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Le printemps de l’évaluation des pratiques
professionnelles (EPP)
© La Lettre du pneumologue - vol. IX - n° 3 - mai-juin 2006
● G. Mégret*
n connaît la solennité des jeudis de l’Académie
française. Ceux du Conseil national de l’Ordre des
médecins (CNOM) n’ont rien à leur envier. Force est
d’admettre que les thèmes discutés et disséqués en son sein structurent le comportement individuel et la pratique collective de
plus de 200 000 médecins. Pour autant, durant quelques décennies troublées, la question de la justification, donc de l’existence
même de l’Ordre, a pu se trouver posée. Il semble désormais
incontestable que son ouverture sur la société et sa volonté
d’aborder sans tabou toutes les questions fondamentales qui s’y
posent (contraception, procréation médicalement assistée, addictions, démographie médicale, etc.) lui confèrent un réel rôle
consultatif et souvent avisé dans les débats sociétaux.
Par ailleurs, il conserve ses fonctions quasi régaliennes de régulation, de surveillance et d’accompagnement de la profession
médicale. Le CNOM se trouvait donc en position privilégiée,
centrale, pour présenter lors d’un de ses récents “Jeudis” [1], l’état
des lieux d’une procédure complexe mais fondamentale. Cela,
non seulement pour tout praticien, mais aussi pour toute structure
dispensant des soins : l’évaluation des pratiques professionnelles
(EPP). Chemin parcouru de la réflexion théorique à la mise en
place progressive et irréversible.
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sens noble du terme. Elle débouche sur un bilan dont découle la
teneur d’une formation continue”. Certains feront à juste titre
remarquer que cette obligation d’une mise à jour régulière du
savoir médical et des pratiques figure explicitement dans le code
de déontologie (article 11) : “Tout médecin doit entretenir et
perfectionner ses connaissances…” Pour autant, d’un code professionnel ou corporatiste à une loi de la République, il y a sans
conteste une force d’application bien supérieure dans la seconde.
Heureusement, il apparaît que, dans l’exercice quotidien (par
réflexion ? par obligation de résultat ?), nombre de médecins ont
anticipé la loi en s’astreignant à une remise en cause périodique de
leurs pratiques. Alain Coulomb, directeur de la HAS et responsable
au premier chef de cette “évaluation intégrée à la pratique”, l’a
parfaitement souligné : “[…] l’EPP vise à améliorer l’ensemble
des pratiques, en intégrant et en consolidant l’ensemble des dispositifs répondant déjà à cet objectif, car beaucoup de médecins
ne nous ont pas attendus pour les mettre en place, que ce soit au
niveau local ou à celui de la pratique individuelle…” Xavier
Deau, président de la section formation et compétences médicales
du CNOM, confirme ce point de vue : “[…] 80 à 90 % des médecins
sur le terrain se forment. Ce qu’on leur demande aujourd’hui,
c’est de le faire en conscience et selon un protocole contrôlé…”
DE LA PRATIQUE SPONTANÉE À LA LOI
CADRE ET CONTENU DE L’EPP
13 août 2004. Parution de la loi sur la réforme de l’Assurancemaladie. Elle comportait, entre autres, ce volet d’EPP, à côté
d’une autre loi de santé publique destinée à officialiser la formation médicale continue (FMC). Première notion importante, donc,
cette différenciation structurelle entre EPP et FMC, même si la
finalité se veut commune : une amélioration des compétences.
15 avril 2005. Publication du décret qui va organiser cette EPP,
sous la férule de la Haute Autorité de santé (HAS), tandis que la
FMC revient au Conseil national de la FMC et à ses conseils régionaux. Éric Rance, conseiller technique auprès du ministre de la
Santé, résume ainsi ce couple indissociable et cette interactivité :
“L’EPP permet ce qu’on peut appeler le ‘contrôle technique’, au
Aussi peut-on s’interroger, une fois encore, sur les effets attendus
d’un enième dispositif législatif, dès lors que, en la matière, la
France n’en semble pas véritablement dépourvue… Ne va-t-on
pas ainsi alimenter un binôme déjà bien vivace : complexitéconfusion ? Alain Coulomb ne néglige pas ce risque en soulignant que la complexité est croissante et consubstantielle à la
profession médicale. En conséquence, on ne peut que l’accepter
mais en adaptant, donc en évaluant au mieux les outils qui permettent de la pratiquer et en lui reconnaissant la diversité de ses
modes d’exercice (libéral, hospitalier, généraliste, spécialiste,
médecin scolaire, du travail, etc.). Et de reconnaître – humblement –
que les organismes (en particulier la HAS) chargés de la mise en
place de l’EPP devront, eux aussi, répondre à trois exigences des
médecins : “[…] que cela ne soit pas trop compliqué, que cela
ne leur prenne pas trop de temps – car le temps médical est
précieux – et que ça ne leur coûte pas trop cher !...”
* Journaliste médical, médecin, Paris.
[1]
En l’occurrence, le jeudi 23 février 2006.
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Autre sujet de préoccupation pour les médecins en passe d’être
soumis à l’EPP : que va contenir ce concept de “compétence
médicale” (“leur” compétence) ou, en d’autres termes, que va-ton évaluer chez eux, et comment ? Yves Matillon, chargé de
mission d’évaluation des compétences des professionnels de
santé, part d’une définition générique, non spécifique à la santé,
qui dit que la compétence correspond “[…] à la capacité de
répondre à une difficulté et d’agir de façon pertinente, dans une
situation donnée, en s’appuyant sur des ressources, un savoirfaire, mais aussi un savoir-être”. Difficile de ne pas y adhérer.
Mais il reconnaît que, selon le type ou le secteur d’activité médicochirurgical, “on ne peut décliner cette notion qu’à travers des
référentiels spécifiques”.
VALIDER LES COMPÉTENCES
Et pour autant, on ne peut se contenter de ces connaissances spécifiques pour mesurer la compétence. “S’y ajoute un ensemble de
capacités générales, notamment en matière de communication
psychosociale avec le patient et sa famille”. Ces “connaissances”
pourraient et devraient être acquises lors de la formation initiale,
puis complétées et améliorées lors de la FMC : on retrouve là l’interactivité EPP-FMC. Autre signe de cette intrication, s’il revient à
la HAS de fixer les modalités des EPP pour tous les médecins, le
Conseil national de FMC a un avis consultatif. De même, il fixe
le barème des actions de FMC imposé à tout médecin libéral avec
une périodicité de cinq ans. Les divers types d’actions (enseignement, recherche clinique, séminaires, EPU, lecture de revues et
consultation de sites internet, etc.) se voient attribuer des points
appelés “crédits” ; il faudra ainsi présenter 250 crédits durant ces
cinq ans, avec l’obligation d’y inclure 100 points pour l’EPP.
Quant aux critères de validation, on conçoit qu’ils ne peuvent
répondre à une standardisation, tant la pratique médicale est ellemême diversifiée. Fort logiquement, la HAS souhaite fonder
l’EPP sur des référentiels de compétences, en reconnaissant
qu’ils ne sont pas encore légion. Souvent avant-gardiste, la
Fédération nationale des collèges de chirurgie a déjà présenté un
référentiel de compétences qui semble consensuel. D’autres sont
prêts, tel celui d’onco-hématologie.
Donc, les référentiels s’élaborent régulièrement ; la profession, les
médecins habilités, les organismes agréés travaillent. Alain
Coulomb l’affirme : “Aujourd’hui, nous n’examinons pas moins de
50 dossiers issus de sociétés savantes et autres organismes privés
de formation ou de diffusion de la connaissance médicale”.
L’EPP À LA CARTE POUR LES LIBÉRAUX ET LES HOSPITALIERS
Il reste que les modalités d’application et le contenu de l’EPP
présenteront de sensibles différences selon que l’on s’adressera à
la pratique libérale ou hospitalière, voire à un autre mode d’exer-
La Lettre du Pharmacologue - Volume 20 - n° 2 - avril-mai-juin 2006
cice. Aux Unions régionales des médecins libéraux (URML)
revient la charge de la validation des médecins libéraux, éventuellement en partenariat avec la Commission médicale d’établissement (CME) lorsque ces derniers exercent dans les structures privées. Même implication de la CME en association avec
la Conférence médicale pour les médecins salariés, alors que,
pour les salariés hors centres de santé, l’EPP s’effectue grâce à
un collège habilité ou à un organisme agréé.
Reste l’EPP du médecin hospitalier. Pierre Fuentes, président de
la conférence des présidents de CME de CHU, s’est fait le porteparole des médecins des hôpitaux universitaires, témoignant de
leur perception favorable de la procédure : “J’y vois plusieurs
raisons, et notamment la reconnaissance de la place des CM
dans la validation, ainsi que l’intégration des pratiques d’évaluation et de formation déjà existantes”. Cependant, prudence
oblige, s’il souhaite que l’EPP se situe de plain-pied dans une
démarche continue d’amélioration de la qualité des soins, il la
conditionne à une… amélioration de sa qualité.
Dernières interrogations enfin, que l’on pourrait penser teintées de
scepticisme. Vaste programme que cette EPP. Mais, en pratique,
où en-est-on ? Au-delà de ces promesses de foi, à quand les premières validations ? Difficile d’obtenir une réponse quantifiée. Il
n’en reste pas moins que de “nombreux” médecins ont déjà répondu à leur EPP, et que, d’ici la fin du premier semestre 2006, les
Commissions médicales des établissements de santé publics et
privés et les URML auront rempli leur rôle dans les validations.
LES RESPONSABILITÉS DE L’ORDRE
Les mots de la fin reviendront en toute logique à l’instigateur de
cette réunion : le CNOM, et son rôle dans la procédure.
L’habituel parcours centripète du postulant à l’EPP sera une fois
encore respecté : après avis du conseil régional de la FMC, le
dossier est remis au conseil départemental de l’Ordre, qui le
transmettra au CNOM. Ensuite, chaque année, le CNOM
communique à la Caisse nationale d’Assurance-maladie
(CNAM) la liste des médecins qui ont reçu leur évaluation “dans
l’unique but d’informer les usagers de la santé”. On peut concevoir que ce dernier point irrite quelque peu les médecins qui peuvent
voir là une nouvelle emprise de la CNAM sur leur exercice. En
fait, ils ont toute garantie, car la CNAM n’a légalement aucune
possibilité d’utiliser ces listes autrement que pour renseigner les
malades s’ils font la demande de validation d’un médecin. Quant
aux éventuelles sanctions que le CNOM serait amené à prendre
en cas de refus d’EPP, il va de soi qu’avant d’en arriver à une procédure disciplinaire, toutes les solutions de dialogue et de conciliation seront épuisées. Jacques Roland, président du CNOM,
tient à ce propos un langage d’ouverture et de conviction : “Nous
ne sommes pas des prêtres et des inquisiteurs de l’évaluation,
mais nous devons être les vecteurs d’un partage des connaissances, d’expériences et de pratiques”.
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