DOSSIER THÉMATIQUE Entretiens du Groupe Sein Prise en charge des femmes à risque sans mutation constitutionnelle délétère des gènes BRCA1/2 identifiée Management of women with genetic risk without BRCA1 or BRCA2 mutation A. Fajac* Références bibliographiques 1. Gail MH, Brinton LA, Byar DP et al. Projecting individualized probabilities of developing breast cancer for white females who are being examined annually. J Natl Cancer Inst 1989;81(24):1879-86. 2. Claus EB, Risch N, Thompson WD. Genetic analysis of breast cancer in the cancer and steroid hormone study. Am J Hum Genet 1991;48(2):232-42. 3. Parmigiani G, Berry D, Aguilar O. Determining carrier probabilities for breast cancer-susceptibility genes BRCA1 and BRCA2. Am J Hum Genet 1998;62(1):145-58. 4. Antoniou AC, Pharoah PD, McMullan G et al. A comprehensive model for familial breast cancer incorporating BRCA1, BRCA2 and other genes. Br J Cancer 2002;86(1):76-83. 5. Tyrer J, Duffy SW, Cuzick J. A breast cancer prediction model i n c o r p o r a t i n g fa m i l i a l a n d personal risk factors. Stat Med 2004;23(7):1111-30. 6. Eiseiger F, Bressac B, Castaigne D et al. Identification et prise en charge des prédispositions héréditaires aux cancers du sein et de l’ovaire (mise à jour 2004). Bull Cancer 2004;91(3):219-37. 7. Recommandations de SaintPaul-de-Vence 2007 http://cours-saint-paul.fr. 8. Smith RA, Cokkinides V, Eyre HJ. Cancer screening in the United States, 2007: a review of current guidelines, practices and prospects. CA Cancer J Clin 2007;57(2): 90-104. * Centre de suivi des femmes à risque, service histologie-biologie tumorale, hôpital Tenon, Paris. L’ absence d’identification d’une mutation constitutionnelle délétère des gènes BRCA1/2 chez une femme à risque est une situation très fréquente en pratique (environ 80 % des cas). La prise en charge de ces femmes doit tenir compte de leur risque de cancer du sein, mais aussi d’un éventuel risque de cancer ovarien. Elle peut être effectuée selon deux grandes modalités : prévention primaire (chirurgie prophylactique, chimioprévention) ou secondaire (surveillance clinico-radio-biologique). Évaluer le risque de cancers du sein et de l’ovaire d’une femme à risque sans mutation identifiée constitue l’étape préalable à une prise en charge adaptée. Les principaux modèles de prédiction du risque de cancer du sein sont, du plus ancien au plus récent, les modèles de Gail (1), de Claus (2), le BRCAPRO (3), le BOADICEA (Breast and Ovarian Analysis of Disease Incidence and Carrier Estimation Algorithm) [4] et le modèle Tyrer-Cuzick (5). Les modèles BRCAPRO et BOADICEA permettent aussi de calculer le risque de cancer de l’ovaire. Les modèles BRCAPRO, BOADICEA et Tyrer-Cuzick, développés après le clonage des gènes BRCA1 et BRCA2, permettent également de calculer la probabilité de détection de mutation de ces gènes. Les paramètres pris en compte par les modèles de prédiction du risque de cancer du sein peuvent être classés en trois grandes catégories : l’histoire familiale, les effets génétiques et les facteurs de risque non génétiques. En ce qui concerne l’histoire familiale et les effets génétiques, on peut distinguer les modèles dits “empiriques” des modèles dits “génétiques”. Les modèles empiriques prennent en compte des points de l’histoire familiale (comme le nombre d’apparentés atteints, l’âge moyen au diagnostic dans la famille), mais pas la structure familiale, la répartition des cas et les femmes indemnes. Outre ces éléments, les modèles génétiques prennent en compte les effets génétiques, 32 | La Lettre du Sénologue • n° 42 - octobre-novembre-décembre 2008 à savoir le mode de transmission des gènes associés au cancer, leur fréquence allélique et leur pénétrance. Les modèles cités ci-dessus sont tous des modèles génétiques, à l’exception du modèle de Gail. En ce qui concerne l’histoire familiale, seul le modèle BOADICEA considère l’ensemble des apparentés, le modèle de Gail ne considérant que les apparentés au premier degré, et les autres modèles (Claus, BRCAPRO, Tyrer-Cuzick) les apparentés aux premier et deuxième degrés. Le cancer de l’ovaire n’est pas pris en compte par les modèles de Claus et Gail. Quant au cancer du sein masculin, il n’est inclus que dans les modèles BRCAPRO et BOADICEA. Le modèle BOADICEA considère aussi les cancers de la prostate et du pancréas. Les effets génétiques liés aux gènes BRCA1/2 sont intégrés dans les modèles BRCAPRO, BOADICEA et TyrerCuzick, avec des fréquences de l’allèle muté variant selon le modèle de 0,05 à 0,06 % pour BRCA1 et de 0,02 à 0,07 % pour BRCA2. Les résultats de l’analyse moléculaire des gènes BRCA1/2, s’ils sont disponibles, sont intégrés dans les modèles BRCAPRO, BOADICEA et Tyrer-Cuzick. L’absence de détection de mutation dans une famille est donc prise en compte dans le calcul du risque de cancers du sein et de l’ovaire d’une femme donnée. L’effet de gènes autres que BRCA1/2 est pris en compte par les modèles de Claus, BOADICEA et Tyrer-Cuzick. Dans le modèle de Claus, les auteurs montrent que le modèle de transmission génétique le plus concordant avec les cas observés de cancer du sein est une transmission autosomique dominante d’un allèle rare au niveau d’un seul locus, dont la fréquence est de 0,33 %. Dans le modèle BOADICEA, les effets de multiples gènes à faible pénétrance et de gènes modificateurs sur le risque de cancer du sein sont considérés. Quant au modèle de Tyrer-Cuzick, il fait l’hypothèse de l’existence d’un troisième gène transmis sur le mode dominant dont la fréquence de l’allèle muté est de 11 % et la Résumé La question de la prise en charge des femmes à risque de cancer du sein en l’absence d’identification d’une mutation constitutionnelle délétère des gènes BRCA1/2 se pose fréquemment en pratique clinique. Plusieurs modèles de prédiction du risque de cancer du sein sont disponibles permettant de calculer le risque pour une femme donnée d’avoir un cancer du sein compte tenu de son histoire familiale spécifique. Les caractéristiques des principaux modèles seront exposées ainsi que les recommandations françaises actuelles de prise en charge des femmes à risque sans mutation des gènes BRCA1/2 détectée. Mots-clés Oncogénétique BRCA1 BRCA2 Cancer du sein Cancer de l’ovaire Modèle de prédiction du risque pénétrance faible, conférant un risque de cancer du l’échographie annuelle réalisés à partir de 25 ans, une sein de 24 % à 70 ans. IRM et une mammographie annuelles à partir de 30 ans. L’âge de la femme dont on doit déterminer le risque Lorsque la probabilité de mutation est inférieure à 30 %, Highlights de cancer du sein est intégré dans tous les modèles, les modalités de surveillance sont aussi définies dans les In patients with high breast mais seuls les modèles de Gail et Tyrer-Cuzick tiennent recommandations de Saint-Paul-de-Vence, mais sans que cancer risk, the lack of identicompte d’autres facteurs de risque non génétiques : dans soit précisée une limite supérieure. Il est recommandé d’ef- fication of BRCA1/2 mutation le modèle de Gail, il s’agit de l’âge aux premières règles, fectuer, à partir de 40 ans ou 5 ans avant l’âge auquel est is frequent (80% of cases). The de l’âge à la première naissance vivante, du nombre survenu le cancer du sein le plus précoce dans la famille, management of these women un examen clinique 2 fois par an, ainsi qu’une mammo- should take in account the de biopsies mammaires bénignes et de la présence de breast cancer risk as the ovarian lésions d’hyperplasie atypique. Le modèle de Tyrer-Cuzick graphie et une échographie annuelles. intègre ces mêmes paramètres et y ajoute le nombre Les recommandations de surveillance mammaire cancer risk. Two procedures may be considered: primary d’enfants, l’âge à la ménopause, la prise d’un traitement d’une femme sans mutation identifiée en vigueur à prevention (prophylactic hormonal substitutif, la présence d’un carcinome lobu- l’étranger (outre-Atlantique, Europe) sont variées. Ainsi, surgery, chemoprevention) or laire in situ et l’indice de masse corporelle. aux États-Unis, les recommandations récentes de la secondary (clinical, imaging L’ensemble de ces modèles et les facteurs pris en Société américaine de cancérologie sont fondées sur and biology follow-up). The risk compte sont résumés dans le tableau. un risque cumulé sur la vie avec un seuil à 20 % (8-9), evaluation is critical for the best Après avoir exposé les principaux modèles disponiau-delà duquel il est recommandé de réaliser une IRM management. bles permettant de calculer un risque de cancer du annuelle à partir de 30 ans. sein pour une femme donnée sans mutation iden- Au Royaume-Uni, les recommandations du National Keywords tifiée, examinons les modalités de prise en charge Institute for Health and Clinical Excellence (NICE), Cancer genetics clinics de cette femme. actualisées en 2006 pour les indications de l’IRM, BRCA1 Les recommandations françaises pour la prise en charge reposent sur deux paramètres : le risque calculé à des femmes à risque sans mutation identifiée sont 10 ans et l’âge, trois niveaux de risque à 10 ans avec des BRCA2 essentiellement celles de l’Expertise collective Inserm- seuils à 3 et 8 % et quatre tranches d’âge (20-29 ans, Breast cancer FNCLCC (6) et celles, plus récentes, de Saint-Paul-de30-39 ans, 40-49 ans et au-delà de 50 ans) étant Ovary cancer Vence (7) [figure]. Elles portent sur la surveillance définis (10). Une IRM annuelle est recommandée clinico-radiologique mammaire, la mastectomie et aux femmes encourant un risque élevé, c’est-à-dire l’annexectomie bilatérales prophylactiques. celles de la tranche d’âge 30-39 ans dont le risque à En ce qui concerne les modalités de Tableau. Paramètres pris en compte dans les modèles de prédiction du risque de cancer du sein. surveillance du sein, les recommanGail Claus BRCAPRO BOADICEA Tyrer-Cuzick dations de l’Expertise collective et de Type de modèle Empirique Génétique Génétique Génétique Génétique Saint-Paul-de-Vence sont fondées sur une probabilité de mutation et non sur Histoire familiale Degré des apparentés Premier Deuxième Deuxième Tous Deuxième* un niveau de risque, avec des seuils Cancers différents : 10-15 % et 30 %, respectiveOvaire Non Non Oui Oui Oui ment. Selon l’Expertise collective, pour Sein masculin Non Non Oui Oui Non une probabilité de mutation supérieure Autres Non Non Non Oui** Non à 10-15 %, il est recommandé d’effec- Effets génétiques Gènes BRCA1/2 Non Non Oui Oui Oui tuer un examen clinique 2 à 3 fois par Fréquence BRCA1 (%) 0,06 0,05 0,06 an à partir de 20 ans, ainsi qu’une Fréquence BRCA2 (%) 0,02 0,07 0,06 échographie et une mammographie annuelles à partir de 30 ans. La place de Autres gènes Non Oui Non Oui Oui Mode de transmission Dominant Polygénique Dominant l’IRM reste à définir. Les recommandaPénétrance Forte Faible Faible tions de Saint-Paul-de-Vence, pour une Fréquence (%) 0,33 11 probabilité de mutation supérieure à Risque relatif 13 30 %, préconisent une surveillance idenFacteurs de risque non génétiques Oui Non Non Non Oui tique à celle des femmes porteuses d’une apparentés au troisième degré sont intégrés dans le modèle de Tyrer-Cuzick : ce sont les cousins. mutation BRCA1/2. Celle-ci comprend, ***Certains Cancers de la prostate et du pancréas. outre l’examen clinique 2 fois par an et La Lettre du Sénologue • n° 42 - octobre-novembre-décembre 2008 | 33 DOSSIER THÉMATIQUE Entretiens du Groupe Sein tions de Saint-Paul-de-Vence, elle est “envisageable” si l’hisRisque mammaire toire familiale comporte des Probabilité mutation Probabilité mutation Surveillance clinico-radiologique 10-15 % 30 % cas de cancer ovarien ou si la probabilité de détection > 10-15 % ≤ 30 % et > ? > 30 % d’une mutation BRCA1 est très élevée, sans définition chiffrée • Palpation x 2-3/an IRM ? (x 1/an) • Palpation x 2/an • Palpation x 2/an IRM x 1/an ≥ 20 ans ≥ 30 ans • Mammographie-échographie x 1/an ≥ 25 ans ≥ 30 ans d’un seuil de probabilité. L’âge • Mammographie-échographie x 1/an ≥ 40 ans ou 5 ans avant l'âge du cas • Mammographie x 1/an 30-75 ans le plus jeune ≥ 30 ans de réalisation reste à définir, • Échographie x 1/an peut-être à partir de 40 ans. ≥ 25 ans Mastectomie prophylactique Risque cumulé Une étude récente rapporte cancer sein > 20 % que, dans les familles où seuls Mastectomie envisageable des cancers du sein ont été 36-65 ans rapportés, le risque de cancer de l’ovaire ou de la trompe Risque cumulé Famille sein-ovaire Risque ovarien cancer ovaire > 2-3 % Probabilité mutation BRCA1 très élevée n’est pas augmenté (12). Les auteurs en concluent qu’il ne Annexectomie envisageable Annexectomie envisageable faut pas proposer de prise en Âge ? Âge ? (≥ 40 ans ?) charge ovarienne spécifique Figure. Recommandations françaises de prise en charge des femmes à risque de cancer du sein sans mutation dans ces familles ou qu’il ne BRCA1/2 identifiée. faut discuter l’annexectomie prophylactique que dans la mesure où elle diminue le 10 ans est supérieur à 8 %, et celles de la tranche d’âge risque de cancer du sein. On notera cependant que, dans 40-49 ans dont le risque est supérieur à 20 %, ou à cette étude, le suivi moyen est assez court (41 mois). 12 % en cas de seins denses.Pour les tranches d’âge En ce qui concerne la surveillance clinico-radio-bioloextrêmes, une IRM annuelle est recommandée pour gique de l’ovaire, il n’existe aucune recommandation. En la tranche 20-29 ans quand le risque est supérieur à France, la chimio-prévention n’a pas d’indication chez les 10 % ; au-delà de 50 ans, l’IRM n’est pas indiquée, quel femmes à risque porteuses de mutation BRCA1/2, et, a que soit le niveau de risque. fortiori, chez les femmes sans mutation détectée. En ce qui concerne la mastectomie prophylactique, l’Expertise collective se fonde sur le risque cumulé de cancer du sein (et non sur une probabilité de mutation, Conclusion comme c’était le cas pour la surveillance clinico-radioRéférences logique), et fixe à 20 % le seuil au-delà duquel elle est bibliographiques “envisageable”. La définition de l’âge à partir duquel la Afin de déterminer la prise en charge la plus adéquate pratiquer est possible, 35 ans, peut être modulée par pour une femme à risque sans mutation constitution9. Saslow D, Boetes C, Burke W et al. American Cancer Society guidel’âge au diagnostic de cancer du sein chez les appanelle délétère BRCA1/2 identifiée, il convient d’estimer lines for breast screening with MRI rentés. La mastectomie prophylactique n’apparaît pas au mieux son risque propre, qui est lié à son histoire as an adjunct to mammography. dans les recommandations de Saint-Paul-de-Vence familiale et personnelle. Les modèles de prédiction du CA Cancer J Clin 2007;57(2): 75-89. concernant les femmes sans mutation détectée. risque actuellement disponibles ne sont pas parfaits, 10. Recommandations du NICE À titre d’exemple de recommandations faites à l’étranger, mais la connaissance de leurs limites permet néan2006 : www.nice.org. la Société américaine de chirurgie oncologique stipule moins d’avoir une estimation de ce risque. Les recom11. Giuliano AE, Boolbol S, Degnim A et al. Society of Surgical Oncoqu’il existe une indication “potentielle” de mastectomie mandations françaises actuelles de prise en charge logy: position statement on prophyprophylactique en cas d’histoire familiale forte, c’est- de ces femmes diffèrent quelque peu selon le groupe lactic mastectomy. Approved by the Society of Surgical Oncology d’experts. Les points à préciser sont la place de l’IRM à-dire plusieurs apparentés au premier degré et/ou Executive Council, March 2007. plusieurs générations atteints de cancer du sein sans mammaire et de l’annexectomie prophylactique, et Ann Surg Oncol 2007;14(9): qu’il soit précisé de niveau de risque (11). plus particulièrement les niveaux de risque à partir 2425-727. 12. Kauff ND, Mitra N, Robson Pour ce qui est de la prise en compte du risque de cancer desquels de telles options doivent être recommanME et al. Risk of ovarian cancer de l’ovaire, selon l’Expertise collective, l’annexec­ t omie dées. De même, l’intérêt éventuel de la surveillance in BRCA1 and BRCA2 mutaprophylactique est “envisageable” en cas de risque clinico-radio-biologique de l’ovaire chez de telles tion-negative hereditary breast cancer families. J Natl Cancer Inst cumulé de cancer de l’ovaire supérieur à 2-3 %. L’âge femmes devrait être précisé par des études en cours, 2005;97(18):1382-4. de réalisation n’est pas précisé. Selon les recommanda- qui incluent un grand nombre de patientes. ■ Expertise collective Inserm-FNCLCC 34 | La Lettre du Sénologue • n° 42 - octobre-novembre-décembre 2008 Saint-Paul-de-Vence