A r t i c l e o r i g i n a l Étude urodynamique comparative de la stimulation de la racine S3 versus la stimulation du sciatique poplité interne à la cheville au cours des hyperactivités détrusoriennes Urodynamic study of sacral nerve neuromodulation versus transcutaneous stimulation of the posterior tibial nerve in overactive bladder A. Even-Schneider*, B. Pichon**, N. Wolf**, P. Raibaut**, G. Amarenco** RÉSUMÉ. L’hyperactivité vésicale est un syndrome fréquent. Les anticholinergiques en constituent le t raitement de première intention. En cas d’échec, d’autres thérapeutiques peuvent être proposées (injection intradétrusorienne de toxine botulique, entérocystoplastie, intervention de Brindley, neuromodulation des racines sacrées). Cette dernière nécessite une implantation chirurgicale précédée d’une phase de test, pendant laquelle une électrode provisoire est mise en place avec vérification des paramètres cliniques (catalogue mictionnel) et urodynamiques. Nous avons comparé, dans cette étude p o rtant sur 13 patients avec détrusor hyperactif en urodynamique, les modifications cystomanométriques induites par une neuromodulation directe des racines sacrées et une électrostimulation du sciatique poplité interne à la cheville. Une corrélation statistiquement significative (p = 0,02) a été mise en évidence entre les deux techniques. Ce résultat suggère l’utilisation de l’électrostimulation périphérique dans les critères de sélection des candidats à une neuromodulation des racines sacrées. Mots-clés : Neuromodulation – Vessie hyperactive – Urodynamique. ABST RACT. Overactive bladder is a very common syndrome. Anticholinergic drugs are usually used to * Service de rééducation neurologique, hôpital Poincaré (AP-HP), Garches. ** Service de rééducation neurologique et d’explorations périnéales, hôpital Rothschild (AP-HP), Paris. E-mail : [email protected] 42 improve the different symptoms (urge incontinence, frequency, nocturia). If this therapy fails, various treatments are used e.g. botulinium toxin in the detrusor, Brindley neurostimulation, bladder cystoplasty or sacral nerve neuromodulation. S3 neuromodulation requires a surgical implantation and a test period to select patients for definitive implantation. Test period consists of a temporary S3 electrode implantation with verification of urodynamic parameters and micturition flow chart. We have compared in this study the acute stimulation of posterior tibial nerve and S3 neuromodulation on cystometric parameters in 13 patients with overactive detrusor. A good correlation between cystometric results under the two different types of stimulation was found (p=0,02). This result could suggest the use of tibial nerve stimulation as a temporary test to select patients for definitive S3 implantation to improve irritative symptoms. Keywords: Sacral neuromodulation – Overactive bladder – Cystometry. Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 2, vol. IV - avril/mai/juin 2004 N RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1 . C h a r t i e r-Kastler E. Uro d y n a m i c monitoring during perc u t a n e o u s sacral nerve neurostimulation in patients with neurogenic detrusor h y p e r reflexia. Neuro u rol Uro d y n 2001;20(1):61-71. 2. Weeler JS. Bladder inhibition by penile nerve stimulation in spinal c o rd injury patients. J Uro l 1992;147(1):100-3. 3 . Van Balken MR. Posterior tibial nerve stimulation as neuro m o d u l ative treatment of lower urinary tract dysfunction. J Urol 2001;166(3):914-8. 4. Amarenco G, Sheikh Ismael S, EvenSchneider A et al. Urodynamic effect of acute transcutaneous posterior tibial nerve stimulation in overactive bladder. J Urol 2003;169(6):2210-5. 5 . Klingler HC. Use of peripheral neuromodulation of the S3 region for t reatment of detrusor overactivity: a u rodynamic-based study. Uro l o g y 2000 ;56(5):766-71. 6. Weil EH. Sacral root neuro m o d ulation in the treatment of re f r a c t o r y urinary urge incontinence: a pro spective randomized clinical trial. Eur Urol 2000;37(2):161-71. 7. Govier FE. Percutaneous affere n t n e u romodulation for the re f r a c t o r y overactive bladder: results of a multicenter study. J Urol 2001;165(4):1193-8. 8. Piacentini F. Influence of transcutaneous stimulation (TENS) of the posterior tibial nerve on various cystomanometric parameters in patients with neurologic bladder. Initial data on 6 patients. Acta Biomed Ateneo Parmense 1986;57(3-4):109-13. o m b re de pathologies neurologiques altérant les centres intégrateurs ou les relais médullaires ou périphériques modifient la physiologie vésicosphinctérienne normale. La l i b é ration de l’automatisme mictionnel par suppression des influx inhibiteurs ou réapparition du réflexe C médié par les fibres capsaïcine-sensibles est responsable d’un syndrome clinique d’hyperactivité vésicale dont le substratum physiopathologique est le plus souvent une hyperactivité du détrusor, définie par des contractions non inhibées survenant durant le remplissage vésical. Cliniquement, ce dysfonctionnement vésicosphinctérien se manifeste le plus souvent par une incontinence urinaire sur besoin impérieux et par une pollakiurie avec ou sans nycturie. L’incontinence urinaire est souvent socialement inva l idante et conduit parfois les patients à limiterleurs activités professionnelles ou les différentes activités de leur vie quotidienne. Le pronostic vital peut aussi être mis en jeu par le risque de dégradation secondaire du haut appareil, lié aux complications infectieusesdelamauvaisevidange vésicale et du régime de hautes pressions intravésicales. Les traitements actuellement proposés en pre m i è reintention sont les anticholinergiques. Ils présentent de nombreux effets indésira b l e s tels que sécheresse de bouche, constipation ou troubles de l’accommodation, limitant ainsi leur utilisation. Par ailleurs, l’efficacité des anticholinergiques n’est parfois que partielle, et demeure insuffisante pour éviter l’incontinence et protéger le haut appareil des risques dedégradation secondaire. Parmi les autres traitements sont actuellement proposés l’injection intradétrusorienne de toxine botulique, la neurostimulation de Brindley et l’entérocystoplastie d’agrandissement. La neuromodulation des racines sacrées est une a u t re thérapeutique efficace dans l’hypera c t ivité vésicale (1). Elle consiste en la pose d’une é l e c t rode de stimulation électrique au contact de la troisième ou de la quatrième racine sacrée pour stabiliser l’activité du détrusor. Son efficacité clinique et urodynamique a été bien démontrée (1). Préalablement à l’implantation définitive, des essais sont réalisés avec une électrode de stimulation test provisoire, posée au contact de la troisième ou de la quatrième racine sacrée sous contrôle scanographique et maintenue en place durant quelques jours, permettant ainsi d ’ é valuer cliniquement et urodynamiquement l’efficacité du traitement et d’envisager en cas de réponse positive l’implantation définitive du Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 2, vol. IV - avril/mai/juin 2004 boîtier de neuromodulation. Mais cette phase de test est contraignante, avec le recours nécessaire à une hospitalisation. Par ailleurs, les stimulations électriques d’afférences périphériques comme le nerf dorsal de la verge chez les patients blessés médullaires ont montré leur efficacité pour déprimer l’hyperactivité de la vessie : augmentation de la capacité vésicale, diminution de la fréquence et de l’amplitude des contractions du détrusor (2). La stimulation c h ronique du nerf sciatique poplité interne a également montré son efficacité dans le traitement des symptômes liés à l’hyperactivité de la vessie, tels que la pollakiurie, les impériosités et les épisodes d’incontinence ( 3 ). L’effet urodynamique en aigu a également bien été démontré (4). Afin, éventuellement, d’utiliser la stimulation du nerf sciatique poplité interne, méthode simple et non inva s i ve, comme test aigu de l’efficacité d’une neuromodulation chronique des racines sacrées, nous avons réalisé une étude pro s p e c t i ve comparant l’efficacité urodynamique de la stimulation de la troisième racine sacrée par une électrode test et de la stimulation du sciatique poplité interne. MATÉRIELS ET MÉTHODES Tre i ze patients ont été inclus : 11 femmes et 2 hommes, d’âge moyen 53,7 ans (sd 14,5 ans). L’origine des troubles était neurologique pour 11 d’entre eux : 5 lésions encéphaliques, 4 lésions m é d u l l a i res et 2 scléroses en plaques. Deux patients présentaient une instabilité vésicale idiopathique dans le cadre d’une immaturité vésicale. Tous avaient une hyperactivité vésicale constatée lors d’une cystomanométrie standard à eau à 50 ml/mn (critère ICS : contractions involontaires du détrusor durant la phase de remplissage, spontanées ou provoquées) responsable d’une incontinence urinaire par impériosité prédominante résistante aux traitements parasympathicolytiques ou avec mauvaise tolérance de ceux-ci. Était exclu tout patient ayant une contre indication à la cystomanométrie, une infection u r i n a i resymptomatique, une lithiase vésicale, une contre-indication à la pose d’une électrode test de neuromodulation, un traitement anticoagulant ou un trouble de la crase sanguine. Tous les patients bénéficiaient de l’implantation d’une électrode test de neuromodulation des racines sacrées au contact de la troisième racine 43 A r t i c l e Figure 1. Effet de la neuromodulation de la racine S3 et de l’électrostimulation du sciatique poplité interne à la cheville sur le volume d’apparition de la pre m i è re contraction non inhibée du détrusor chez 13 patients avec détrusor hyperactif. Figure 2. Effet de la neuromodulation de la racine S3 et de l’électrostimulation du sciatique poplité interne à la cheville sur la capacité vésicale fonctionnelle chez 13 patients avec détrusor hyperactif. sacrée droite, sous anesthésie locale et contrôle scanographique. Cette électrode était reliée à un boîtier de stimulation à 10 hertz, réglable, permettant d’arrêter la stimulation. La stimulation du nerf sciatique poplité interne était réalisée du côté droit, à la cheville, en arrière de la malléole interne. Cette stimulation se faisait à 10 hertz, à l’aide d’un stimulateur de type TENS, neuromodulation S3 interrompue. Trois cystomanométries à eau, à 50 ml/mn, étaient réalisées dans l’ordre suivant : à l’état de base, la veille de l’implantation de l’électro d e test ; sous stimulation de la troisième ra c i n e sacrée droite ; sous stimulation du nerf sciatique poplité interne droit. Le remplissage vésical débutait immédiatement après mise en place de la stimulation. Les paramètres étudiés à chaque cystomanométrie étaient : la capacité vésicale fonctionnelle (CVF) ; le volume d’apparition de la p re m i è re contraction non inhibée du détrusor (CNID1) ; l’amplitude maximale de la contraction non inhibée du détrusor. Les principaux critères de succès retenus étaient : un gain d’au moins 100 ml de la CVF sous stimulation par rapport à la cystomanométrie de base ; un gain d’au moins 100 ml du volume d’apparition de la première CNID sous stimulation, par rapport à la cystomanométrie de base ; enfin, la concordance de positivité des deux techniques. Le critère secondaire était l’amplitude maximale de la CNID en c e n t i m è t res d’eau. Les effets secondaires des deux modes de stimulation étaient notés. Le risque infectieux lié au cathétérisme lors des bilans urodynamiques était prévenu par l’administration systématique deux jours avant l’examen d’un antibiotique adapté aux résultats de l’ECBU en cas de positivité de celui-ci, ou probabiliste en cas de négativité de l’ECBU. Sur le plan statistique, nous avons utilisé les c o m p a raisons de moyennes par le test de St udent pour les volumes de la CVF, de l’apparition de la première CNID et les mesures d’amplitude maximale. Concernant l’étude qualitative de la concordance de positivité des deux techniques, nous avons utilisé le test du Chi2. RÉSULTATS Figure 3. Effet de la neuromodulation de la racine S3 et de l’électrostimulation du sciatique poplité interne à la cheville sur l’amplitude maximale de la contraction du détrusor chez 13 patients avec détrusor hyperactif. 44 Tous les patients avaient une hyperactivité avec uneCVF moyennede164 ml (sd80,9), et un volume moyen d’apparition de la première CNID de 136 ml (sd 31,8). L’amplitude maximale moyenne de la C NID était de 75,53 cm de H2O (sd 32). o r i g i n a l Sous neuromodulation S3, 9 patients ont amélioré leurs paramètres urodynamiques, selon les c r i t è res de succès définis : gain d’au moins 100 ml de la CVF et du volume d’apparition de la première CNID, sous stimulation, par rapport à la cystomanométrie de base (figure 1). La CVF m oyenne sous neuromodulation S3 était de 289 ml (sd 120) (figure 2), le volume moyen d’apparition de la pre m i è re CNID de 266 ml (sd 113,3) et l’amplitude maximale moyenne de la CNID de 63,61 cm de H20 (sd 26,8). Il existait une augmentation statistiquementsignificative de la CVF sous neuromodulation S3, par rapport à la base (p = 0,0048) ainsi qu’une augmentation significative du volume d’apparition de la pre m i è re CNID (p = 0,0018). Nous n’avons pas re t rouvé de différence statistiquement significative concernant l’amplitude maximale (p = 0,314) ( f i g u re3). Sous stimulation du SPI, 9 patients ont amélioré leurs paramètres urodynamiques, selon les critères de succès précités. Le volume moyen de la CVF sous stimulation SPI était de 279 ml (sd 97,1), le volume moyen d’apparition de la première CNID de 254 ml (sd 110,4). L’amplitude maximale moyenne de la CNID était de 58,84 cm de H2O (sd 25,1). Il existait une augmentation significative de la CVF et du volume de la CNID sous stimulation du nerf sciatique poplitéinterne par rapport à la cystomanométrie de base (p = 0,0031 et 0,0036 re spectivement). Là encore, nous n’ a vons pas démontré l’existence d’une différence statistiquement significative concernant l’amplitude maximale de la CNID par ra p p o rt à la base (p = 0,15). Nous n’avons pas mis en évidence de différence statistiquement significative en termes de CVF et de volume d’apparition de la pre m i è re CNID entre les deux techniques de stimulation, neuro m odulation sacrée et stimulation périphérique du nerf sciatique poplité interne (p = 0,82 et 0,77 respectivement). Il n’y avait pas non plus de diff é rence significative concernant l’amplitude maximale (p = 0,64). Sur le plan qualitatif, la concordance de positivité entre les deux techniques est de 11/13, avec un p = 0,02 au Chi2. Huit patients ont été améliorés, selon les critères de succès requis, par la n e u romodulation des racines sacrées et par la stimulation du nerf sciatique poplité interne ; 3 patients étaient non répondeurs aux deux types de stimulation. Dans deux cas, une dis- Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 2, vol. IV - avril/mai/juin 2004 c o rdance a pu être observée : un patient n’ a répondu qu’à la stimulation du nerf sciatique poplité interne, un autre à la neuromodulation de la troisième racine sacrée droite. Aucun effet indésirable significatif n’a été observé sous stimulation SPI, non plus que sous neuromodulation S3. DISCUSSION En ce qui concerne l’effet de la neuromodulation de la troisième racine sacrée, nos résultats sont superposables à ceux de la littérature en termes d’efficacité sur l’augmentation de la capacité vésicale fonctionnelle (CVF) et du volume d’apparition de la première contraction non inhibée (CNID1). Klingler (5) décrit une augmentation de la CVF moyenne de 197 à 252 ml et du volume à la CNID1 moyenne de 95 à 133 ml sous neuromodulation S3, chez 15 patients présentant une hyperactivité de vessie. Celle-ci avait même disparu lors du contrôle urodynamique sous stimulation chez 76,9 % des patients. De même, Weil Cysto PR 50 ml EMG # 1 EMG uV Pves cmH2O Pabd cmH2O Vinfus ml 600 400 200 0 60 40 20 0 60 40 20 0 600 400 200 0 Figure 4. Exploration urodynamique de base : apparition de contractions non inhibées signant une vessie hyperactive à faible capacité. Cysto 50 ml EMG # 1 EMG uV Pves cmH2O Vinfus ml 200 100 0 80 60 40 20 0 800 600 400 200 0 Figure 5. Exploration urodynamique sous neuromodulation : absence d’hyperactivité vésicale avec vessie stable jusqu’à 400 ml. Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 2, vol. IV - avril/mai/juin 2004 (6) décrit une augmentationde 220 % du volume à la CNID1 et de 39 % de la CVF. L’efficacité clinique de la stimulation du nerf sciatique poplité interne à la cheville sur l’hyperactivité vésicale d’origine neurologique ou idiopathique a déjà été démontrée par de nombreux auteurs (7) ; seules deux études comportent une analyse urodynamique de l’activité vésicale (4, 8). Dans notre étude, nous avons également mis en évidence une amélioration significative des paramètres urodynamiques sous stimulation du nerf sciatique poplité interne par rapport à l’état de base : augmentation de 70 % de la CVF et de 87 % du volume d’apparition de la CNID1 (figures 4 et 5). Actuellement, dans le cadre des tests préliminaires permettant de déterminer quels sont les sujets répondeurs à ce type de stimulation et susceptibles de bénéficier de l’implantation d’un boîtier de stimulation au long cours, la pose d’une électrode test de stimulation de la tro isième racine sacrée est largement utilisée. Nous m o n t rons dans cette étude qu’il existe une concordance de positivité significative entre ces deux modes de stimulation avec 8 patients répondeurs et 3 non répondeurs aux deux techniques, soit 11 patients sur 13, et qu’il n’y a aucune différence statistiquement significative e n t re les deux techniques en termes de CVF et de volumes d’apparition de la CNID1. Nous proposons donc d’utiliser la technique de stimulation du nerf sciatique poplité interne avec un TENS comme test préliminaire à la pose d’un neuromodulateur des racines sacrées. En effet, il s’agit d’une technique simple, facile d’utilisation. Elle ne nécessite pas d’hospitalisation, ni d’imagerie de contrôle, contrairement aux élect rodes implantées au contact de la troisième racine sacrée sous contrôle scanographique. La pose d’une électrode sacrée test permet en revanche de réaliser une évaluation clinique lors d’une courte hospitalisation ou en ambulatoire, sur les données d’un catalogue mictionnel rempli par le patient sur quelques jours. Cependant, cette évaluation se heurte au probleme très fréquent de déplacement des électrodes rendant caducs les renseignements fournis par le catalogue mictionnel. Des tra vaux futurs permett raient d’évaluer le cara c t è re prédictif du test aigu par stimulation du sciatique poplité interne à la cheville et les résultatsde l’implantation définitive d’un neuromodulateur sacré. ■ 45