Urgences Compression chiasmatique par lésion hypophysaire en endocrinologie, diabétologie

publicité
diabétologie
Urgences en endocrinologie,
et maladies métaboliques
Compression chiasmatique
par lésion hypophysaire
Optic chiasma compression by pituitary tumor
C. Masse*, S. Gaillard**, G. Abiven*, M.L. Raffin-Sanson*
Définition
La compression des voies optiques
au niveau du chiasma par un
processus tumoral de la région
hypothalamo-hypophysaire est une
urgence diagnostique et thérapeutique. Elle fait courir un risque fonctionnel (cécité définitive) mais aussi
vital par l’insuffisance antéhypophysaire souvent associée, qui peut
mener à une décompensation surrénalienne aiguë.
Les causes
Le plus souvent, il s’agit d’un
macroadénome hypophysaire. La
compression du chiasma peut apparaître progressivement, lors de la
croissance tumorale, ou de façon
brutale, à l’occasion d’une nécrose.
De façon plus rare, il peut s’agir
d’une autre tumeur de la région :
craniopharyngiome, méningiome,
métastase…
Les signes cliniques
Selon la localisation de la tumeur et
son évolution, la compression des
voies optiques entraîne une amputation du champ visuel externe, uniou bilatérale, avec conservation de
l’acuité visuelle, ou une atteinte
plus sévère incluant une baisse de
* Service de médecine interne, endocrinologie,
hôpital Ambroise-Paré, Boulogne.
** Service de neurochirurgie, hôpital Foch,
Suresnes.
218
l’acuité visuelle par lésion d’un ou
des deux nerfs optiques.
Les patients ont souvent du mal à
décrire leur gêne visuelle. Ils se
plaignent d’une sensation de flou,
de voile ou de brouillard plus ou
moins localisé, de difficultés à
fixer la page d’un livre ou lors de la
conduite automobile.
L’atteinte peut passer inaperçue et
être dépistée lors de l’exploration
systématique d’une tumeur hypophysaire, ou se révéler par un accident de la voie publique.
Aux signes visuels peuvent s’associer :
✓ des céphalées,
✓ et, plus rarement, une atteinte des
nerfs oculomoteurs (diplopie) résultant de l’envahissement des sinus
caverneux. En dehors d’une apoplexie hypophysaire, l’envahissement du sinus caverneux par
un adénome est habituellement
asymptomatique, et l’existence d’un
trouble oculomoteur est en faveur
d’une tumeur de la région sellaire
d’une autre nature.
Il faut également rechercher des
signes d’insuffisance antéhypophysaire :
✓ déficit gonadotrope :
• chez l’homme, diminution des caractères sexuels secondaires, impuissance
avec perte de la libido, atrophie des
organes génitaux externes,
• chez la femme, aménorrhée sans
bouffées de chaleur,
• chez l’enfant, un retard pubertaire ;
✓ insuffisance thyréotrope : asthénie, pâleur, frilosité, bradycardie,
constipation, etc. ;
✓ insuffisance corticotrope : asthénie, pâleur, hypotension pouvant
commencer par une hypotension
orthostatique ;
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (IX), n° 6, novembre/décembre 2005
✓ insuffisance
somatotrope : retard
de croissance chez l’enfant.
... ou des signes orientant vers une
hypersécrétion hormonale :
✓ l’hypersécrétion de prolactine est
la plus fréquente. Elle se manifeste
par une insuffisance gonadotrope
(cf. supra), à laquelle s’associe souvent, chez la femme, une galactorrhée. Celle-ci est, en revanche,
exceptionnelle chez l’homme ;
✓ une hypersécrétion d’hormone de
croissance est évoquée devant des
modifications morphologiques :
traits du visage épaissis, prognathisme (par rapport à des photos
antérieures), mains et pieds élargis
(regarder les bagues, interroger sur
la pointure), sueurs ;
✓ une hypersécrétion d’ACTH se
traduit par une distribution faciotronculaire acquise des graisses,
évocatrice surtout s’il s’y associe
une fragilité cutanée ;
✓ l’exceptionnelle hypersécrétion de
TSH par adénome thyréotrope se
manifeste par une hyperthyroïdie où
les signes cardiologiques sont souvent au premier plan, avec goitre
homogène et TSH plasmatique à
taux normal ou élevé.
Examens complémentaires
Le diagnostic repose sur l’examen
ophtalmologique avec évaluation du
champ visuel au Goldman et sur
l’IRM hypothalamo-hypophysaire.
Ces deux examens doivent être réalisés de toute urgence pour garantir les
possibilités de récupération visuelle.
Le champ visuel au Goldman permet d’obtenir une série de courbes
Troisième partie : Hypophyse-Surrénales
L’acuité visuelle est normale, sauf
en cas de compression diagnostiquée
tardivement.
L’IRM hypothalamo-hypophysaire
(figure 2) objective la présence de
la lésion au contact du chiasma. Elle
permet d’en préciser les limites, de
détecter l’existence éventuelle d’un
envahissement des structures voisines
comme le sinus caverneux, et d’évaluer les possibilités d’exérèse.
Elle apporte en outre des éléments en
faveur de la nature de la tumeur :
✓ le macroadénome hypophysaire est
iso-intense ou hypo-intense par rapport au reste du parenchyme cérébral en T1 sans gadolinium et prend
le contraste après injection. Il peut
être partiellement nécrosé ;
✓ le craniopharyngiome est hétérogène, comportant fréquemment une
portion kystique. Il est en hyposignal en T1 et en hypersignal en T2 ;
concentriques autour du point de
fixation, qui reflètent la perception
rétinienne des intensités lumineuses. Il est plus sensible que le
champ visuel automatisé. En cas de
compression débutante, on retrouvera une quadranopsie temporale
supérieure, puis une hémianopsie
bitemporale (figure 1). L’évolution
spontanée se fait vers la cécité.
L’atteinte peut être moins typique :
élargissement de la tache aveugle,
scotome, atteinte unilatérale. Plus
rarement, on peut avoir une atteinte
monoculaire (lésions antérieures
comprimant un nerf optique) ou une
hémianopsie latérale homonyme
(lésions rétrochiasmatiques comprimant une bandelette optique).
Le fond d’œil est le plus souvent
normal, excepté en cas de compression du troisième ventricule avec
hypertension intracrânienne.
120
105
90
75
60
Conduite à tenir et prise
en charge thérapeutique
Remarques préliminaires
Il s’agit d’une situation délicate
nécessitant une équipe médicale et
chirurgicale spécialisée.
Le traitement est différent selon qu’il
s’agit d’un macroadénome à prolactine ou d’une autre tumeur. Dans ce
premier cas, en effet, le traitement
médical par agoniste dopaminergique permet, dans la grande majorité des cas, de lever très rapidement la compression chiasmatique,
120
70
60
135
✓ le méningiome est homogène et
prend intensément le contraste. La
dure-mère accolée à la lésion apparaît
spiculée et l’os en regard est épaissi.
45
105
90
50
150
V4
II1
165
90 80
70
60
50
40
30
20
30
40
30
30
15
20
10
165
10
20
30
40
50
60
70
80 90
0
180
90 80
70
60
50
40
30
20
10
345
180
330
50
60
60
315
270
285
300
120
105
90
75
60
70
60
180
45
285
300
120
105
90
75
60
70
60
150
10
10
20
15
V4
II1
10
20
165
40
50
60
70
80 90
0
180
90 80
70
60
50
40
30
20
345
180
330
40
50
60
70
80 90
0
345
330
50
60
315
60
180
60
270
30
40
180
50
255
20
30
40
240
III1
10
20
30
180
10
10
20
180
15
II1
10
30
30
V4
20
10
180
45
30
III1
20
30
0
315
270
40
30
40
80 90
330
255
135
30
50
70
345
240
40
60
60
50
150
70
50
60
255
50
90 80
40
40
180
60
180
30
20
50
240
165
20
30
40
135
10
10
30
180
15
II1
10
20
180
III1
20
10
180
45
V4
150
40
10
180
60
50
30
III1
75
70
60
135
315
60
285
300
240
255
270
285
300
Figure 1. Champ visuel normal (en haut). Hémianopsie bitemporale (en bas).
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (IX), n° 6, novembre/décembre 2005
219
diabétologie
Urgences en endocrinologie,
et maladies métaboliques
Figure 2. Aspect IRM d’un macroadénome hypophysaire, avant et après traitement chirurgical.
et la chirurgie n’est pas souhaitable,
compte tenu de l’impossibilité habituelle de réaliser une exérèse complète
du macroadénome. D’où l’importance
de disposer rapidement du résultat
de la prolactinémie.
L’insuffisance surrénale est très fréquente dans ce contexte. Elle peut se
décompenser rapidement. La conduite
à tenir est de réaliser un bilan fonctionnel antéhypophysaire (dont, si
possible, un test au synacthène), puis
d’initier, sans attendre les résultats,
un traitement de substitution par
hydrocortisone.
La nécessité d’un geste chirurgical
urgent est très probable. Il convient
donc de réaliser un bilan préopératoire et de prendre contact avec le
neurochirurgien.
Le bilan hormonal
Le taux de prolactine est le paramètre hormonal clé. Sa mesure doit
être effectuée sans délai. Il convient
donc de contacter le laboratoire
pour exposer le contexte clinique et
demander que le dosage soit réalisé
dans les meilleurs délais, sans et
avec dilution (au 1/10e) de l’échantillon afin d’éviter “l’effet crochet”,
artéfact amenant à considérer comme
basses des valeurs de prolactinémie
extrêmement élevées.
Un dosage de la cortisolémie avant
et après stimulation par synacthène
est réalisé immédiatement, excepté
en présence de signes d’insuffisance
220
surrénale aiguë qui amèneraient à se
contenter d’un dosage de base. Le
résultat peut être interprété quelle
que soit l’heure de réalisation du
test. Une ampoule de 250 g de
synacthène ordinaire est injectée par
voie i.m. ou i.v. La cortisolémie
mesurée à la 60e minute du test doit
dépasser 210 ng/ml ou 600 nmol/l.
L’intégrité totale de la fonction corticotrope ne pourrait cependant être
affirmée que par un test à la métopirone qui n’est pas réalisable dans ce
contexte. Le traitement par hydrocortisone est initié sans attendre les
résultats : 30 mg/j en deux prises,
matin et midi. Une posologie plus
importante peut être nécessaire en
cas de signes de décompensation
surrénalienne (lire le chapitre “Insuffisance surrénale aiguë chez l’adulte”,
p. 212).
Simultanément à la réalisation d’un
bilan préopératoire seront réalisés
des prélèvements pour une détermination des taux plasmatiques de
base des autres hormones antéhypophysaires :
✓ GH et IGF 1 ;
✓ FSH, LH, testostérone ou estradiol ;
✓ sous-unité alpha (élevée dans les
adénomes gonadotropes et thyréotropes) ;
✓ TSH us, T4l ;
✓ si cela n’a pas déjà été effectué,
ACTH et cortisol à 8 heures (avant
la prise d’hydrocortisone du matin).
Si les conditions le permettent, la
cortisolurie des 24 heures et la créatininurie pourront être mesurées en
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (IX), n° 6, novembre/décembre 2005
cas de signes cliniques évocateurs
d’hypercortisolisme, en sachant que
le dosage n’est pas interprétable si
le patient suit un traitement par
hydrocortisone.
Selon le taux de prolactine, on optera
pour un traitement médical ou neurochirurgical.
✓ La prolactinémie est supérieure
à 300 ng/ml (N < 20) : il s’agit d’un
macroadénome à prolactine. Un traitement par agoniste dopaminergique
est commencé immédiatement, à dose
très rapidement progressive, sous
surveillance de la pression artérielle,
le patient étant prévenu des risques
d’hypotension orthostatique. Un nouveau champ visuel doit être réalisé
48 heures plus tard. Son amélioration
permet la poursuite du traitement.
Dans le cas contraire, le patient est
confié au neurochirurgien.
✓ La prolactinémie est basse ou modérément élevée, inférieure à 300 ng/ml :
il s’agit d’une tumeur ne sécrétant
pas de prolactine, même si elle
s’accompagne souvent d’une hyperprolactinémie de déconnection. Le
patient est immédiatement adressé
au neurochirurgien après substitution
du déficit corticotrope potentiel.
La décompression chirurgicale du
chiasma est presque toujours possible
par voie transphénoïdale, sauf pour
quelques rares tumeurs situées audessus du diaphragme sellaire (méningiomes, craniopharyngiomes, tumeurs
de la tige, etc.) qui nécessitent un
abord chirurgical par craniotomie.
Par la suite :
✓ En cas d’exérèse incomplète, la
chirurgie pourra, dans certains cas,
être complétée par un traitement
médical (agonistes dopaminergiques, analogues de la somatostatine) ou par une radiothérapie.
✓ La substitution de l’insuffisance
antéhypophysaire, si elle existe, est
poursuivie et ajustée.
✓ Dans le cas de l’adénome à prolactine, le traitement par agoniste dopaminergique doit être continué indéfiniment s’il a été efficace. Ses
modalités peuvent être modulées pour
les rendre les moins contraignantes et
les mieux tolérées possibles.
Téléchargement