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Canadian OnCOlOgy nursing JOurnal • VOlume 25, issue 4, Fall 2015
reVue Canadienne de sOins inFirmiers en OnCOlOgie
FEATURES/RUbRiqUES
DemAnDeZ À un étHicien
Le fardeau du soignant
par Blair Henry et Spencer Livingstone
question
«J’ai beaucoup de mal avec les situations où
un patient semble poussé dans un traitement
musclé qui n’est pas forcément dans son meil-
leur intérêt. Ça me déboussole. Même quand
le patient emboîte le pas, je continue de me
demander si c’est vraiment la meilleure chose
pour lui. Et ça ne me semble pas toujours
être le cas. C’est vraiment dicile à vivre.
Je pense alors qu’il y a pourtant d’autres
voies possibles. Est-ce que quelqu’un l’a dit
au patient? Mais on pousse plutôt pour aller
de l’avant et traiter les gens. Très souvent, ils
meurent et on se sent alors terriblement mal,
car on a contribué à cette décision agressive.
On a fait subir ça au patient et à sa famille
alors qu’ils auraient mérité d’être chez eux
ou dans un lieu plus calme pour vivre ces
derniers moments ensemble. À la place, on
bouscule ces patients et on se sent tout croche.
Hier soir, par exemple, il a été décidé
qu’une vieille femme recevrait son trai-
tement sur-le-champ. Elle était déjà hos-
pitalisée et devait être envoyée en radio.
Pourtant, elle pouvait à peine sortir de son
lit. En essayant, elle a vomi. Sa douleur
était sous contrôle grâce à un narcotique;
elle n’avait pas vraiment besoin de ce traite-
ment pour mieux contrôler la douleur. J’ai
pensé qu’on aurait pu repousser le traite-
ment à un autre jour et la laisser se reposer,
d’autant plus qu’il était déjà six heures du
soir. Mais il en avait été décidé autrement.
C’était incontournable : il fallait l’envoyer
se faire traiter. C’était vraiment dur.
S’agit-il d’une question d’éthique?
Comment aborder cette situation la pro-
chaine fois? Je suis sûre qu’elle se repro-
duira avec d’autres patients.»
réPonse De blAir
Merci de nous partager cette histoire.
Ces situations sont diciles sur le plan
émotionnel, autant pour les prestataires
de soins que pour les patients et leur
famille. D’après mon expérience, les
radiothérapeutes et les inrmières des
cliniques se heurtent régulièrement à ce
genre de diculté.
Des messages conictuels circulent
dans le système de soins de santé :
«On peut vaincre le cancer!», «Il faut
centrer les soins sur les patients! »,
« Les soins palliatifs sont un droit! ».
Décider d’abandonner le combat est-il
perçu comme un échec par le patient,
sa famille ou les prestataires de soins?
Ça peut fort bien être le cas lorsque le
consensus n’est pas au rendez-vous.
À la base, le meilleur intérêt d’une
personne ayant encore ses capacités,
c’est ce qu’elle dit vouloir. Cela dit, les
intérêts d’une même personne peuvent
être multiples et divergents: on veut se
montrer fort, on souhaite éviter la dou-
leur, on est prêt à supporter temporaire-
ment une douleur si elle nous apporte
des gains à long terme, on recherche la
qualité au-delà de la quantité, on veut
une mort paisible. Cela va aussi au-delà
de l’individu même. Certains patients
qui auraient eux-mêmes arrêté depuis
longtemps un traitement acceptent par-
fois de le poursuivre pour leurs proches.
À mon avis, votre histoire se rapporte
à la notion de consentement éclairé et à
l’idée que ce consentement peut changer
et devrait être revu tout au long de la tra-
jectoire de soins. La vieille dame dont vous
parlez aurait normalement dû connaître
les conséquences d’un traitement man-
qué et savoir qu’elle pouvait décider d’ar-
rêter en tout temps si c’était trop pour elle,
à condition de bien comprendre les consé-
quences de sa décision. Est-ce possible de
vérier auprès du patient qu’il est bien
conscient de tout ça? Un patient qui com-
prend bien ce qui se passe est dans une
toute autre situation que celui qui se sent
dépassé par les événements.
Notre rôle à titre de représentant
du patient nous pousse à agir dans ce
genre de situation. Toutefois, à moins
de faire preuve d’une grande sensibi-
lité et de tact, toute action comporte un
risque. Si le patient est poussé par sa
famille, le fait de s’immiscer pourrait
inutilement nuire à la relation qu’en-
tretient ce patient avec ses proches, ou
encore altérer votre relation avec cette
famille. Je conseille dans ce cas d’éviter
à tout prix les relations triangulaires, à
même de dégénérer rapidement (et qui
vous coinceraient entre un patient et sa
famille, ou encore entre un patient et
l’oncologue lorsque les objectifs préa-
lablement établis du plan de soin sont
simplement suivis). Bien sûr, il peut être
nécessaire parfois d’intervenir, mais une
intervention axée sur les processus aura
plus de chances de faire long cours.
L’idéal, c’est que ce soit le patient et
lui seul qui décide quand il a atteint ses
limites et si son meilleur intérêt réside
avant toute chose dans sa qualité de vie.
Le patient peut ensuite informer toutes
les parties en jeu de sa décision.
Le point de départ serait donc la
communication. Cherchez à discerner
ce qui se passe vraiment et, si possible,
impliquez dans ce processus la famille
et les autres intervenants. Les gens
malades sont souvent plus sensibles aux
opinions des autres. Il faut alors s’assu-
rer de leur transmettre des renseigne-
ments impartiaux et utiles.
Dans une clinique comme au sein d’un
groupe de professionnels de tous hori-
zons, les collègues devraient parler de
ces dicultés et établir en amont un
plan pour aborder ce genre de situation.
Je vous encourage à ouvrir cette conver-
sation avec votre équipe.
Au suJet De l’Auteur
Blair Henry, Centre des sciences de la santé Sunnybrook
Spencer Livingstone, étudiant au baccalauréat en philosophie et en éthique