Médecine
& enfance
CHRONIQUE
octobre 2009
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Tout le monde a constaté que les
pédopsychiatres parlent moins
d’autisme et plus fréquemment
de trouble envahissant du développe-
ment, notamment en ce qui concerne
les jeunes enfants, suivant en cela la mi-
se à jour des classifications nationales
(CFTMEA-R), américaines (DSM IV) et
internationales (CIM 10).
Le trouble envahissant du développe-
ment (TED) est une tête de chapitre au
sein duquel on retrouve :
l’autisme infantile précoce dit de
Kanner ;
le syndrome d’Asperger ;
le désordre désintégratif de l’enfance ;
le syndrome de Rett ;
les troubles envahissants non spécifiés.
Evoquer un TED est à la fois plus vaste
et moins sujet à discussion que l’emploi
du terme autisme, davantage marqué
pour les parents d’un pronostic sombre ;
pour éviter le terme autisme, on parle
également de spectre autistique.
Ce TED fait référence au caractère exten-
sif, précoce et durable des anomalies
dans plusieurs domaines du développe-
ment : anomalies de la communication
verbale ; déficit des interactions sociales ;
anomalies dans le comportement (re-
trait, activités répétitives, stéréotypies).
Chacun de ces éléments ne pouvant suf-
fire à poser le diagnostic, les trois asso-
ciés étant nécessaires, cette triade définit
le TED de manière globale.
Le diagnostic ne peut être confirmé que
par des bilans complémentaires (ADOS,
ADI…) effectués par des équipes multi-
disciplinaires, généralement dans un
CRA (centre de ressource autisme ; il en
existe à peu près dans chaque départe-
ment). On dit qu’il s’agit d’une patholo-
gie neurodéveloppementale.
On est bien loin des théories du psycho-
logue américain Bruno Bettelheim, qui,
à travers un livre qui fut un succès de li-
brairie (La forteresse vide) et des docu-
mentaires télévisés sur l’école orthogé-
nique de Chicago (qui eurent aussi une
audience immense) prônait une causali-
té psychopathologique à ce que cet au-
teur appelait autisme.
Régulièrement, dans la presse quoti-
dienne, à la télévision ou à la radio, des
spécialistes s’opposent sur l’origine, la
causalité et les aménagements ou traite-
ments à apporter aux enfants porteurs
d’autisme. Voici en quoi consiste la que-
relle :
certains pensent que l’autisme est un
handicap d’origine organique que l’on
porte toute sa vie, qui nécessite des me-
sures de stimulation et d’assistance et
qui ne relève pas de la pédopsychiatrie,
et que la France a des années de retard
dans la prise en charge des autistes com-
parativement à tous les pays civilisés ;
d’autres estiment que l’autisme est à
son origine une maladie multifactoriel-
le, comportant des éléments développe-
mentaux et une prédisposition. Pour
eux, une prise en charge multidiscipli-
naire est nécessaire, incluant, à côté des
suivis instrumentaux, une guidance pa-
rentale et des soins psychothérapiques,
voire médicamenteux ;
d’autres, moins nombreux, demeu-
rent les tenants d’une pathogénie exclu-
sivement psychogène et préconisent des
soins purement psychothérapiques.
Récemment, la notion de psychose in-
fantile, chère aux cliniciens français
mais difficile à situer dans le DSM, s’est
vue découpée, et on parle plus volon-
tiers aujourd’hui de schizophrénie très
précoce (STP), suivant en cela le VEOS
(very early onset schizophrenia) ou le
COS (childhood onset schizophrenia)
d’Outre-Atlantique, pour qualifier cer-
taines psychoses infantiles et les diffé-
rencier de l’autisme.
Il est difficile pour un non initié de se
retrouver dans ces syndromes et ces
querelles. Trois éléments paraissent im-
portants à discuter :
l’américanisation de notre pédopsy-
chiatrie ;
comment se pose le problème dans la
pratique ;
ce qu’il faut retenir pour un non initié
Le trouble envahissant des
pédiatres et des pédopsychiatres
M. Boublil, service de pédopsychiatrie, centre
hospitalier d’Antibes
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qui voudrait dépassionner le débat et
surtout sa pratique.
LE TROUBLE ENVAHISSANT
DU DÉVELOPPEMENT
OU « PERVASIVE
DEVELOPMENTAL
DISORDER »
Si l’on parle autant de « trouble », c’est
que l’on a choisi de traduire « disorder »
ainsi. « Disorder » est un trouble au sens
large, comme troubles rénaux ou intes-
tinaux, et a un sens moins précis que
« maladie », d’où l’explosion du terme
trouble dans les diagnostics actuels en
psychiatrie.
« Pervasive » (adjectif) veut dire péné-
trant, envahissant, omniprésent et vient
de « to pervade » : se répandre dans,
s’étendre dans, pénétrer dans, envahir.
Il n’y a en théorie rien à dire, sauf que
envahissant du développement n’est pas
français, car envahir est un verbe transi-
tif, et soit on envahit quelque chose, soit
on est envahi par, mais envahi du
n’existe pas.
Ce n’est pas seulement un problème de
grammaire, et les pédopsychiatres, bien
qu’ayant eu comme nombre de jeunes
médecins un bac S, ne sont quand mê-
me pas ignares en français au point de
ne pas comprendre la transitivité.
C’est un problème sémantique car :
soit c’est un trouble envahissant le
développement, c’est-à-dire que le pro-
blème psychologique retentit sur le dé-
veloppement et que le trouble initial est
pédopsychiatrique ;
soit c’est le psychisme qui est envahi
par un trouble du développement, ce
qui signifie l’inverse : ce sont les pro-
blèmes de développement qui retentis-
sent sur le psychisme.
Ce sont donc deux sens opposés. Pour
ne pas conclure, le traducteur a opté
pour une traduction incorrecte gram-
maticalement qui laisse le sens en sus-
pens.
DANS LA PRATIQUE
Quand on rencontre un jeune enfant
sans langage, par exemple, la question
de savoir s’il s’agit d’un problème de dé-
veloppement retentissant sur la com-
munication ou l’inverse est souvent in-
soluble et dépend de la théorie à laquel-
le adhère le praticien.
En effet, si l’enfant n’a pas de langage, il
a du mal à communiquer, il peut se ren-
fermer sur lui-même, se sentir infériori-
sé, avoir une mauvaise estime de lui, et
avoir tendance à régresser vers un mo-
de de communication archaïque ou cor-
porel dans lequel il va se sentir plus en
sécurité que dans un langage non maî-
trisé.
Sa non-maîtrise du monde matériel, re-
lationnel et interne psychoaffectif par le
langage va altérer sa communication
avec les autres, jusqu’à le rendre intolé-
rant ou agressif, instable ou violent
dans des situations d’incompréhension
extrêmes.
Les choses seront plus simples pour cet
enfant avec ses parents, notamment
avec sa mère, avec qui il ne sera pas
obligé de parler pour communiquer, ce
pourquoi les parents disent que « tout
va bien ». A l’extérieur, à l’école avec la
maîtresse et les camarades, ça se gâtera,
car la communication sera impossible
ou distordue.
Le médecin peut se tourner alors vers
des éléments du CHAT (checklist for au-
tism in toddler, le « toddler » étant l’en-
fant qui marche à peine, pour le diffé-
rencier du « baby » et du « child »). Ce
petit test a une bonne validité chez les
jeunes enfants pour dépister l’autisme.
Il comporte cinq items :
échange-t-il par le regard ?
empile-t-il trois cubes sur ordre ?
a-t-il un jeu symbolique (à différen-
cier du jeu manipulatoire, thématique
ou imitatif) ?
a-t-il une attention conjointe quand
on lui montre quelque chose ?
a-t-il le pointer protodéclaratif (re-
garde le chien !), qui est différent du
pointer déictique (je veux du pain !) ?
Si ces cinq points sont négatifs, alors il y
a une forte suspicion d’autisme.
Mais, là aussi, des enfants déficients in-
tellectuels légers ou dysphasiques peu-
vent présenter un faux positif.
Dans un monde où tout vacille, les mé-
decins expérimentés sont en proie au
doute diagnostique et un trouble les en-
vahit : faut-il conserver des repères is-
sus d’une logique qui permet le dia-
logue et les échanges avec les familles,
ou bien doit-on céder à ce qui nous est
demandé : un minimum consensuel qui
nous amène à renier non seulement la
finesse de la clinique, qui pendant des
siècles a constitué le cœur de notre mé-
tier, mais aussi à adhérer sous la mena-
ce de passer pour des ignares au modè-
le, au langage et aux conceptions d’une
pensée qui se veut scientifique mais
n’est qu’hégémonique.
Sur un plan pratique, ne pas négliger,
évaluer, mettre en place un suivi devant
un enfant dont le langage ne se déve-
loppe pas (premier signe de ce type de
pathologie) est une démarche de bon
sens, car notre métier est avant tout fait
de prévention et de soin.
Bibliographie
Diagnostic and statistical manual of mental disorders (DSM IV),
publié par l’Association américaine de psychiatrie.
Classification statistique internationale des maladies et des pro-
blèmes de santé connexes (CIM 10),
publié par l’OMS (ICD en
anglais)
Classification française des troubles mentaux de l’enfant et de
l’adolescent (CFTMEA),
sous la direction du Pr Roger Misès.
medecine-et-enfance.net
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consultables en ligne à l’exception de ceux des quatre derniers numéros.
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