DOSSIER
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La Lettre du Sénologue - n° 25 - juillet/août/septembre 2004
inconvénients et contraintes du lambeau de grand dorsal sans pro-
thèse sont comparables à ceux d’un lambeau de grand dorsal clas-
sique (cicatrice dorsale, légère asymétrie dorsale, prélèvement en
décubitus latéral). De façon plus spécifique, il faut préciser que le
lambeau de grand dorsal sans prothèse est une technique plus
longue et plus difficile, qui nécessite un apprentissage spécifique et
une bonne expérience de l’opérateur (courbe d’apprentissage
importante). Le sérome dorsal est de survenue très fréquente
(60 %). Il est contraignant, car il oblige à pratiquer des ponctions
itératives (en moyenne deux ou trois ponctions par patiente, avec
parfois un nombre plus élevé ; en cas de ponctions nombreuses,
dans environ 4 % des cas, il ne faut pas hésiter à mettre en place,
sous anesthésie locale, une lame dorsale pendant une douzaine de
jours pour permettre son tarissement), mais il est relativement facile
à gérer, si la patiente a été bien informée de sa survenue très pro-
bable. Un autre inconvénient est la nécessité d’hypercorriger, lors
du temps de modelage d’environ 15 à 30 % par rapport au volume
final souhaité (8). Pour obtenir la forme et le volume définitifs, il faut
attendre en moyenne 5 mois. L’opérateur doit anticiper l’évolution
de forme et de volume de façon à obtenir des résultats réguliers et
de bonne qualité. Avec une expérience importante, il est possible
d’obtenir un volume du sein reconstruit comparable à celui du sein
controlatéral dans 70 % des cas. Dans les cas où il n’est pas possible
d’hypercorriger en raison d’une insuffisance d’apport de volume, il
faut s’attendre à obtenir un sein trop petit dont la correction secon-
daire (5 mois) impose la mise en place d’une prothèse sous le lam-
beau ou, pour nous, actuellement, le transfert de graisse dans le lam-
beau de grand dorsal selon la technique du lipomodelage (10), qui
permet de conserver le caractère autologue de la reconstruction.
La technique du lipomodelage du sein reconstruit a été mise au
point dans notre équipe en 1999. Il s’agit d’une technique dérivée
de la chirurgie esthétique du visage. Il manquait en effet une solu-
tion permettant un apport graisseux complémentaire pour corriger
des déficits localisés, augmenter le volume du sein ou augmenter la
plénitude du sein reconstruit. Les travaux récents concernant les
transferts de tissus graisseux ont montré que, si l’on transférait la
graisse en prenant des précautions et en utilisant une technique
rigoureuse, le transfert de graisse se comportait comme une greffe
de tissu adipeux et persistait dans le temps. Les deux conditions fon-
damentales pour obtenir une bonne prise sont : greffe adipeuse en
tissus bien vascularisés, et technique méticuleuse de prélèvement
et de transfert. Nous avons mis au point le protocole de transfert de
tissus graisseux dans le lambeau de grand dorsal sans prothèse et
appliqué ce protocole, lors du temps secondaire de reconstruction
de la plaque aréolomamelonnaire et/ou de symétrisation.
Un examen clinique minutieux permet de comparer le sein recons-
truit avec le sein opposé. Un manque de galbe ou de projection de
la région aréolomamelonnaire est marqué. Par ailleurs, la graisse à
prélever est repérée au niveau des différentes stéatoméries natu-
relles (le plus souvent au niveau de l’abdomen). La patiente est ins-
tallée en décubitus dorsal pour un prélèvement au niveau abdomi-
nal. Le prélèvement est réalisé sans infiltration de la région, à la
seringue de 10 ml, en utilisant la canule à bout mousse. Les
seringues de 10 ml sont placées dans la centrifugeuse, qui permet
la séparation de la graisse prélevée en trois phases : phase sanguine,
phase graisseuse, phase huileuse. Seule la phase graisseuse est
conservée pour être transférée. Après préparation de la graisse, plu-
sieurs incisions punctiformes sont réalisées afin de pouvoir entre-
croiser les tunnels de transfert de tissus graisseux. La graisse est
ainsi réimplantée dans ce nouveau site en utilisant les canules fines
de 1 mm prévues à cet effet. Il faut créer des tunnels profonds dans
le plan du muscle grand pectoral et dans le lambeau. La graisse
est répartie selon les tracés préopératoires et permet d’améliorer
de façon importante le résultat esthétique de la reconstruction. Une
surcorrection en volume est nécessaire : il faut transférer 140 % du
volume souhaité, car la résorption graisseuse est d’environ 30 %.
Des quantités importantes de graisse pure centrifugée peuvent être
transférées (jusqu’à 470 ml de graisse par sein). Les patientes quit-
tent le service le lendemain de l’opération (le jour même si l’inter-
vention est réalisée sous anesthésie locale).
Les résultats de cette technique sont impressionnants. Le volume
définitif du sein est obtenu trois mois après l’intervention, mais, dès
un mois, le sein est souple et agréable au toucher. Cette technique
permet des corrections sur mesure, en particulier au niveau du décol-
leté, où aucune technique ne donnait jusqu’alors de résultat satisfai-
sant en cas d’atrophie importante du muscle grand pectoral. En cas
d’insuffisance de correction, une, voire deux séances supplémen-
taires peuvent être réalisées sans problème particulier. Cette tech-
nique est, par ailleurs, facilement comprise et bien acceptée par les
patientes. Le lipomodelage du sein reconstruit par lambeau de grand
dorsal sans prothèse nous semble actuellement représenter un pro-
grès considérable en reconstruction mammaire (figures 1c, 1f).
Nous menons actuellement des travaux pour élargir les applications
de cette technique : si les résultats que nous avons obtenus se confir-
maient, le lipomodelage pourrait bien donner une nouvelle dimen-
sion à la reconstruction mammaire et à la chirurgie plastique du sein.
Dans cette éventualité, nous menons en parallèle des travaux pour
connaître l’incidence du lipomodelage sur l’imagerie mammaire
(mammographie, échographie et IRM).
RAFFINEMENTS CONCERNANT
LA PLAQUE ARÉOLOMAMELONNAIRE
La plaque aréolomamelonnaire est un élément important de l’esthé-
tique du sein que l’on avait probablement sous-estimé, ayant jusqu’à
maintenant beaucoup de difficultés à donner à un sein reconstruit un
aspect naturel. Dans les cas les mieux réussis de reconstruction
mammaire autologue, la plaque aréolomamelonnaire reste l’élément
limitant de cette chirurgie. C’est pourquoi nous essayons d’amélio-
rer l’esthétique et le caractère naturel des plaques aréolomamelon-
naires reconstruites. Actuellement, pour l’aréole, nous n’avons pas
trouvé mieux que le tatouage itératif. Concernant le mamelon, en cas
de reconstruction mammaire différée, nous utilisons le plus fré-
quemment une greffe du mamelon controlatéral, car l’évaluation à
long terme des mamelons reconstruits par lambeau montre fré-
quemment leur aplatissement. Si le mamelon controlatéral n’est pas
prélevable, on utilisait les techniques par lambeaux locaux, qui sont
relativement décevantes.
En reconstruction mammaire immédiate par lambeau de grand
dorsal, nous avons trouvé une solution intéressante, représentée
par la reconstruction immédiate du mamelon lors du temps de
reconstruction du sein
(figures 1g, 1h)
. Cette technique est fon-
dée sur le principe que la peau du lambeau qui permet de refaire
la zone aréolaire a une position d’emblée définie, du fait de la