Prise en charge des femmes à risque sans mutation constitutionnelle

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DOSSIER THÉMATIQUE
Entretiens du Groupe Sein
Prise en charge des femmes à risque
sans mutation constitutionnelle
délétère des gènes BRCA1/2 identifiée
Management of women with genetic risk without BRCA1 or BRCA2 mutation
A. Fajac*
Références
bibliographiques
1. Gail MH, Brinton LA, Byar DP et
al. Projecting individualized probabilities of developing breast cancer
for white females who are being
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hormone study. Am J Hum Genet
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3. Parmigiani G, Berry D, Aguilar O.
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4. Antoniou AC, Pharoah PD,
McMullan G et al. A comprehensive model for familial breast
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charge des prédispositions héréditaires aux cancers du sein et de
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7. Recommandations de SaintPaul-de-Vence 2007
http://cours-saint-paul.fr.
8. Smith RA, Cokkinides V, Eyre
HJ. Cancer screening in the United
States, 2007: a review of current
guidelines, practices and prospects. CA Cancer J Clin 2007;57(2):
90-104.
* Centre de suivi des femmes à risque,
service histologie-biologie tumorale,
hôpital Tenon, Paris.
L’
absence d’identification d’une mutation constitutionnelle délétère des gènes BRCA1/2 chez
une femme à risque est une situation très
fréquente en pratique (environ 80 % des cas). La
prise en charge de ces femmes doit tenir compte de
leur risque de cancer du sein, mais aussi d’un éventuel risque de cancer ovarien. Elle peut être effectuée
selon deux grandes modalités : prévention primaire
(chirurgie prophylactique, chimioprévention) ou secondaire (surveillance clinico-radio-biologique). Évaluer le
risque de cancers du sein et de l’ovaire d’une femme à
risque sans mutation identifiée constitue l’étape préalable à une prise en charge adaptée.
Les principaux modèles de prédiction du risque de
cancer du sein sont, du plus ancien au plus récent,
les modèles de Gail (1), de Claus (2), le BRCAPRO (3),
le BOADICEA (Breast and Ovarian Analysis of Disease
Incidence and Carrier Estimation Algorithm) [4] et le
modèle Tyrer-Cuzick (5). Les modèles BRCAPRO et
BOADICEA permettent aussi de calculer le risque de
cancer de l’ovaire. Les modèles BRCAPRO, BOADICEA
et Tyrer-Cuzick, développés après le clonage des gènes
BRCA1 et BRCA2, permettent également de calculer la
probabilité de détection de mutation de ces gènes.
Les paramètres pris en compte par les modèles de
prédiction du risque de cancer du sein peuvent être
classés en trois grandes catégories : l’histoire familiale, les effets génétiques et les facteurs de risque non
génétiques. En ce qui concerne l’histoire familiale et
les effets génétiques, on peut distinguer les modèles
dits “empiriques” des modèles dits “génétiques”. Les
modèles empiriques prennent en compte des points
de l’histoire familiale (comme le nombre d’apparentés
atteints, l’âge moyen au diagnostic dans la famille),
mais pas la structure familiale, la répartition des cas et
les femmes indemnes. Outre ces éléments, les modèles
génétiques prennent en compte les effets génétiques,
32 | La Lettre du Sénologue • n° 42 - octobre-novembre-décembre 2008
à savoir le mode de transmission des gènes associés
au cancer, leur fréquence allélique et leur pénétrance.
Les modèles cités ci-dessus sont tous des modèles
génétiques, à l’exception du modèle de Gail.
En ce qui concerne l’histoire familiale, seul le modèle
BOADICEA considère l’ensemble des apparentés, le
modèle de Gail ne considérant que les apparentés au
premier degré, et les autres modèles (Claus, BRCAPRO,
Tyrer-Cuzick) les apparentés aux premier et deuxième
degrés. Le cancer de l’ovaire n’est pas pris en compte par
les modèles de Claus et Gail. Quant au cancer du sein
masculin, il n’est inclus que dans les modèles BRCAPRO
et BOADICEA. Le modèle BOADICEA considère aussi
les cancers de la prostate et du pancréas.
Les effets génétiques liés aux gènes BRCA1/2 sont intégrés dans les modèles BRCAPRO, BOADICEA et TyrerCuzick, avec des fréquences de l’allèle muté variant selon le
modèle de 0,05 à 0,06 % pour BRCA1 et de 0,02 à 0,07 %
pour BRCA2. Les résultats de l’analyse moléculaire des
gènes BRCA1/2, s’ils sont disponibles, sont intégrés dans
les modèles BRCAPRO, BOADICEA et Tyrer-Cuzick. L’absence de détection de mutation dans une famille est donc
prise en compte dans le calcul du risque de cancers du
sein et de l’ovaire d’une femme donnée. L’effet de gènes
autres que BRCA1/2 est pris en compte par les modèles
de Claus, BOADICEA et Tyrer-Cuzick.
Dans le modèle de Claus, les auteurs montrent que le
modèle de transmission génétique le plus concordant
avec les cas observés de cancer du sein est une transmission autosomique dominante d’un allèle rare au
niveau d’un seul locus, dont la fréquence est de 0,33 %.
Dans le modèle BOADICEA, les effets de multiples
gènes à faible pénétrance et de gènes modificateurs sur
le risque de cancer du sein sont considérés. Quant au
modèle de Tyrer-Cuzick, il fait l’hypothèse de l’existence
d’un troisième gène transmis sur le mode dominant
dont la fréquence de l’allèle muté est de 11 % et la
Résumé
La question de la prise en charge des femmes à risque de cancer du sein en l’absence d’identification d’une mutation
constitutionnelle délétère des gènes BRCA1/2 se pose fréquemment en pratique clinique. Plusieurs modèles de prédiction du risque de cancer du sein sont disponibles permettant de calculer le risque pour une femme donnée d’avoir un
cancer du sein compte tenu de son histoire familiale spécifique. Les caractéristiques des principaux modèles seront
exposées ainsi que les recommandations françaises actuelles de prise en charge des femmes à risque sans mutation
des gènes BRCA1/2 détectée.
Mots-clés
Oncogénétique
BRCA1
BRCA2
Cancer du sein
Cancer de l’ovaire
Modèle de prédiction
du risque
pénétrance faible, conférant un risque de cancer du l’échographie annuelle réalisés à partir de 25 ans, une
sein de 24 % à 70 ans.
IRM et une mammographie annuelles à partir de 30 ans.
L’âge de la femme dont on doit déterminer le risque Lorsque la probabilité de mutation est inférieure à 30 %, Highlights
de cancer du sein est intégré dans tous les modèles, les modalités de surveillance sont aussi définies dans les In patients with high breast
mais seuls les modèles de Gail et Tyrer-Cuzick tiennent
recommandations de Saint-Paul-de-Vence, mais sans que cancer risk, the lack of identicompte d’autres facteurs de risque non génétiques : dans soit précisée une limite supérieure. Il est recommandé d’ef- fication of BRCA1/2 mutation
le modèle de Gail, il s’agit de l’âge aux premières règles, fectuer, à partir de 40 ans ou 5 ans avant l’âge auquel est is frequent (80% of cases). The
de l’âge à la première naissance vivante, du nombre
survenu le cancer du sein le plus précoce dans la famille, management of these women
un examen clinique 2 fois par an, ainsi qu’une mammo- should take in account the
de biopsies mammaires bénignes et de la présence de
breast cancer risk as the ovarian
lésions d’hyperplasie atypique. Le modèle de Tyrer-Cuzick graphie et une échographie annuelles.
intègre ces mêmes paramètres et y ajoute le nombre
Les recommandations de surveillance mammaire cancer risk. Two procedures
may be considered: primary
d’enfants, l’âge à la ménopause, la prise d’un traitement
d’une femme sans mutation identifiée en vigueur à
prevention (prophylactic
hormonal substitutif, la présence d’un carcinome lobu- l’étranger (outre-Atlantique, Europe) sont variées. Ainsi, surgery, chemoprevention) or
laire in situ et l’indice de masse corporelle.
aux États-Unis, les recommandations récentes de la secondary (clinical, imaging
L’ensemble de ces modèles et les facteurs pris en Société américaine de cancérologie sont fondées sur and biology follow-up). The risk
compte sont résumés dans le tableau.
un risque cumulé sur la vie avec un seuil à 20 % (8-9), evaluation is critical for the best
Après avoir exposé les principaux modèles disponiau-delà duquel il est recommandé de réaliser une IRM management.
bles permettant de calculer un risque de cancer du annuelle à partir de 30 ans.
sein pour une femme donnée sans mutation iden- Au Royaume-Uni, les recommandations du National Keywords
tifiée, examinons les modalités de prise en charge Institute for Health and Clinical Excellence (NICE), Cancer genetics clinics
de cette femme.
actualisées en 2006 pour les indications de l’IRM,
BRCA1
Les recommandations françaises pour la prise en charge reposent sur deux paramètres : le risque calculé à
des femmes à risque sans mutation identifiée sont 10 ans et l’âge, trois niveaux de risque à 10 ans avec des BRCA2
essentiellement celles de l’Expertise collective Inserm- seuils à 3 et 8 % et quatre tranches d’âge (20-29 ans, Breast cancer
FNCLCC (6) et celles, plus récentes, de Saint-Paul-de30-39 ans, 40-49 ans et au-delà de 50 ans) étant Ovary cancer
Vence (7) [figure]. Elles portent sur la surveillance définis (10). Une IRM annuelle est recommandée
clinico-radiologique mammaire, la mastectomie et
aux femmes encourant un risque élevé, c’est-à-dire
l’annexectomie bilatérales prophylactiques.
celles de la tranche d’âge 30-39 ans dont le risque à
En ce qui concerne les modalités de
Tableau. Paramètres pris en compte dans les modèles de prédiction du risque de cancer du sein.
surveillance du sein, les recommanGail
Claus
BRCAPRO
BOADICEA
Tyrer-Cuzick
dations de l’Expertise collective et de
Type
de
modèle
Empirique
Génétique
Génétique
Génétique
Génétique
Saint-Paul-de-Vence sont fondées sur
une probabilité de mutation et non sur Histoire familiale
Degré des apparentés
Premier
Deuxième
Deuxième
Tous
Deuxième*
un niveau de risque, avec des seuils
Cancers
différents : 10-15 % et 30 %, respectiveOvaire
Non
Non
Oui
Oui
Oui
ment. Selon l’Expertise collective, pour
Sein masculin
Non
Non
Oui
Oui
Non
une probabilité de mutation supérieure
Autres
Non
Non
Non
Oui**
Non
à 10-15 %, il est recommandé d’effec- Effets génétiques
Gènes BRCA1/2
Non
Non
Oui
Oui
Oui
tuer un examen clinique 2 à 3 fois par
Fréquence BRCA1 (%)
0,06
0,05
0,06
an à partir de 20 ans, ainsi qu’une
Fréquence BRCA2 (%)
0,02
0,07
0,06
échographie et une mammographie
annuelles à partir de 30 ans. La place de
Autres gènes
Non
Oui
Non
Oui
Oui
Mode de transmission
Dominant
Polygénique
Dominant
l’IRM reste à définir. Les recommandaPénétrance
Forte
Faible
Faible
tions de Saint-Paul-de-Vence, pour une
Fréquence (%)
0,33
11
probabilité de mutation supérieure à
Risque relatif
13
30 %, préconisent une surveillance idenFacteurs de risque non génétiques
Oui
Non
Non
Non
Oui
tique à celle des femmes porteuses d’une
apparentés au troisième degré sont intégrés dans le modèle de Tyrer-Cuzick : ce sont les cousins.
mutation BRCA1/2. Celle-ci comprend, ***Certains
Cancers de la prostate et du pancréas.
outre l’examen clinique 2 fois par an et
La Lettre du Sénologue • n° 42 - octobre-novembre-décembre 2008 | 33
DOSSIER THÉMATIQUE
Entretiens du Groupe Sein
tions de Saint-Paul-de-Vence,
elle est “envisageable” si l’hisRisque mammaire
toire familiale comporte des
Probabilité mutation
Probabilité mutation
Surveillance clinico-radiologique
10-15 %
30 %
cas de cancer ovarien ou si
la probabilité de détection
> 10-15 %
≤ 30 % et > ?
> 30 %
d’une mutation BRCA1 est très
élevée, sans définition chiffrée
• Palpation x 2-3/an
IRM ? (x 1/an)
• Palpation x 2/an
• Palpation x 2/an
IRM x 1/an
≥ 20 ans
≥ 30 ans
• Mammographie-échographie x 1/an
≥ 25 ans
≥ 30 ans
d’un seuil de probabilité. L’âge
• Mammographie-échographie x 1/an
≥ 40 ans ou 5 ans avant l'âge du cas
• Mammographie x 1/an
30-75 ans
le plus jeune
≥ 30 ans
de réalisation reste à définir,
• Échographie x 1/an
peut-être à partir de 40 ans.
≥ 25 ans
Mastectomie prophylactique
Risque cumulé
Une étude récente rapporte
cancer sein > 20 %
que, dans les familles où seuls
Mastectomie envisageable
des cancers du sein ont été
36-65 ans
rapportés, le risque de cancer
de l’ovaire ou de la trompe
Risque cumulé
Famille sein-ovaire
Risque ovarien
cancer ovaire > 2-3 %
Probabilité mutation BRCA1 très élevée
n’est pas augmenté (12). Les
auteurs en concluent qu’il ne
Annexectomie envisageable
Annexectomie envisageable
faut pas proposer de prise en
Âge ?
Âge ? (≥ 40 ans ?)
charge ovarienne spécifique
Figure. Recommandations françaises de prise en charge des femmes à risque de cancer du sein sans mutation
dans ces familles ou qu’il ne
BRCA1/2 identifiée.
faut discuter l’annexectomie
prophylactique que dans la
mesure où elle diminue le
10 ans est supérieur à 8 %, et celles de la tranche d’âge risque de cancer du sein. On notera cependant que, dans
40-49 ans dont le risque est supérieur à 20 %, ou à cette étude, le suivi moyen est assez court (41 mois).
12 % en cas de seins denses.Pour les tranches d’âge En ce qui concerne la surveillance clinico-radio-bioloextrêmes, une IRM annuelle est recommandée pour
gique de l’ovaire, il n’existe aucune recommandation. En
la tranche 20-29 ans quand le risque est supérieur à France, la chimio-prévention n’a pas d’indication chez les
10 % ; au-delà de 50 ans, l’IRM n’est pas indiquée, quel
femmes à risque porteuses de mutation BRCA1/2, et, a
que soit le niveau de risque.
fortiori, chez les femmes sans mutation détectée.
En ce qui concerne la mastectomie prophylactique,
l’Expertise collective se fonde sur le risque cumulé de
cancer du sein (et non sur une probabilité de mutation, Conclusion
comme c’était le cas pour la surveillance clinico-radioRéférences
logique), et fixe à 20 % le seuil au-delà duquel elle est
bibliographiques
“envisageable”. La définition de l’âge à partir duquel la
Afin de déterminer la prise en charge la plus adéquate
pratiquer
est
possible,
35 ans,
peut
être
modulée
par
pour une femme à risque sans mutation constitution9. Saslow D, Boetes C, Burke W et
al. American Cancer Society guidel’âge au diagnostic de cancer du sein chez les appanelle délétère BRCA1/2 identifiée, il convient d’estimer
lines for breast screening with MRI
rentés.
La
mastectomie
prophylactique
n’apparaît
pas
au mieux son risque propre, qui est lié à son histoire
as an adjunct to mammography.
dans les recommandations de Saint-Paul-de-Vence
familiale et personnelle. Les modèles de prédiction du
CA Cancer J Clin 2007;57(2):
75-89.
concernant les femmes sans mutation détectée.
risque actuellement disponibles ne sont pas parfaits,
10. Recommandations du NICE
À
titre
d’exemple
de
recommandations
faites
à
l’étranger,
mais la connaissance de leurs limites permet néan2006 : www.nice.org.
la Société américaine de chirurgie oncologique stipule moins d’avoir une estimation de ce risque. Les recom11. Giuliano AE, Boolbol S, Degnim
A et al. Society of Surgical Oncoqu’il existe une indication “potentielle” de mastectomie mandations françaises actuelles de prise en charge
logy: position statement on prophyprophylactique en cas d’histoire familiale forte, c’est- de ces femmes diffèrent quelque peu selon le groupe
lactic mastectomy. Approved by
the Society of Surgical Oncology
d’experts. Les points à préciser sont la place de l’IRM
à-dire plusieurs apparentés au premier degré et/ou
Executive Council, March 2007.
plusieurs générations atteints de cancer du sein sans mammaire et de l’annexectomie prophylactique, et
Ann Surg Oncol 2007;14(9):
qu’il soit précisé de niveau de risque (11).
plus particulièrement les niveaux de risque à partir
2425-727.
12. Kauff ND, Mitra N, Robson
Pour ce qui est de la prise en compte du risque de cancer
desquels de telles options doivent être recommanME et al. Risk of ovarian cancer
de
l’ovaire,
selon
l’Expertise
collective,
l’annexec­
t
omie
dées. De même, l’intérêt éventuel de la surveillance
in BRCA1 and BRCA2 mutaprophylactique est “envisageable” en cas de risque
clinico-radio-biologique de l’ovaire chez de telles
tion-negative hereditary breast
cancer families. J Natl Cancer Inst
cumulé de cancer de l’ovaire supérieur à 2-3 %. L’âge femmes devrait être précisé par des études en cours,
2005;97(18):1382-4.
de réalisation n’est pas précisé. Selon les recommanda- qui incluent un grand nombre de patientes.
■
Expertise collective Inserm-FNCLCC
34 | La Lettre du Sénologue • n° 42 - octobre-novembre-décembre 2008
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