Médecine & enfance Le trouble envahissant des pédiatres et des pédopsychiatres CHRONIQUE M. Boublil, service de pédopsychiatrie, centre hospitalier d’Antibes out le monde a constaté que les pédopsychiatres parlent moins d’autisme et plus fréquemment de trouble envahissant du développement, notamment en ce qui concerne les jeunes enfants, suivant en cela la mise à jour des classifications nationales (CFTMEA-R), américaines (DSM IV) et internationales (CIM 10). Le trouble envahissant du développement (TED) est une tête de chapitre au sein duquel on retrouve : 첸 l’autisme infantile précoce dit de Kanner ; 첸 le syndrome d’Asperger ; 첸 le désordre désintégratif de l’enfance ; 첸 le syndrome de Rett ; 첸 les troubles envahissants non spécifiés. Evoquer un TED est à la fois plus vaste et moins sujet à discussion que l’emploi du terme autisme, davantage marqué pour les parents d’un pronostic sombre ; pour éviter le terme autisme, on parle également de spectre autistique. Ce TED fait référence au caractère extensif, précoce et durable des anomalies dans plusieurs domaines du développement : anomalies de la communication verbale ; déficit des interactions sociales ; anomalies dans le comportement (retrait, activités répétitives, stéréotypies). Chacun de ces éléments ne pouvant suffire à poser le diagnostic, les trois associés étant nécessaires, cette triade définit le TED de manière globale. Le diagnostic ne peut être confirmé que par des bilans complémentaires (ADOS, ADI…) effectués par des équipes multidisciplinaires, généralement dans un CRA (centre de ressource autisme ; il en existe à peu près dans chaque département). On dit qu’il s’agit d’une pathologie neurodéveloppementale. On est bien loin des théories du psychologue américain Bruno Bettelheim, qui, à travers un livre qui fut un succès de librairie (La forteresse vide) et des documentaires télévisés sur l’école orthogénique de Chicago (qui eurent aussi une audience immense) prônait une causali- T octobre 2009 page 410 té psychopathologique à ce que cet auteur appelait autisme. Régulièrement, dans la presse quotidienne, à la télévision ou à la radio, des spécialistes s’opposent sur l’origine, la causalité et les aménagements ou traitements à apporter aux enfants porteurs d’autisme. Voici en quoi consiste la querelle : 첸 certains pensent que l’autisme est un handicap d’origine organique que l’on porte toute sa vie, qui nécessite des mesures de stimulation et d’assistance et qui ne relève pas de la pédopsychiatrie, et que la France a des années de retard dans la prise en charge des autistes comparativement à tous les pays civilisés ; 첸 d’autres estiment que l’autisme est à son origine une maladie multifactorielle, comportant des éléments développementaux et une prédisposition. Pour eux, une prise en charge multidisciplinaire est nécessaire, incluant, à côté des suivis instrumentaux, une guidance parentale et des soins psychothérapiques, voire médicamenteux ; 첸 d’autres, moins nombreux, demeurent les tenants d’une pathogénie exclusivement psychogène et préconisent des soins purement psychothérapiques. Récemment, la notion de psychose infantile, chère aux cliniciens français mais difficile à situer dans le DSM, s’est vue découpée, et on parle plus volontiers aujourd’hui de schizophrénie très précoce (STP), suivant en cela le VEOS (very early onset schizophrenia) ou le COS (childhood onset schizophrenia) d’Outre-Atlantique, pour qualifier certaines psychoses infantiles et les différencier de l’autisme. Il est difficile pour un non initié de se retrouver dans ces syndromes et ces querelles. Trois éléments paraissent importants à discuter : 첸 l’américanisation de notre pédopsychiatrie ; 첸 comment se pose le problème dans la pratique ; 첸 ce qu’il faut retenir pour un non initié Médecine & enfance qui voudrait dépassionner le débat et surtout sa pratique. LE TROUBLE ENVAHISSANT DU DÉVELOPPEMENT OU « PERVASIVE DEVELOPMENTAL DISORDER » Si l’on parle autant de « trouble », c’est que l’on a choisi de traduire « disorder » ainsi. « Disorder » est un trouble au sens large, comme troubles rénaux ou intestinaux, et a un sens moins précis que « maladie », d’où l’explosion du terme trouble dans les diagnostics actuels en psychiatrie. « Pervasive » (adjectif) veut dire pénétrant, envahissant, omniprésent et vient de « to pervade » : se répandre dans, s’étendre dans, pénétrer dans, envahir. Il n’y a en théorie rien à dire, sauf que envahissant du développement n’est pas français, car envahir est un verbe transitif, et soit on envahit quelque chose, soit on est envahi par, mais envahi du n’existe pas. Ce n’est pas seulement un problème de grammaire, et les pédopsychiatres, bien qu’ayant eu comme nombre de jeunes médecins un bac S, ne sont quand même pas ignares en français au point de ne pas comprendre la transitivité. C’est un problème sémantique car : 첸 soit c’est un trouble envahissant le développement, c’est-à-dire que le problème psychologique retentit sur le développement et que le trouble initial est pédopsychiatrique ; 첸 soit c’est le psychisme qui est envahi par un trouble du développement, ce qui signifie l’inverse : ce sont les problèmes de développement qui retentissent sur le psychisme. Ce sont donc deux sens opposés. Pour ne pas conclure, le traducteur a opté pour une traduction incorrecte grammaticalement qui laisse le sens en suspens. DANS LA PRATIQUE Quand on rencontre un jeune enfant sans langage, par exemple, la question de savoir s’il s’agit d’un problème de développement retentissant sur la communication ou l’inverse est souvent insoluble et dépend de la théorie à laquelle adhère le praticien. En effet, si l’enfant n’a pas de langage, il a du mal à communiquer, il peut se renfermer sur lui-même, se sentir infériorisé, avoir une mauvaise estime de lui, et avoir tendance à régresser vers un mode de communication archaïque ou corporel dans lequel il va se sentir plus en sécurité que dans un langage non maîtrisé. Sa non-maîtrise du monde matériel, relationnel et interne psychoaffectif par le langage va altérer sa communication avec les autres, jusqu’à le rendre intolérant ou agressif, instable ou violent dans des situations d’incompréhension extrêmes. Les choses seront plus simples pour cet enfant avec ses parents, notamment avec sa mère, avec qui il ne sera pas obligé de parler pour communiquer, ce pourquoi les parents disent que « tout va bien ». A l’extérieur, à l’école avec la maîtresse et les camarades, ça se gâtera, car la communication sera impossible ou distordue. Le médecin peut se tourner alors vers des éléments du CHAT (checklist for autism in toddler, le « toddler » étant l’enfant qui marche à peine, pour le différencier du « baby » et du « child »). Ce petit test a une bonne validité chez les jeunes enfants pour dépister l’autisme. Il comporte cinq items : 첸 échange-t-il par le regard ? 첸 empile-t-il trois cubes sur ordre ? 첸 a-t-il un jeu symbolique (à différencier du jeu manipulatoire, thématique ou imitatif) ? 첸 a-t-il une attention conjointe quand on lui montre quelque chose ? 첸 a-t-il le pointer protodéclaratif (regarde le chien !), qui est différent du pointer déictique (je veux du pain !) ? Si ces cinq points sont négatifs, alors il y a une forte suspicion d’autisme. Mais, là aussi, des enfants déficients intellectuels légers ou dysphasiques peuvent présenter un faux positif. Dans un monde où tout vacille, les médecins expérimentés sont en proie au doute diagnostique et un trouble les envahit : faut-il conserver des repères issus d’une logique qui permet le dialogue et les échanges avec les familles, ou bien doit-on céder à ce qui nous est demandé : un minimum consensuel qui nous amène à renier non seulement la finesse de la clinique, qui pendant des siècles a constitué le cœur de notre métier, mais aussi à adhérer sous la menace de passer pour des ignares au modèle, au langage et aux conceptions d’une pensée qui se veut scientifique mais n’est qu’hégémonique. Sur un plan pratique, ne pas négliger, évaluer, mettre en place un suivi devant un enfant dont le langage ne se développe pas (premier signe de ce type de pathologie) est une démarche de bon sens, car notre métier est avant tout fait de prévention et de soin. 첸 Bibliographie Diagnostic and statistical manual of mental disorders (DSM IV), publié par l’Association américaine de psychiatrie. Classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes (CIM 10), publié par l’OMS (ICD en anglais) Classification française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent (CFTMEA), sous la direction du Pr Roger Misès. medecine-et-enfance.net Le site de Médecine et enfance est libre d’accès. Tous les articles parus depuis 1999 sont consultables en ligne à l’exception de ceux des quatre derniers numéros. octobre 2009 page 411