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Apports de l’imagerie
● B. Laurent, R. Peyron*
imagerie cérébrale, qui permet d’observer la région
sollicitée par l’action en cours grâce à l’analyse
dynamique des modifications de débit par la tomographie par émission de positons (TEP) ou l’IRM fonctionnelle (IRMf), a fait faire de grands progrès dans la compréhension du rôle du cortex dans la douleur. Depuis dix ans, une
vingtaine d’équipes dans le monde étudient les réponses cérébrales à la douleur pour tenter de répondre à des questions
insolubles sans ces techniques : existe-t-il des régions cérébrales spécifiques du traitement de la douleur ? La réponse
dépend-elle de la qualité physique du stimulus douloureux
(piqûre, chaleur, électricité...), du type de nocicepteurs ou
d’organes, ou bien les réponses corticales sont-elles identiques dans tous ces cas, mais proportionnelles au désagrément ? Peut-on différencier des zones répondant à la nociception et à la souffrance ? Peut-on distinguer la douleur de
l’anticipation de la douleur, observer des zones cérébrales
impliquées dans le contrôle antinociceptif ? Peut-on analyser
les mécanismes complexes de la douleur, qui font intervenir
l’attention, l’anticipation et l’affectivité du sujet qui souffre ?
La réponse varie-t-elle chez les sujets qui souffrent de douleur
chronique ? Peut-on voir où agissent les médicaments comme
la morphine ou les techniques comme les stimulations antalgiques, l’hypnose ou l’effet placebo ?
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Les premières études ont analysé une douleur expérimentale
aiguë chez le sujet normal.
Le réseau cortical qui intègre la douleur repose sur quatre systèmes aux rôles distincts : la région pariétale (aires SI et SII)
gère les données physiques du stimulus, cette analyse sensoridiscriminative permettant de localiser la stimulation et de la
qualifier afin de préparer la réponse la plus adaptée ; les
* Centre anti-douleur, service de neurologie, hôpital de Bellevue, SaintÉtienne.
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régions motrices ou de préparation au mouvement sont activées dès que l’on franchit un certain stade de douleur, non seulement au niveau cortical dans la somatotopie correspondant
au territoire stimulé, mais aussi au niveau sous-cortical,
comme le noyau caudé ou le cervelet. Les régions frontocingulaires sont impliquées dans les réponses attentionnelles et
anticipatoires indispensables à la réaction de retrait ou de fuite,
de même que dans les réponses émotionnelles de souffrance.
Des travaux en IRMf permettent de préciser, au sein du cortex
cingulaire antérieur, une véritable somatotopie fonctionnelle
différenciant l’attention à la douleur, l’anticipation, la discrimination sensitive, la réponse au caractère désagréable, la
réponse motrice et les phénomènes cognitifs liés à la douleur
aiguë. Face à une stimulation douloureuse donnée, la réponse
cingulaire est en effet modulée par des paramètres autres que
les caractéristiques physiques du stimulus : l’hypnose, qui atténue ou fait disparaître la réponse cingulaire, la suggestion, qui
la renforce, alors que les réponses pariétales restent inchangées ; la chronicité d’une douleur antécédente... Si l’on fait
varier le niveau d’attention à la douleur, les modifications
attentionnelles augmentent les réponses douloureuses
constantes insulaires, thalamiques et cingulaires, mais également les zones classiques du réseau attentionnel, en particulier
pariétal et frontal. Il est vraisemblable que l’attention au stimulus douloureux entraîne de façon anticipatoire une synchronisation des neurones qui vont être sollicités dans les zones
nociceptives spécifiques, par exemple de l’insula ou du cortex
cingulaire. On voit donc que la région cingulaire est un carrefour extrêmement complexe d’intégration sensorielle, motrice,
émotionnelle et cognitive, mais avec des réseaux indépendants.
On conçoit qu’il s’agisse d’une région candidate aux régulations descendantes inhibitrices de la douleur. Les régions
amygdalienne et hippocampiques semblent avoir un rôle capital dans le conditionnement douloureux, l’enregistrement
contextuel d’une douleur et dans les cascades émotionnelles,
en particulier végétatives. Toute l’émotion “primaire” automatique à médiation endocrinienne et végétative retentit sur les
perceptions élaborées, et il se crée au niveau amygdalien des
conditionnements qui pourraient s’avérer déterminants dans
l’analyse de certaines douleurs chroniques mal comprises et
parfois abusivement appelées psychogéniques.
La Lettre du Neurologue - Hors-série - avril 2002
L’imagerie cérébrale ne permet que rarement de visualiser les
systèmes de contrôle descendants issus du tronc cérébral (substance grise péri-aqueducale). Cette activation peut apparaître
dans des douleurs soutenues, avec parfois un décalage temporel
et un post-effet. On l’observe également nettement lors du posteffet des stimulations corticales rolandiques à visée antalgique
dans les douleurs centrales. Une autre approche consiste à visualiser les récepteurs opiacés endogènes par des ligands spécifiques et dans différentes situations de douleur et de repos. Cela
a été fait grâce au PET scan chez le sujet normal, avec la 11Cdynorphine marquée pour les récepteurs opiacés et avec le dextrométorphan pour les récepteurs NMDA. Toutes les régions où
s’intègre la douleur “diffuse” sont riches en récepteurs opiacés :
thalamus, régions cingulaires et tronc cérébral. En revanche, ces
récepteurs sont absents au niveau pariétal, lieu de l’analyse physique du stimulus. Ces recherches en sont à leur début dans des
situations de douleurs chroniques ou de pharmacologie. Une
étude récente de Zubieta et al. (2001) montre qu’une douleur
soutenue chez le sujet normal s’accompagne d’une occupation
des récepteurs mu de toutes les zones intégrant la douleur aux
niveaux thalamique et cortical.
On peut aussi visualiser les aires qui s’activent de façon
contemporaine à des analgésies pharmacologiques ou lors de
stimulations centrales : le bloc anesthésique dans les douleurs
neuropathiques, la cordotomie dans les douleurs cancéreuses par
excès de nociception ou la stimulation du cortex moteur dans les
douleurs centrales par lésion thalamique ou corticale.
Deux faits se dégagent : les procédures antalgiques activent des
zones identiques à celles qui s’activent lors de la stimulation
douloureuse du sujet normal (gyrus cingulaire, insula...) ; le
gyrus cingulaire antérieur et moyen est constamment activé,
quel que soit le type des thérapeutiques antalgiques utilisées,
laissant penser qu’il s’agit d’un intermédiaire obligé pour toute
analgésie. Évidemment, les plus grands progrès sont attendus de
l’utilisation de ligands spécifiques, et éventuellement de médicaments marqués que l’on peut suivre en TEP. Il a ainsi été mis
en évidence une diminution de la fixation de diprénorphine dans
le thalamus et le gyrus cingulaire antérieur lors des poussées de
polyarthrite rhumatoïde comparativement à l’état de rémission,
à cause d’une occupation des sites récepteurs par des molécules
opiacées endogènes. Enfin, des corrélations ont été établies
La Lettre du Neurologue - Hors-série - avril 2002
entre l’analgésie à la morphine et l’augmentation du DSC dans
le cortex préfrontal et le gyrus cingulaire antérieur, l’insula et le
cortex temporal.
Les techniques de type TEP en FDG peuvent être appliquées à
l’étude de la pathologie, en particulier à l’étude des douleurs
chroniques : algie vasculaire de la face, douleurs faciales atypiques, arthrite rhumatoïde, angine de poitrine, douleurs dentaires, avec des zones d’hyperdébit qui voisinent avec des zones
d’hypodébit dont la signification est encore objet de débat. Par
exemple, nous avons observé une diminution de débit cingulaire de repos dans les Wallenberg avec allodynie qui pose la
question d’une dérégulation des systèmes inhibiteurs cingulaires à l’état basal. Le “paradoxe” des douleurs neuropathiques
est celui d’un thalamus associant une hyperactivité électrophysiologique et un hypométabolisme de repos. Nous avons comparé l’activité cérébrale produite par l’allodynie sur l’hémicorps malade et par une douleur électrique sur l’hémicorps
sain : l’allodynie déclenche une réponse excessive du thalamus
et des aires pariétales sans aucune réponse cingulaire, qui est
une zone indispensable pour le contrôle antalgique. Cette
réponse thalamique excessive et anormale du côté de la lésion
spino-thalamique pourrait avoir un rôle amplificateur de
réponses corticales impliquant le système “latéral” de la douleur (cortex pariétal et insulaire/SII). Chez ces patients, l’absence d’augmentation du DSC dans le gyrus cingulaire antérieur traduirait un découplage entre l’hyperactivité du système
“latéral” et la mise au repos du système “médian”, profil qui
pourrait être spécifique de la situation allodynique.
Des champs entiers restent à explorer, mais, d’ores et déjà, ces
études ruinent l’idée naïve d’un traitement de la douleur mécanique et stéréotypé, à la façon d’un cablage électrique répondant
en fonction du voltage. La douleur est, comme toute stimulation
sensorielle, soumise aux influences de l’attention, de l’anticipation, de l’imagerie mentale, de conditionnements antérieurs...
De plus, on découvre que les zones fronto-cingulaires activées
par les médicaments antalgiques comme la morphine, par
exemple, ou par des stimulations antalgiques du cortex comme
la stimulation corticale sont les mêmes que celles sollicitées lors
d’interventions non médicamenteuses comme l’hypnose. Ainsi
se trouve encore réduite la dichotomie entre les approches anatomo-biologique et psychologique de la douleur.
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