La Lettre du Cancérologue • Vol. XXI - n° 7 - septembre 2012 | 351
Résumé
Après s’être imposées comme références en première ligne métastatique puis en situation adjuvante dans
le cancer du sein, les anthracyclines accusent une diminution constante de leur utilisation en situation
métastatique. Cette évolution repose-t-elle sur des éléments rationnels validés, notamment sur une supé-
riorité des taxanes, une résistance démontrée après exposition adjuvante, une toxicité cardiaque limitante
incontournable, ou tous ces éléments classiquement décisifs méritent-ils vraiment d’être nuancés selon
les situations ?
Les anthracyclines liposomales, dont l’index thérapeutique est supérieur à celui des anthracyclines conven-
tionnelles, particulièrement concernant la tolérance cardiaque, nous permettent de réévaluer la place des
anthracyclines en situation métastatique.
Mots-clés
Cancer du sein
Première ligne
métastatique
Anthracyclines
Doxorubicine
liposomale
Cardiotoxicité
Résistance
auxanthracyclines
Summary
After to be imposed as refer-
ences in first-line metastatic
breast cancer, then in adju-
vant setting, anthracyclines
accuse a constant reduction
in their use in metastatic situ-
ation. This evolution is it based
on validated rational data,
including on taxanes superi-
ority, demonstrated resistance
after pre-exposure in adjuvant,
limiting cardiac toxicity or all
these classically decision-
making elements deserve they
really be nuanced according
to the situation? Liposomal
anthracyclines with an thera-
peutic index greater than
conventional anthracyclines
particularly regarding cardiac
toxicity, allow us to re-evaluate
the place of the anthracyclines
in metastatic setting.
Keywords
Breast cancer
First-line chemotherapy
Metastatic
Anthracyclines
Liposomal anthracyclines
Cardiac toxicity
Anthracyclines resistance
Le dogme des taxanes révisé
Dans les années 1990, les taxanes modifient les
stratégies thérapeutiques : leur développement
en première ligne métastatique et leur utilisation
croissante dans des protocoles adjuvants avec
anthra cyclines les imposent comme traitement
systématique, aux dépens des anthracyclines et
indépendamment du délai avant rechute méta-
statique. En adjuvant, l’ajout d’un taxane à une
association concomitante ou séquentielle à base
d’anthracyclines améliore la survie sans rechute et
la SG pour des patientes considérées à haut risque
(N+) : réduction significative du risque de rechute
(15 à 20 %) et de décès (15 %), avec une réduction
du risque absolu de rechute à 5 ans de 5 % et des
décès de 3 % (6).
L’intérêt des taxanes en première ligne métastatique
pour la SG a pu être réévalué au sein de la méta-
analyse de l’EORTC (7) : les associations taxane +
anthracycline apportent un avantage significatif
comparativement aux associations sans taxane en
termes de réponse tumorale − 57 % (10 % de réponse
complète [RC]) versus 46 % (6 % de RC) [p < 0,001] −
et de survie sans progression (SSP) − médiane :
7,7 versus 6,9 mois (p = 0,031) −, mais sans avantage
significatif en termes de SG (19,2 versus 19,8 mois ;
p = 0,24), avec un suivi médian de plus de 40 mois.
Le bénéfice supposé plus important des taxanes
sur les méta stases viscérales n’a pas été confirmé.
Une deuxième méta-analyse (8) confirme ces résul-
tats, et il est aujourd’hui admis que les taxanes (seuls
ou en association) ne permettent pas, comparative-
ment aux anthracyclines, de gain en SG en première
ligne métastatique. Il est dès lors justifié de réévaluer
la place des anthracyclines à ce stade, et ce d’autant
que ces études ont été réalisées chez des patientes
non exposées aux taxanes en adjuvant.
Une alternative sans anthracycline, l’association
paclitaxel + bévacizumab (9), comparée au pacli-
taxel seul, a permis de doubler la SSP (11,8 versus
5,9 mois ; p < 0,001), sans différence significative
pour la SG (26,7 versus 25,2 mois ; p = 0,16). Dans les
conditions de cette étude, l’association a démontré
un avantage significatif en SSP et en taux de réponse
par rapport au paclitaxel hebdomadaire en mono-
thérapie. Ce dernier bras, utilisé comme référentiel
de première ligne, demeure cependant sujet à discus-
sion : il peut être justifié chez des patientes non
éligibles aux anthracyclines, dans toutes les autres
situations de première ligne et la réintroduction
possible des anthracyclines reste un acte de réflexion
admis. Il est important de rappeler que, dans cette
étude, plus de 50 % des patientes traitées n’avaient
jamais été exposées aux anthracyclines.
Les anthracyclines ont-elles
une place en première ligne
métastatique ? (tableau I, p. 352)
Chez des patientes prétraitées en adjuvant ou
néo-adjuvant par des anthracyclines, 2 grandes
options thérapeutiques se présentent : la réintro-
duction immédiate des anthracyclines en fonction
des paramètres décisionnels classiques (intervalle
libre avant rechute supérieur ou égal à 1 an et dose
cumulée non atteinte) ou l’utilisation de taxanes.
Dans ce cadre, l’association docétaxel + capécita-
bine (versus docétaxel seul) a montré un avantage
en SG (14,5 versus 11,5 mois ; p = 0,0126) [10],
mais sur une population hétérogène (première à
troisième ligne). En cas de rechute précoce après
un traitement adjuvant combinant le plus souvent
anthracyclines et taxanes, il est habituel, devant le
risque de résistance, d’utiliser d’autres molécules
(vinorelbine, gemcitabine, capécitabine, etc.) [11].
Mais que savons-nous aujourd’hui de la résistance
aux anthracyclines ?
Cette question demeure essentielle avant d’envi-
sager leur réintroduction éventuelle en première
ligne chez des patientes déjà exposées en adjuvant.
Il n’existe pas de définition consensuelle de la résis-
tance acquise aux anthracyclines ; selon X. Pivot
et al. (12), elle se définit comme une progression
primaire ou dans les 6 mois suivant l’exposition.
Un délai de 12 mois semble constituer un seuil
valide pour définir une notion de résistance clinique.
Il faut cependant rappeler qu’un traitement adjuvant
avec ou sans anthracycline réduit généralement le
taux de réponse et le taux de SSP du traitement de
première ligne, sans constituer une résistance réelle
aux anthracyclines si l’intervalle libre avant rechute