La Lettre du Neurologue - Hors-série - avril 2002 43
L’imagerie cérébrale ne permet que rarement de visualiser les
systèmes de contrôle descendants issus du tronc cérébral (sub-
stance grise péri-aqueducale). Cette activation peut apparaître
dans des douleurs soutenues, avec parfois un décalage temporel
et un post-effet. On l’observe également nettement lors du post-
effet des stimulations corticales rolandiques à visée antalgique
dans les douleurs centrales. Une autre approche consiste à visua-
liser les récepteurs opiacés endogènes par des ligands spéci-
fiques et dans différentes situations de douleur et de repos. Cela
a été fait grâce au PET scan chez le sujet normal, avec la 11C-
dynorphine marquée pour les récepteurs opiacés et avec le dex-
trométorphan pour les récepteurs NMDA. Toutes les régions où
s’intègre la douleur “diffuse” sont riches en récepteurs opiacés :
thalamus, régions cingulaires et tronc cérébral. En revanche, ces
récepteurs sont absents au niveau pariétal, lieu de l’analyse phy-
sique du stimulus. Ces recherches en sont à leur début dans des
situations de douleurs chroniques ou de pharmacologie. Une
étude récente de Zubieta et al. (2001) montre qu’une douleur
soutenue chez le sujet normal s’accompagne d’une occupation
des récepteurs mu de toutes les zones intégrant la douleur aux
niveaux thalamique et cortical.
On peut aussi visualiser les aires qui s’activent de façon
contemporaine à des analgésies pharmacologiques ou lors de
stimulations centrales : le bloc anesthésique dans les douleurs
neuropathiques, la cordotomie dans les douleurs cancéreuses par
excès de nociception ou la stimulation du cortex moteur dans les
douleurs centrales par lésion thalamique ou corticale.
Deux faits se dégagent : les procédures antalgiques activent des
zones identiques à celles qui s’activent lors de la stimulation
douloureuse du sujet normal (gyrus cingulaire, insula...) ; le
gyrus cingulaire antérieur et moyen est constamment activé,
quel que soit le type des thérapeutiques antalgiques utilisées,
laissant penser qu’il s’agit d’un intermédiaire obligé pour toute
analgésie. Évidemment, les plus grands progrès sont attendus de
l’utilisation de ligands spécifiques, et éventuellement de médi-
caments marqués que l’on peut suivre en TEP. Il a ainsi été mis
en évidence une diminution de la fixation de diprénorphine dans
le thalamus et le gyrus cingulaire antérieur lors des poussées de
polyarthrite rhumatoïde comparativement à l’état de rémission,
à cause d’une occupation des sites récepteurs par des molécules
opiacées endogènes. Enfin, des corrélations ont été établies
entre l’analgésie à la morphine et l’augmentation du DSC dans
le cortex préfrontal et le gyrus cingulaire antérieur, l’insula et le
cortex temporal.
Les techniques de type TEP en FDG peuvent être appliquées à
l’étude de la pathologie, en particulier à l’étude des douleurs
chroniques : algie vasculaire de la face, douleurs faciales aty-
piques, arthrite rhumatoïde, angine de poitrine, douleurs den-
taires, avec des zones d’hyperdébit qui voisinent avec des zones
d’hypodébit dont la signification est encore objet de débat. Par
exemple, nous avons observé une diminution de débit cingu-
laire de repos dans les Wallenberg avec allodynie qui pose la
question d’une dérégulation des systèmes inhibiteurs cingu-
laires à l’état basal. Le “paradoxe” des douleurs neuropathiques
est celui d’un thalamus associant une hyperactivité électrophy-
siologique et un hypométabolisme de repos. Nous avons com-
paré l’activité cérébrale produite par l’allodynie sur l’hémi-
corps malade et par une douleur électrique sur l’hémicorps
sain : l’allodynie déclenche une réponse excessive du thalamus
et des aires pariétales sans aucune réponse cingulaire, qui est
une zone indispensable pour le contrôle antalgique. Cette
réponse thalamique excessive et anormale du côté de la lésion
spino-thalamique pourrait avoir un rôle amplificateur de
réponses corticales impliquant le système “latéral” de la dou-
leur (cortex pariétal et insulaire/SII). Chez ces patients, l’ab-
sence d’augmentation du DSC dans le gyrus cingulaire anté-
rieur traduirait un découplage entre l’hyperactivité du système
“latéral” et la mise au repos du système “médian”, profil qui
pourrait être spécifique de la situation allodynique.
Des champs entiers restent à explorer, mais, d’ores et déjà, ces
études ruinent l’idée naïve d’un traitement de la douleur méca-
nique et stéréotypé, à la façon d’un cablage électrique répondant
en fonction du voltage. La douleur est, comme toute stimulation
sensorielle, soumise aux influences de l’attention, de l’anticipa-
tion, de l’imagerie mentale, de conditionnements antérieurs...
De plus, on découvre que les zones fronto-cingulaires activées
par les médicaments antalgiques comme la morphine, par
exemple, ou par des stimulations antalgiques du cortex comme
la stimulation corticale sont les mêmes que celles sollicitées lors
d’interventions non médicamenteuses comme l’hypnose. Ainsi
se trouve encore réduite la dichotomie entre les approches ana-
tomo-biologique et psychologique de la douleur. ■