La crise du capitalisme européen
La crise de l’euro fait penser à une interminable agonie. Les « sommets décisifs » se
succèdent, chacun proclamant la fin de la crise. Chaque fois, les marchés boursiers se
relèvent pendant quelques heures, au mieux quelques jours, avant de rechuter. Les bourses
européennes ressemblent à un thermomètre enregistrant l’évolution d’un malade en phase
terminale.
Cette turbulence des marchés est un reflet exact de l’humeur de la bourgeoisie, qui se
caractérise par une nervosité extrême. C’est aussi une expression de la gravité sans
précédent de la crise actuelle. La bourgeoisie est à la dérive dans des eaux inconnues, sans
carte ni boussole.
L’avenir de l’euro
Nous ne devons jamais perdre de vue le fait que les deux grands obstacles à la croissance
économique, sous le capitalisme, sont la propriété privée des moyens de production et les
Etats-nation.
La création de l’Union Européenne était une tentative, de la part de la bourgeoisie
européenne (principalement française et allemande), de dépasser les limites des Etats-
nation en créant un marché commun. L’introduction d’une monnaie unique devait
constituer un pas important dans cette direction.
Cependant, comme nous l’avons déjà expliqué, sur la base du capitalisme, la tentative de
créer un accord monétaire rigide s’appliquant à des économies différentes – comme
l’Allemagne et la Grèce – était vouée à l’échec. Cela pouvait fonctionner tant que durait la
croissance économique, mais la récession a fait ressurgir tous les antagonismes nationaux.
L’intégration de l’UE a atteint ses limites. L’euro – et l’UE elle-même – risque de
s’effondrer.
L’euro n’est pas la cause de la crise du capitalisme, mais il a énormément aggravé les
problèmes, particulièrement ceux des économies les plus faibles, comme la Grèce et l’Italie.
Par le passé, les bourgeoisies grecque et italienne pouvaient résoudre partiellement leurs
problèmes en dévaluant leur monnaie nationale. À présent, elles n’ont plus cette option. La
seule alternative est ce qu’elles appellent une « dévaluation interne ». Comme les
marchandises ne peuvent plus gagner en compétitivité à travers une dévaluation de la
monnaie, les capitalistes doivent diminuer les salaires, ceux du secteur public comme ceux
du secteur privé. Cela se traduit par un régime d’austérité et d’attaques permanentes
contre le niveau de vie des masses.
Quoi que les dirigeants européens fassent, à présent, ce sera une erreur. S’ils essayent de
consolider l’euro, ce sera une charge intolérable pour les ressources financières de l’UE.
Cela se traduira par des années et des décennies de coupes budgétaires et d’austérité. La
lutte des classes s’intensifiera en conséquence. Mais si l’euro s’effondre, ce sera une
catastrophe économique qui plongera toute l’Europe – et pas seulement la zone euro –
dans une crise encore plus profonde.
Ce dilemme provoque des divisions et des tensions entre les différentes bourgeoisies
nationales, en particulier entre la France et l’Allemagne. François Hollande a remporté les
élections présidentielles et parlementaires. Il sera sous pression pour mener à bien au
moins quelques-unes des réformes annoncées au cours de sa campagne électorale. Mais il a
aussi promis de très vite ramener le déficit public à 3 %. Or ces deux objectifs s’excluent
mutuellement.
Angela Merkel exige la pleine application des plans d’austérité et des coupes budgétaires.
La bourgeoisie allemande demande une discipline et un équilibre des budgets. Hollande
demande des mesures pour la croissance, Merkel exige des coupes. Plus précisément, la
classe dirigeante française veut que la classe dirigeante allemande paye pour stimuler
l’économie des autres pays européens, tandis que la classe dirigeante allemande veut que
les dirigeants des autres pays capitalistes fassent payer la crise à leurs travailleurs.
Comment peuvent-ils se mettre d’accord ? De fait, il y a une scission ouverte au sein de
l’UE.
Le pessimisme de la classe dirigeante est bien exprimé dans un article Larry Elliot,
journaliste au Guardian, lors du dernier sommet du G20 : « Il serait naïf d’imaginer que le
G20 prépare un plan pour la croissance mondiale ou que la crise de la zone euro sera bientôt
terminée. Les banques centrales sont en alerte maximale pour faire face aux conséquences
des élections grecques. Pourquoi ? Parce qu’en ce moment, l’économie mondiale est
constituée de nations qui sont soit en récession, soit sur le point d’entrer en récession, soit
enfin en train de rapidement décélérer. Pour le moment, il n’y a pas de bons résultats
économiques, seulement des mauvais – et même très mauvais ». (The Guardian, 17 juin 2012)
La question de la dette
L’expression la plus évidente de la crise est la dette publique. Cependant, ce n’est pas la
cause de la crise, mais seulement un symptôme de la maladie du capitalisme. La dette
publique et, surtout, les déficits budgétaires ont massivement augmenté suite au
« sauvetage » des banques et à la récession économique elle-même (qui diminue les recettes
fiscales, tandis qu’elle augmente les dépenses sociales du type allocations chômage, etc.).
Dans chaque phase d’expansion capitaliste, il y a un élément de spéculation qui ne se révèle
pleinement qu’au début de la crise. La seule différence avec cette crise, c’est l’ampleur
colossale de la spéculation. Au cours des trente dernières années, la bourgeoisie a tenté
d’éviter la crise au moyen d’une expansion sans précédent du crédit. En particulier, la
bourgeoisie des États-Unis s’est engagée dans une véritable orgie spéculative basée sur une
énorme expansion du crédit à faible taux d’intérêt. Cela fut activement promu par Alan
Greenspan et la Réserve Fédérale, à l’époque.
Marx expliquait que le crédit, sous le capitalisme, permet de repousser les limites du
marché. Une crise de surproduction peut être retardée pendant un temps en augmentant
artificiellement la demande à travers le crédit à la consommation. Les banques ont
participé activement à cette orgie en accordant des crédits à des personnes non solvables.
C’était la base de la bulle immobilière aux États-Unis et dans d’autres pays.
Le même phénomène s’est produit en Europe, particulièrement en Irlande, en Islande et en
Espagne. Mais dans tous les pays, les banques ont participé de façon active et enthousiaste
à cette grande escroquerie. Tant que la spirale économique était ascendante, tous étaient
contents. Le crédit était facile et les gains importants. Mais la limite a fini par être atteinte
et la structure précaire a commencé à s’effondrer.
Le résultat fut la crise bancaire de 2008. La tentative de sauver le système bancaire en
injectant d’énormes quantités d’argent est l’un des premiers facteurs qui explique la
récente augmentation massive des dettes publiques. À présent, ils demandent à la classe
ouvrière de payer l’addition. Tous les facteurs qui se combinaient pour stimuler léconomie
mondiale se combinent désormais pour la pousser dans une spirale descendante
incontrôlable. La bourgeoisie est confrontée aux conséquences de ses excès antérieurs. Le
résultat en est une montagne de dettes accumulées, publiques et privées. La question est :
qui payera ? C’est la même question qui se posait en France en 1789 – et, comme alors, la
réponse aura des implications révolutionnaires.
Marx expliquait que lorsque la crise explose, le crédit s’épuise, l’investissement productif
chute, les usines ferment et les travailleurs sont licenciés. La bourgeoisie exige à présent le
paiement de toutes les dettes. Les prêteurs sont impitoyables, n’acceptent plus de retard.
Ils veulent du cash – et c’est ce qu’ils exigent des États, des entreprises et des particuliers.
L’Allemagne et l’euro
L’euro fut surtout promu par la classe dirigeante allemande. La réunification de
l’Allemagne donna un nouveau souffle à de vieilles ambitions. Bien qu’en théorie la France
et l’Allemagne soient des associées à parts égales, nous savons bien que c’est l’Allemagne
qui dirige. La bourgeoisie allemande tient entre ses mains une puissante économie basée
sur une industrie forte. La Bundesbank tient les rênes de l’Europe.
Pendant la phase de croissance, les niveaux de vie se sont généralement élevés en Europe,
mais ce fut un processus très inégal. Même alors, la bourgeoisie exerçait une pression
féroce sur les travailleurs pour accroître leur productivité, pour qu’ils travaillent plus
durement et plus longuement. Il y a eu un processus de précarisation, le remplacement
d’emplois à temps plein par des contrats à temps partiel, avec des salaires plus bas et de
plus mauvaises conditions. Les travailleurs s’en sortaient en faisant des heures
supplémentaires, mais aussi du fait de la baisse des prix des biens de consommation
(notamment des importations chinoises) et, surtout, du fait de lexpansion fulgurante du
crédit.
Le capitalisme allemand, fortement dépendant de l’exportation de ses produits industriels,
a exploité sans pitié les travailleurs pour en extraire la dernière goutte de plus-value. Entre
1998 et 2008, les coûts de travail ont augmenté de 30 % en Italie, de 35 % en Espagne, de
42 % en Grèce, mais seulement de 7 % en Allemagne. Les salaires réels allemands ont
baissé ; la productivité et les exportations ont augmenté. Mais quelqu’un devait importer
ce que l’Allemagne exportait.
La création de l’euro a donc bénéficié au capitalisme allemand. Il leur apportait un grand
marché pour ses exportations (60 % se font au sein de l’UE), qui sont devenues hautement
compétitives grâce à la baisse des salaires et à l’application de la technologie la plus
moderne. L’Allemagne a fait pression sur d’autres pays pour qu’ils contractent des crédits
et, ainsi, achètent des marchandises allemandes. L’argent prêté à la Grèce et aux autres
pays fut utilisé – notamment – pour acheter des biens allemands, à une échelle massive.
À présent, la bourgeoisie allemande se plaint d’avoir été trompée. Elle dit que les Grecs ont
falsifié leurs comptes publics pour entrer dans la zone euro. Il est fort probable que ce soit
vrai. Mais est-ce que la bourgeoisie allemande ignore la plus simple arithmétique ? Elle ne
sait pas compter ? Ne dispose-t-elle pas de spécialistes compétents en matière de finances
publiques ? Bien sûr que si. Mais en 2001, ils ne cherchaient pas à examiner de façon trop
détaillée les comptes publics grecs, exactement comme les banques américaines, espagnoles
et irlandaises prêtaient beaucoup d’argent à des familles qui avaient peu ou pas de
revenus.
Si l’Allemagne exporte et prête, d’autres pays européens doivent importer et emprunter.
Cette relation débiteurs-prêteur fonctionnait très bien tant que l’économie avançait. Mais
la crise de 2008 a cruellement révélé la réalité de la situation. L’heure de vérité a sonné.
Mais quand la facture a été présentée, il n’y avait pas d’argent pour la payer.
Le maillon le plus faible
Toute chaîne se rompt à son maillon le plus faible. La Grèce est le maillon le plus faible de
la chaîne du capitalisme européen. C’est l’homme malade de l’Europe. Mais il y a de
nombreux malades dans cet hôpital. Certains sont déjà en soins intensifs (Grèce, Irlande,
Portugal). D’autres sont pratiquement dans le même état (Espagne et Italie). La France et
la Belgique ne sont pas très loin. Les autres sont dans la salle d’attente. Mais en fin de
compte, tous tomberont malades.
L’idée qu’il serait possible pour des pays comme l’Allemagne, la Finlande et l’Autriche de
ne pas être contaminés par la crise européenne – cette idée est un mensonge. L’Europe s’est
formée comme un marché unique avec un fort degré d’intégration économique. Le destin
de chaque pays affecte gravement le destin de tous. C’est vrai même des plus petits pays,
comme la Grèce.
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