensions
sur les marchés pétroliers, peut se manifester de manière diverse selon la structure de cette
économie et sa capacité à absorber ces revenus (consommation, investissement, placements
financiers). Ces effets se manifestent sur la fiscalité, le budget de l’Etat, la politique de
redistribution et plus largement sur la politique économique et peuvent amplifier des
phénomènes comme le gaspillage, la corruption, l’augmentation des dépenses improductives.
C’est à ce titre que l’étude des comportements des agents à travers les différents segments du
processus de redistribution de la rente notamment, la culture qui en résulte et les lieux de
capture de la rente où se constituent et se pérennisent les groupes de pression, s’avère
intéressante ainsi que leur connexion avec le politique et l’institutionnel.
On saisit donc que les agents qui tirent un gain extra du captage de la rente ont intérêt à
s’opposer au changement qui tend à entraver leur démarche, quitte à se constituer en groupes
de pression. De plus, s’il y a collusion entre ces groupes de pression et l’élite politique d’un
pays, ils deviennent alors hostiles à toute tentative de réforme des institutions qui, non
seulement, réduirait leurs rentes économiques mais menacerait même leur assise politique,
voire leur existence. L’école virginienne a étudié le comportement de ces coalitions du point
de vue de leur capacité à capter une rente supplémentaire, cette dernière étant définie comme
une activité politique normale d’individus ou de groupes qui consacrent des ressources rares
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pour l’obtention d’un droit de monopole procuré par le gouvernement. Cependant, derrière
cette évidence intuitive, il y a, implicitement, un enchaînement dialectique des deux
propositions, ce qui soulève un problème de méthode. En fait, il s’agit de décrire le
comportement des agents rentiers dans le cadre du système institutionnel en place, compte
tenu du fait qu’ils représentent un élément décisif des institutions dont ils sont issus et qu’ils
renforcent en retour. La démonstration peut s’effectuer en deux étapes : montrer d’abord
comment les formes institutionnelles dominantes (gestion de la monnaie et du financement de
l’économie, gestion des finances publiques, contrôle des importations, etc.) génèrent des
comportements de recherche de rentes ; décrire ensuite comment ces comportements vont à
leur tour influer sur ces formes institutionnelles pour les figer, les altérer ou les rendre
inefficaces [PENGUIN, 2002].
Disposant de puissants leviers dans les rouages de l’Etat et dans les institutions les plus
névralgiques, les réseaux tissés par ces groupes de pression sont capables d’influer sur les
décisions et leurs actions peuvent converger vers le blocage et l’anesthésie des réformes
[KRUEGER, 1992] rendant ainsi l’Etat dans l’incapacité de déployer une stratégie
économique porteuse de développement et de bien être social. Ces leviers sont généralement
actionnés pour l’émergence puis la consolidation d’un secteur informel fort orienté vers des
importations massives de biens de consommation, les financements et la couverture en
devises fortes restant le fait de banques publiques. L’accentuation de la déviation par la
priorisation des importations massives crée des distorsions majeures dans le système
économique avec l’intensification de la culture de recherche de la rente, la stagnation voire le
déclin du secteur manufacturier, l’importateur étant considéré comme l’ennemi juré de
l’entrepreneur. Par là-même, le secteur privé, considéré comme un moteur potentiel de
l’économie productive se retrouve atrophié tourné vers l’économie informelle et la recherche
de la capture de la rente, seule voie pour la survie dans un paysage économique dominé par
des comportements rentiers. Ces comportements peuvent être illustrés par le cas des
entreprises publiques fortement imbriquées dans le système administratif, lieu où se font et se
défont les relations de clientèles. Elles constituent des objets manipulables à volonté en tant
que lieux potentiels pour la recherche de la rente, notamment en période de flux importants de
revenus pétroliers. Ces entreprises sont ballotées entre processus de réformes inaccomplies en
temps de « vaches maigres », sujettes donc à la restructuration ou à la mise en vente, et à la
recapitalisation en période d’embellie financière, brandies dès lors comme instrument de
sauvegarde du secteur public, de l’emploi et de l’économie nationale au nom du patriotisme
économique et du protectionnisme2. En ces périodes favorables, les entreprises publiques se
voient accorder les faveurs des institutions et établissements publics dans l’attribution des
marchés, bénéficiant d’une marge préférentielle de 25% dans le cadre des appels d’offres en
cas où elles se retrouvent en concurrence avec des entreprises étrangères. De même, des
commandes ou contrats-programmes sont passés directement entre les ministères concernés
avec les entreprises produisant des équipements spécifiques au profit des collectivités
territoriales (véhicules utilitaires, autocars, engins spécifiques pour la SNVI, tracteurs et
machines agricoles pour PMAT et ETRAG, engins de travaux publics pour l’ENMTP, etc.).
2
A titre d’exemple, dans le cadre des multiples et récurrents amendements de la réglementation des marchés publics, il est accordé une
marge de préférence de 25% au produit national et à l’entreprise nationale lorsqu’elle est en concurrence avec des entreprises étrangères.
De même qu’avec la dernière révision du code des marchés publics, le service contractant doit dédier jusqu’à 20% de la commande
publique aux micro-entreprises créées dans le cadre de dispositifs appropriés au profit des jeunes ou des chômeurs [ANSEJ, CNAC, ANDI].
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Comme elles font l’objet de fréquentes opérations de recapitalisation3, d’effacement de dettes
et d’exonérations fiscales : autant d’opportunités pour encourager les comportements rentiers,
prises en charge par le Trésor public, occasionnant par là même la dilapidation d’une partie de
la rente pétrolière.
En période de recul du flux des revenus pétroliers, ces entreprises sont brandies comme des
gouffres financiers et sont sujettes à restructuration ou à privatisation. Malheureusement, ces
opérations ont été inefficaces, voire un échec, avec souvent des coûts importants pour le
Trésor public. Dès lors les processus de réformes engagés restent inachevés4, certainement à
cause de résistances et d’influences de groupes de pressions en relation avec les rentiers, les
entreprises publiques restant un lieu privilégié de la capture de la rente et jouant un rôle
majeur dans l’entretien des réseaux clientélistes. Pour expliquer l’entrave et l’échec patent de
l’opération de privatisation des entreprises publiques qui, faut-il le rappeler, est le fait d’un
processus dicté par le FMI et la Banque mondiale et mis en œuvre en 1994, quatre raisons
majeures ont été avancées : (1) luttes et conflits entre élites et clans au sein de l’Etat pour la
distribution de la rente, rendant la prise de décision et la mise en œuvre de stratégies de
réformes cohérentes impossibles ; (2) influence des clans bureaucratiques qui profitent du
monopole de l’importation et des rentes oligopolistiques et manifestent un intérêt mineur à
l’émergence d’une production nationale ; (3) rôle joué par les entreprises industrielles dans les
réseaux clientélistes ; (4) la forte rémanence de l’idéologie nationaliste, étatiste, socialiste et
collectiviste [WERENFELS, 2002]. Le maintien sous perfusion des entreprises publiques
constitue par ailleurs un levier exceptionnel d’incitation au maintien d’une plus forte
intervention de l’Etat, notamment en période d’abondance de revenus pétroliers, et donc de
potentialités de rentes à capturer. Dans son intervention, l’Etat met en jeu, par le biais du
Trésor et des banques publiques, instruments facilitateurs de capture de la rente, des
enveloppes financières conséquentes objet de convoitises par les prédateurs incrustés dans les
différents maillons du circuit de distribution, entretenant ainsi les comportements des rentiers.
Ce n’est pas tant les interventions récurrentes de l’Etat qui sont directement à l’origine de la
recherche de la rente, même s’il a recours à la manne pétrolière, mais c’est l’encouragement
du laisser-aller au niveau des entreprises publiques qui les confine davantage dans ce rôle
d’être à la fois un lieu de profit et un instrument de piégeage de la rente ouvrant ainsi la voie à
toutes formes de comportements délictueux et de facilitation d’accès à la rente. Loin d’être le
fer de lance de l’économie productive, les entreprises publiques constituent l’un des
réceptacles de la politique de distribution de l’Etat en jouissant de tous les égards en période
d’embellie financière. Les gestionnaires n’ont plus pour souci l’amélioration les performances
de leurs entreprises mais de s’en servir et d’en faire des outils de transactions adaptés à la
recherche et à la capture de la rente.
Ce mouvement pendulaire dans le traitement des entreprises publiques, qui n’est en fait
qu’une partie visible de l’iceberg du processus de réformes inachevées, traduit les attitudes
hésitantes des gouvernants et l’importance de l’influence des groupes de pression quant à la
3
En 2011, les actions de recapitalisation auraient atteint près de 800 milliards de DA [10.5 milliards de dollars environ]. Celles-ci ont été
réalisées avec le soutien du Trésor public et assurées exclusivement par les banques publiques tandis qu’une enveloppe financière de 2 000
milliards de DA (26 milliards de dollars) absorbée par l’opération de restructuration des entreprises publiques en trois phases (1980 :
restructuration organique ; 1989 : restructuration industrielle et financière avec réformes structurelles et création de fonds de
participation ; 1996 : troisième restructuration avec la mise en œuvre des holdings publics.
4
Blocage de la Nouvelle Stratégie Industrielle initiée en 2005, Blocage de l’opération de privatisation des entreprises, blocage de la loi sur
les hydrocarbures qui prévoit l’ouverture du secteur au privé et la fin de la suprématie de l’entreprise nationale SONATRACH sur le
domaine des hydrocarbures. Cette loi a fait l’objet de violentes critiques dans le champ politique qui a conduit à une double révision.
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mise en œuvre d’une stratégie industrielle et d’une stratégie de développement fondées sur
une base industrielle large et diversifiée tournée vers l’économie productive hors
hydrocarbures.
Le confinement des entreprises publiques dans un état stationnaire encourage et entretient la
montée en puissance de l’économie informelle qui compromet de plus en plus l’émergence
d’une économie productive. Tournée vers les importations qui ont augmenté de 125% entre
2005 et 2011 et bénéficiant des largesses des banques publiques, l’économie informelle
représente près de 40% du PIB. Ses masses monétaires non bancarisées et non fiscalisées font
la fortune d’une minorité de nouveaux riches et la misère de la majorité des nouveaux pauvres
[GOUMEZIANE, 2012]! La neutralisation de la base productive et la réduction de son spectre
d’intervention, s’explique par le fait que l’activité d’entreprise en produisant des biens et
services de qualité détruit les rentes que les détenteurs de licences d’importation tirent de
l’importation de biens et services déjà existant [BALAND, 2000, PENGUIN, 2002], un
rentier détenant le droit exclusif d’importer un bien particulier sous quota, va enregistrer une
perte si des entrepreneurs locaux le concurrencent en produisant le même bien, d’où la
nécessité de neutraliser la base productive pour permettre l’essor de l’économie informelle.
En période d’afflux de revenus extérieurs, l’évolution de l’économie sera déterminée par l’état
de la base productive et sa de vitalité. Tout dépendra donc de l’équilibre existant au départ
entre la base des chercheurs de rente et la base productive. Partant de là, il devient donc clair
qu’un changement exogène survenu dans l’environnement économique sous forme d’une
hausse de la valeur des ressources disponibles, conduit les agents à s’engager d’une manière
dominante, soit dans l’activité entrepreneuriale, soit au contraire dans l’activité de captage de
rentes. La consistance de la base productive et la largeur de son spectre est donc un facteur
déterminant dans les comportements des agents et des acteurs en situation de boom de
revenus exogènes. Si l’activité de la population de chercheurs de rente est prépondérante,
celle-ci va se renforcer davantage avec l’abondance de ressources exogènes, les opportunités
seront d’autant plus nombreuses, notamment avec l’accroissement du volume des dépenses
publiques, la prolifération de dispositifs de distribution de la rente et l’inefficacité des secteurs
bancaire et fiscal facilitateurs d’accès à la rente. Par contre, si la base productive jouit d’un
large spectre et est déjà consistante et diversifiée, l’esprit d’entreprise sera renforcé davantage
par l’abondance de revenus exogènes et une réduction ou une neutralisation de l’activité des
rentiers en résultera. Ce schéma s’applique valablement au cas Algérien dont la base
productive, déjà fragile à l’origine par l’échec relatif de la politique des industries
industrialisantes du début de la décennie 1970, la marginalisation du secteur privé, est
fortement ébranlée par les conditions du PAS, les résultats mitigés des processus de réformes
économiques inachevées entreprises dans les années 1989 et 1996, et par les effets
destructeurs de plus d’une dizaine d’années d’activités terroristes. Ces éléments négatifs ont
d’autant facilité la déviation de l’économie algérienne vers l’installation d’une économie de
rente et d’un puissant secteur informel, la société ayant déjà opéré sa mue vers une société de
consommation avec l’ouverture du pays au marché international. Le boom des revenus
exogènes du troisième choc pétrolier ayant trouvé un terrain favorable n’a fait qu’exacerber la
fièvre des activités de la recherche de la rente qui a fait tache d’huile englobant jusqu’au
simple citoyen.
Avec l’embellie financière qui a permis une augmentation substantielle des réserves de
change qui doivent avoir franchi le seuil des 200 milliards de dollars en fin 2012, les appétits
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des chasseurs de rente ont été davantage aiguisés. Mais en raison d’une croissance tirée par la
dépense publique, cette boulimie financière et commerciale s’accompagne d’une explosion de
la spéculation foncière et immobilière et de pénuries récurrentes en produits essentiels
(médicaments, matériaux de constructions, produits alimentaires). C’est dire que le système
rentier devient de plus en plus complexifié et difficile à contrôler et les luttes entre réseaux
concurrentiels s’intensifient accompagnés de scandales politico-financiers [GOUMEZIANE,
2012]. Subissant la domination du système rentier et tout ce qu’il génère comme instabilités,
l’économie algérienne subit une fracture profonde entre un secteur énergétique et commercial
regorgeant de ressources rentières et spéculatives et un secteur productif exsangue agressé
simultanément par la bureaucratie étatique et l’économie informelle induisant une fracture
sociale encore plus grave entre une minorité de fortunés irrigués par la rente et une majorité
de nouveaux pauvres à la limite de la survie dans un environnement peu propice aux affaires5.
Le nombre de conflits et de mouvements de protestation revêtant parfois un caractère d’une
violence inouïe, est la parfaite illustration des impacts de cette situation sur la société et de la
propagation de la culture de la recherche et du partage de la rente. Ce phénomène donne
également une idée du degré de l’élargissement des cercles du clientélisme qui débordent du
cadre des sphères privilégiées et s’emparent de mini-groupes qui se constituent et
s’agglutinent autour de problèmes sociaux et de revendications particulières. S’engagent alors
des processus de médiation et de mise en place de dispositifs appropriés d’octroi et de
distribution d’une partie de la rente en échange de la paix sociale et du maintien du régime
rentier. Ces processus ont augmenté d’intensité au cours de la décennie 2000 qui a vu
effectivement un accroissement substantiel des revenus pétroliers de l’Algérie. Ce même
processus corrobore l’émergence d’un puissant phénomène de corruption mis en relief par un
faible indice de perception de la corruption et un piètre classement de l’Algérie par
Transparency International durant toute la décennie 2000 qui coïncide avec un afflux
généreux de revenus pétroliers6. Il y va sans dire qu’une analyse approfondie fondée sur des
enquêtes de terrain pourrait établir un lien entre les groupes de pression des rentiers incrustés
au sein même des sphères décisionnelles et cette nouvelle catégorie de demandeurs de partage
de la rente qui sont de plus en plus nombreux, attisés parfois par des circonstances électorales
(collusion du politique avec le social et l’économique).
Mais on doit tout de même dire qu’on est en présence d’un aspect essentiel qui n’est pas
uniquement du à la dotation en ressources naturelles mais plutôt aux liens sociaux qui se
tissent autour de l’accès et du partage de ces richesses [LAZIES, 2012]. Dès lors, émerge la
pertinence de la question du lien existant entre le conflit distributif et les conditions de
reproduction de l’économie algérienne en s’attachant à placer au centre de la réflexion le rôle
de la distribution de la rente dans la régulation des conflits tout en essayant d’identifier la
dynamique de construction des compromis institutionnalisés. Cette approche complémentaire
permettrait de clarifier un éventuel processus d’émergence de formes violentes d’interaction
entre les acteurs sociaux, peut être volontairement entretenues, c’est-à-dire, de formes de
coercition reposant sur la force. Dans cette approche, il serait commode de dire que le
maintien du régime rentier et de ses corollaires repose, au moins en partie, par le biais de
l’institution de médiations violentes, sur une dynamique comportementale de type rentière
5
En matière de qualité de l’environnement des affaires, l’Algérie est classée à la 152ème place sur 185 pays en ce début de l’année 2013
selon une étude de la Banque mondiale.
6
Selon les données de cette ONG, l’indice de perception de la corruption de l’Algérie n’a jamais dépassé 3.5 sur 10 points entre 2003 et
2012. Dans le classement, elle se situe entre la 84ème place sur 163 pays et la 99ème place sur 180 pays !
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dans la mesure où les acteurs sociaux semblent développer de plus en plus des stratégies de
reproduction visant à s’émanciper des contraintes sociales. En effet, la prédominance des
comportements rentiers, résultant de l’environnement institutionnel en vigueur dans la société
et de la disponibilité de la rente pétrolière, justifie que l’on s’intéresse aux déterminations des
rapports sociaux autres que celles liées à l’accumulation productive. En d’autres termes, il y a
lieu de prendre acte du fait que nous sommes en présence d’une situation où les rapports
sociaux et économiques sont aussi et surtout déterminés par les normes de clientélisme,
d’autoritarisme politique et de soumission plutôt que de profits qui découlent de l’activité
productive.
Les comportements des groupes de pression incrustés dans les institutions ou à l’extérieur
montre également la fragilité des mécanismes de gouvernance ainsi que leur capacité à agir
sur l’institutionnel et le politique : la bataille réformateurs/conservateurs dans les sphères
décisionnelles aboutit au statu quo et au maintien du régime rentier de l’Etat algérien ainsi
qu’à une politique économique totalement dépendante des revenus extérieurs favorisant ainsi
la culture de la recherche de la rente et la prolifération des chasseurs de rente à tous les
niveaux des rouages de l’Etat et à l’extérieur. La conséquence est qu’au niveau du politique,
se développe un cercle vicieux : l’interventionnisme de l’Etat favorise l’émergence de
rentiers, ce qui fausse la perception qu’ont les individus du mécanisme du marché, et cette
méfiance les pousse à demander davantage de contrôle et d’intervention de l’Etat sur le
marché, ce qui renforce encore le système de la rent-seeking et ainsi de suite. C’est la trappe
de la rent-seeking, pourrait-on dire, ou encore d’un processus en boucle institutionnalisé.
Interprétée à la lumière de l’approche de la régulation, une telle proposition signifie que la
généralisation des comportements rentiers influe non seulement sur la modalité étatique et sur
le politique en général, mais aussi sur les autres formes institutionnelles de la régulation, de
telle manière que celles-ci finissent par s’ériger en autant d’obstacles au changement. Le
véritable coût social global des activités rentières résiderait alors dans l’enlisement dans ce
cercle vicieux, ce qui expliquerait du même coup la tendance du régime rentier à résister à
toutes les réformes mises en œuvre. Actuellement, l’économie algérienne semble justement
prisonnière dans cette trappe de la rent-seeking dégageant l’image d’un Etat paradoxalement
engagé dans une attitude de résistance quasi-permanente pour la préservation du régime
rentier à travers notamment des revirements de situation conduisant à des processus de
réformes inachevées.
L’importance des ramifications des réseaux de capture de la rente et agents affiliés, ou à la
solde des groupes de pression, a pour signature l’éclatement de véritables scandales financiers
au cœur des systèmes bancaire, fiscal et du secteur institutionnel de la comptabilité nationale
des administrations publiques, des EPIC et des EPE et les exemples sont fort nombreux :
allant du géant algérien du pétrole, la Sonatrach à l’opérateur de téléphonie, réseaux et
services de communications électroniques, Algérie Télécom, en passant par les
banques publiques et privées (BEA, BNA, BDL, BADR, BCIA, Khalifa, etc.) 7. Les affaires
de corruption n’épargnent pas le secteur privé, indiquant une collusion manifeste entre
7
Selon les services de la police, durant l’année 2005, plus de 230 milliards de DA ont été subtilisés aux banques publiques (BADR, BNA,
BDL, BEA) causant un préjudice de plus de 164 milliards de DA au Trésor public. On enregistre pour la même année, 1194 affaires liées à la
criminalité économique et financière. Pour la même année, le Trésor public a enregistré des trous financiers de 34 milliards de DA, 3
millions d’euros et 9 millions de dollars, ces affaires concernent des dilapidations et des infractions à la loi sur le contrôle des changes et
mouvement de capitaux. Cette saignée ne s’est pas arrêtée là puisque la presse relève chaque année des scandales du même type.
10
Fluctuation de la relation Etat-Entreprises publiques dans les pays en transition. Cas de l’Algérie
AHMED ZAID Malika, Laboratoire REDYL - UMMTO
organismes publics et secteur privé, les banques jouant un rôle central dans la facilitation
d’octroi de crédits faramineux sans aucune garantie en contrepartie ou des garanties fictives 8.
La récurrence de comportements corruptifs montre d’une part, l’importance de l’extension des
réseaux de capture de la rente et l’expansion de la fièvre rentière impliquant à la fois des
agents au cœur de l’Etat lui-même, des agents du secteur privé national, voire étranger, et
d’autre part, un important volume de capitaux engagés puisés généralement de la rente
pétrolière, les fonds propres étant souvent insignifiants et les garanties virtuelles relevant de
truchements d’agents du système bancaire.
Ce qui nous amène à discuter de la facilitation accordée aux chercheurs de rente par les abus
dans l’utilisation de la fonction (affectation-redistribution) de la rente de l’Etat au détriment
de ses autres fonctions de régulation et de stabilisation. Avec l’embellie financière et dans un
souci de recherche de la paix sociale, L’Etat met en place de nombreux dispositifs de
financement et de mesures de facilitations d’accès aux crédits bancaires souvent à titre
gracieux (micro-entreprises, microcrédits, mise à niveau des entreprises, recapitalisation des
entreprise publiques, création et restructuration des EPE, programmes sociaux, importants
programmes d’investissements publics et volume importants de DP) de mesures de facilitation
de l’investissement (mesures incitatives pour l’accord de prêts bancaires, effacement de dettes
des EPE, rééchelonnement de dettes fiscales des entreprises nationales et même étrangères) en
absence d’une stratégie et d’objectifs clairement établis9. Il est évident que l’importance des
crédits engagés en direction de ce type d’actions sont généralement puisés de la rente et
distillés à travers le réseau des banques publiques suscitant l’intérêt et l’appétit des chercheurs
de rentes, ou encore, la multitude de comptes spéciaux du Trésor.
Constituant un exemple parfait de lieu de distribution de la rente, ces derniers ont fait l’objet
de critiques virulentes dans un récent rapport d’appréciation de la Cour des comptes sur la
gestion des finances publiques, et à ce titre, ils méritent que l’on s’y attarde quelque peu en
raison de leur multiplication et de l’abus dans l’usage qui en est fait au mépris des règles
budgétaires élémentaires suscitant ainsi des questionnements sur leur utilité et sur les actes
délictueux qui peuvent en découler. En effet, l’institution a dénombré pas moins de 105
comptes spéciaux dont 16 n’ont pas connu de mouvements10. Le rapport note que les objectifs
pour lesquels ils ont été ouverts, n'ont pas été réalisés dans les délais impartis. Sans aller
jusqu’à relever des malversations manifestes, les investigations de la Cour des comptes ont
mis en exergue le report incorrect des soldes de certains comptes, constatant des discordances
au niveau des balances d'entrées et des soldes de fin d'année. Ce qui a affecté l'exactitude et la
8
C’est le cas notamment du scandale du Groupe industriel et financier Khalifa dont la banque a connu une faillite spectaculaire après avoir
aspiré près de 700 milliards de dinars auprès de petits épargnants et d’institutions publiques, dépensés et prêtés à des promoteurs fonciers
et industriels plus ou moins transparents sans discernement, sans respect des règles prudentielles et sans contrôle d’organismes de tutelle.
Cette affaire a coûté au Trésor public près de 1.5 milliards de dollars.
9
Les dispositifs dédiés à la création de micro-entreprises au profit des jeunes (ANSEJ, ANDI, ANGEM, CNAC) ne sont pas exempts du
phénomène de corruption : 300 000 entreprises auraient été créées avec un taux de mortalité de 30% environ et un taux de non
recouvrement des crédits accordés de l’ordre de 47%. Les crédits octroyés dans le cadre de cette opération sont estimés à 2400 Milliards
de DA [environ 30 milliards de dollars]. Une enquête montre qu’il y a une collusion entre ces cadres de création de petites entreprises avec
le secteur informel à travers l’achat d’équipements et les intermédiaires moyennant une commission de 10% du montant du crédit
accordé. Ici, les réseaux individuels jouent un rôle déterminant dans l’aboutissement des dossiers (ANSEJ, Banques, Fournisseurs
d’équipements, etc.). Jouissant de facilitations pour l’obtention de contrats avec les institutions publiques, les micro-entreprises sont
également utilisées comme instruments de captation de marchés au profit de prestataires chasseurs de rentes.
10
Parmi cette multitude de comptes, 77 sont des comptes d’affectation spéciale, 11 des comptes de prêts, 9 des comptes de participation,
4 des comptes d'avance, 3 de commerce et un compte d'affectation spéciale dit de dotation. Les ministères des Finances, de l'Agriculture,
de la Culture, de l'Intérieur, de l'Industrie et de la PME se sont vu confier la gestion de 35 comptes soit 45% de la liste en vigueur.
11
Fluctuation de la relation Etat-Entreprises publiques dans les pays en transition. Cas de l’Algérie
AHMED ZAID Malika, Laboratoire REDYL - UMMTO
sincérité des soldes tout en remettant en cause la conformité aux principes de la comptabilité
publique et aux dispositions de la loi. Les objectifs assignés à la quasi-totalité de ces comptes
spéciaux n'ont pas été réalisés malgré le soutien de l'Etat et le volume des subventions qui leur
sont attribuées. Pis encore, ces comptes pèsent lourdement dans la structure du budget général
de l'Etat11. Ces comptes sont particulièrement sollicités pour la réalisation des projets inscrits
dans le cadre des plans quinquennaux 2005-2009 et 2010-2014 dans un souci d’accorder des
facilitations aux gestionnaires concernés par l'exécution de ces projets dans des délais
raisonnables par une simplification des procédures notamment12.
Au-delà de l’éparpillement et du volume de crédits engagés dans ces instruments accessoires
de la Trésorerie, sensés être exceptionnels, leur utilisation intensive et abusive soulève les
questions de comportement d’agents au sein des institutions centrales de l’Etat qui
contournent les insuffisances dans la réalisation de projets et de programmes engagés,
relevant ordinairement du budget d'équipement, par l'intermédiaire des comptes spéciaux.
Cette alternative s’inscrit en violation du principe d'affectation des crédits et du caractère
exceptionnel de ce type de comptes et ouvre la voix à toutes formes d’actes délictueux loin de
la rigueur du contrôle ordinaire. Ces écarts démontrent la vulnérabilité et la fragilité des
modalités de gestion des deniers publics en général et de ces comptes spéciaux en particulier
avec un manque manifeste de rigueur et de maîtrise de la part des agents planificateurs et des
agents d'exécution.
Enfin, le rapport de la Cour des comptes constate des écarts dans les écritures comptables des
agents d'exécution, l’utilisation de crédits du compte abritant les dépenses en capital au lieu et
place des CAS appropriés, l’utilisation des CAS pour réaliser des objectifs étrangers à ceux
pour lesquels ils ont été créés. Des montants ont été transférés des CAS vers les comptes de
liquidation des entreprises publiques en faisant fi des dispositions réglementaires et modalités
de fonctionnement des CAS. En dépit du niveau très élevé des crédits cumulés, abrités par
certains comptes, parfois les taux de consommation restent dérisoires. De plus, les banques ne
produisent pas les états faisant apparaître la liste des bénéficiaires (particulier ou organisme)
des bonifications sur les crédits accordés.
On est alors en mesure de s’interroger sur les objectifs de la prolifération de ces comptes
spéciaux qui échappent à la rigueur du contrôle et qui sont dédiés à la réalisation de grands
projets publics notamment, sur les desseins des agents qui préconisent le recours à ce type
d’instruments par où transitent des sommes faramineuses puisées évidemment de la rente
pétrolière ? Pour se donner une idée de l’envergure du phénomène de la recherche de la rente
et illustrer l’importance des enjeux qui motivent les activités de la recherche de la rente,
signalons à ce niveau que l’Etat algérien investit, bon an mal an, une moyenne de 30 milliards
de dollars dans son effort de reconstruction entre 2005 et 2009 et près de 55 milliards de
dollars entre 2010 et 2014. Si l’on retient que lors de la passation de marchés publics, les
commissions occultes représentent près de 10% en référence à la tendance mondiale retenue
en la matière, c’est un montant de l’ordre 3 à 5.5 milliards de dollars qui deviennent la proie
des prédateurs de la rente. Ne sommes-nous pas là en présence d’instruments potentiels de
11
Pour apprécier cette hégémonie des comptes spéciaux, l’institution relève qu’ils représentent près de 90% dans les dépenses de
fonctionnement pour l’année 2010, 98% en 2009 et 162% en 2008. Par ailleurs, la part des comptes spéciaux dans le budget d'équipement
est de 96% en 2009 et 89% en 2010.
12
Les crédits dédiés à ces deux plans sont respectivement de 200 milliards de dollars et 282 milliards de dollars !
12
Fluctuation de la relation Etat-Entreprises publiques dans les pays en transition. Cas de l’Algérie
AHMED ZAID Malika, Laboratoire REDYL - UMMTO
dissipation de la rente, ces caisses étant appelé à faire face aux grandes transactions entre
l’Etat et les entreprises publiques et privées, nationales et étrangères dont les passations de
contrats donnent souvent lieu à des affaires de corruption, notamment lorsqu’on sait que
d’importants contrats sont conclus selon la procédure de gré à gré, en violation de la
réglementation régissant les marchés publics ? Autant de questions qui appellent une analyse
plus approfondie de la réelle efficacité de tels comptes, de leur utilité et de leur répercussion
sur l’exécution des programmes d’investissement public. A l’évidence, on est en présence de
dispositifs d’émiettement et de dispersion de fonds publics assimilables à des maquis
financiers échappant aux mécanismes de la régulation et aux principes de l’universalité et de
spécialité budgétaires au nom de l’assouplissement de procédures et de contournement de
déficits en tous genres des acteurs et des agents impliqués dans la réalisation de projets et de
programmes d’investissement public. Dès lors, les principes de sincérité et de transparence
sont remis en cause, faisant fi ainsi de l’orthodoxie financière et de la rigueur budgétaire.
L’usage abusif d’une procédure qui doit être exceptionnelle, justifiée et à caractère temporaire
et facilitateur, s’apparente en fait à une forme de canal de permissivité pouvant engendrer non
seulement des excès dans l’utilisation de ces comptes mais des abus en tous genres alors que
le type d’opérations pour lesquelles ils sont dédiées peuvent s’accommoder de lignes
budgétaires tout à fait ordinaires et réglementaires. C’est dire que l’exception s’érige en règle
dans un environnement financier absout d’une loi de finances organique.
Les réseaux de rentiers n’ont jamais été aussi florissants et efficaces dans leur démarche
prédatrice conduisant à des détournements préjudiciables au Trésor public avec détournement
des projets de l’objectif initial : d’un objectif de consolidation du secteur productif et de la
croissance vers un objectif de renforcement de la spéculation et de l’informel donc de la
capture de la rente. Souvent les prêts accordés ne font pas l’objet de remboursements par les
bénéficiaires qui agissent sous formes de sociétés fictives ou écrans. L’Etat se retrouve dans
l’obligation de pallier la déficience de ces bénéficiaires par le truchement de fonds et de
caisses de garanties (FGAR, Caisse de garantie PME) et se retrouve piégé dans une sorte de
trappe dont il est l’initiateur comme il est intriqué dans une spirale d’encouragement et
d’entretien de la culture de la recherche de la rente à travers sa fonction de redistribution et
l’exercice limité de ses fonctions de régulation et de contrôle. Il n’est pas maladroit de dire
que des instruments comme la loi de finances, le système fiscal, le système bancaire sont là
pour conforter ce type de comportement.
2. Facteurs de dilapidation de la rente
La distribution de la rente pétrolière peut se faire de manière directe [augmentation de
salaires, octroi de subventions pour la réalisation de logements ruraux et du logement socioparticipatif, octroi de subventions pour les agriculteurs ou création] ou indirecte par le
consentement de crédits sans intérêt, par l’effacement de dettes ou encore par
rééchelonnement des dettes fiscales ou carrément leur effacement, octroi d’assiettes foncières
au dinar symbolique. Ces dernières formes représentent des manque à gagner au niveau du
Trésor public, en ce sens qu’elles peuvent être assimilées à des dettes non recouvrées qui
peuvent augmenter le montant des recettes et participer de manière substantielle à l’équilibre
du budget : il s’agit de recettes fiscales hors hydrocarbures. Même si elles ne proviennent pas
des revenus exogènes, elles leur en sont contingentes en ce sens que c’est l’aisance financière
qui conduit l’Etat à se dispenser de la collecte d’impôts, ou à la non imposition des microentreprises et petites entreprises, ou encore à accorder des prêts à intérêt zéro. Comme elle
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Fluctuation de la relation Etat-Entreprises publiques dans les pays en transition. Cas de l’Algérie
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peut se faire aussi par des facilitations de tout genre (exonération fiscale, garantie par l’Etat au
profit des banques en cas de non remboursement d’un prêt par des bénéficiaires de
financement de projet dans le cadre de dispositifs divers, etc.).
Sur la base de l’exemple algérien, on peut distinguer deux grandes catégories de facteurs
pouvant être sériés en facteurs directs qui sont directement reliés à la distribution de la rente
(grosses dépenses publiques, vulnérabilité du code des marchés, etc.), l’Etat jouant ici un rôle
d’acteur majeur, et les facteurs indirects qui constituent beaucoup plus des catalyseurs ou des
instruments facilitateurs de la dilapidation de la rente à l’image de l’inefficacité et de la
vulnérabilité du système fiscal ou du système bancaire. A cette deuxième catégorie, on peut
greffer également les facteurs que l’on peut qualifier de sociétaux, en ce sens qu’ils relèvent
de la prédisposition d’une société donnée, de par les déterminants de son capital culturel et
son capital social, à accepter ou à s’adapter au phénomène de la recherche de la rente. En
somme, il s’agit des capacités d’adaptabilité et de résilience de cette société face à
l’émergence de la culture de la recherche de la rente, à travers la facilité de tissage de réseaux
individuels pour atteindre un objectif déterminé, ou de réseaux de chercheurs de rente par
exemple. Enfin, il faut souligner également que le capital humain joue un rôle important : la
présence de fortes potentialités de compétences, ou puits de compétences, dans les institutions
peuvent limiter la propagation de la culture de la recherche de la rente et enrayer des
situations d’asymétrie de compétences dans le cadre de négociations de gros contrats par
exemple entre administrations des pays en voie de développement et celles des pays
développés ou entre entreprises des deux pays. En effet, l’octroi ou l’obtention de contrats
entre deux partenaires dont l’un accuse un fort déficit de compétences peut être facilité par le
recours à la corruption : le moins compétent est plus apte à être corrompu. Il est difficile de
disserter ici sur ces innombrables facteurs, mais nous essaierons d’analyser ceux qui
paraissent les plus pertinents et qui constituent le lit des chasseurs de rente sur la base de
l’exemple algérien.
2.1. Facteurs directs liés à la distribution de la rente
Un Etat sans stratégie économique clairement établie a souvent recours à la
distribution de la rente pour faire semblant de chercher l’intérêt général et le bien être de la
population. Les actions de distribution permettent de masquer les profits qu’en tirent les
gouvernants, ils fragmentent la société en groupes, chaque groupe ayant une propriété
particulière au nom de laquelle une partie de la rente lui sera dédiée. En même temps ces
groupes se structurent et rejoignent les réseaux clientélistes sur lesquels reposent l’entretien et
la pérennité du régime rentier. Ces groupes sont incrustés partout et sont actionnés en cas de
besoin, ils jouent le rôle d’intermédiaires et de médiateurs pour amortir, gérer les conflits, ils
sont également activés dans les campagnes électorales. Plus la société est atomisée, plus les
groupes et groupuscules sont individualisés, plus le régime rentier conforte sa situation et sa
domination. A son tour, pour entretenir ces cercles clientélistes, le régime rentier renforce sa
fonction de distribution et imagine des dispositifs spécifiques pour chaque catégorie de
groupe. Il est entendu qu’en période d’abondance de revenus, l’appétit des groupes est plus
aiguisé, les conflits, parfois organisés ou orchestrés à dessein, deviennent plus nombreux, la
distribution de la rente est d’autant plus facilitée et celle-ci est beaucoup plus facile à capter.
La situation d’instabilités est particulièrement propice à la capture de la rente. Pour satisfaire
tous les instincts rentiers, l’Etat multiplie les projets, notamment les grandes infrastructures
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Fluctuation de la relation Etat-Entreprises publiques dans les pays en transition. Cas de l’Algérie
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qui permettent aux grands chercheurs de rente d’en capturer le maximum, dans cet élan
distributeur, les profits se manifestent à tous les niveaux, on a ainsi une hiérarchisation dans le
phénomène de capture de la rente en fonction du rang qu’occupe le chercheur de rente dans le
réseau ancré dans les administrations étatiques ou à l’extérieur et du volume de la rente à
capturer. On assiste alors à une inflation des chercheurs de rente accompagnée évidemment
d’une inflation du volume de la rente à capturer en fonction de l’importance flux de revenus
extérieurs, ce qui explique une expansion du phénomène de la corruption en cette période
d’abondance. C’est cette dynamique qui s’est déclenchée dans la décennie 2000 en Algérie où
l’on a assisté à une propension expansive des activités de la recherche de la rente qui s’est
notamment matérialisée sur le terrain par la multiplication des conflits sociaux et de fréquents
mouvements de contestation que l’on peut expliquer en partie par des arguments politiques
mais, en majeure partie, par la volonté manifeste des contestataires d’intégrer les cercles des
chercheurs de rente, y compris par la violence, en réclamant leur part de la rente dans cet élan
distributif. A défaut d’apporter des réponses durables par des investissements conséquents et
productifs, l’Etat réagit souvent positivement à cette demande qui devient de plus en plus
pressante et importante en mettant en œuvre de nouveaux dispositifs de distribution pas
forcément appropriés à la nature de la demande exprimée [locaux commerciaux, octroi de
crédits, dispositifs de pré-emploi temporaires, etc.], par effet de contamination la réaction
conflictuelle s’étale, alimentant ainsi le processus d’expansion des activités de la recherche de
la rente qui devient une occupation majeure au sein de la société.
Même si dans leur conception initiale, une bonne partie de ces dispositifs multiples visent à
contribuer au renforcement de la base productive, ils sont vite détournés de leur objectif
premier et transformés en autant d’instruments de consolidation de l’économie informelle et
d’encouragement des réseaux d’importation de biens de consommation ou tout simplement en
dépenses somptuaires au profit des bénéficiaires des crédits (exemple des sociétés de location
de véhicules, projets ANSEJ, ANGEM, etc.). Cette situation est favorisée par l’abondance des
revenus pétroliers, l’Etat actionne davantage le levier de la distribution pour obtenir la paix
sociale notamment (importants transferts sociaux) et dans le cas de l’Algérie une base
productive très étroite. L’informel, la spéculation et la corruption sont consolidés par une telle
situation.
L’Etat va user d’un instrument flexible pour assurer ou réaménager distribution de la rente,
facilitant par la même occasion les possibilités de sa capture puis de sa dilapidation : la loi de
finances qui scelle et réajuste annuellement le processus de distribution de la rente parfois à la
convenance des groupes de pression par collusion entre le politique et l’économique, assurant
ainsi les nécessaires équilibres dans la répartition de la rente. En effet, c’est à travers la loi de
finances que se légitiment et s’opèrent ces équilibres, à travers les nombreuses dispositions
qui sont prises en matière fiscale notamment (défiscalisation, allégements, exonérations,
révision des taux d’imposition) et des mesures économiques (protection du secteur public,
rapports entre secteurs public et privé, investissements, etc.) avec tous les accompagnements
financiers nécessaires. Autant de déficits à la charge du Trésor public, financés via les
banques par les revenus de la rente pétrolière.
A titre d’exemple, nous rapportons ici les dispositions prises dans le cadre de la loi de
finances 2013 : pour encourager davantage l’investissement et consolider l’appui de l’Etat aux
entreprises tant du secteur public que du secteur privé, la loi de finances introduit de nouvelles
mesures d'exonérations fiscales au profit de la production nationale. La loi fixe à 1.5 milliards
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Fluctuation de la relation Etat-Entreprises publiques dans les pays en transition. Cas de l’Algérie
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de DA le seuil des projets soumis au Conseil national de l'investissement (CNI), contre un
seuil de 500 millions DA jusque là. Elle instaure l'habilitation des Services des Domaines à
fixer le montant de la redevance annuelle de concession et à décider de l'octroi des avantages
financiers introduits par la loi de finances complémentaire de l’année 2011. Elle exonère des
droits d'enregistrement, de la taxe de publicité foncière et de la rémunération domaniale les
actes portant concession des biens immobiliers relevant du domaine privé de l'Etat, établis
dans le cadre de la régularisation du patrimoine immobilier détenu en jouissance par les EPE
et les EPIC. Les investissements des partenaires des entreprises nationales seront, stipule le
texte, exclus de l'obligation de réinvestissement de la part des bénéfices correspondant aux
exonérations ou réductions accordées ''lorsque ces avantages consentis ont été injectés dans
les prix des biens et services finis produits''. Pour relancer davantage les PME algériennes, la
loi élargit l'appui financier de la ''Caisse de garantie des crédits d'investissement aux PME''
aux entreprises dont une partie du capital est détenue par le fonds d'investissement de l'Etat.
Afin de débureaucratiser l'investissement dans le tourisme, elle propose l'octroi en gré à gré
des terrains destinés à l'investissement touristique et situés dans les zones d'expansion
touristique directement par le wali sur décision du CALPIREF. Les entreprises spécialisées
dans l'aquaculture profiteront quant à elles de l'expansion du périmètre des dépenses du Fonds
national de développement de la pêche et de l'aquaculture pour inclure les aides à la
promotion de cette filière au même titre que la pêche. Concernant la simplification des
procédures fiscales et douanières, la loi a décidé de concrétiser le principe de la
''centralisation" du paiement de la Taxe sur l'activité professionnelle (TAP) par les
contribuables domiciliés à la DGE (Direction des grandes entreprises). Dans le même sillage,
elle propose de faciliter les procédures d'exportation par l'institution du régime douanier
draw-back qui permet, lors de l'exportation de marchandises, d'obtenir le remboursement total
ou partiel des droits et taxes ayant frappé l'importation des intrants de la production.
Les entreprises et les investissements ont été ainsi au centre de dispositions nouvelles
permettant d’aider et d’appuyer les opérateurs économiques. Il en est ainsi de la filière avicole
qui connaît de grandes difficultés pour qui cette LF 2013 consacre désormais des exonérations
de droits de douanes et taxes comme cela a été le cas, les années précédentes, pour les
secteurs de l’agriculture et du tourisme. Une mesure importante concerne le remboursement
de 50% de la TVA pour les sociétés relevant de la DGE, c’est-à-dire la direction des grandes
entreprises, et cela dans un délai très court, dès le dépôt de la demande. En matière de fiscalité
et de la lutte contre la fraude, la LF 2013 s’est attaquée à un aspect spécifique relativement
aux prix de transferts transformés en véritable transfert illégal de dividendes entre les filiales
algériennes et les sociétés partenaires étrangères.
2.2. Facteurs indirects ou instruments de facilitation de la dilapidation de la rente et de
l’émergence de la culture de la recherche de la rente
2.2.1. Inefficacité du système fiscal : instrument de dilapidation de la rente et
catalyseur de la recherche de la rente
Le système fiscal est un facteur central dans la détermination des équilibres budgétaires d’un
pays, notamment d’un pays à profil rentier puisque c’est de son efficacité que dépend en
quelque sorte le recours aux produits provenant de la rente ou non. Il apparaît donc comme un
élément régulateur des déficits budgétaires. Plus le système est efficace, plus la collecte des
impôts sera mieux assurée et l’Etat engrangera des recettes importantes en matière de fiscalité
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Fluctuation de la relation Etat-Entreprises publiques dans les pays en transition. Cas de l’Algérie
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ordinaire, le recours à la fiscalité pétrolière pour le cas algérien par exemple, sera moindre.
Inversement, moins il est efficace et plus il y a de permissivité vis-à-vis des contribuables,
notamment les gros contribuables plus il constitue un facteur de déperdition de l’impôt et
d’aggravation d’inégalités sociales.
Dans les pays en voie de développement, la fonction économique et sociale de l’impôt doit
être prépondérante. Pour le cas algérien, on constate que le volume global des recettes a
fortement évolué depuis l’indépendance à nos jours, mais la structure des recettes reste
dominée par la fiscalité indirecte. Par ailleurs, la fiscalité ordinaire n’arrive pas à couvrir les
dépenses de fonctionnement, elle est supplée largement par la fiscalité pétrolière et cela, au
détriment des dépenses d’équipement sensées tirer au moins partiellement la croissance
économique. Ce scénario conduit inexorablement soit à l’endettement par le recours aux
capitaux extérieurs, soit à l’inflation, ou enfin, à la dilapidation des revenus de la rente
pétrolière. Ainsi, l’organisation de l’économie se trouve aux antipodes de la politique fiscale
en vigueur et vice versa. Ce qui conduit dans ce cas à considérer la fiscalité plutôt comme un
facteur de déperdition économique. Dès lors, dans ce cas de figure, le déséquilibre fiscal
structurel apparaît ou est accepté comme une fatalité accentué par des instabilités dans le
cycle des exportations lui conférant une évolution quasi-aléatoire et par la fragilité des
entreprises publiques aux modestes performances avec donc des contributions dérisoires aux
recettes fiscales et des sollicitations récurrentes d’exonération fiscale ou d’allégements
fiscaux. De la même manière, le secteur de l’agriculture, sensé être un moteur de la
croissance, fait l’objet de mesures de défiscalisation, privant ainsi le budget de l’Etat de
ressources substantielles et engendrant des comportements négatifs chez les agriculteurs et
l’importation massive de denrées de première nécessité avec des devises fortes tout en ouvrant
ainsi un créneau supplémentaire à la dilapidation d’une autre partie de la rente pétrolière.
Cette situation anachronique consolide davantage les rangs des importateurs et des chercheurs
de rente comme elle offre de nouvelles opportunités de spéculation et un environnement
propice à l’émergence de comportements frauduleux, au développement du secteur informel
et à la reproduction de la culture de la recherche de la rente. Ainsi, les effets pervers et les
insuffisances du système fiscal se conjuguent avec le caractère aléatoire des revenus
extérieurs qui doivent faire face à la fois au budget d’équipement et en partie au budget de
fonctionnement au bonheur des prédateurs et des importateurs dont la population se renforce
au fur et à mesure de la montée en puissance d’une société de consommation.
Par ailleurs, les biais introduits par certaines techniques fiscales (recensement des matières
imposables, régimes d'évaluation, procédure de recouvrement, etc.) ont eu pour conséquence
de détruire la matière imposable elle-même et de favoriser des comportements frauduleux.
C'est le cas des nombreux régimes forfaitaires qui permettent à de nombreux contribuables
d'éluder l'impôt en se déclarant dans des tranches de chiffre d'affaires inférieurs et pour
lesquels l'administration fiscale n'a prévu aucune forme de contrôle spécifique et de
recoupements. En général, ce sont les gros contribuables qui peuvent tenter des actions de
séduction en direction des fonctionnaires en charge du recouvrement et du calcul de l’impôt.
La frontière n’étant ni étanche, ni bien encadrée par les dispositifs réglementaires et
juridiques, elle facilite la collusion entre ces contribuables avides de gain et les agents des
services fiscaux qui peuvent plier devant des offres alléchantes en abusant de leur position
privilégiée, ouvrant ainsi la voie à des rentes de situation.
17
Fluctuation de la relation Etat-Entreprises publiques dans les pays en transition. Cas de l’Algérie
AHMED ZAID Malika, Laboratoire REDYL - UMMTO
Enfin, les tendances comportementales du secteur privé national qui ne font pas forcément
dans le renforcement de la base productive aggravent davantage les modestes performances
du système fiscal par la faiblesse de sa contribution, tourné qu’il est vers les activités
informelles, la recherche de l’exonération fiscale ou encore dans la non déclaration ou les
fausses déclarations des revenus réels13. D’un autre côté, ce manque à gagner pour la
Trésorerie de l’Etat est d’autant plus grave si l’on sait que le secteur privé est financé à
hauteur de 73% sur des fonds publics selon le délégué général de l’association des banques et
établissements financiers qui considère que les fonds propres des entreprises restent
insuffisants et que de nombreux investisseurs souffrent d’un manque de garantie avec un
niveau de risque élevé!
Loin de répondre aux objectifs qui lui sont assignés, le système fiscal se trouve donc converti
par son inefficacité en lieu de phénomènes corruptifs et de dissipation indirecte de la rente à la
faveur de la fraude et de l’évasion fiscale, obligeant l’Etat à puiser des revenus pour assurer
les équilibres budgétaires ; il contribue ainsi indirectement au processus de dilapidation de la
rente. D’ailleurs, cet effet pervers a été relevé par la Cour des comptes dans son rapport à la
suite d’investigations sur les conditions de la réalisation des recettes budgétaires, soulignant
notamment la faiblesse des recouvrements. Il a été mentionné une accumulation importante
des restes à recouvrir des années antérieures, totalisant au 31 décembre 2010, un manque à
gagner de plus de 7700 milliards de dinars [environ 97 milliards de dollars]14. Mieux encore,
la Cour des comptes mentionne également que les agents de l’administration fiscale ne
maîtrisent pas les déclarations d’impôt et de redevance pétrolière fournies par la
SONATRACH et ses associés, d’autant plus qu’il s’agit d’un contribuable majeur. Ce déficit
de maîtrise nous renseigne sur la compétence et l’efficacité d’un tel système qui peut donner
cours à toutes formes de spéculation et actes délictueux.
Ces lacunes fiscales dont le volume s’accroit d’année en année sont évidemment comblées par
le recours à la rente pétrolière et participent au déséquilibre fiscal structurel dont semblent
s’accommoder les agents et acteurs économiques. Perdant ses fonctions de régulation et de
contrôle, l’Etat adopte une attitude de résignation n’ayant d’autre alternative que le recours à
la redistribution de la rente. En effet, ce déséquilibre fiscal structurel est si bien intériorisé par
l’économie du pays que la fiscalité ne semble pas constituer un élément décisif dans sa
politique budgétaire affectant négativement tout effort d’amélioration de l’économie nationale
du moment qu’en tant qu’outil de collecte de l’impôt, il affiche une modeste efficacité et en
tant que régulateur direct de l’économie, ses incohérences et ses déviations l’empêchent
d’intégrer positivement les choix d’une politique économique sensée être tournée vers la
construction d’une base productive.
2.2.2. Archaïsme du système bancaire hermétique, réfractaire aux réformes et à
l’ouverture : un facteur favorisant la recherche de la rente et un instrument de lieu de
distribution et de dilapidation de la rente
13
A titre d’exemple, en 2012 ce sont 15 500 entreprises du secteur privé qui ont bénéficié du rééchelonnement de leurs dettes fiscales
pour un montant de 92 milliards de DA [1.3 Milliards de dollars] tandis que le volume de cette même dette, secteur public et secteur privé
confondus, représente 946 milliards de DA pour la même année [12.5 milliards de dollars].
14
Ce qui équivaut à 2.5 fois le montant des recettes générales de l'Etat de l'exercice 2010, estimées à plus de 3 000 milliards de dinars, et
près de 6 fois les revenus enregistrés au titre du Fonds de régulation des recettes (FRR), évalués à 1 318 MDA en 2010. Ce déficit de
recouvrement se rapporte notamment aux produits divers du budget (TVA, IRG, TAP et IBS) et semble dû en partie à l'absence de rigueur
dans les poursuites des redevables défaillants vis-à-vis de l'administration fiscal.
18
Fluctuation de la relation Etat-Entreprises publiques dans les pays en transition. Cas de l’Algérie
AHMED ZAID Malika, Laboratoire REDYL - UMMTO
Pour comprendre la vulnérabilité et les prédispositions du secteur bancaire algérien à la
culture de la recherche de la rente, il est fondamental de rappeler qu’il est caractérisé par une
forte prégnance du secteur public en ce sens qu’il est dominé par les banques publiques 15. Il
est également caractérisé par une relative spécialisation des activités entre banques publiques
et banques privées. Ayant fait leur irruption récemment dans le paysage bancaire algérien, ces
dernières sont orientées vers le financement des opérations de commerce extérieur, les crédits
aux entreprises et le crédit immobilier alors que certaines se dédient spécifiquement aux
activités de banque d’investissement. Par contre, les banques publiques assurent l’essentiel du
financement des entreprises publiques pour le compte du Trésor, créées qu’elles sont à
l’origine pour financer des secteurs d’activités prioritaires tels que l’habitat, le tourisme,
l’agriculture et l’industrie. Elles servent notamment de vecteurs financiers aux opérations
d’assainissement des entreprises publiques économiques pilotées par le Trésor (prêts à taux
bonifiés, différés, annulation des agios, effacement pur et simple des dettes). Par ailleurs,
plusieurs banques ont été mises en difficulté par leurs politiques de distribution de crédits
adoptées durant ces quatre dernières décennies puisqu’elles se sont soldées par des problèmes
de qualité des actifs, de solvabilité et de liquidité. En effet, une série de décisions de crédit
imprudentes et de faiblesses révélées dans les systèmes de contrôle ont abouti à une forte
détérioration de la rentabilité de ces banques publiques dont certaines n’étaient plus en mesure
de satisfaire au minimum réglementaire en matière de ratio de solvabilité. Enfin, du fait du
manque d’indépendance de la Banque Centrale, de l’interventionnisme du ministère des
finances, du poids des banques publiques dans le secteur et du rôle joué par les entreprises
publiques dans le monde des affaires, on se retrouve dans la situation d’un Etat
quadruplement juge et partie des évolutions de ce secteur. Au problème de la capacité
technique, se rajoute alors celui de la légitimité politique du contrôle. Ces limites et
insuffisances du secteur bancaire sont aggravées par un marché des capitaux peu développé
avec un nombre limité d’instruments et de sources alternatives au financement bancaire.
Le secteur bancaire algérien exhibe une situation de surliquidité structurelle, estimée entre 35
à 40 milliards d’euros environ, liée à un taux d’épargne élevé et une politique de crédits de
nature conservatrice. Un montant du même ordre, drainé par le secteur informel, serait en
circulation en dehors du système bancaire en raison de son incapacité à bancariser les
transactions et fiscaliser les marchés. Ces montants considérables auraient pu être mobilisés
au service de la croissance et du développement économiques en situation de bonne
gouvernance.
Partant de là, l’Etat a exprimé sa volonté de se désengager au moins partiellement du secteur
bancaire et de l’ouvrir au privé tout en engageant une série de réformes visant sa
modernisation et sa mise en conformité avec les standards internationaux en la matière. Mais
le processus engagé reste timide et surtout très lent, certainement freiné par les agents et
acteurs dont les intérêts rentiers sont remis en cause. Malgré les évolutions des législations
bancaires, l’analyse de Creane et al. [CREANE, 2004] montre que l’Algérie affiche un indice
15
Six banques publiques représentent près de 90% des dépôts et des crédits octroyés tandis que 14 banques privées à capitaux étrangers,
filiales ou succursales de banques internationales exercent également dans le pays. Ce réseau de banques est appuyé par quatre sociétés
de garantie des investissements [FGAR, SGCI, CGPM, CGCI-PME], cinq sociétés de leasing et deux sociétés de capital investissement
[Sofinance et El Djazair-Istithmar)
19
Fluctuation de la relation Etat-Entreprises publiques dans les pays en transition. Cas de l’Algérie
AHMED ZAID Malika, Laboratoire REDYL - UMMTO
de développement financier relativement faible [3.5 pour 2000-2001 et 3.2 pour 2002-2003]16,
inférieur à la moyenne des pays du MENA, en raison de difficultés rencontrées en matière de
réglementation prudentielle et de supervision bancaire reliés aux problèmes d’information et
de réticence des acteurs économiques à faire preuve de transparence et enfin, à la faible
indépendance des autorités de régulation [BARAKAT, 2005].
Dans le même contexte, on notera que le taux de créances non performantes reste relativement
important : il est de 16.12% en 2010 contre 19,05% en 2009, tandis que pour la même
période, le ROE (résultats sur fonds propres moyens) des banques était de l’ordre de 23% en
moyenne. En fait, ces créances douteuses représentent d’importants découverts d'une minorité
de monopoleurs rentiers auprès des banques publiques avec parfois la complicité des banques
privées : plus de 50% du montant des crédits alloués entre 2008 et 2010 au secteur privé et
70% aux entreprises publiques constituent des créances non performantes. Ce manque de
performance explique en partie le fait que le secteur bancaire algérien est proie à un nombre
considérable de scandales financiers impliquant notamment toutes les banques publiques et
mettant en jeu des montants faramineux dans des prêts sans garantie accordés par la
complicité établie de cadres indélicats des établissements bancaires à des sociétés fictives ou à
de supposés opérateurs exerçant des activités commerciales dans le secteur informel. Souvent
ces activités servent de vecteur à l’exportation frauduleuse de devises causant un préjudice
notable à l’économie nationale et mettant à nu les faiblesses du système de contrôle interne
des établissements bancaires et les déficits considérables en matière de management.
Contigües aux scandales financiers et aux activités de corruption, les recapitalisations
récurrentes des banques publiques et, pratiquement de tous les établissements et entreprises
publics, constituent l’autre source de dissipation de la rente pétrolière qui se chiffre à
plusieurs milliards de dollars17. Cet état de déliquescence illustre fort bien les comportements
rentiers des agents du secteur et l’attitude négative de l’Etat qui, loin d’exercer efficacement
ses fonctions de contrôle et de régulation, participe activement à l’entretien du processus de
dilapidation de la rente pétrolière par ses interventions répétitives pour sauvegarder des cadres
plutôt favorables aux prédateurs par des opérations de recapitalisation. Il explique également
le freinage des réformes visant la modernisation et l’amélioration de l’efficacité du secteur
bancaire et financier en général par la collusion entre les chercheurs de rente, les groupes de
pression et le politique et les agents du secteur. Ces interactions conduisent à des résistances à
tous les niveaux provoquant des retards considérables dans la mise en œuvre des réformes. En
effet, au plan politico-économique, dans les sociétés caractérisées par une combinaison de
politiques redistributives et distorsives et où les groupes de pression sont influents, les plans
séquentiels optimaux sont temporairement incohérents : les gagnants des premières réformes
sont incités à arrêter le processus des réformes dans ses derniers stades. Sachant cela, les
perdants des premières réformes devront s’opposer aux premières mesures [MARTINELLI,
1993]. Il est évident que dans cette situation de blocage mutuelle, une application simultanée
des réformes serait éventuellement le meilleur instrument pour mettre fin aux sources de
16
L’indice de développement financier, proposé par Creane et al., synthétise six dimensions financières : le secteur bancaire, le secteur
financier non-bancaire, la réglementation prudentielle et la supervision bancaire, la politique monétaire, l’ouverture financière et
l’environnement institutionnel.
17
Les banques publiques ont accordé aux entreprises publiques déficitaires des prêts à conditions avantageuses créant un passif exigible
pour le secteur public et des goulots d’étranglement du crédit pour l’investissement du secteur privé. Les rachats successifs par l’Etat des
prêts bancaires en souffrance accordés aux entreprises publiques sur la période 1993-1997 ont représenté plus de 50% de l’encours de
crédit moyen à l’économie et près de 30% du PIB moyen. L’apurement en 2001 a coûté 15% supplémentaire du PIB ! [Rapport de la Banque
Mondiale sur les échanges commerciaux, investissement et développement dans la région MENA, 2004, pp. 171-172].
20
Fluctuation de la relation Etat-Entreprises publiques dans les pays en transition. Cas de l’Algérie
AHMED ZAID Malika, Laboratoire REDYL - UMMTO
rentes implicites découlant d’un programme séquentiel qui a toutes les chances d’être
inachevé. Les lenteurs à mettre en œuvre les réformes donnent suffisamment de temps aux
groupes de pression pour accroître les activités de recherche de rentes improductives, le
secteur bancaire favorisant le processus en octroyant des crédits devenant ainsi un haut lieu de
distribution de la rente pétrolière. D’ailleurs, cette démarche lente et graduelle touche
pratiquement tout le processus de mise en œuvre des politiques de libéralisation entreprises en
Algérie, facilitant ainsi la montée en puissance des pressions en faveur du statu quo et
l’altération de la crédibilité des gouvernements successifs conjuguée à la fréquence
d’instabilités politiques.
Au-delà des instances officielles et des entités chargées de la surveillance, la problématique
de la gouvernance et du contrôle bancaire et financier renvoie à l’ensemble du contexte
institutionnel, aux interactions entre les acteurs de celui-ci, à l’existence de contrepouvoirs et
au rôle joué par les médias et la société civile dans l’information et la formation économique
et financière. En effet, le problème n’est pas tant dans la promulgation ou l’adoption de règles
prudentielles que dans le développement d’un cadre d’action collective, d’une culture micro et
macro politique favorable à l’application des règles et susceptible d’opérer un réel
changement en termes d’information, formation et autonomie de l’ensemble des acteurs. Les
partenaires des banques (et notamment les actionnaires et les déposants) pourront alors non
seulement exercer un réel pouvoir disciplinaire, s’il est bien organisé, sur ces dirigeants mais
joueront un rôle effectif dans l’orientation des choix stratégiques des banques [BEN KAHLA,
2007].
Ainsi, la réforme du système bancaire, haut lieu de la distribution de la rente, doit toucher
fondamentalement la nature du système, et donc la propriété, et pas seulement la rapidité de
l'intermédiation financière qui, paradoxalement, pourrait faciliter davantage les détournements
et la capture de la rente si l'on ne neutralise pas à la racine ce mal qui ronge le corps social.
Dès lors, les banques doivent pratiquer une comptabilité décentralisée conforme aux normes
internationales avec de réels audits internes pour sortir de la voie périlleuse actuelle qui
menace les fondements de l'Etat lui-même, l’économie et la sécurité nationales. Une telle
approche permettrait de réduire au mieux, voire de neutraliser, les activités de la sphère
informelle, produit de la propension de la bureaucratie rentière qui, elle-même, se nourrit de
cette sphère à travers les réseaux diffus de corruption et de chercheurs de rente en collusion
avec les groupes de pression18. L’émergence de la sphère informelle est aussi le résultat des
dysfonctionnements des appareils de l’Etat, structurant ainsi un dualisme dans le champ
économique. En effet, lorsqu’une société ne s’accommode pas des règles que l’Etat veut lui
imposer, elle secrète ses propres règles qui lui permettent non seulement de s’affirmer mais de
fonctionner, les relations étant établies sur un registre de confiance entre les cocontractants.
Comme on ne saurait isoler les relations dialectiques entre la sphère régie par le droit de l’Etat
et la sphère informelle qui possède ses propres codes, se tissent alors des liens diffus entre la
logique rentière et l’extension de la sphère informelle. Cela favorise la dépréciation du dinar
et l’évasion fiscale.
Etant donné ses accointances avec le système bancaire pour des besoins d’octroi de crédits et
le transfert de devises pour des besoins d’importations qui nourrissent ses activités, il est
intéressant de rappeler ici que la sphère informelle contrôle plus de 65% des segments de
18
Transparency International classe l'Algérie parmi les pays qui connaissent un taux de corruption élevé comme en témoignent les 10
derniers rapports de 2002 à 2012 qui ne montrent aucune amélioration notable de ce taux.
21
Fluctuation de la relation Etat-Entreprises publiques dans les pays en transition. Cas de l’Algérie
AHMED ZAID Malika, Laboratoire REDYL - UMMTO
produits de première nécessité, à travers des importations souvent non contrôlées, auxquels
plus de 70% des ménages consacrent presque l’intégralité de leurs revenus, et plus de 40% de
la masse monétaire globale en circulation19. L’importance de cette masse monétaire captée,
favorise une concentration du revenu au niveau des réseaux de cette sphère avec des
tendances monopolistiques et souvent oligopolistiques (quelques offreurs pour une multitude
de demandeurs). Elle alimente également la demande au niveau du marché parallèle de la
devise où la distorsion atteint actuellement plus de 40% relativement à la cotation officielle
(un euro s’échange contre plus de 140 dinars algériens).
Ces chasseurs de rente usent de la perméabilité du système bancaire et de complicités en son
sein pour engranger des gains substantiels. Ainsi, les surfacturations et l'utilisation de la
distorsion du taux de change constituent le canal par excellence pour la fuite de capitaux
importants induisant des pertes sèches pour l’économie nationale20. Il est évident que de tels
actes pervers sont facilités par l’inefficacité du secteur bancaire et les comportements rentiers
ne sont que la traduction de la faible démocratisation des systèmes économique et politique
qui confère plus de pouvoir à ceux qui contrôlent l'information.
Pour faire face à l’importante sollicitation, les banques commerciales et d'investissement
opèrent non plus à partir d'une épargne puisée du marché, éventuellement un reliquat du
travail, mais par les avances récurrentes auprès de la Banque d'Algérie, notamment pour les
entreprise publiques qui sont ensuite refinancées par le Trésor public en la forme
d'assainissement sans que celles-ci ne deviennent viables et compétitives21. Il en est de même
pour la majorité des entreprises privées dont plus de 80 % ont une organisation familiale peu
encline au management stratégique. Une analyse rapide de leurs structures du capital et de
financement montre à l'évidence qu'elles sont dans des positions d'endettement vis-à-vis du
système financier que ce soit pour leurs investissements ou pour leur exploitation courante,
donc entièrement pendantes à la rente pétrolière. S’accommodant fort bien de cette assistance
bancaire, la quasi-totalité des entreprises algériennes ne peuvent être compétitives et encore
moins innovantes du fait qu’elles sont déficitaires en savoir et compétences nécessaires à cet
effet. Pour la majorité d’entre elles, elles arrivent à peine à s’insérer dans le cadre du
partenariat dans un marché captif grâce notamment aux faisceaux de relations qu’elles
entretiennent pour les plus dynamiques d’entre elles. Véritables instruments de la capture de
la rente, les entreprises publiques et privées n’arrivent pas à intégrer les préceptes de
l’économie de marché dans leur culture managériale et constituent un lourd fardeau à l’actif
du système bancaire algérien qui va user de la distribution des revenus de la rente pétrolière
pour faire face non seulement à leur financement mais aussi à leurs déficits.
Par ailleurs, si nous considérons que les réformes en profondeur du secteur bancaire doivent
être poursuivies afin de l’extraire des filets des chercheurs de rente, il n’empêche que celles-ci
devraient être précédées de l’assainissement de l’environnement institutionnel et de
l’avènement d’une nouvelle gouvernance publique basée sur les valeurs d’inclusion, de
19
La masse monétaire globale a été évaluée dans le dernier rapport de la Banque d’Algérie à 2 439 milliards de dinars [33.87 milliards de
dollars] à la fin de l’année 2010, la sphère informelle contrôle ainsi 13.55 milliards de dollars limitant la politique monétaire de la Banque
centrale avec une importante intermédiation financière informelle mais avec des taux d’usure.
20
La Banque mondiale évalue ces fuites de capitaux à plusieurs dizaines de milliards de dollars entre 1972-2009, avec d'importants
mouvements pour certaines périodes en fonction de la situation politique et socioéconomique et des produits hors des frontières, fonction
de la distorsion des prix intérieurs et internationaux.
21
Le rachat des engagements financiers des EPE auprès de la Banque d'Algérie a coûté plusieurs dizaines de milliards de dollars entre 1991
et 2011 sans que les résultats ne soient probants du moment que près de 70 % de ces entreprises sont revenues à la case de départ.
22
Fluctuation de la relation Etat-Entreprises publiques dans les pays en transition. Cas de l’Algérie
AHMED ZAID Malika, Laboratoire REDYL - UMMTO
responsabilisation et de transparence. Cette nouvelle forme de gouvernance permettra
l’émergence d’un environnement institutionnel directement et indirectement favorable au
commerce et au développement du secteur bancaire et financier. Ceci passe inexorablement
par une administration fiscale qui ne pénaliserait pas les plus transparents et par une fiscalité
perçue comme un mécanisme de convergence des intérêts. Sur un plan parallèle, la
restructuration des banques du secteur public et l’assainissement de leurs bilans devraient
continuer avec plus de détermination. Le renforcement de la qualité de leurs actifs constitue
une priorité pour les autorités de contrôle même si ce processus devrait prendre un certain
temps. En effet, malgré les efforts déployés par le gouvernement, le problème des crédits
accrochés demeure persistant. Si les mesures qui s’imposent ne sont pas décidées, ce
problème constituera une véritable menace pour la pérennité du système de financement en
Algérie, notamment en période de forte chute des revenus exogènes.
Conclusion
Devant les instabilités et les fluctuations de la rente pétrolière liées au caractère fugace et
éphémère des prix sur le marché international, l’Etat est appelé à réorienter son usage comme
ressource productive en l’investissant dans la formation de capital et en rognant davantage sur
sa logique de redistribution. Il devient souhaitable à jamais d’agir sur les institutions
régulatrices en place pour éviter la dilapidation de la rente en achats excessifs de produits
courants et de luxe, son gaspillage par une meilleure maîtrise des dépenses publiques et une
utilisation utile et rationnelle des ressources de l’Etat, c’est-à-dire, une maîtrise de son
intervention.
L’Etat gagnerait à réparer son déficit en matière de gouvernance en interpelant sa fonction de
régulation : son action viserait à limiter les comportements pervers d’abord dans ses rouages,
par la mise en œuvre de mécanismes régulateurs, de contrôle et de lutte contre la corruption et
la prédation, pour réduire davantage la culture de la rente. Le principe de régulation est ici
impliqué dans la nécessité de maîtriser et surmonter les incertitudes qui naissent en
permanence du caractère ambivalent de la rente. Le problème est de savoir comment bâtir un
processus d’accumulation stable et durable sur une base par nature instable et éphémère, et
plus concrètement comment et avec quels mécanismes institutionnels, impulser durablement
la transformation de la rente en capital productif [Penguin, 2002].
Dès lors, l’Etat est appelé à neutraliser les facteurs de dilapidation qu’ils soient liés
directement à la redistribution de la rente dont le principal acteur est l’Etat lui-même, ou aux
instruments et lieux favorisant sa capture ou enfin sur les mécanismes de la gouvernance et
l’amélioration des assises de la démocratie, par des actions sur l’institutionnel et le politique.
A cet effet, il est évident qu’il faille agir sur les comportements des agents à tous les niveaux,
y compris dans la société par des actions de participation et de sensibilisation visant
l’atténuation puis l’éradication de la culture de la rente, par une valorisation des valeurs
communes positives pour améliorer la relation entre les gouvernants et les citoyens.
En second lieu, il est important de redéfinir une stratégie industrielle et économique porteuse
en identifiant clairement les réformes à entreprendre et en les conduisant à terme, les
processus engagés jusque là demeurent inachevés. Le schéma directeur des industries
industrialisantes des années 1970 fait partie de l’histoire, celui de la production de substitution
aux importations est frappé de désuétude, plus récemment les autres schémas de privatisation
23
Fluctuation de la relation Etat-Entreprises publiques dans les pays en transition. Cas de l’Algérie
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totale ou des investissements directs étrangers (IDE) ont montré leurs limites, toutes ces
options ayant été mises en échec par la montée en puissance des rentiers et la frilosité de
l’Etat affaibli certes par des contraintes politiques et sécuritaires.
En troisième lieu, les systèmes fiscal et bancaire nécessitent d’être assainis et modernisés pour
les recentrer sur leurs missions d’appui au développement et à l’émergence d’une économie
productive et les extraire de leur statut actuel de lieu de facilitation de la distribution et de la
dilapidation de la rente. Cet assainissement se conjuguera à un processus de lutte contre
l’économie informelle en contraignant ses acteurs à investir dans le champ de l’économie
productive pour réduire les déséquilibres au sein de l’économie nationale et la masse
monétaire contrôlée par la sphère informelle par des mesures d’inflexion sur la monnaie. Dans
le même contexte, l’Etat doit réviser sa position dans les dispositifs de création des petites
entreprises en instituant l’obligation faite aux créateurs d’engagement de fonds propre avec
l’introduction de prêts à intérêt différé. L’intérêt sera dégressif en fonction du nombre
d’emplois générés et des résultats de l’entreprise créée. Il y a nécessité d’évaluation critique et
objective des impacts des investissements consentis par l’Etat dans le cadre de ses différents
dispositifs, en bref une réelle évaluation des politiques publiques. Par une interaction pérenne
de l’Etat avec les institutions, ce faisceau d’actions lui permettra d’opérer des choix tranchés
devant aboutir à une réelle discrimination entre intérêt général et intérêts des rentiers.
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