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Le printemps de l’évaluation
des pratiques professionnelles (EPP)
● G. Mégret*
n connaît la solennité des jeudis de l’Académie
française. Ceux du Conseil national de l’Ordre des
médecins (CNOM) n’ont rien à leur envier. Force
est d’admettre que les thèmes discutés et disséqués en son sein
structurent le comportement individuel et la pratique collective
de plus de 200 000 médecins. Pour autant, durant quelques décennies troublées, la question de la justification, donc de l’existence
même de l’Ordre, a pu se trouver posée. Il semble désormais
incontestable que son ouverture sur la société et sa volonté d’aborder sans tabou toutes les questions fondamentales qui s’y posent
(contraception, procréation médicalement assistée, addictions,
démographie médicale, etc.) lui confèrent un réel rôle consultatif et souvent avisé dans les débats sociétaux.
Par ailleurs, il conserve ses fonctions quasi régaliennes de régulation, de surveillance et d’accompagnement de la profession
médicale. Le CNOM se trouvait donc en position privilégiée,
centrale, pour présenter lors d’un de ses récents “Jeudis”1, l’état
des lieux d’une procédure complexe mais fondamentale. Cela,
non seulement pour tout praticien, mais aussi pour toute structure dispensant des soins : l’évaluation des pratiques professionnelles (EPP). Chemin parcouru de la réflexion théorique à la mise
en place progressive et irréversible.
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nique’, au sens noble du terme. Elle débouche sur un bilan dont
découle la teneur d’une formation continue”. Certains feront à
juste titre remarquer que cette obligation d’une mise à jour régulière du savoir médical et des pratiques figure explicitement dans
le code de déontologie (article 11) : “Tout médecin doit entretenir et perfectionner ses connaissances…” Pour autant, d’un code
professionnel ou corporatiste à une loi de la République, il y a
sans conteste une force d’application bien supérieure dans la
seconde. Heureusement, il apparaît que, dans l’exercice quotidien (par réflexion ? par obligation de résultat ?), nombre de
médecins ont anticipé la loi en s’astreignant à une remise en cause
périodique de leurs pratiques. Alain Coulomb, directeur de la
HAS et responsable au premier chef de cette “évaluation intégrée à la pratique”, l’a parfaitement souligné : “[…] l’EPP vise
à améliorer l’ensemble des pratiques, en intégrant et en consolidant l’ensemble des dispositifs répondant déjà à cet objectif,
car beaucoup de médecins ne nous ont pas attendus pour les
mettre en place, que ce soit au niveau local ou à celui de la pratique individuelle…” Xavier Deau, président de la section formation et compétences médicales du CNOM, confirme ce point
de vue : “[…] 80 à 90 % des médecins sur le terrain se forment.
Ce qu’on leur demande aujourd’hui, c’est de le faire en
conscience et selon un protocole contrôlé…”
DE LA PRATIQUE SPONTANÉE À LA LOI
13 août 2004. Parution de la loi sur la réforme de l’Assurance-
maladie. Elle comportait, entre autres, ce volet d’EPP, à côté
d’une autre loi de santé publique destinée à officialiser la formation médicale continue (FMC). Première notion importante,
donc, cette différenciation structurelle entre EPP et FMC, même
si la finalité se veut commune : une amélioration des compétences.
15 avril 2005. Publication du décret qui va organiser cette EPP,
sous la férule de la Haute Autorité de santé (HAS), tandis que la
FMC revient au Conseil national de la FMC et à ses conseils
régionaux. Éric Rance, conseiller technique auprès du ministre
de la Santé, résume ainsi ce couple indissociable et cette interactivité : “L’EPP permet ce qu’on peut appeler le ‘contrôle tech* Journaliste médical, médecin, Paris.
1. En l’occurrence, le jeudi 23 février 2006.
La Lettre du Pneumologue - Volume IX - no 3 - mai-juin 2006
CADRE ET CONTENU DE L’EPP
Aussi peut-on s’interroger, une fois encore, sur les effets attendus d’un enième dispositif législatif, dès lors que, en la matière,
la France n’en semble pas véritablement dépourvue… Ne va-t-on
pas ainsi alimenter un binôme déjà bien vivace : complexité-confusion ? Alain Coulomb ne néglige pas ce risque en soulignant que
la complexité est croissante et consubstantielle à la profession
médicale. En conséquence, on ne peut que l’accepter mais en
adaptant, donc en évaluant au mieux les outils qui permettent de
la pratiquer et en lui reconnaissant la diversité de ses modes
d’exercice (libéral, hospitalier, généraliste, spécialiste, médecin
scolaire, du travail, etc.). Et de reconnaître – humblement – que
les organismes (en particulier la HAS) chargés de la mise en place
de l’EPP devront, eux aussi, répondre à trois exigences des médecins : “[…] que cela ne soit pas trop compliqué, que cela ne leur
prenne pas trop de temps – car le temps médical est précieux –
et que ça ne leur coûte pas trop cher !...”
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Autre sujet de préoccupation pour les médecins en passe d’être
soumis à l’EPP : que va contenir ce concept de “compétence médicale” (“leur” compétence) ou, en d’autres termes, que va-t-on évaluer chez eux, et comment ? Yves Matillon, chargé de mission
d’évaluation des compétences des professionnels de santé, part
d’une définition générique, non spécifique à la santé, qui dit que
la compétence correspond “[…] à la capacité de répondre à une
difficulté et d’agir de façon pertinente, dans une situation donnée, en s’appuyant sur des ressources, un savoir-faire, mais aussi
un savoir-être”. Difficile de ne pas y adhérer. Mais il reconnaît
que, selon le type ou le secteur d’activité médico-chirurgical, “on
ne peut décliner cette notion qu’à travers des référentiels spécifiques”.
VALIDER LES COMPÉTENCES
Et pour autant, on ne peut se contenter de ces connaissances spécifiques pour mesurer la compétence. “S’y ajoute un ensemble
de capacités générales, notamment en matière de communication psychosociale avec le patient et sa famille”. Ces “connaissances” pourraient et devraient être acquises lors de la formation
initiale, puis complétées et améliorées lors de la FMC : on
retrouve là l’interactivité EPP-FMC. Autre signe de cette intrication, s’il revient à la HAS de fixer les modalités des EPP pour
tous les médecins, le Conseil national de FMC a un avis consultatif. De même, il fixe le barème des actions de FMC imposé à
tout médecin libéral avec une périodicité de cinq ans. Les divers
types d’actions (enseignement, recherche clinique, séminaires,
EPU, lecture de revues et consultation de sites internet, etc.) se
voient attribuer des points appelés “crédits” ; il faudra ainsi présenter 250 crédits durant ces cinq ans, avec l’obligation d’y
inclure 100 points pour l’EPP.
Quant aux critères de validation, on conçoit qu’ils ne peuvent
répondre à une standardisation, tant la pratique médicale est ellemême diversifiée. Fort logiquement, la HAS souhaite fonder
l’EPP sur des référentiels de compétences, en reconnaissant qu’ils
ne sont pas encore légion. Souvent avant-gardiste, la Fédération
nationale des collèges de chirurgie a déjà présenté un référentiel
de compétences qui semble consensuel. D’autres sont prêts, tel
celui d’onco-hématologie.
Donc, les référentiels s’élaborent régulièrement ; la profession,
les médecins habilités, les organismes agréés travaillent. Alain
Coulomb l’affirme : “Aujourd’hui, nous n’examinons pas moins
de 50 dossiers issus de sociétés savantes et autres organismes
privés de formation ou de diffusion de la connaissance médicale”.
L’EPP À LA CARTE POUR LES LIBÉRAUX
ET LES HOSPITALIERS
Il reste que les modalités d’application et le contenu de l’EPP
présenteront de sensibles différences selon que l’on s’adressera à la pratique libérale ou hospitalière, voire à un autre mode
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d’exercice. Aux Unions régionales des médecins libéraux
(URML) revient la charge de la validation des médecins libéraux, éventuellement en partenariat avec la Commission médicale d’établissement (CME) lorsque ces derniers exercent dans
les structures privées. Même implication de la CME en association avec la Conférence médicale pour les médecins salariés, alors que, pour les salariés hors centres de santé, l’EPP
s’effectue grâce à un collège habilité ou à un organisme agréé.
Reste l’EPP du médecin hospitalier. Pierre Fuentes, président
de la conférence des présidents de CME de CHU, s’est fait le
porte-parole des médecins des hôpitaux universitaires, témoignant de leur perception favorable de la procédure : “J’y vois
plusieurs raisons, et notamment la reconnaissance de la place
des CM dans la validation, ainsi que l’intégration des pratiques d’évaluation et de formation déjà existantes”. Cependant, prudence oblige, s’il souhaite que l’EPP se situe de plainpied dans une démarche continue d’amélioration de la qualité
des soins, il la conditionne à une… amélioration de sa qualité.
Dernières interrogations enfin, que l’on pourrait penser teintées de scepticisme. Vaste programme que cette EPP. Mais, en
pratique, où en-est-on ? Au-delà de ces promesses de foi, à
quand les premières validations ? Difficile d’obtenir une
réponse quantifiée. Il n’en reste pas moins que de “nombreux”
médecins ont déjà répondu à leur EPP, et que, d’ici la fin du
premier semestre 2006, les Commissions médicales des établissements de santé publics et privés et les URML auront rempli leur rôle dans les validations.
LES RESPONSABILITÉS DE L’ORDRE
Les mots de la fin reviendront en toute logique à l’instigateur
de cette réunion : le CNOM, et son rôle dans la procédure.
L’habituel parcours centripète du postulant à l’EPP sera une
fois encore respecté : après avis du conseil régional de la FMC,
le dossier est remis au conseil départemental de l’Ordre, qui le
transmettra au CNOM. Ensuite, chaque année, le CNOM communique à la Caisse nationale d’Assurance-maladie (CNAM)
la liste des médecins qui ont reçu leur évaluation “dans
l’unique but d’informer les usagers de la santé”. On peut
concevoir que ce dernier point irrite quelque peu les médecins
qui peuvent voir là une nouvelle emprise de la CNAM sur leur
exercice. En fait, ils ont toute garantie, car la CNAM n’a légalement aucune possibilité d’utiliser ces listes autrement que
pour renseigner les malades s’ils font la demande de validation d’un médecin. Quant aux éventuelles sanctions que le
CNOM serait amené à prendre en cas de refus d’EPP, il va de
soi qu’avant d’en arriver à une procédure disciplinaire, toutes
les solutions de dialogue et de conciliation seront épuisées.
Jacques Roland, président du CNOM, tient à ce propos un langage d’ouverture et de conviction : “Nous ne sommes pas des
prêtres et des inquisiteurs de l’évaluation, mais nous devons
être les vecteurs d’un partage des connaissances, d’expériences et de pratiques”.
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La Lettre du Pneumologue - Volume IX - no 3 - mai-juin 2006
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