Douleurs dans les jambes : douleurs de croissance ou syndrome

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Médecine
& enfance
Douleurs dans les jambes :
douleurs de croissance ou syndrome
des jambes sans repos ?
NEUROLOGIE
S. Auvin, service de neurologie
pédiatrique et des maladies métaboliques,
hôpital Robert-Debré, Paris
Vous voyez en consultation un jeune garçon de dix ans. Il est en CM1. Sa maman vous consulte car il se plaint de douleurs dans les jambes qui le réveillent
de temps à autre la nuit. Elle a regardé sur internet ce dont il pouvait s’agir. Elle pense qu’il pourrait s’agir de douleurs de croissance. Ce garçon est le
deuxième d’une fratrie de trois. Il n’y a pas d’antécédent familial ou personnel
notable. Sa scolarité se passe normalement en dehors de fréquentes étourderies qui pénalisent ses notes à l’école. Mais l’institutrice est rassurante sur sa
capacité de compréhension et d’adaptation. Sa vivacité d’esprit l’entraîne souvent à répondre avant la fin des questions… C’est un enfant très actif et la maman précise qu’il faut « le canaliser ».
Ce jour, l’examen clinique et neurologique est normal. Les radiographies des
membres inférieurs réalisées il y a un mois lors d’un passage dans un service
d’urgences sont normales. Quels diagnostics évoquez-vous ? Réalisez-vous
des investigations ? Que proposez-vous ?
QUELS DIAGNOSTICS
ÉVOQUEZ-VOUS ?
Rubrique dirigée par S. Auvin
Il faut évoquer ici un syndrome des
jambes sans repos. Le diagnostic de
douleurs de croissance ne doit plus être
retenu.
Il est évident qu’avant d’évoquer le diagnostic de syndrome des jambes sans
repos, il faut avoir éliminé un certain
nombre de causes osseuses. Il faut donc
réaliser des radiographies osseuses et
éventuellement un bilan biologique devant toute douleur récidivante.
Ici, la normalité des investigations permet d’évoquer le diagnostic de syndrome
des jambes sans repos. Il est d’ailleurs
important de noter la présence d’un probable trouble hyperactif avec déficit attentionnel (THADA), qui est un argument en faveur du diagnostic. En effet,
l’anamnèse suggère la présence d’un
trouble de l’attention (étourderie avec
modifications des résultats scolaires),
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d’une impulsivité (répond aux questions
avant qu’elles ne soient complètement
formulées) et d’une hyperactivité (besoin d’être canalisé) (voir tableau IV).
RÉALISEZ-VOUS DES
INVESTIGATIONS ?
Le diagnostic est clinique. Des critères
de diagnostic ont été établis pour l’enfant (voir plus loin).
Il faut demander une polysomnographie nocturne pour enregistrement du
sommeil dans une unité ayant l’habitude de voir des enfants. Cela permettra
d’exclure d’autres troubles du sommeil
et de confirmer le diagnostic.
QUE PROPOSEZ-VOUS ?
Une fois le diagnostic établi, il faut
orienter l’enfant vers un pédiatre ou un
neuropédiatre. La prise en charge du
THADA dans un premier temps peut
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être discutée. Il faut associer un certain
nombre de recommandations (tableau I) à
un traitement par une forme de méthylphénidate retard. Selon l’évolution, une
prise en charge médicamenteuse spécifique sera discutée dans un deuxième
temps.
Tableau I
Recommandations pour les enfants
présentant un syndrome des jambes sans
repos ou NEWREST en anglais
(acronyme pour new patient with restless
legs syndrome)
Nutritional needs. Besoins nutritionnels
SYNDROME DES JAMBES
SANS REPOS :
PRÉSENTATION ET
PARTICULARITÉS
PÉDIATRIQUES
Le syndrome des jambes sans repos est
une entité qui est surtout connue chez
l’adulte, mais elle est également observée chez l’enfant. Il s’agit d’un besoin
impérieux de bouger les jambes associé
à une sensation désagréable ou d’inconfort. Les symptômes existent de jour
comme de nuit mais prédominent la
nuit à cause de leur augmentation.
Il faut savoir évoquer le diagnostic devant : des « douleurs de croissance » récidivantes et invalidantes, des troubles du
sommeil non identifiés ou un THADA
avec des nuits agitées.
Le diagnostic est établi grâce à des critères qui ont été définis pour l’enfant (tableau II). Malgré ces critères, le diagnostic n’est pas toujours aisé chez l’enfant
de moins de dix-douze ans. En effet, la
description du ressenti par l’enfant n’est
pas toujours facile à comprendre et ne
permet donc pas de poser un diagnostic
de certitude. On se retrouve fréquemment dans la situation de syndrome des
jambes sans repos possible ou probable.
En plus d’un examen clinique complet
comprenant un interrogatoire sur l’existence d’un trouble similaire dans la famille, il est mieux de faire réaliser une
polysomnographie chez les patients
présentant une symptomatologie intense, afin d’objectiver les conséquences de
ce syndrome sur le sommeil.
Après avoir évalué l’éventualité du diagnostic avec les critères, il faut s’assurer
de l’absence d’une maladie sous-jacente
mimant un syndrome des jambes sans
repos. Il s’agit majoritairement de mala-
respectés en accord avec ce qui est
recommandé pour l’âge, avec une attention
particulière pour les apports en fer. Eviter ou
restreindre tout aliment ou boisson
contenant de la caféine comme le chocolat
et les sodas, en particulier en fin d’aprèsmidi et dans la soirée.
Environment for sleeping. La chambre doit
être un lieu adapté, calme et apaisant. La
radio ou la télévision doivent être utilisées
en dehors de la chambre.
Watch for and report restlessness. Evaluer et
noter la survenue des symptômes de jambes
sans repos. Indiquer s’ils perturbent la nuit.
Regular sleep schedule. Avoir un rythme de
sommeil régulier avec un horaire de coucher
et un horaire de lever fixes, y compris les
week-ends.
Exercise daily. Avoir une activité physique
quotidienne : elle diminue les symptômes et
augmente les périodes de sommeil profond.
Stop substances. Arrêter les éléments
modifiant la qualité du sommeil comme le
tabac, l’alcool et certains médicaments.
Tableau II
Critères pour un diagnostic de certitude
d’un syndrome des jambes sans repos
Chez l’enfant (2 à 12 ans)
Présence des 4 critères suivants :
1. Besoin de bouger les jambes
2. Le besoin de bouger apparaît ou
s’aggrave lorsque l’enfant s’assied ou se
couche
3. Le besoin de bouger est soulagé lors des
mouvements
4. Le besoin de bouger est plus important le
soir ou la nuit ou n’apparaît que le soir ou la
nuit
ET
첸 soit description par l’enfant lui-même de
son inconfort dans les jambes : fait mal,
pince, tire, envie de courir, de l’énergie
dans les jambes…
첸 soit présence de 2 ou 3 des critères
suivants :
– trouble du sommeil inhabituel pour l’âge
– parent ou fratrie avec syndrome des
jambes sans repos
– enregistrement de sommeil avec plus de 5
mouvements périodiques par heure
Chez l’adolescent (13 à 18 ans)
첸 Les 4 premiers critères diagnostiques
indiqués pour l’enfant
ET
첸 Pas d’explication par une maladie
neurologique ou l’usage de médicaments
첸 Pas d’autres causes de modification du
sommeil
Take prescribed medicine. Prendre ses
médicaments.
Tableau III
Diagnostics différentiels à éliminer
dies neuromusculaires (tableau III). Un
examen clinique complet avec une attention particulière sur l’examen neurologique sera conduit. C’est uniquement
en cas de doute que des investigations
paracliniques ou un avis spécialisé seront demandés.
Lorsque le diagnostic de syndrome des
jambes sans repos est évoqué, il faut
aussi rechercher systématiquement un
certain nombre de comorbidités, en premier lieu un THADA. Les troubles du
sommeil et tout ce qui est en lien avec
un manque de sommeil seront également recherchés.
Il existe plusieurs options thérapeutiques, mais chez l’enfant les données
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Diagnostics différentiels fréquents :
첸 compression musculaire transitoire
첸 crampes musculaires
첸 atteinte cutanée
첸 atteinte orthopédique
Diagnostics différentiels peu fréquents :
첸 neuropathie périphérique
첸 atteinte radiculaire
첸 myopathie
sont limitées. Toutefois, tous les enfants
ne nécessitent pas un traitement médicamenteux. Il faut en premier lieu faire
appliquer un certain nombre de règles
de vie qui ont été résumées par un acronyme anglais NEWREST pour new pa-
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tient with restless legs syndrome (tableau
II). Parmi les éléments de cet acronyme,
le N correspond à la composante nutri-
tionnelle. Outre une alimentation équilibrée, certains travaux suggèrent un
lien entre syndrome des jambes sans re-
pos et carence martiale. Des taux de ferritine sanguins inférieurs à 50 ng/ml
semblent associés à des formes sévères
chez l’adulte. Il faut donc rechercher
une carence martiale par un dosage de
la ferritine et éventuellement prescrire
du fer, en particulier avant toute autre
stratégie médicamenteuse.
Si les symptômes persistent et sont invalidants, un traitement médicamenteux peut alors être discuté. Cela reste
une prescription de spécialiste, d’autant plus qu’aucune molécule à ce jour
n’a d’AMM dans cette indication chez
l’enfant. Il existe toutefois des publications qui suggèrent une efficacité de
certaines molécules. Parmi celles-ci, on
trouve la clonidine et le clonazépam. La
clonidine est assez souvent utilisée
dans les troubles du sommeil graves
mais n’est pas toujours aisée à manipuler. L’utilisation du clonazépam doit
être prudente, car il existe pour un certain nombre de patients un effet paradoxal avec une augmentation de l’hyperactivité.
Lorsqu’il existe une comorbidité à type
de THADA, le traitement du THADA
permet en général le contrôle des manifestations. La difficulté de la prise en
charge thérapeutique dans ces cas est
souvent liée à la pharmacologie du méthylphénidate, mais cela est plus facile à
mettre en place avec la récente mise à
disposition de formes retards.
Les médicaments dopaminergiques ont
également montré leur efficacité dans le
syndrome des jambes sans repos. Cela a
été initialement constaté avec la levodopa, mais également avec les agonistes
dopaminergiques tels que le pramipexole ou le ropinirole. Ces deux derniers
sont utilisés comme traitement des
jambes sans repos chez l’adulte. S’il n’y a
pas d’évaluation appropriée en pédiatrie, un certain nombre de publications
suggèrent une bonne efficacité et une
bonne tolérance de ces traitements. 첸
Références
and Periodic Limb Movement Disorder in Children and Adolescents», Semin. Pediatr. Neurol., 2008; 15: 91-9.
PICCHIETTI D., ALLEN R.P., WALTERS A.S., DAVIDSON J.E.,
MYERS A., FERINI-STRAMBI L. : «Restless legs syndrome: prevalence and impact in children and adolescents - the Peds REST
Study», Pediatrics, 2007; 120: 253-66.
Tableau IV
Critères diagnostiques du déficit de l’attention/hyperactivité (DSM-IV, 1994)
A. Présence de 햲 ou de 햳 :
햲 Six des symptômes suivants d’inattention (ou plus) ont persisté pendant au moins six mois, à un
degré qui est inadapté et ne correspond pas au niveau de développement de l’enfant :
a. souvent ne parvient pas à prêter attention aux détails ou fait des fautes d’étourderie dans les
devoirs scolaires, le travail ou d’autres activités ;
b. a souvent du mal à soutenir son attention au travail ou dans les jeux ;
c. semble souvent ne pas écouter quand on lui parle personnellement ;
d. souvent ne se conforme pas aux consignes et ne parvient pas à mener à terme ses devoirs
scolaires ou ses tâches domestiques (non dû à un comportement d’opposition ni à une
incapacité à comprendre les consignes) ;
e. a souvent du mal à organiser ses travaux ou ses activités ;
f. souvent évite, a en aversion, ou fait à contrecœur les tâches qui nécessitent un effort mental
soutenu (comme le travail scolaire ou les devoirs à la maison) ;
g. perd souvent les objets nécessaires à son travail ou à ses activités (jouets, cahiers, crayons, livres,
outils) ;
h. souvent se laisse facilement distraire par des stimulus externes ;
i. a des oublis fréquents dans la vie quotidienne.
햳 Six des symptômes suivants d’hyperactivité/impulsivité (ou plus) ont persisté pendant au moins
six mois, à un degré qui est inadapté et ne correspond pas au niveau de développement de
l’enfant :
Hyperactivité
a. remue souvent les mains ou les pieds ou se tortille sur son siège ;
b. se lève souvent en classe ou dans d’autres situations où il est supposé rester assis ;
c. souvent court ou grimpe partout, dans les situations où cela est inapproprié ;
d. a souvent du mal à se tenir tranquille dans les jeux ou les activités de loisir ;
e. est souvent « sur la brèche » ou agit souvent comme s’il était « monté sur ressorts » ;
f. parle trop souvent ;
Impulsivité
g. laisse souvent échapper la réponse à une question qui n’est pas encore entièrement posée ;
h. a souvent du mal à attendre son tour ;
i. interrompt souvent les autres ou impose sa présence (par exemple fait irruption dans les
conversations ou dans les jeux).
B. Certains des symptômes d’hyperactivité/impulsivité ou d’inattention ayant provoqué une gêne
fonctionnelle étaient présents avant l’âge de 7 ans.
C. Présence d’un certain degré de gêne fonctionnelle lié aux symptômes dans deux ou plus de
deux types d’environnement (par exemple école, travail, maison).
D. On doit mettre clairement en évidence une altération cliniquement significative du
fonctionnement social ou scolaire.
E. Les symptômes ne surviennent pas exclusivement au cours du trouble envahissant du
développement, d’une schizophrénie ou d’un autre trouble psychotique, et ils ne sont pas mieux
expliqués par un autre trouble mental (trouble thymique, trouble anxieux, trouble dissociatif ou
trouble de la personnalité).
PICCHIETTI M.A., PICCHIETTI D.L. : «Restless Legs Syndrome
février 2010
page 82
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