Stratégie de prise en charge des douleurs d`origine cancéreuse

CHAPITRE 5
STRATEGIE DE PRISE EN CHARGE DES DOULEURS
D’ORIGINE CANCEREUSE
Nathalie Cantagrel , Jean-Christophe Sol
Plan du chapitre
1. Epidémiologie
2. Physiopathologie de la douleur cancéreuse
2.1.La douleur nociceptive
2.2 La douleur neuropathique
2.3 La douleur idiopathique
2.4 La douleur et l’inconfort liés aux soins
2.5 Les accès douloureux paroxystiques
3. Syndromes douloureux (SD) liés au cancer
3.1 La douleur osseuse
3.2 Les SD liés à des lésions nerveuses néoplasiques
3.3 Les douleurs d’origines viscérales
4. Syndromes douloureux liés aux traitements du cancer
4.1 Les neuropathies post-chimiothérapiques
4.2 Les complications de la radiothérapie
4.3 Les douleurs post-chirurgicales
5. Les traitements anticancéreux dans la prise en charge de la
douleur
5.1 La chirurgie oncologique
5.2 Oncologie radiothérapique
5.3 Oncologie médicale : les traitements médicaux
spécifiques
6. Stratégies thérapeutiques générales
6.1 Principes généraux
6.2 Les coantalgiques
6.3 La rotation des opioïdes
6.4 Les voies alternatives d’administration de la morphine
orale
6.5 Méthodes relevant d’équipes spécialisées
1- EPIDEMIOLOGIE
Chaque année 5 millions de personnes meurent d’un cancer à travers le monde et 7 millions
de nouveaux cas sont diagnostiqués. En France 278 253 nouveaux cas ont été portés en
2000, ce qui représente 150 000 décès par an et 800 000 personnes qui vivent actuellement
avec un cancer. La prévalence de la douleur au moment du diagnostic et au début du
traitement est de 50 %, celle-ci va aller en augmentant au décours de la maladie pour
atteindre 75 % en fin de vie. En moyenne près de 80 % des patients cancéreux en évolution
présentent des douleurs intenses, en majorité liées directement au cancer avec souvent
plusieurs localisations douloureuses. La douleur est souvent liée à la maladie cancéreuse.
Elle peut la révéler, apparaître au cours de son évolution comme signe d’une récidive locale
ou d’une métastase ou survenir pendant ou après une procédure thérapeutique ou
diagnostique.
Un traitement antalgique bien conduit permet le maintien d’une vie relationnelle de qualité.
La survenue d’une douleur chez un patient cancéreux doit entraîner une réponse rapide et
adaptée. Cela nécessite une bonne évaluation initiale et une connaissance des
médicaments et techniques disponibles de nos jours. Les douleurs en cancérologie sont le
plus souvent chroniques et instables. Elles peuvent se présenter sous différentes formes :
douleurs par excès de nociception, douleurs neuropathiques ou mixtes le plus souvent. La
connaissance sémiologique permettant de reconnaître le mécanisme physiopathologique de
la douleur est un élément fondamental de la stratégie antalgique.
2- PHYSIOPATHOLOGIE DE LA DOULEUR CANCEREUSE
Trois facteurs principaux contribuent à la pathogénèse de la douleur chez le patient
douloureux :
• la nociception,
• des mécanismes neuropathiques,
• des processus psychologiques.
A ces facteurs s’ajoutent des causes quotidiennes de majoration des douleurs comme
peuvent l’être certain soins ou situations (mise sur brancard, fauteuil, toilette…) qui peuvent
facilement être pris en charge. A la douleur de fond continue présente chez le patient
cancéreux s’y associent fréquemment des douleur aiguës intercurrentes.
2.1. La douleur nociceptive
La douleur nociceptive somatique est décrite comme aiguë, continue, pulsatile ou comme
une pression.
La douleur nociceptive viscérale est plutôt mal localisée, avec la sensation d’être rongé ou
tenaillé lorsqu’un viscère creux est atteint, ou bien continue, ou fulgurante si elle est due à
une lésion capsulaire ou mésentérique.
La douleur nociceptive réagit bien aux traitements morphiniques et non-morphiniques ou
bien aux techniques anesthésiques.
2.2. La douleur neuropathique
Elle résulte d’un fonctionnement anormal du système somatosensoriel central ou
périphérique. Elle est le plus souvent en rapport avec des lésions de nerfs périphériques,
secondaires à la tumeur, à une intervention chirurgicale, à une chimiothérapie ou une
radiothérapie.
Le diagnostic repose sur la découverte d’anomalies neurologiques et de manifestations
sensorielles comme des dysesthésies (sensation anormale et désagréable, spontanée ou
provoquée), une allodynie (douleur causée par un stimulus qui n’entraîne normalement
pas de douleur) ou une hyperalgésie (réponse exagérée à une stimulation
normalement douloureuse). La topographie de ces symptômes correspond à une distribution
compatible avec une systématisation périphérique ou centrale.
Ce sont des douleurs qui répondent mal aux opiacés, elles sont surtout sensibles aux co-
antalgiques et sont traitées essentiellement par les antiépileptiques et les antidépresseurs.
2.3. La douleur idiopathique
Il s’agit d’un symptôme qui ne s’explique par aucune pathologie organique. Une évaluation
psychologique peut être utile si les symptômes psychologiques et comportementaux
semblent jouer un rôle important. C’est avec prudence qu’il faut parler de troubles
idiopathiques chez le cancéreux car leur douleur a presque toujours un lien avec la
pathologie organique sous-jacente.
2.4. La douleur et l’inconfort liés aux soins
Les douleurs engendrées par les soins comme celles résultant de gestes à visée
diagnostique ou thérapeutique doivent être détectées, évaluées, anticipées et traitées. Des
gestes répétés, souvent jugés anodins par les soignants, peuvent être source de douleur et
donc des facteurs d’épuisement pour le malade. Réitérer ces gestes, souvent sans aucune
précaution, est délétère autant chez l’enfant que chez l’adulte car facteurs de stress qui
favorisent épuisement, troubles psychologiques (anxiété, dépression) et souffrance. Il est
donc important de ne pas négliger l’angoisse et la douleur qu’ils peuvent engendrer. Ainsi,
les ponctions lombaires, les ponctions osseuses (aspiration et biopsie), les ponctions
artérielles radiales pour les mesures des gaz du sang et les ponctions veineuses chez
l’adulte et chez l’enfant atteints d’un cancer font l’objet de Standards d’Options et de
Recommandations.
2.5. Les accès douloureux paroxystiques
La stratégie thérapeutique doit prendre en compte l’instabilité des douleurs et notamment la
présence d’accès douloureux paroxystiques (ADP) qui existent selon les enquêtes chez 50 à
89 % des patients atteints de cancer. Ces ADP correspondent à des douleurs plus ou moins
sévères qui se manifestent sur un fond douloureux contrôlé. Ils surviennent en quelques
secondes ou minutes et durent en moyenne 15 minutes bien que chez certains patients ils
puissent persister plusieurs heures. Le nombre d’ADP est en général de 4 par jour. Ils sont
souvent déclenchés par les mobilisations. Leur localisation est souvent similaire à celle des
douleurs de fond.
Il est important dans l’évaluation de la douleur du patient cancéreux de savoir rattacher le
symptôme à l’évolution de la maladie elle-même (85 à 92 % des cas), aux thérapeutiques
employées (20 % des cas) ou parfois rechercher une autre étiologie que le cancer lui-même.
3- SYNDROMES DOULOUREUX LIES AU CANCER
L’ensemble des syndromes douloureux les plus fréquents provoqués par une atteinte
tumorale directe est donné dans le tableau 1. Les métastases osseuses, nerveuses et
viscérales sont les sites les plus souvent associés à une douleur chronique en rapport avec
un cancer.
3.1. La douleur osseuse
Elle est la source de douleur cancéreuse la plus fréquente. Des métastases osseuses se
manifestent chez 30 à 70 % des cancéreux. Les cancers les plus souvent métastatiques à
l’os sont : le poumon, la prostate et le sein (80 % des métastases osseuses). Il existe aussi
des douleurs osseuses par envahissement loco-régional (extension sacrée du cancer du
colon, envahissement des côtes par néoplasies pulmonaires). Les douleurs représentent le
mode de révélation le plus fréquent des métastases osseuses ; à côté de l’atteinte
neurologique, la fracture pathologique, la tuméfaction osseuse ou de plus en plus rarement
de l’hypercalcémie.
Vingt-cinq pour cent des métastases osseuses sont asymptomatiques. La douleur osseuse
est normalement située dans une zone correspondant à la lésion sous-jacente, mais elle
peut aussi être projetée (la douleur au niveau du genou révélatrice d’une localisation à la
hanche). La douleur osseuse est sourde, continue et profonde : elle peut être permanente
mais elle est souvent aggravée par le mouvement et par certaines postures. La douleur due
aux métastases vertébrales, avec ou sans compression de la moelle épinière épidurale, est
aggravée en position allongée et calmée en position assise. On note une sensibilité
particulière au niveau de la colonne vertébrale associée à des contractures musculaires de
la région atteinte.
3.2. Les syndromes douloureux liés à des lésions nerveuses néoplasiques
Les neuropathies périphériques sont fréquentes chez les patients cancéreux (Tableau 2).
Leur incidence varie en fonction de la nature du cancer et des critères diagnostiques utilisés,
pouvant atteindre 100 % dans les cancers du poumon à un stade avancé. L’analyse d’une
neuropathie périphérique (NP) chez un patient cancéreux doit prendre en compte plusieurs
paramètres :
- la nature du cancer primitif, son siège et son extension locale et systémique
- les traitements reçus ou en cours
- les données du bilan neurologique et la nature évolutive des symptômes.
Une cause métastatique doit être systématiquement éliminée avant de considérer les causes
non métastatiques. Les patients cancéreux peuvent aussi développer des NP qui n’ont
aucun rapport avec le cancer (diabète, alcool, etc..)
Tableau 2 : principales causes des neuropathies liées au cancer
Neuropathies périphériques au cours des cancers :
Métastatiques
Compression ou infiltration des nerfs crâniens, des nerfs périphériques et des plexus
Méningites carcinomateuses
Métastases hématogènes
Non métastatiques
Syndromes paranéoplasiques
Complications iatrogènes (chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie)
Désordres métaboliques et/ou carentiels
Complications vasculaires
Lorsqu’une tumeur solide entraîne une NP, un mécanisme de compression chronique du
nerf est le plus souvent en cause plus rarement une infiltration des nerfs par extension de
cancers locaux. Cette compression induit alors en fonction de la localisation, des névralgies,
des plexopathies ou des radiculopathies. Les plexopathies les plus fréquentes sont
brachiales et lombosacrées. La douleur est la manifestation inaugurale dans plus de 75 %
des cas. Sa description est souvent imprécise, impossible à décrire en termes de territoire
nerveux. Elle siège habituellement dans l’épaule ou dans l’aisselle irradiant dans le cou et la
face interne du bras pour le plexus brachial. Typiquement, elle est unilatérale et de siège
proximal dans la région lombaire, le pelvis, la hanche ou la fesse. Elle s’aggrave en position
allongée et est partiellement soulagée par la flexion de la cuisse dans le plexus lombosacré.
Les méningites carcinomateuses (MC) sont dues au développement multifocal ou diffus de
cellules métastatiques dans les espaces sous-arachnoïdiens. L’atteinte du SNP est due à
une infiltration, à une compression des racines ou à une sécrétion de facteurs neurotoxiques
par les cellules tumorales, elle s’associe souvent à des signes centraux. Les cancers les plus
souvent incriminés sont : les mélanomes, les cancers du sein et du poumon, les leucémies
et les lymphomes.
Le terme de syndrome neurologique paranéoplasique désigne un ensemble de troubles
neurologiques associés à un cancer et dont la cause est inconnue. Ils sont rares et
préférentiellement associés au cancer du poumon (52 % des cas).
3.3. Les douleurs d’origines viscérales
L’infiltration viscérale est la deuxième source de douleur chez le cancéreux. Ces syndromes
sont souvent provoqués par des tumeurs situées sur les cavités thoraciques, abdominales
ou pelviennes. Ils peuvent entraîner des douleurs oesophagiennes, des gastralgies, des
hépatalgies. L’augmentation de la taille du foie entraînerait une douleur du fait de la
distension de la capsule de Glisson. Il s’agit d’une douleur sourde et profonde localisée dans
l’hypochondre droit et dans le flanc, qui se projette, du même coté, vers l’omoplate, l’épaule
et le cou. Un saignement ou une chimio-embolisation à visée thérapeutique peuvent
engendrer des exacerbations aiguës. La douleur d’origine viscérale peut être provoquée par
l’infiltration directe des nerfs pancréatiques afférents, l’obstruction des voies pancréatiques
responsables d’une pancréatite, une occlusion biliaire ou une infiltration duodénale
susceptible de réaliser une occlusion intestinale complète ou partielle. Les douleurs du
pancréas sont décrites par 67 % des patients comme des douleurs diffuses de l’abdomen.
L’alimentation exacerbe en général cette douleur qui peut aussi irradier vers le dos.
L’occlusion intestinale est l’évolution souvent terminale de nombreuses tumeurs, surtout les
cancers abdominaux et pelviens. Elle peut se voir jusque dans 25 % des cancers de l’ovaire
et dans 15 à 20 % des tumeurs colorectales. La douleur ressemble souvent à une colique,
mais peut aussi être constante du fait de la distension de l’intestin ou présenter un aspect
sourd et continu lorsqu’elle est associée à une carcinose péritonéale.
4- SYNDROMES DOULOUREUX LIES AUX TRAITEMENTS DU CANCER
Quelle que soit la proposition thérapeutique, il existe toujours un risque de voir se
développer des douleurs induites, iatrogènes (dans 19 à 25 % des cas) indépendamment de
l’évolution de la maladie cancéreuse elle-même. Aux Etats-Unis le nombre de survivants du
cancer a été multiplié par 3 sur les trente dernières années, concernant près de 10 millions
de personnes. Prolonger la durée de vie sans tenir compte de la qualité de celle-ci serait
actuellement une aberration. Il est donc indispensable de prendre en charge précocement
les douleurs puisque l’on sait que l’un des facteurs de chronicisation de la douleur est
l’intensité et la durée du syndrome douloureux initial. Les douleurs induites par les
traitements qui visent à guérir le patient peuvent être source de douleurs qui risquent de
durer toute la vie restante du patient. Elles vont alors amputer sa qualité, limitant ses
possibilités de réinsertion sociale et professionnelle. Bien les connaître pour pouvoir les
identifier tôt afin de les prévenir ou tout au moins les prendre en charge précocement est
donc une nécessité.
Les principales douleurs induites sont liées au traitement chirurgical, chimiothérapique ou
radiothérapique.
4.1. Les neuropathies post-chimiothérapiques
Les NP sont une complication fréquente de la chimiothérapie, avec une prévalence estimée
entre 4 et 76 %. L’association concomitante de plusieurs agents neurotoxiques, ou la
réalisation dans le même temps de radiothérapie va augmenter le taux de prévalence. La
préexistence de lésions nerveuses dues à un diabète, un alcoolisme ou un syndrome
paranéoplasique peut aussi favoriser la survenue d’une NP.
Principaux agents chimiothérapiques susceptibles de se compliquer de neuropathies
périphériques.
Agents
incidence
Présentation
Alcaloïdes
Vincristine
Vinblastine
Vindésine
Paclitaxel
Docétaxel
Podophyllotoxine VM-26 et VP-16
**
*
*
*
*
PNSM dysautonomie
PNSM
PNSM
PNS
PNS
PNSM
Antimétabolites
Ara-C
5-azacytidine
*
*
PNSM
PNM
Alkylant
Cisplatine
Procarbazine
hexaméthylmélanine
**
**
*
*
*
*
PNS
Surdité
Dysautonomie
Neuropathie optique
PNSM
PNS
Autres agents
Suramine
**
PRN
1 / 16 100%

Stratégie de prise en charge des douleurs d`origine cancéreuse

La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !