Urgences Compression chiasmatique par lésion hypophysaire en endocrinologie, diabétologie

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Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (IX), n° 6, novembre/décembre 2005
Urgences
en endocrinologie, diabétologie
et maladies métaboliques
en endocrinologie, diabétologie
et maladies métaboliques
Compression chiasmatique
par lésion hypophysaire
Optic chiasma compression by pituitary tumor
C. Masse*, S. Gaillard**, G. Abiven*, M.L. Raffin-Sanson*
Définition
La compression des voies optiques
au niveau du chiasma par un
processus tumoral de la région
hypothalamo-hypophysaire est une
urgence diagnostique et thérapeu-
tique. Elle fait courir un risque fonc-
tionnel (cécité définitive) mais aussi
vital par l’insuffisance antéhypo-
physaire souvent associée, qui peut
mener à une décompensation surré-
nalienne aiguë.
Les causes
Le plus souvent, il s’agit d’un
macroadénome hypophysaire. La
compression du chiasma peut appa-
raître progressivement, lors de la
croissance tumorale, ou de façon
brutale, à l’occasion d’une nécrose.
De façon plus rare, il peut s’agir
d’une autre tumeur de la région :
craniopharyngiome, méningiome,
métastase…
Les signes cliniques
Selon la localisation de la tumeur et
son évolution, la compression des
voies optiques entraîne une
amputa-
tion du champ visuel
externe, uni-
ou bilatérale, avec conservation de
l’acuité visuelle, ou une atteinte
plus sévère incluant une baisse de
l’acuité visuelle par lésion d’un ou
des deux nerfs optiques.
Les patients ont souvent du mal à
décrire leur gêne visuelle. Ils se
plaignent d’une sensation de flou,
de voile ou de brouillard plus ou
moins localisé, de difficultés à
fixer la page d’un livre ou lors de la
conduite automobile.
L’atteinte peut passer inaperçue et
être dépistée lors de l’exploration
systématique d’une tumeur hypo-
physaire, ou se révéler par un acci-
dent de la voie publique.
Aux signes visuels peuvent s’associer :
des céphalées,
et, plus rarement, une
atteinte des
nerfs oculomoteurs
(diplopie) résul-
tant de l’envahissement des sinus
caverneux. En dehors d’une apo-
plexie hypophysaire, l’envahis-
sement du sinus caverneux par
un adénome est habituellement
asymptomatique, et l’existence d’un
trouble oculomoteur est en faveur
d’une tumeur de la région sellaire
d’une autre nature.
Il faut également rechercher des
signes d’insuffisance antéhypophy-
saire :
déficit gonadotrope :
chez l’homme, diminution des carac-
tères sexuels secondaires, impuissance
avec perte de la libido, atrophie des
organes génitaux externes,
chez la femme, aménorrhée sans
bouffées de chaleur,
chez l’enfant, un retard pubertaire ;
insuffisance thyréotrope : asthé-
nie, pâleur, frilosité, bradycardie,
constipation, etc. ;
insuffisance corticotrope : asthé-
nie, pâleur, hypotension pouvant
commencer par une hypotension
orthostatique ;
insuffisance somatotrope : retard
de croissance chez l’enfant.
... ou des signes orientant vers une
hypersécrétion hormonale :
l’hypersécrétion de
prolactine
est
la plus fréquente. Elle se manifeste
par une insuffisance gonadotrope
(cf. supra) laquelle s’associe sou-
vent, chez la femme, une galactor-
rhée. Celle-ci est, en revanche,
exceptionnelle chez l’homme ;
une hypersécrétion
d’hormone de
croissance
est évoquée devant des
modifications morphologiques :
traits du visage épaissis, progna-
thisme (par rapport à des photos
antérieures), mains et pieds élargis
(regarder les bagues, interroger sur
la pointure), sueurs ;
une hypersécrétion
d’ACTH
se
traduit par une distribution facio-
tronculaire acquise des graisses,
évocatrice surtout s’il s’y associe
une fragilité cutanée ;
l’exceptionnelle hypersécrétion
de
TSH
par adénome thyréotrope se
manifeste par une hyperthyroïdie où
les signes cardiologiques sont sou-
vent au premier plan, avec goitre
homogène et TSH plasmatique à
taux normal ou élevé.
Examens complémentaires
Le diagnostic repose sur l’examen
ophtalmologique avec évaluation du
champ visuel au Goldman
et sur
l’IRM hypothalamo-hypophysaire
.
Ces deux examens doivent être réali-
sés
de toute urgence
pour garantir les
possibilités de récupération visuelle.
Le
champ visuel au Goldman
per-
met d’obtenir une série de courbes
* Service de médecine interne, endocrinologie,
hôpital Ambroise-Paré, Boulogne.
** Service de neurochirurgie, hôpital Foch,
Suresnes.
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (IX), n° 6, novembre/décembre 2005
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Troisième partie : Hypophyse-Surrénales
concentriques autour du point de
fixation, qui reflètent la perception
rétinienne des intensités lumi-
neuses. Il est plus sensible que le
champ visuel automatisé. En cas de
compression débutante, on retrou-
vera une quadranopsie temporale
supérieure, puis une hémianopsie
bitemporale (figure 1). L’évolution
spontanée se fait vers la cécité.
L’atteinte peut être moins typique :
élargissement de la tache aveugle,
scotome, atteinte unilatérale. Plus
rarement, on peut avoir une atteinte
monoculaire (lésions antérieures
comprimant un nerf optique) ou une
hémianopsie latérale homonyme
(lésions rétrochiasmatiques compri-
mant une bandelette optique).
Le
fond d’œil
est le plus souvent
normal, excepté en cas de compres-
sion du troisième ventricule avec
hypertension intracrânienne.
L’acuité visuelle est normale, sauf
en cas de compression diagnostiquée
tardivement.
L’IRM hypothalamo-hypophysaire
(figure 2) objective la présence de
la lésion au contact du chiasma. Elle
permet d’en préciser les limites, de
détecter l’existence éventuelle d’un
envahissement des structures voisines
comme le sinus caverneux, et d’éva-
luer les possibilités d’exérèse.
Elle apporte en outre des éléments en
faveur de la nature de la tumeur :
le macroadénome hypophysaire est
iso-intense ou hypo-intense par rap-
port au reste du parenchyme céré-
bral en T1 sans gadolinium et prend
le contraste après injection. Il peut
être partiellement nécrosé ;
le craniopharyngiome est hétéro-
gène, comportant fréquemment une
portion kystique. Il est en hyposi-
gnal en T1 et en hypersignal en T2 ;
le méningiome est homogène et
prend intensément le contraste. La
dure-mère accolée à la lésion apparaît
spiculée et l’os en regard est épaissi.
Conduite à tenir et prise
en charge thérapeutique
Remarques préliminaires
Il s’agit d’une situation délicate
nécessitant une équipe médicale et
chirurgicale spécialisée.
Le traitement est différent selon qu’il
s’agit d’un macroadénome à prolac-
tine ou d’une autre tumeur. Dans ce
premier cas, en effet, le traitement
médical par agoniste dopaminer-
gique permet, dans la grande majo-
rité des cas, de lever très rapide-
ment la compression chiasmatique,
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Figure 1. Champ visuel normal (en haut). Hémianopsie bitemporale (en bas).
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Urgences
en endocrinologie, diabétologie
et maladies métaboliques
en endocrinologie, diabétologie
et maladies métaboliques
et la chirurgie n’est pas souhaitable,
compte tenu de l’impossibilité habi-
tuelle de réaliser une exérèse complète
du macroadénome. D’où l’importance
de disposer rapidement du résultat
de la prolactinémie.
L’insuffisance surrénale est très fré-
quente dans ce contexte. Elle peut se
décompenser rapidement. La conduite
à tenir est de réaliser un bilan fonc-
tionnel antéhypophysaire (dont, si
possible, un test au synacthène), puis
d’initier, sans attendre les résultats,
un traitement de substitution par
hydrocortisone.
La nécessité d’un geste chirurgical
urgent est très probable. Il convient
donc de réaliser un bilan préopéra-
toire et de prendre contact avec le
neurochirurgien.
Le bilan hormonal
Le taux de
prolactine
est le para-
mètre hormonal clé. Sa mesure doit
être effectuée sans délai. Il convient
donc de contacter le laboratoire
pour exposer le contexte clinique et
demander que le dosage soit réalisé
dans les meilleurs délais, sans et
avec dilution (au 1/10e) de l’échan-
tillon afin d’éviter “l’effet crochet”,
artéfact amenant à considérer comme
basses des valeurs de prolactinémie
extrêmement élevées.
Un dosage de la
cortisolémie
avant
et après stimulation par synacthène
est réalisé immédiatement, excepté
en présence de signes d’insuffisance
surrénale aiguë qui amèneraient à se
contenter d’un dosage de base. Le
résultat peut être interprété quelle
que soit l’heure de réalisation du
test. Une ampoule de 250 g de
synacthène ordinaire est injectée par
voie i.m. ou i.v. La cortisolémie
mesurée à la 60eminute du test doit
dépasser 210 ng/ml ou 600 nmol/l.
L’intégrité totale de la fonction cor-
ticotrope ne pourrait cependant être
affirmée que par un test à la métopi-
rone qui n’est pas réalisable dans ce
contexte.
Le traitement par hydro-
cortisone
est initié sans attendre les
résultats : 30 mg/j en deux prises,
matin et midi. Une posologie plus
importante peut être nécessaire en
cas de signes de décompensation
surrénalienne (lire le chapitre “Insuf-
fisance surrénale aiguë chez l’adulte”,
p. 212).
Simultanément à la réalisation d’un
bilan préopératoire
seront réalisés
des prélèvements pour une détermi-
nation des taux plasmatiques de
base
des autres hormones
antéhypo-
physaires :
GH et IGF 1 ;
FSH, LH, testostérone ou estradiol ;
sous-unité alpha (élevée dans les
adénomes gonadotropes et thyréo-
tropes) ;
TSH us, T4l ;
si cela n’a pas déjà été effectué,
ACTH et cortisol à 8 heures (avant
la prise d’hydrocortisone du matin).
Si les conditions le permettent, la
cortisolurie des 24 heures et la créa-
tininurie pourront être mesurées en
cas de signes cliniques évocateurs
d’hypercortisolisme, en sachant que
le dosage n’est pas interprétable si
le patient suit un traitement par
hydrocortisone.
Selon le taux de prolactine, on optera
pour un traitement médical ou neuro-
chirurgical.
La prolactinémie est supérieure
à300 ng/ml (N < 20) :
il s’agit d’un
macroadénome à prolactine. Un
trai-
tement par agoniste dopaminergique
est commencé immédiatement, à dose
très rapidement progressive, sous
surveillance de la pression artérielle,
le patient étant prévenu des risques
d’hypotension orthostatique. Un nou-
veau champ visuel doit être réalisé
48 heures plus tard. Son amélioration
permet la poursuite du traitement.
Dans le cas contraire, le patient est
confié au neurochirurgien.
La prolactinémie est basse ou modé-
rément élevée, inférieure à 300 ng/ml :
il s’agit d’une tumeur ne sécrétant
pas de prolactine, même si elle
s’accompagne souvent d’une hyper-
prolactinémie de déconnection. Le
patient est immédiatement adressé
au neurochirurgien après substitution
du déficit corticotrope potentiel.
La
décompression chirurgicale du
chiasma
est presque toujours possible
par voie transphénoïdale
,sauf pour
quelques rares tumeurs situées au-
dessus du diaphragme sellaire (ménin-
giomes, craniopharyngiomes, tumeurs
de la tige, etc.) qui nécessitent un
abord chirurgical par craniotomie.
Par la suite :
En cas d’exérèse incomplète, la
chirurgie pourra, dans certains cas,
être complétée par un traitement
médical (agonistes dopaminer-
giques, analogues de la somatosta-
tine) ou par une radiothérapie.
La substitution de l’insuffisance
antéhypophysaire, si elle existe, est
poursuivie et ajustée.
Dans le cas de l’adénome à prolac-
tine, le traitement par agoniste dopa-
minergique doit être continué indéfi-
niment s’il a été efficace. Ses
modalités peuvent être modulées pour
les rendre les moins contraignantes et
les mieux tolérées possibles.
Figure 2.Aspect IRM d’un macroadénome hypophysaire, avant et après traitement chirurgical.
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