54es Journées de biologie clinique Necker thématique – Institut Pasteur à taper Diagnostic biologique des encéphalites virales Flore Rozenberga,* 1. Introduction Tableau I – Orientation du diagnostic des encéphalites virales. Le diagnostic des encéphalites aiguës reste difficile, et plusieurs études en France, en Angleterre et aux ÉtatsUnis ont montré que leur étiologie reste inconnue dans la grande majorité des cas. Les agents infectieux représentent la majorité des causes reconnues et parmi elles, plus d’une centaine de virus sont associés à des encéphalites aiguës. Le diagnostic repose sur une connaissance de la physiopathologie, car le terme « encéphalites virales » regroupe des maladies de mécanismes divers. On distingue les encéphalites primitives ou infectieuses liées à une neuro-invasion virale et les encéphalites « postinfectieuses » ou péri-veineuses liées à une réaction inflammatoire diffuse du système nerveux central (SNC) sans réplication virale. 2. Démarche et méthodes du diagnostic virologique Devant une suspicion d’encéphalite virale, l’investigation biologique est guidée par la clinique et les examens complémentaires non biologiques (imagerie du SNC, voire EEG). Dans la pratique, l’essentiel est de reconnaître les causes curables par un traitement antiviral. Le diagnostic virologique repose sur l’analyse du sérum et du liquide céphalorachidien (LCR), qui reflète imparfaitement l’infection du SNC. La détection d’un virus dans un compartiment autre que le LCR sera interprétée en fonction de la prévalence du virus dans la population, et de la force de son association au tableau d’encéphalite. L’interféron alpha (IFN-alpha) est une cytokine de l’immunité innée, induite par la réplication virale et mesurable par un essai biologique ou un dosage biochimique. L’IFN-alpha est présent dans le LCR lors des encéphalites virales primitives, il est indétectable lors des encéphalites post-infectieuses. Pour s’assurer que l’IFNalpha mesuré dans le LCR est bien produit dans le SNC, et ne provient pas du sang circulant (inflammation de la barrière hémato-méningée), il faut comparer les titres dans a Laboratoire de virologie Groupe hospitalier Cochin – Saint-Vincent-de-Paul (AP-HP) 27, rue du Faubourg Saint-Jacques 75679 Paris cedex 14 * Correspondance [email protected] © 2012 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés. Saison Arbovirus (saison des tiques et des moustiques) Oreillons (hiver et printemps) Entérovirus (printemps et été) Interrogatoire Voyage en région d’endémie : arbovirus, rage, LCMV Exposition à animaux vecteurs (rage, LCMV) Vaccinations (rougeole, rubéole, oreillons) Maladie virale dans l’entourage Signes cliniques Exanthème (rougeole, rubéole, HHV-6, entérovirus) Éruption vésiculeuse (varicelle-zona) Adénopathies (EBV, CMV, VIH) Parotidite (oreillons) D’après Johnson. le sérum et le LCR. Dans la plupart des encéphalites primitives, le diagnostic repose depuis le début des années 1990 sur la PCR sur LCR : on détecte les acides nucléiques viraux dans le LCR au stade précoce de la maladie, puis ils disparaissent parallèlement à l’apparition des anticorps. à un stade tardif, la mise en évidence d’une séroconversion vis-à-vis d’un virus donné et/ou la présence d’IgM sont en faveur de l’étiologie virale d’une encéphalite. Si on ne peut pas prouver la séroconversion, l’augmentation du titre d’anticorps (AC) sur deux prélèvements séparés de 10 à 15 jours est considérée comme significative si le rapport des titres est supérieur à 4. Mais l’encéphalite n’est pas souvent contemporaine d’une primo-infection dans les infections liées aux herpesvirus. Dans le LCR, la présence d’IgM spécifiques a une forte valeur diagnostique, mais est inconstante sur les échantillons précoces. La production d’IgG dans le LCR (synthèse intra-thécale) est plus tardive, 10 à 15 jours après le début de la maladie. La synthèse intra-thécale est rarement analysée, mais elle a une grande valeur diagnostique, car elle est constante au décours des encéphalites primitives, et persiste de façon prolongée. Dans les encéphalites post-infectieuses, le diagnostic étiologique est plus difficile à établir, il l’est rarement dans la pratique. Bien que le SNC soit le seul organe atteint et le siège d’une inflammation souvent intense, on ne met en évidence l’agent pathogène ni dans le LCR ni dans le tissu cérébral. La démarche diagnostique vise donc à identifier le virus probablement ou possiblement impliqué dans le déclenchement du processus inflammatoire responsable de l’encéphalite, soit par la mise en évidence d’une séroconversion récente, soit parce qu’on le détecte dans d’autres compartiments biologiques. Mais il est plus difficile d’établir un diagnostic de certitude sauf lorsque les tableaux cliniques sont bien connus et très évocateurs (encéphalite post-rougeoleuse par exemple). Revue Francophone des Laboratoires - Février 2012 - 439 bis // 7 Dossier scientifique patients âgés et/ou immunodéprimés. Chez ces sujets, les encéphalites ou encéphaloEncéphalites primitives Encéphalites post-infectieuses pathies liées au VZV sont fréquemment associées à une vasculopathie des gros Sérum LCR Sérum LCR ou des petits vaisseaux cérébraux, occasionnant des accidents vasculaires céréNégatif > 2 UI/ml Négatif Négatif braux ischémiques et/ou hémorragiques Si positif LCR > sérum Si positif LCR < sérum par thrombose et infarctus. Une forme Positive Négative particulière associe le zona ophtalmique à une thrombose des artères cérébrales Variables Absentes Présentes Inconstants homolatérales. On observe également des Inconstantes Inconstantes Présentes Absentes atteintes mixtes de la substance grise et de la substance blanche (leucoencéphaNégatif Négatif Négatif Négatif lite multifocale) liées à l’atteinte multiple Négative Négative des petits vaisseaux cérébraux. Le diaÉlévation Synthèse Diminution Absentes gnostic de ces atteintes neurologiques est facile lorsqu’existe la notion d’une éruption zostérienne récente ou concomitante, mais il existe 3. Encéphalites aiguës primitives de nombreuses formes neurologiques sans éruption. Le VZV est par ordre de fréquence la 2e cause reconnue des 3.1. Encéphalite herpétique encéphalites aiguës virales, cela justifie de le rechercher L’encéphalite herpétique est la première cause d’encéphasystématiquement surtout chez le sujet immunodéprimé lite virale primitive sporadique dans les pays occidentaux. et/ou âgé, ce d’autant qu’existe un traitement antiviral Elle survient à tous les âges de la vie, avec un pic dans spécifique. Le diagnostic repose sur la PCR, très sensible. la première année de vie, puis après l’âge de 50 ans. Elle est quasi exclusivement due au virus herpes simplex de 3. 3. Encéphalites dues aux arbovirus type 1 (HSV-1) sauf dans la période néo-natale où elle Les arbovirus appartiennent à des familles de virus variées peut être due aussi bien à HSV-1 qu’à HSV-2. C’est une (Togaviridae, Flaviviridae, Bunyaviridae, Reoviridae). La urgence diagnostique et thérapeutique. Le LCR est norprévalence des infections à arbovirus, qui surviennent mal au début de la maladie dans une faible proportion sur un mode épidémique saisonnier, varie en fonction de de cas (5 %), mais il est le plus souvent lymphocytaire zones géographiques dont les limites sont définies par les (de 10 à 500 éléments/µl), avec parfois des hématies, vecteurs des virus, tiques, moustiques et phlébotomes. une protéinorachie modérée (< 1,5 g/l), et une glycoCe sont les causes les plus fréquentes d’encéphalites rachie normale. L’IFN-alpha dans le LCR est élevé dans épidémiques. La fréquence et la gravité des atteintes 95 % des cas d’encéphalite herpétique chez l’adulte. La neuro-méningées varient selon le virus et l’âge de l’hôte. PCR est la technique de référence du diagnostic. L’ADN L’encéphalite japonaise est de loin la plus fréquente, avec viral est décelable dans le LCR prélevé lors de la première une incidence annuelle de 50 000 cas dont 15 000 décès. semaine de l’infection chez 95 à 100 % des patients adultes. Le diagnostic, guidé par la notion de voyage en zone Une PCR négative au début de la maladie peut être due à d’endémie, repose sur la mise en évidence d’IgM sériques, des prélèvements trop précoces, contenant peu d’éléments ou d’une élévation significative du titre des AC sériques cellulaires, ou ne contenant pas encore le génome viral, sur deux prélèvements espacés de 51 jours. La présence cas plus fréquent en pédiatrie. L’ADN HSV reste décelable des IgM dans le LCR est inconstante. Des tests utilisant sous traitement antiviral dans un à deux tiers des cas au la PCR ont été élaborés pour certaines de ces infections. cours de la deuxième semaine, et disparaît en règle après 15 jours de traitement. La persistance d’une PCR positive 3. 4. Encéphalite rabique à la fin de cette période, rarement recherchée sauf si l’état La rage est largement répandue en Asie et en Afrique, où du patient ne s’améliore pas, peut faire discuter la poursuite elle est essentiellement transmise par le chien : en Inde, prolongée du traitement. La sérologie sanguine apporte 30 000 décès annuels sont imputables à la rage. La malapeu de renseignements, car la maladie survient chez des die est devenue exceptionnelle dans les pays occidentaux sujets déjà porteurs dans deux tiers des cas d’anticorps grâce aux mesures de prévention, en dehors des cas impordirigés contre HSV-1. La synthèse intra-thécale d’IgG HSV tés. Le diagnostic est porté dans les centres antirabiques est constante, elle persiste pendant des années. spécialisés. Il est difficile à la phase précoce. Le LCR est Tableau II – Diagnostic virologique des encéphalites. Phase aiguë IFN alpha PCR IgG IgM Phase tardive IFN alpha PCR IgG 3.2. Encéphalite à virus de la varicelle et du zona Une encéphalite primitive survient exceptionnellement au cours de la varicelle, on l’observe et on la redoute chez les sujets immunodéprimés ayant une virémie cellulaire sanguine persistante, chez lesquels le virus peut envahir le SNC. On observe plus fréquemment les complications neurologiques du VZV au décours du zona, chez des 8 // Revue Francophone des Laboratoires - Février 2012 - 439 bis normal ou lymphocytaire. La sérologie ne se positive qu’à partir de la deuxième semaine de la maladie, parfois elle est encore négative au moment du décès. L’isolement du virus à partir du LCR ou de la salive est inconstant, la détection directe des antigènes viraux dans les prélèvements lacrymaux, salivaires, de LCR, dans les biopsies cutanées ou sur des frottis de cornée n’est possible qu’à un stade tardif. Les techniques de PCR permettent à présent de détecter le génome viral dans le LCR et la salive. 54es Journées de biologie clinique Necker – Institut Pasteur 3.5. Encéphalites à entérovirus Les encéphalites sont des complications rares des infections à entérovirus. à la période néo-natale, l’encéphalite peut faire partie d’un tableau d’infection à entérovirus généralisée, dont le pronostic dépend autant de l’atteinte hépatique ou cardiaque que de celle du SNC. En dehors de la période néo-natale, les encéphalites à entérovirus surviennent préférentiellement chez l’enfant et le jeune adulte. La PCR reconnaît une région conservée du génome des entérovirus. Le génotypage est intéressant sur le plan épidémiologique. L’entérovirus 71 a été responsable d’encéphalites graves en Asie. 3.6. Autres causes Les complications neurologiques des infections à Epstein-Barr virus (EBV) et cytomégalovirus (CMV) sont rares au cours de la primo-infection. Elles sont polymorphes : myélites, encéphalites, Guillain-Barré. La pathogenèse de ces atteintes n’est pas très claire, certaines études apportant des arguments pour une atteinte virale directe, d’autres plaidant en faveur de mécanismes auto-immuns. Des encéphalites graves associées à l’infection par le virus herpes humain type 6 (HHV-6) ont été également décrites. Le diagnostic étiologique repose le plus souvent sur la mise en évidence d’une séroconversion. La détection du génome viral dans le LCR plaide en principe en faveur d’un mécanisme direct. Cependant, la signification d’une PCR positive dans le LCR n’est pas toujours claire. Un résultat positif doit être interprété en fonction de la présence du virus dans le sang (virémie positive) : si ces virus sont présents dans une fraction des cellules mononucléées sanguines, leur présence dans le LCR peut être la simple conséquence d’un afflux de lymphocytes dans ce compartiment du fait de l’inflammation. La comparaison des charges virales dans les deux compartiments peut alors être proposée. Les complications neurologiques des infections par les adénovirus sont exceptionnelles. La voie d’accès du virus au SNC n’est pas déterminée, cependant le mécanisme de l’encéphalite est direct, comme en témoigne l’isolement du virus à partir du LCR, ou du parenchyme cérébral, chez des patients immunocompétents ou immunodéprimés. Le virus de la chorioméningite lymphocytaire (LCMV) cause plus souvent des méningites que des encéphalites. Des cas exceptionnels d’encéphalites dues à un nouvel arénavirus proche du LCMV ont été décrits au décours de transplantation. 4. Encéphalites aiguës post-infectieuses Les encéphalites post-infectieuses surviennent au décours d’un grand nombre d’infections virales ou bactériennes. Historiquement, les premières descriptions ont été associées aux infections par les virus de la variole et de la rougeole, et à la vaccination antivariolique. Des lymphocytes réactifs contre la protéine basique de la myéline (MBP) ont été isolés à partir du sang et du LCR de patients ayant une encéphalomyélite post-rougeoleuse, post-rubéoleuse, post-varicelleuse, et aussi après vaccination antirabique. Tableau III – Principaux virus responsables des encéphalites en fonction du mécanisme. Encéphalites primitives Virus herpes simplex Virus varicelle zona Entérovirus HHV-6 Contexte géographique Rage Arbovirus Encéphalites post-infectieuses Rougeole Rubéole Oreillons Varicelle Virus Epstein-Barr Cytomégalovirus Influenza Virus respiratoire syncytial Adénovirus etc. Le mécanisme par lequel ces lymphocytes sont sensibilisés à des constituants du SNC reste hypothétique mais au moment où survient l’encéphalite, il n’y a pas trace de présence virale dans le cerveau. En dehors de ces formes, on retrouve souvent entre 1 et 4 semaines avant le tableau d’encéphalite, la notion de troubles respiratoires ou gastro-intestinaux fébriles non spécifiques, ou une affection éruptive fébrile, ou encore la notion d’une vaccination. De nombreux virus sont associés à ces pathologies, certains ont des présentations cliniques particulières. Des hémiplégies probablement dues à une vasculopathie inflammatoire sont associées au VZV, et au virus de la rubéole. Des thrombencéphalites et des atteintes médullaires se voient avec le virus de la rougeole. Enfin, des encéphalites suraiguës avec atteinte des noyaux gris ont été décrites après infection par le virus de la grippe, au Japon et en Asie. Elles seraient dues à la réponse immune (« tempête cytokinique ») déclenchée par l’infection virale chez des sujets peut-être génétiquement prédisposés. La cérébellite post-varicelle est une forme modérée d’encéphalite post-infectieuse. Elle survient dans les premiers jours de l’éruption, et l’évolution est spontanément résolutive sans séquelles. La distinction clinique entre encéphalites primitives et post-infectieuses est difficile. Le diagnostic est souvent porté par élimination, après avoir étudié toutes les causes d’encéphalites infectieuses ayant un traitement spécifique. L’imagerie en résonance magnétique permet de reconnaître précocement les encéphalites post-infectieuses en montrant des anomalies diffuses de la substance blanche. Le LCR contient une pléïocytose modérée de cellules mononucléées, mais peut être normal dans 25 % des cas. La protéinorachie est modérément élevée dans la moitié des cas. Il n’y a pas de synthèse locale d’interféron alpha. à la phase aiguë, il est justifié de rechercher par PCR dans le LCR les génomes des virus responsables des encéphalites primitives : en Europe occidentale, il s’agit essentiellement des herpesvirus. Le diagnostic étiologique de l’encéphalite post-infectieuse repose ensuite le plus souvent sur la présence de marqueurs sérologiques de primo-infection (IgM), et/ou d’un taux élevé d’IgG sériques dès le début des signes neurologiques. Un bilan sérologique exhaustif devrait être systématiquement pratiqué à la phase aiguë puis tardive de la maladie, mais les résultats sont trop tardifs pour une aide au diagnostic. Le traitement est symptomatique. à la phase précoce de la maladie, un traitement anti-viral par aciclovir est le Revue Francophone des Laboratoires - Février 2012 - 439 bis // 9 Dossier scientifique plus souvent administré jusqu’à l’élimination formelle du diagnostic d’encéphalite herpétique. Cette distinction a d’autant plus d’importance que le traitement par corticoïdes semble accélérer la guérison des encéphalites post-infectieuses. D’autres thérapeutiques, par plasmaphérèses ou administration d’immunoglobulines, ont été tentées. 5. Conclusions Les encéphalites virales sont des maladies hétérogènes dont l’épidémiologie et la physiopathologie varient selon la géographie, l’âge, le terrain immunitaire et le virus responsable. Devant un tableau d’encéphalite aiguë, la démarche diagnostique vise à reconnaître les encéphalites primitives dues à des virus sensibles aux antiviraux. Dans les pays occidentaux, l’encéphalite herpétique est systématiquement évoquée, mais l’interrogatoire recherche la notion de séjour en zone d’endémie des arbovirus, en raison de leur fréquence et en tenant compte des modifications écologiques de certains vecteurs. Des techniques innovantes d’amplification et séquençage à haut débit permettront peut-être d’identifier des agents pathogènes nouveaux responsables d’une partie des encéphalites d’étiologie encore inconnue. Déclaration d’intérêts : l’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] Johnson RT. Acute encephalitis. Clin Infect Dis 1996;23:219-24; quiz 225-6. [2] Linde A, Klapper PE, Monteyne P, Echevarria JM, Cinque P, Rozenberg F, et al. Specific diagnostic methods for herpesvirus infections of the central nervous system : a consensus review by the European Union Concerted Action on Virus Meningitis and Encephalitis. Clin Diagn Virol 1997;8:83-104. 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