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par Margaret I. Fitch, Gerry Beaudoin et Beverley Johnson
Abrégé
Le traitement du cancer a une incidence significative sur la qualité de vie
de la personne touchée. Il y a notamment atteinte à l’image corporelle
et à la sexualité. Cependant, on a de plus en plus d’indications que les
conversations sur ces conséquences ne surviennent pas souvent entre les
patients atteints de cancer et leurs prestataires de soins de santé, parti-
culièrement dans les services ambulatoires surchargés. Cette étude a été
entreprise afin d’explorer les perspectives des prestataires de soins liés
au cancer concernant les conversations tenues sur la sexualité à la suite
d’un diagnostic de cancer. On souhaite mieux comprendre les obstacles
à la tenue de ce genre de conversations dans la pratique quotidienne.
Trente-quatre professionnels des soins en cancérologie (infirmières,
médecins, travailleurs sociaux et techniciens en radiothérapie) ont par-
ticipé aux entrevues visant à explorer leurs expériences en matière de
conversations sur la sexualité. Les transcriptions des entrevues ont fait
l’objet d’une analyse thématique standard du contenu.
L’analyse a permis de dégager six thèmes. De manière générale,
les participants reconnaissaient que le traitement peut avoir une
incidence sur la sexualité des patients. Dans la majorité des cas, des
conversations sur des questions relatives à la sexualité avaient lieu
dans le cadre des processus d’obtention du consentement éclairé
avant que le traitement ne commence ou lorsque des patients
posaient des questions à propos d’effets secondaires. Par contre, ces
conversations dépassaient rarement les effets secondaires physiques
et ne prêtaient aucune attention à l’incidence de ces effets secon-
daires sur les relations personnelles et émotionnelles ou sur l’inti-
mité. La plupart des prestataires de soins attendaient que les patients
soulèvent leurs inquiétudes dans ce domaine et exprimaient leur
gêne personnelle et leur manque de formation concernant la tenue
de conversations de ce genre. Dans leur optique, les conversations
étaient pénibles à la fois pour eux et pour leurs patients.
Les résultats confirment la nécessité de clarifier les attentes rela-
tives au rôle des infirmières en oncologie ainsi qu’à celui des autres
membres de l’équipe de soins en cancérologie, pour ce qui est des
soins aux patients liés à la sexualité et de la prestation de l’éducation
à l’appui du rôle ainsi cerné.
Introduction
Le cancer et son traitement peuvent avoir une incidence signifi-
cative sur la qualité de vie de la personne touchée (Tierney, 2008)
étant donné qu’ils ont des conséquences physiques, émotionnelles,
psychosociales, spirituelles et pratiques. Les changements corpo-
rels et les altérations des fonctions physiologiques peuvent avoir un
impact sur l’image corporelle, l’estime de soi, la fertilité et le fonc-
tionnement sexuel (Tan, Waidman & Bostick, 2002; Reese, 2011). La
sexualité constitue un aspect important de la qualité de vie (Shell,
2002) et un aspect central de la condition humaine (World Health
Organization, 2002). Les problèmes sexuels issus du traitement du
cancer qui ne sont pas résolus contribuent à l’accroissement de la
détresse émotionnelle (Schover, 1999; Tierney, 2008).
La prestation de soins axés sur la personne ou de soins holis-
tiques exige que l’on porte attention à la sexualité (Institute of
Medicine, 2007) et fait partie des dimensions importantes de soins
de cancérologie optimaux (Institute of Medicine, 2001). Toutefois,
des études révèlent que les préoccupations relatives à la sexualité
sont rarement prises en charge (Harrison, Young, Price, Butow &
Solomon, 2009), et les patients rapportent que ces préoccupations
ne sont pas toujours abordées lors de leurs rendez-vous avec les
médecins et les infirmières (Fitch, Deane & Howell, 2003; Hughes,
2000; Lindau, Surawska, Paice & Baron, 2011; Penson, Gallangher,
Gioiella, Wallace, Borden, Duska et al., 2000). Il se peut que les pro-
fessionnels de la santé aient conscience des besoins des patients
atteints de cancer relativement à leurs préoccupations de nature
sexuelle mais il semblerait que les discussions sur la sexualité ne se
produisent pas dans le cadre de la pratique quotidienne. On ne sait
toujours pas très bien ce qui entrave le dialogue nécessaire entre les
prestataires de soins et les patients atteints de cancer.
Objectif
Cette étude a été entreprise afin de mieux comprendre les échanges
sur la sexualité entre les professionnels en cancérologie et les patients
atteints de cancer. Il existe peu de données permettant de décrire les
obstacles actuels entravant ces échanges ou sur la façon dont il serait
possible de surmonter ces obstacles dans le contexte des services
ambulatoires surchargés. Ces travaux ont donc été réalisés afin de four-
nir un fondement ou une base à l’amélioration des soins aux patients
atteints de cancer qui éprouvent des difficultés de nature sexuelle
reliées à leur maladie et à son traitement. Cette étude a examiné les
points de vue des patients et des professionnels de la santé. Le pré-
sent article concentre l’attention sur les perspectives des prestataires
de soins. Les points de vue des patients atteints de cancer ont été exa-
minés dans un autre article (Fitch, Beaudoin & Johnson, 2013).
Contexte
Au Canada, environ 177 800 personnes sont diagnostiquées
d’un cancer chaque année (Société canadienne du cancer, 2011). Il
est prévu que ce chiffre augmente de 50 % d’ici 2020 (International
Union Against Cancer, World Health Organization, 2002).
L’incidence du traitement anticancéreux chez les patients a fait l’ob-
jet d’une excellente documentation, et celle-ci brosse un tableau
clair des conséquences physiques, psychosociales, émotionnelles et
pratiques (Fitch, Page & Porter, 2008; Harrison et al., 2009). Comme
les progrès en matière de dépistage et de traitement entraînent un
nombre croissant de survivants posttraitement (Sun et al., 2002),
l’importance de la survivance et de la réadaptation est plus pres-
sante que jamais (Braude, MacDonald & Chasen, 2008).
Défis entourant la tenue, dans les services
ambulatoires, de conversations sur la sexualité :
Partie II—les perspectives des prestataires de soins
Au sujet des auteurs
Margaret I. Fitch, inf., Ph.D., Chef, Soins infirmiers
en oncologie, Directrice, Programme de soutien
au patient et à la famille, Centre de cancérologie
Odette, Centre des sciences de la santé Sunnybrook,
2075 Bayview Avenue, Toronto, Ontario M4N 3M5.
Tél. : 416-480-5891 ; Téléc. : 416-480-7806.
Correspondance concernant cet article doit être
envoyée à : [email protected]
Gerry Beaudoin, M.S.S., Trav. soc. aut., Travailleur
social, Unité des soins palliatifs, Centre des sciences
de la santé Sunnybrook
Beverley Johnson, inf., Infirmière en soins intégraux,
Soins infirmiers en oncologie, Centre de cancérologie
Odette, Centre des sciences de la santé Sunnybrook
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Selon l’Organisation mondiale de la Santé, la sexualité consti-
tue un aspect central de la condition humaine et ce, tout au long
de la vie (WHO, 2002). La sexualité est un enjeu multidimensionnel
puisqu’elle comporte des dimensions physiques, psychologiques,
interpersonnelles et comportementales (Hughes, 2000). Exprimée
de diverses manières, elle consiste à donner et à recevoir du plaisir
sexuel et est associée à l’appartenance et à l’acceptation par autrui
(Shell, 2002). L’identité, l’image de soi et l’estime de soi font partie
intégrante de la sexualité (National Council on Aging, 1998).
Au cours de la dernière décennie, la littérature décrivant l’im-
pact du cancer et de son traitement sur la sexualité a connu une
croissance considérable (Hordern, 2008; Mercadante, Vitrano &
Catania, 2010; Reese, 2011). Depuis les premières publications
concernant les patientes atteintes de cancer du sein (Meyerowitz,
Desmond, Rowland, Wyatt & Ganz, 1999) et de cancers gynécolo-
giques (Andersen, Woods & Copeland, 1997), la littérature s’est élar-
gie pour inclure dorénavant d’autres groupes de patients atteints
notamment de cancers du poumon (Reese, Shelby & Abernethy,
2011), de cancers gastro-intestinaux (Reese, Shelby, Keefe, Porter
& Abernethy, 2010), de cancers de la vessie (Fitch, Miller, Sharir &
McAndrew, 2010), de cancers hématologiques (Yi & Syrjala, 2009) et
de cancers de la prostate (Latini, Hart, Coon & Knight, 2009). Alors
que les travaux des premiers temps concentraient l’attention sur le
dysfonctionnement sexuel et sur les changements physiques surve-
nant après le traitement, les écrits sont de plus en plus nombreux à
épouser une conceptualisation élargie de la sexualité qui s’intéresse
à la personne considérée dans sa globalité, y compris les relations
psychosociales, spirituelles et interpersonnelles (Katz, 2005).
L’incidence particulière sur la sexualité du cancer et de son trai-
tement est étroitement liée au siège du cancer et à la nature du
traitement. Elle peut inclure la perte de libido, les troubles de l’érec-
tion, les troubles de l’orgasme et la diminution de l’activité sexuelle
(Harrison et al., 2009; Avis & Deimling, 2008; Lockwood-Rayerman,
2006; Eton & Lepore, 2002; Jonker-Pool et al., 2001). On reconnaît
de plus en plus que tous les modes de traitement peuvent éven-
tuellement avoir un impact sur la sexualité (Mercadante, Vitrano &
Catania, 2010) et que leur incidence peut se faire sentir à n’importe
quel point de la trajectoire du cancer (Brearley et al., 2011), notam-
ment au stade avancé et à la phase palliative (Redelman, 2008;
Stausmire, 2004). Les inquiétudes d’ordre sexuel ont été associées
à une plus forte détresse reliée aux symptômes (Sarna, 1993; Reese,
2011) et ont été signalées par 10 à 90 % des survivants du cancer à
un moment ou à un autre du traitement ou ultérieurement à ce der-
nier dépendamment du siège de la maladie, du sexe de la personne
et du type de traitement (Syrajala et al., 2000; Jeffry, 2001). Cette
réalité veut que les cliniciens dispensant des soins à des patients
atteints d’un type quelconque de cancer tiennent compte, dans leur
pratique quotidienne, des enjeux liés à la sexualité.
Malheureusement, de plus en plus de données tirées d’études aussi
bien quantitatives que qualitatives révèlent que les patients atteints
de cancer ont des besoins non satisfaits en matière de sexualité. À la
suite d’un examen de 94 articles évaluant les besoins en soins de sou-
tien des patients atteints de cancer, Harrison et ses collègues (2009)
ont décrit des besoins non satisfaits en matière de sexualité chez les
patients sous traitement (49–63 %) et dans la phase de suivi ou de
survivance (33–34 %). Le taux de besoins non satisfaits en matière
de sexualité chez les patients atteints de cancer laisse à penser que
les conversations sur ce sujet ne font pas partie de la pratique quoti-
dienne régulière. Plusieurs études ont formulé des observations simi-
laires (Fitch, Deane & Howell, 2003; Hughes, 2000; Penson, Gallangher,
Gioiella, Wallace, Borden, Duska et al., 2000), mais aucune étude n’a
examiné les obstacles à la tenue de telles conversations, particulière-
ment dans les milieux de soins oncologiques ambulatoires. Nous vou-
lions notamment comprendre les obstacles qui entravent la tenue de
ces conversations et la manière dont ils pourraient être surmontés.
Cet article se concentre sur les perspectives des prestataires de soins.
Méthodes
Devis
L’étude faisait appel à un devis descriptif qualitatif. Les partici-
pants ont pris part à une entrevue semi-dirigée réalisée en une seule
fois auprès d’une intervieweuse chevronnée en matière d’entrevues
qualitatives afin de discuter de leurs perspectives sur la tenue de
conversations relatives à la sexualité avec leurs patients. Le proto-
cole de l’étude a été approuvé par le comité de déontologie de l’hô-
pital avant le démarrage de l’étude.
Recrutement de l’échantillon
Pour cette étude, l’échantillon a été choisi à dessein et à des fins
de commodité. Nous tenions à ce qu’il y ait des prestataires de soins
qui soignaient des patients ayant divers types de cancers. On a dressé
une liste des oncologues, des infirmières, des travailleurs sociaux et
des techniciens en radiothérapie qui s’occupaient de patients dans
chaque groupe lié à un siège de maladie particulier (p. ex. cancer du
sein, cancers gastro-intestinaux, sphère tête et cou). L’assistante de
recherche s’est servie de la liste pour communiquer avec des interve-
nants de chaque groupe lié à un siège particulier et les informer au
sujet de l’étude. Des invitations ont été lancées jusqu’à ce qu’il y ait,
dans l’échantillon, des intervenants de chacun de ces groupes en pro-
venance du centre d’oncologie ambulatoire. Les intervenants ayant
donné leur consentement ont participé à une entrevue menée en per-
sonne par une chercheuse ayant une grande expérience des entre-
vues qualitatives. Les entrevues qui duraient entre 30 et 45 minutes
ont toutes fait l’objet d’un enregistrement sonore.
Guide d’entrevue
Le guide d’entrevue a été élaboré par les auteurs aux seules fins
de cette étude afin de recueillir les perspectives des prestataires
de soins concernant la tenue de conversations sur la sexualité avec
leurs patients. On a utilisé le même guide pour l’ensemble des parti-
cipants. Les premières questions étaient posées en vue de détermi-
ner quelle était la proportion des patients qui avaient soulevé des
questions relatives à la sexualité auprès du participant dans le cadre
de sa pratique clinique régulière et la fréquence à laquelle le partici-
pant abordait lui-même le sujet. On demandait alors à chaque parti-
cipant de décrire une situation clinique où un patient avait soulevé
une question liée à la sexualité et une autre où c’était le participant
qui l’avait fait. Cela permettait d’explorer la nature des interactions
et les types particuliers d’enjeux perçus comme étant de nature
sexuelle. Le concept de sexualité n’a pas été défini au préalable
pour le bénéfice des participants. Après la discussion sur les situa-
tions cliniques, on priait les participants de parler des obstacles qui,
selon eux, empêchaient les patients de soulever la question de la
sexualité ainsi que des obstacles qui existaient au niveau des pres-
tataires de soins. Enfin, les participants ont été invités à examiner
leur rôle professionnel à la lumière des questions de sexualité au
sein des soins aux personnes atteintes de cancer et à réfléchir à ce
qui pourrait faciliter les conversations entre patients et prestataires
de soins.
Analyse
Les entrevues ont été transcrites mot pour mot et ont été sou-
mises à une analyse de contenu et à une analyse thématique stan-
dards (Denzin & Lincoln, 2000). Les auteurs ont lu les transcriptions
de manière autonome et ont inscrit des notes sur le contenu dans
les marges du document. Après avoir discuté de leurs impressions
sur les données d’entrevue, ils ont créé les codes et les définitions
des catégories de contenu. L’ensemble des transcriptions a alors été
codé en fonction des catégories de contenu et ce, par une seule per-
sonne. Par la suite, l’examen par les auteurs des données de codage
a permis de comparer les réponses des participants et de cerner les
perspectives communes. Ces dernières sont les thèmes présentés
dans la section Résultats ci-dessous.
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Résultats
Caractéristiques de l’échantillon
Trente-quatre prestataires de soins en oncologie ont participé à
l’étude. L’échantillon se composait d’oncologues médicaux (n=3), de
chirurgiens-oncologues (n=4) et de radio-oncologues (n=4); d’infir-
mières (n=12) et de travailleurs sociaux (n=6) qui œuvrent auprès de
groupes de patients particuliers et enfin, de techniciens en radiothéra-
pie (n=5) dont le travail touche tous les types de cancers. Le tableau 1
présente des données démographiques choisies sur l’échantillon.
Thèmes
L’analyse des transcriptions d’entrevues a permis d’en dégager
six thèmes. Chacun d’eux sera décrit ci-après et sera accompagné de
citations exemplaires des participants. La présentation des thèmes
sera suivie des recommandations avancées par les participants.
Thème 1 : L’ampleur de l’incidence du cancer et de son traite-
ment sur la sexualité de l’individu varie en fonction du siège de la
maladie.
Tous les participants ont indiqué que la sexualité constitue un
aspect important de la vie de toute personne et ont reconnu qu’elle
fait partie du soin global de la personne. Chacun d’eux a fourni des
exemples illustrant la manière dont le traitement du cancer peut
altérer le fonctionnement sexuel et l’apparence et dont ces change-
ments peuvent à leur tour avoir une incidence sur l’image corpo-
relle, l’estime de soi et les relations. Selon eux, la portée de tout
changement dépendait de la localisation de la tumeur et de la nature
du traitement exigé. Par exemple, une chirurgie gynécologique s’ac-
compagne de changements différents de ceux d’une chirurgie au
sein; la radiothérapie dispensée en cas de tumeur cérébrale entraîne
des changements différents de ceux d’une radiothérapie dispen-
sée pour un cancer de la prostate. Au vu de la diversité des chan-
gements anticipés, les participants croyaient que les conversations
sur la sexualité devaient varier en vertu du siège de maladie visé
par une pratique particulière. Aux dires d’un médecin traitant les
patients atteints de cancer à la prostate : « S’ils ne soulèvent pas la
question, je le fais parce que le traitement peut avoir une incidence
sur la sexualité chez l’ensemble des patients. Je le mentionne avant
que des décisions ne soient prises au sujet du traitement et je leur
demande de préciser l’étendue des renseignements dont ils sou-
haitent prendre connaissance. » (MD-P3) Lors d’une autre entrevue,
une infirmière dispensant des soins à des personnes atteintes de
tumeurs du système nerveux central indiquait : « Je ne la soulève
jamais avec eux étant donné que leurs facultés sont si affaiblies. Non,
je ne le fais pas » (RN-P4) alors qu’une autre infirmière rapportait :
« Je soulève le sujet du fonctionnement sexuel avec tous mes patients
atteints d’un cancer du col utérin mais je ne l’aborde jamais avec
mes patientes ayant un cancer du sein étant donné que la radiothé-
rapie est leur seul traitement. » (RN-2)
Thème 2 : La sexualité n’est pas perçue comme une priorité pour les
patients ayant le cancer, particulièrement durant le diagnostic et le
traitement.
Bien qu’ils voient dans la sexualité un aspect important du
soin global de la personne, les participants rapportaient qu’à leur
avis, elle ne constituait pas une priorité pour les patients atteints
de cancer en raison de la nature gravissime de leur maladie.
Particulièrement durant la phase du diagnostic et du traitement, ils
estimaient que pour les patients atteints de cancer, la priorité était
de démarrer le traitement et de guérir la maladie. Selon les propos
d’un médecin : « Je pense que les patients veulent qu’on traite leur
cancer et ce, d’abord et avant tout. » (MD-3) En outre, peu de par-
ticipants croyaient que la sexualité était une préoccupation en fin
de vie. « Je ne soulève jamais la question avec mes patients en phase
palliative. Cela semble être le moindre de leurs problèmes durant
cette période. » (MD-P3)
Les participants associaient l’intervalle de traitement avec la pré-
sence d’effets secondaires et le fait que les patients étaient trop
malades pour prêter attention aux questions d’ordre sexuel. Pour
reprendre les propos d’un prestataire : « Je n’aborde rien qui ait
trait à la sexualité avec les personnes atteintes d’un cancer à la tête
ou au cou. Elles sont dans un état si lamentable que le sexe ne leur
vient même pas à l’esprit. S’il vous est impossible de manger et d’ava-
ler, si vous arrivez à peine à respirer, le sexe est le dernier de vos sou-
cis. » (RT-28)
Thème 3 : Si la sexualité devient une préoccupation pour les
patients atteints de cancer, cela se produira quand le traitement
aura pris fin.
La majorité des participants étaient d’avis que si la sexualité
devait constituer un enjeu pour les patients, ceci survenait au cours
d’une phase ultérieure de la trajectoire du cancer. Aux dires d’une
infirmière : « Pas pour les patients recevant leur traitement, mais
c’est une question qui est soulevée avant et après le traitement. »
(RN-1) Les participants constataient qu’une fois le traitement ter-
miné, tandis que les patients commençaient à éprouver les change-
ments affectant leur corps, quelques-uns d’entre eux leur avaient
fait part d’inquiétudes en matière de sexualité. Durant la phase de
traitement, le sujet de la sexualité n’était point soulevé. Après le
traitement, la perte d’un sein, la ménopause induite par le traite-
ment, les stomies, la fatigue et le dysfonctionnement érectile sont
autant d’exemples de changements mentionnés par les patients qui
peuvent avoir une incidence sur la sexualité. Cela dit, ces partici-
pants trouvaient généralement que les patients ne soulevaient pas
très souvent d’enjeux liés à la sexualité. D’après eux, cette observa-
tion signifiait que très peu de patients ressentaient des inquiétudes
en lien avec leur sexualité.
Thème 4 : Les conversations sur la sexualité surviennent le plus fré-
quemment dans le contexte des discussions entourant le consente-
ment éclairé avant la chirurgie ou le traitement ou si le patient pose
une question particulière.
Tableau 1 : Caractéristiques démographiques choisies des
participants
Intervenants interviewés
(dont tous les cas sont
liés à l’oncologie)
Nombre de
participants
(N=34)
Sièges de la maladie
représentés dans les
pratiques
Personnel infirmier
(charge professionnelle :
uniquement des patients
atteints de cancer)
12 sein, gastro-intestinal/
génito-urinaire,
gynécologique, poumon
Médecins/chirurgiens
(pratique en oncologie à
temps plein)
11 sein, gastro-
intestinal/génito-
urinaire (prostate),
gynécologique, tête
et cou, hématologie,
poumon
Travailleurs sociaux
(charge professionnelle :
uniquement des patients
atteints de cancer)
6sein, système nerveux
central, gastro-
intestinal/génito-
urinaire, gynécologique,
tête et cou, poumon
Techniciens en
radiothérapie (charge
professionnelle :
uniquement des patients
atteints de cancer)
5Traitent tous les sièges
de la maladie
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192 CONJ • RCSIO Summer/Été 2013
Dans l’ensemble, les participants signalaient que les patients
eux-mêmes soulevaient rarement la question de la sexualité. Les
participants estimaient que la proportion de patients amorçant
cette conversation variait selon le type de cancer. Par exemple, les
hommes aux prises avec un cancer de la prostate posent des ques-
tions sur les érections et sur la virilité bien plus fréquemment que
les patients atteints d’un cancer du poumon. Lorsque des ques-
tions étaient soulevées, elles se concentraient le plus souvent sur
les symptômes ou sur les effets secondaires et ne portaient pas, au
départ, sur l’intimité ou sur les relations personnelles.
En ce qui concerne les conversations relatives à la sexualité
amorcées par les prestataires de soins, ceci survenait le plus sou-
vent dans le cadre des discussions sur les plans de traitement et sur
les effets secondaires physiques éventuels du traitement retenu. Par
exemple, une infirmière a rapporté ce qui suit : « Je parle aux jeunes
hommes ayant un cancer du testicule de l’entreposage de sperme
et de fertilité, mais j’entame rarement de conversations sur la situa-
tion du patient pour ce qui est du reste. » (RN-18) Les participants
reconnaissaient que l’incidence possible des effets secondaires sur
les émotions, l’intimité et les rapports n’étaient pas forcement men-
tionnée lors de ces discussions. Dans la plupart des cas, c’est dans
le cadre du processus d’obtention du consentement éclairé que se
tenait la conversation. Durant cette dernière, il se pouvait que ce
soit le patient ou la patiente qui pose une question particulière à
propos des effets du traitement, notamment dans le cas d’un traite-
ment chirurgical ou d’une radiothérapie d’une zone particulière du
corps (p. ex. bassin, prostate, vagin, sein). Sinon, la majorité de ces
prestataires de soins n’abordaient plus le sujet. Ils attendaient que
les patients le fassent.
Thème 5 : Si les patients atteints de cancer ont des problèmes ou
des inquiétudes de nature sexuelle, ils poseront des questions ou
les mentionneront à leur professionnel de la santé.
Les participants pensaient, pour la plupart, que les patients
éprouvant des difficultés d’ordre sexuel du fait de leur traitement
du cancer, signaleraient leurs inquiétudes lors des rendez-vous
cliniques. Il leur arrivait fréquemment d’attendre que les patients
expriment leurs inquiétudes relatives à la sexualité plutôt que de les
interroger à ce sujet.
Ils décrivaient les préoccupations relatives aux effets secon-
daires physiques comme étant la voie la plus susceptible d’être
utilisée pour aborder des sujets liés à la sexualité. La sécheresse
vaginale, l’incapacité d’obtenir une érection et la douleur étaient
autant d’exemples d’effets secondaires qui pouvaient faire obstacle
à l’intimité et donc être soulevés. Toutefois, il a été signalé que ces
sujets pouvaient être soulevés par les patients et discutés avec les
prestataires sans qu’il y ait pour autant de conversations approfon-
dies au sujet de l’intimité ou des rapports personnels.
Thème 6 : La tenue de conversations sur la sexualité est épineuse
pour diverses raisons.
Les participants ont indiqué que les conversations sur la sexua-
lité étaient d’un abord difficile à la fois pour eux-mêmes et pour
les patients. Cette difficulté s’est vu attribuér diverses raisons (voir
les tableaux 2A et 2B). Les participants déclaraient qu’il s’agit d’une
question de nature privée, personnelle et que le degré de confort
pour l’aborder varie grandement d’une personne à l’autre. L’âge,
la culture et la religion peuvent notamment exercer une incidence
sur le degré d’aise des patients relativement aux conversations sur
la sexualité. À de nombreux égards, la sexualité est encore perçue
comme un sujet tabou.
Chez les prestataires de soins ayant participé à l’étude, le fac-
teur temps, les priorités cliniques et la formation influençaient de
manière importante, le lancement ou non de telles conversations.
Comme un médecin l’a indiqué : « Les grands problèmes sont le
temps et le manque de connaissances en la matière; nous ne sommes
pas nombreux à être formés à cet effet. » (MD-3) Les participants
pensaient que la plupart de leurs collègues du domaine de la santé
ne seraient guère à l’aise avec cette question et qu’ils trouveraient
difficile d’amorcer des conversations à son propos. À leur avis, ces
conversations étaient complexes et elles exigeaient d’être menées
avec doigté et en privé. Peu d’entre eux avaient reçu une quelconque
formation dans ce domaine et la plupart d’eux ne se sentaient pas
bien outillés pour tenir une conversation de ce genre. « Je crois que
la plupart d’entre nous essaient de tenir leurs distances du sujet
parce que nous ne savons pas comment le manier. » (MD-4)
La majorité des prestataires jugeaient que leur rôle était de faire
savoir aux patients qu’il était tout à fait convenable de parler de ce
sujet et, si des enjeux étaient soulevés, d’aider les patients à obte-
nir de l’aide, qu’il s’agisse d’information, de conseils ou de consul-
tations. Cependant, à cause des nombreux enjeux liés à la maladie
proprement dite et à la lourde charge de travail dans le contexte
ambulatoire, prendre le temps de tenir ce type de conversations ne
leur paraissait pas prioritaire. L’idée selon laquelle les soins axés sur
la maladie constituaient la priorité était le plus nettement exprimée
par les médecins et par les techniciens en radiothérapie. Un méde-
cin a ainsi déclaré : « Nous concentrons notre attention sur le cancer
et sur son traitement. Nous ne voulons pas rater d’éventuelles réci-
dives. Comme nous disposons d’une quantité de temps limitée, c’est
à cela que nous devons accorder la priorité. » (MD-16) À l’opposé,
les infirmières et les travailleurs sociaux de l’étude étaient plus sus-
ceptibles d’inclure dans leur rôle respectif la prise en charge des
inquiétudes relatives à la sexualité. Pour reprendre les paroles d’une
infirmière : « Il est important que les patients sachent que vous êtes
ouverte à tout type de discussion et il nous faut le leur dire. » (RN-23)
Suggestions des participants en vue de faciliter les conversations
sur la sexualité
Les participants ont fait état de trois idées clés qui faciliteraient
la tenue de conversations sur la sexualité avec les patients atteints
de cancer. En premier lieu, ils soulignaient l’importance de recevoir
une formation particulière sur la façon de s’y prendre pour tenir,
avec les patients, les conversations relatives à la sexualité. La for-
mation devrait porter, avant tout, sur la manière de cerner l’enjeu
particulier, ce qui inquiète le patient et la meilleure voie à suivre
en matière d’aiguillage et d’intervention. Une partie de la conversa-
tion serait de collaborer avec le patient afin de savoir quelle voie lui
conviendrait le mieux. Les participants pensaient qu’ils tireraient le
plus grand parti de séances d’éducation destinées aux profession-
nels de la santé comprenant des jeux de rôles et portant sur des
aspects pratiques des soins liés aux enjeux de nature sexuelle.
En deuxième lieu, les participants pensaient que, pour parler
de sexualité avec les patients et faire les meilleurs aiguillages pos-
sibles, il leur serait utile d’avoir une liste des services disponibles et
de savoir ce que ces organismes fournissent en termes d’informa-
tion et de consultations sur la sexualité. Il leur serait notamment
bénéfique qu’un membre du personnel ait des connaissances spé-
cialisées en matière de sexualité. Ils pourraient consulter cet inter-
venant afin de savoir quelle approche choisir avec des patients
particuliers ou ce dernier pourrait être une personne-ressource
pour les situations plus complexes.
Enfin, les participants indiquaient que la création d’un matériel
pédagogique approprié à l’intention des patients était de première
importance. Celui-ci devrait être en format papier et porter sur les
problèmes anticipés pour des sièges de maladie et des traitements
particuliers, les interventions qui sont disponibles et les ressources
auxquelles il est possible d’accéder. Ce matériel pourrait être utilisé
dans le cadre des conversations et remis aux patients ou bien affi-
ché dans le site Web des cliniques. Les professionnels de la santé
ayant participé à l’étude appuyaient l’idée selon laquelle les patients
devraient avoir accès à de l’information concernant l’incidence du
cancer et de son traitement sur la sexualité.
doi:10.5737/1181912x233189196
CONJ • RCSIO Summer/Été 2013 193
Discussion
Cette étude a été entreprise dans le but de dégager les perspec-
tives des prestataires de soins concernant la tenue de conversations
sur la sexualité. Les participants constituaient un échantillon repré-
sentatif des professionnels de la santé œuvrant dans un centre d’on-
cologie ambulatoire. Il comprenait des hommes et des femmes ainsi
que des intervenants prenant soin de patients atteints de divers
types de cancers. Étant donné que l’étude a été effectuée dans un
seul centre de cancérologie, et qu’il serait avantageux qu’elle soit
répétée auprès de participants œuvrant dans un autre contexte,
la nature transversale de l’échantillon a permis d’approfondir les
perspectives diverses des professionnels de la santé relativement
à la tenue de conversations sur la sexualité et ce, en fonction de
divers sièges de la maladie.
Malgré la diversité des professions/disciplines représentées dans
l’échantillon, on a constaté un étonnant degré de similitude dans les
perspectives entretenues par les différents intervenants. Ils considé-
raient tous la sexualité comme étant une dimension importante de
la condition humaine et étaient au courant de l’incidence éventuelle
du traitement du cancer sur la sexualité. Ils étaient tous d’avis que
la tenue de conversations sur la sexualité était d’un abord épineux
à la fois pour les professionnels de la santé et pour les patients. En
Tableau 2(A) : Perspectives des prestataires de soins : Pourquoi les patients atteints de cancer ont-ils de la difficulté à tenir des
conversations sur la sexualité?
Raison derrière la
difficulté
Citations représentatives
Âge Les jeunes patients sont plus susceptibles d’en parler. Ils semblent être plus ouverts et plus à l’aise avec le sujet. La
plupart des personnes âgées ne sont pas aussi à l’aise à son propos. (MD-15)
Culture Dans certaines cultures, il est tout à fait inapproprié de discuter de ce sujet … et il est difficile de dépasser les
croyances … il s’agit un sujet tabou pour beaucoup. (SW-17)
Il s’agit d’un sujet
de nature privée/
personnelle
Les deux partenaires peuvent ne pas vouloir en parler avec autrui. C’est fort personnel. Ils peuvent n’avoir aucun
intérêt envers lui ou penser que les patients atteints de cancer ne devraient pas avoir de besoins d’ordre sexuel…ou
croire qu’ils ne sont pas liés au cancer. (RN-P4)
Il y a une différence selon les personnes qui sont dans la salle … et du degré d’aise qu’elles ont face à nous autres les
prestataires. (RN-27)
Gêne/Aise à
aborder le sujet
La culpabilité, la peur peuvent être des obstacles, je crois. (RT-29)
Certains patients croient qu’il est superficiel de penser au sexe ou d’avoir des préoccupations de ce genre … J’ai
le cancer, pourquoi devrais-je me soucier du sexe? Ils éprouvent de la gêne à en parler ou ne savent pas comment
soulever la question. (RN-1)
Parler en présence de membres de la famille peut être source d’embarras; par exemple, un homme qui parle de virilité
devant sa fille. (MD-P3)
Genre Selon moi, il peut être délicat pour une femme de parler de sexualité avec un homme. Les échanges femme à femme
ou homme à homme seraient mieux. (RN-21)
Il serait probablement délicat pour une femme d’aborder la question avec un médecin et peut-être vice versa, un
homme avec une femme médecin. (MD-4)
Langue Des difficultés peuvent survenir du fait de la langue et de la nécessité de faire appel à un traducteur ou une
traductrice … par exemple un fils qui traduit pour sa mère et qui doit parler de l’utilisation d’un dilatateur. (RN-2)
Dépassé par le fait
d’avoir le cancer
Les patients se sentent dépassés par tout ce qui leur arrive et ils n’entendent pas ce qu’on leur dit. Ils ne comprennent
vraiment pas les répercussions de ce qu’ils entendent ou l’occultent. (RN-1)
Quand on est atteint d’une maladie qui met la vie en danger, comment peut-on soulever la question de la sexualité? (MD-4)
On met tellement l’accent sur la maladie, sur le cancer. On ne promeut guère la sexualité en tant que sujet valable pas
plus qu’on en reconnaît l’existence, en général. (SW-6)
C’est la dernière chose qui vient à l’esprit des patients dans les premiers temps; ils accordent toute leur attention au
diagnostic et au traitement; le sujet est plutôt mentionné plus tard, au long terme. (SW-8)
Rapport avec le
prestataire de soins
et confiance envers
lui
Les patients doivent être personnellement à l’aise avec moi à titre de professionnel de la santé. C’est une question
difficile à aborder et ils doivent pouvoir me faire confiance. (SW-P1)
Je crois que cela dépend dans une large mesure de la relation entre le patient et le médecin et de leur degré d’aise…de
la qualité du rapport et de la mesure dans laquelle ils veulent se confier et de la confiance qu’ils éprouvent. (MD-P3)
Perception du
temps passé avec le
prestataire de soins
Je crois que les patients établissent des priorités sur le plan de ce qu’ils vont aborder. Ils savent que le temps que vous
pouvez passer avec eux est limité. Je pense que la maladie vient au premier rang. (MD-19)
Orientation
sexuelle
Les patients ayant un ou une partenaire du même sexe peuvent avoir du mal à soulever la question. (RN-1)
Si la personne est homosexuelle, cela est difficile. (SW-7)
Relations entre
partenaires
S’il y a un quelconque problème d’abus sexuel, il est délicat d’en parler. (RN-2)
Perspective sur le
rôle du centre de
cancérologie et
des prestataires de
soins
Je me demande si les patients songent à nous en parler ou s’ils pensent que cela fait partie de notre rôle; se tournent-
ils vers cet établissement pour régler ce type de problème? (SW-6)
Les patients accordent toute leur attention à la maladie et selon eux, l’oncologue n’est pas l’intervenant à qui il revient
de s’occuper de cette question. (SW-9)
Je comprends pourquoi ils pourraient penser que cela ne relève pas de mes attributions, d’en discuter avec moi. Je ne
crois pas que pour eux, il s’agisse de mon rôle. (MD-15)
Je me demande si les patients pensent que cela puisse relever de notre rôle. (RT-29)
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