DOSSIER ACR 2009 Polyarthrite rhumatoïde Stratégies thérapeutiques Therapeutic strategies Bruno Fautrel*, Corinne Miceli-Richard** Bénéfice à attendre des prises en charge “dynamiques” de la PR “Contrôle serré” Le concept de “contrôle serré” (tight control) repose sur une gestion des traitements adaptée à l’activité de la PR. En fait, cela regroupe plusieurs réalités en pratique, ce qui a conduit des auteurs néerlandais à faire une revue systématique de la littérature publiée depuis 1995, date à laquelle cette notion est apparue (“It’s time to aim remission”, avait dit P. Emery cette année-là) [Schipper, abstract 1621]. Au total, 6 essais contrôlés et randomisés comparant un “contrôle serré” à une stratégie de prise en charge usuelle ont été examinés et leurs données “poolées” dans le cadre d’une méta-analyse en 2 parties. La première a concerné 3 essais dans lesquels un “contrôle serré” avait été mis en place dans l’un des bras sans être associé à la définition précise des enchaînements thérapeutiques en cas de réponse inadéquate (­c’est-à-dire d’objectif thérapeutique non atteint). L’analyse “poolée” a alors révélé une différence pondérée significative de 0,2 point en termes de variation du DAS28 entre la stratégie “contrôle serré” et la stratégie “traitement usuel”, ce qui est globalement faible. En revanche, les 3 essais combinant “contrôle serré” et schéma d’escalade thérapeutique prédéfini, tous positifs, mettaient en évidence une réduction significative du DAS de 1 point (différence pondérée) par rapport à la stratégie “traitement usuel” (figure 1). Recommandations de l’EULAR Hors des essais thérapeutiques, l’application des stratégies dynamiques de prise en charge de la PR telles que recommandées par l’EULAR (ainsi que par l’HAS) apporte-t-elle un bénéfice perceptible pour le patient ? À partir des informations recueillies dans le cadre de la cohorte ESPOIR (Escalas, abstract 1002), il a * Université Paris VI – Pierre-et-MarieCurie, faculté de médecine, Paris ; service de rhumatologie, GH PitiéSalpêtrière, AP-HP, Paris. ** Université Paris-XI, faculté de médecine, Le Kremlin-Bicêtre ; service de rhumatologie, hôpital Bicêtre, AP-HP, Le Kremlin-Bicêtre. Figure 1. Méta-analyse comparant différentes stratégies de “contrôle serré” de la PR à une prise en charge usuelle. 28 | La Lettre du Rhumatologue • No 358 - janvier 2010 Points forts »» L’application des recommandations de l’EULAR chez les patients de la cohorte ESPOIR est associée à une moindre progression à la fois des limitations fonctionnelles et des dégâts structuraux. »» Chez les patients en réponse inadéquate au méthotrexate, l’emploi de l’étanercept en association avec le MTX est significativement plus efficace que son introduction en remplacement du MTX. Dans les PR établies, il est possible d’arrêter l’infliximab de façon durable chez près de 1 patient sur 2. »» Les taux de MTX-polyglutamate (MTXPG) dans les globules rouges sont corrélés à la réponse au traitement et pourraient permettre d’identifier les patients sous-dosés en MTX. Des marqueurs pharmacogénomiques pourraient permettre d’identifier les patients répondeurs au tocilizumab d’une part et les patients à risque d’intolérance d’autre part. été possible de définir l’adéquation entre la prise en charge observée et celle recommandée par l’EULAR (résumée en 3 points : instauration précoce d’un traitement de fond, utilisation préférentielle du méthotrexate [MTX] en tant que traitement d’ancrage, adaptation régulière des traitements pour obtenir une rémission). L’analyse a été faite en calculant un score de propension pour tenir compte du fait que les patients traités selon les recommandations n’étaient pas comparables à ceux ayant été pris en charge de façon différente. Chacun des 3 points des recommandations a été appliqué chez 52 à 78 % des patients de la cohorte ESPOIR ; ils étaient tous les 3 appliqués chez seulement 23 % d’entre eux (cela était attendu dans la mesure où les recommandations ont été produites après la période d’inclusion d’ESPOIR). Le fait de ne pas avoir eu une prise en charge conforme aux recommandations était associé à un risque significatif, multiplié par 2, de progresser sur le plan radiographique (progression du score de Sharp [SHS] modifié par Van der Heijde d’au moins 1 point). Une même tendance était observée avec la progression des limitations fonctionnelles (score de HAQ > 1 à 2 ans). taux de maintien thérapeutique. À 2 ans, même si les sorties d’études pour inefficacité étaient significativement plus nombreuses avec la triple association conventionnelle et le taux de répondeurs numériquement plus important sous anti-TNF, la différence n’était plus significative (Van Vollenhoven, abstract 1010). Cependant, la progression structurale sur les radiographies était significativement moindre dans le bras anti-TNF, tant en ce qui concerne la variation moyenne du score de Sharp que le pourcentage de patients progresseurs (figure 2) [Van Vollenhoven, late breaking 6]. Un autre essai (TEAR) randomisé et contrôlé, en aveugle celui-là, explorait la même question que SWEFOT (Moreland, abstract 1895) : 755 patients atteints de PR récente ayant en moyenne 4 mois d’évolution ont été inclus au travers de plus de Mots-clés Polyarthrite rhumatoïde Thérapeutiques Stratégies Combinaisons thérapeutiques Biothérapie Keywords Rheumatoid arthritis Therapeutic strategies DMARD combination Biologics Quelle place pour les associations de traitements de fond conventionnels ? L’arrivée des biothérapies a quelque peu éclipsé les associations de traitements de fond conventionnels, alors même que l’on sait que ces associations sont efficaces : dans l’étude BeSt, l’un des bras reposant sur une trithérapie (+ corticoïdes) de type COBRA s’est révélé presque aussi efficace que la stratégie anti-TNF d’emblée. L’étude SWEFOT est un essai ouvert randomisé contrôlé comparant l’efficacité et la tolérance de la triple association MTX + sulfasalasine (SSZ) + hydroxychloroquine (HCQ) et celles de l’association MTX + infliximab (IFX) chez 258 patients atteints de PR récente en réponse inadéquate après 4 mois de MTX en monothérapie. Les résultats à 1 an, récemment publiés, montrent un taux significativement plus important de réponse EULAR ou ACR sous MTX + IFX que avec la triple thérapie conventionnelle, et globalement un meilleur Figure 2. Progression structurale à 2 ans dans l’étude SWEFOT. La Lettre du Rhumatologue • No 358 - janvier 2010 | 29 DOSSIER ACR 2009 Polyarthrite rhumatoïde 20 centres aux États-Unis. La plupart des patients étaient naïfs de tout traitement de fond, 41 % recevaient cependant une corticothérapie à faible dose. Les participants étaient randomisés en 4 bras selon un plan factoriel : MTX + étanercept (ETN) versus MTX + SSZ + HCQ, association d’emblée versus différée à 24 semaines en cas de réponse inadéquate au MTX. Si les associations d’emblée semblaient plus rapidement efficaces sur la PR que la stratégie différée, il n’existait pas de différence significative à 1 et 2 ans en termes de réponses DAS ou ACR chez les patients arrivés au terme de l’étude (mais l’analyse en intention de traiter n’a pas été montrée et un nombre important de patients [40 %] n’ont pas terminé l’étude !). D’une manière générale, ces 2 essais tendent à rappeler que les triples associations de traitements de fond conventionnels ont une efficacité réelle chez les patients en réponse inadéquate au MTX. À défaut de constituer une option de choix, elles peuvent représenter un recours efficace lorsque les biothérapies ne peuvent être prescrites (problèmes de contreindication ou problèmes financiers). Étanercept : seul ou en association au MTX en cas de réponse inadéquate au MTX ? L’essai JESMR apporte enfin une réponse à cette question très pratique (Kameda, abstract 2011) ; 151 patients atteints de PR établie, évoluant depuis en moyenne 10 ans et en réponse inadéquate au MTX ont été randomisés dans un bras ETN en monothérapie ou dans un bras MTX + ETN. À 1 an, les réponses ACR 20, ACR 50 et ACR 70, ainsi que les réponses ACR N étaient significativement meilleures avec MTX + ETN que avec ETN seul. Une même tendance était observée sur le plan structural, avec une moindre progression dans le bras association (figure 3). Plus que jamais, l’utilisation de l’ETN en association systématique au MTX doit être recommandée. Biothérapie dans la PR débutante : identifier les patients qui pourraient en bénéficier Les biothérapies doivent-elles être prescrites dans les PR débutantes ? D’une façon générale, la réponse est plutôt négative et la stratégie du step-up reposant sur le MTX en première intention reste la règle. Cependant, il est possible que cette attitude ne soit pas optimale chez certains patients ayant une maladie particulièrement agressive. Ces candidats aux biothérapies d’emblée pourraient être les “progresseurs radiographiques rapides” (PRR), définis par une progression rapide du score de Sharp modifiée par Van der Heijde, supérieure à 5 points sur un an (5 points correspondent à une variation perceptible cliniquement et donc pertinente pour le patient). Sans revenir en détail sur l’étude BeSt qui est désormais bien connue, cet essai de stratégie thérapeutique a testé différentes combinaisons chez près de 500 patients atteints de PR débutante. Entre 9 et 34 % des patients étaient PRR à 1 an selon le bras de traitement (Visser, abstract 1247). En analyse multivariée par régression logistique (tableau), les facteurs associés au statut PRR étaient la positivité du FR et/ou des ACPA, le Figure 3. Supériorité de l’association MTX + ETN dans l’essai JESMR. 30 | La Lettre du Rhumatologue • No 358 - janvier 2010 DOSSIER ACR 2009 caractère érosif d’emblée et l’augmentation de la CRP ; à l’opposé, les stratégies combinées (bras 3 et 4) étaient protectrices comparativement aux bras MTX initial (bras 1 et 2, respectivement stratégies successive ou additive). Les résultats de cette régression ont permis de construire une matrice de risques offrant la possibilité d’identifier d’emblée les patients PRR (figure 4). Celle-ci se présente sous un format proche du score de risque cardiovasculaire de Framingham. À partir de 3 caractéristiques initiales, il est possible de positionner un patient sur la matrice et de définir son risque d’être PRR, lequel est exprimé par un pourcentage correspondant à la probabilité d’être PRR (nombre à l’intérieur de chaque case) ou par une couleur selon l’intensité de ce risque. Il est Tableau. Facteurs prédictifs d’une progression radiographique rapide (Δ SHS > 5) dans l’étude BeSt. Données à l’inclusion Traitements RF/ACPA Érosions CRP (mg/l) Odds-ratio (IC95) Monothérapie 1 COBRA 0,2 (0,1-0,4) IFX d’emblée 0,1 (0,1-0,3) Négatifs 1 1 positif 2,5 (1,01-6,1) 2 positifs 4,0 (1,9-8,5) 0 1 1-4 1,3 (0,6-3,1) ≥4 3,8 (1,6-8,9) < 10 1 10-35 1,5 (0,7-3,2) ≥ 35 4,8 (2,3-9,7) alors possible de déduire de la table le nombre de patients à traiter (Number Needed to Treat [NNT]) pour savoir combien de patients il faut traiter par stratégie intensive (ici anti-TNF d’emblée) et pour éviter le passage en PRR d’un patient qui l’aurait été sous stratégie classique (ici MTX d’emblée). Le calcul peut s’illustrer par 2 exemples : ➤➤ cas d’un patient à risque très élevé (case en haut à gauche de la matrice) : son risque d’être PRR à 1 an est de 78 % sous stratégie classique et de 34 % sous stratégie anti-TNF. La différence de risque est donc de 44 %, soit 44 PRR évités pour 100 patients traités. Le nombre de patients à traiter pour éviter 1 PPR est donc de 100/44 (= 2,27), soit un NNT à un peu plus de 2 ; ➤➤ cas d’un patient à faible risque (case en bas à droite de la matrice) : son risque d’être PRR à 1 an est de 5 % sous stratégie classique, de 1 % sous stratégie anti-TNF. La différence de risque est donc de 4 %, soit 4 PRR évités pour 100 patients traités. Le nombre de patients à traiter pour éviter 1 patient PRR est donc de 100/4 (= 25), soit un NNT à 25. Encore préliminaire, cette matrice ne peut être utilisée en l’état, car elle doit être validée dans d’autres populations au préalable. Gestion des traitements de fond chez les patients en rémission Que faire en cas de rémission ? BeSt – encore elle ! – a apporté quelques éléments de réponse dans la PR débutante et témoigné de la possibilité Figure 4. Matrice des risques de progression rapide dans l’étude BeSt (Δ SHS > 5) exprimés en pourcentages. La Lettre du Rhumatologue • No 358 - janvier 2010 | 31 DOSSIER ACR 2009 Polyarthrite rhumatoïde d’arrêter les traitements de fond (y compris l’IFX), lorsque la rémission est atteinte (Klarenbeek, abstract 1014). En parallèle, l’étude RRR a rapporté une expérience japonaise sur l’arrêt de l’IFX chez des patients atteints de PR établie, ayant plusieurs années d’évolution (Tanaka, abstract 2012). Dans 114 cas de PR traitée par MTX + IFX et ayant atteint de façon durable (plus de 6 mois) la rémission ou un niveau de faible activité (DAS28 < 3,2), l’IFX a été arrêté. Durant l’année suivant son arrêt, 56 patients sont restés en rémission ou en faible activité sous MTX seul ; parmi eux, 46 étaient en rémission sur le DAS28. À l’opposé, 46 patients ont rechuté, ce qui a conduit à une reprise du MTX. La comparaison entre les patients restés en faible activité et ceux ayant rechuté a permis d’identifier les caractéristiques suivantes : un âge plus jeune, une moindre durée d’évolution de la PR et une atteinte structurale moins marquée sur le score de SHS. Il existait par ailleurs une relation entre le DAS28 à l’arrêt de l’IFX et le risque de rechute. La valeur médiane du DAS28, c’est-à-dire 2,2, est proposée comme seuil pour envisager l’arrêt des anti-TNF : au-delà, plus de 50 % des patients rechutent (figure 5). Prédire la réponse thérapeutique : un nouveau challenge dans la PR Méthotrexate Figure 5. Probabilité de rechute à l’arrêt de l’IFX chez des patients atteints de PR établie, en rémission sous IFX, dans l’étude RRR. L’équipe de T. Dervieux à San Diego s’est intéressée à la valeur prédictive de réponse au MTX de polymorphismes de différents gènes impliqués dans le métabolisme des folates et des bases puriques et pyrimidiques au cours de la PR (Dervieux, abstracts 398, 399, 1953). Ils ont étudié 14 polymorphismes bialléliques (Single Nucleotide Polymorphism [SNP]) de 9 gènes et recherché une interaction épistatique (effet multiplicatif) entre ces gènes pouvant moduler la réponse au MTX. La liste des gènes était la suivante : méthylène tétrahydrofolate réductase (MTHFR), Reduced Folate Carrier 1 (RFC 1), méthylène tétrahydrofolate déhydrogénase 1 (MTHFD1), méthionine synthase réductase Figure 6. Marqueurs génétiques associés à la réponse au MTX. 32 | La Lettre du Rhumatologue • No 358 - janvier 2010 DOSSIER ACR 2009 (MTR), méthionine synthase, g-glutamyl hydrolase, sérine hydroxyméthyl transférase, ITP pyrophosphatase (ITPA), AICAR ribonucléotide transformylase (ATIC), thymidylate synthase (TSER). Au total, 255 patients ont été “génotypés”. Les pourcentages de répondeurs (en bleu) ou de non-répondeurs (en orange) en fonction du portage de 0, 1 ou 2 allèles de ATIC C347G en ordonnée et du portage de 0, 1 ou 2 allèles de RFC-1 G80A en abscisse, en fonction de la présence ou non de l’allèle ITPA C94A, étaient représentés sur des diagrammes (figure 6). La combinatoire RFC-1 G80A + ITPA C94A + ATIC C347G était celle associée à une meilleure réponse avec un OR de 3,8, une sensibilité de 64,7 % et une spécificité de 67,2 %. Beaucoup de questions restent posées néanmoins, car le nombre de tests réalisés pour ce type d’approche est considérable, et les auteurs ne précisent pas s’ils ont corrigé leur significativité par le nombre de tests. Comme toujours en génétique, la réplication de ces résultats sur d’autres populations sera de mise pour les confirmer. En complément, une autre étude des mêmes auteurs a recherché une association entre réponse au MTX et dosage des polyglutamates (MTXPG) intraérythrocytaire sur 256 patients. La réponse au traitement par MTX était évaluée par EVA médecin. Les auteurs confirment l’existence d’une association entre le dosage des MTXPG intraérythrocytaires et l’efficacité du MTX (Dervieux, abstract 1619). Tocilizumab Comme pour le MTX, à la fois l’efficacité et la toxicité du tocilizumab (TCZ) semblent être influencées par des facteurs génétiques d’après une étude conduite au Japon chez 106 patients atteints de PR établie traitée par TCZ (Matsubara, abstract 2014). Dans un premier temps, l’étude de 285 548 SNP a été réalisée pour déterminer les SNP associés à la réponse au Figure 7. Marqueurs génomiques permettant d’identifier les patients répondeurs au TCZ dans une cohorte de 106 patients au Japon. traitement, définie par l’obtention d’une rémission ou d’un état de faible activité sur le CDAI. Une combinaison de 10 SNP a été identifiée. À chacun des différents allèles possibles, une valeur de – 1, 0 ou + 1 était attribuée en fonction de l’association ou non à la réponse. Les valeurs attribuées à chaque SNP étaient ensuite additionnées afin d’établir un score unique pour chaque patient. Un score total au-dessus de – 1 était prédictif d’une bonne réponse au TCZ, un score inférieur à – 1 d’un échec au TCZ. Avec cette valeur seuil, le score avait une sensibilité et une spécificité supérieures à 90 %. L’exactitude était également de 91,5 %, ce qui traduit un classement correct des patients par le score en répondeurs ou en non-répondeurs, avec 9 % de chances de se tromper (figure 7). Il est à noter qu’une combinaison de 10 autres SNP permettait d’identifier avec un même niveau de sensibilité et de spécificité les patients à risque d’intolérance au TCZ, tant clinique (infection, fièvre ou éruption cutanée) que biologique (augmentation du cholestérol total). Cette étude, réalisée sur une population japonaise génétiquement très différente de la population caucasienne, nécessite bien évidemment une réplication sur des sujets différents. ■ Abonnezvous en ligne ! Bulletin d’abonnement disponible sur www.edimark.fr La Lettre du Rhumatologue • No 358 - janvier 2010 | 33