biblio-opinion Biblio-Opinion Synthèse thématique d’articles commentés Douleur P. Verstichel* Les centres de la douleur L Avec les consultations et unités antidouleurs, les centres antidouleurs sont maintenant bien définis. Toutefois, ce n’est pas d’eux dont il sera ici question mais des centres cérébraux de la douleur. Vues de loin, les voies nerveuses véhiculant la douleur apparaissent trivialement simples : fibres nerveuses, moelle, thalamus, cerveau. De près, les choses se compliquent quelque peu. Les faisceaux ascendants tendent à se multiplier dans la moelle ; le relais thalamique nociceptif est difficile à préciser ; quant au cortex de la douleur, il a des chances de ne surtout pas être où on l’attend au niveau de l’aire somesthésique primaire. Un bon moyen pour caractériser les centres thalamiques de la nociception est de suivre comme un fil d’Ariane les voies spino-thalamiques. Celles qui naissent de la lame I de la corne postérieure de la moelle aboutissent, aussi bien chez l’homme que chez l’animal, à une petite région du thalamus, la portion postérieure du noyau ventro-médian (VMpo). * Service de neurologie, hôpital intercommunal, Créteil. l’intégrité de l’individu) provenant respectivement du corps, des viscères, et de l’appareil gustatif (figure 1). Dans une mise au point reprenant les travaux de ces dix dernières années, Treede et al. ont tenté de se faire une idée des aires cor ticales impliquées dans la sensation douloureuse. Tous les arguments issus des enregistrements cellulaires, des résultats des potentiels évoqués et de l’IRM fonctionnelle concordent pour attribuer le rôle d’aires de représentation de la douleur à deux régions périsylviennes. L’une est constituée de la partie postérieure de SII (aire somesthésique secondaire) et d e la région située entre SII et l’insula. L’autre est la partie antérieure de l’insula. L’insula postérieure et la majeure partie de SII seraient plutôt concernées par les informations tactiles. e neurologue s’intéresse t-il encore à la douleur ? Cette priorité absolue de santé publique et de santé tout court, édictée dans l’urgence et le battage médiatique il y a quelques années, connaît-elle ou connaîtra-t-elle le sort des grands projets et des saisons ? De nouvelles priorités, tout aussi importantes et incontournables, assignées par les diverses instances dirigeantes, réparties de l’échelon local à l’échelon national, sont venues les unes après les autres s’y ajouter, voire s’y substituer, générant à chaque fois de nouveaux programmes et mobilisant les forces et les moyens vers d’autres ambitieux objectifs. L’œil vigilant kouchnérien ayant cessé (transitoirement) de veiller sur notre utilisation des réglettes EVA, on pourrait craindre un désintérêt pour cette noble cause. Pour marquer notre très politiquement correct engagement, nous avons choisi de consacrer cette “Biblio-Opinion” à la douleur, tout au moins à certains de ses aspects intéressant plus particulièrement le neurologue. Les céphalées feront l’objet d’une session spéciale. Blomqvist et al. ont montré par immunomarquage que les terminaisons nerveuses à cet endroit exprimaient la calbindine et pour certaines la substance P. Elles transmettent les informations thermiques et douloureuses provenant du corps et de la face. À côté de ce noyau, un autre, plus petit, est marqué pour le CGRP (calcitonin gene related peptide). Il est appelé Po (posterior nucleus) et transmet quant à lui des informations sur les sensations viscérales. Un troisième petit noyau relaierait des informations gustatives propres à susciter une aversion, le noyau VMb (partie basale du noyau ventromédian). Ces trois noyaux, le VMpo, le Po, le VMb, constituent finalement un système d’alarme qui reçoit les stimulus nociceptifs (c’est-à-dire menaçants pour Act. Méd. Int. - Neurologie (2) n° 1-2, janvier/février 2001 12 Justement, le patient observé par Peyron et al. avait une lésion ischémique détruisant à droite les régions de l’insula et de SII, associée à un second infarctus du gyrus cingulaire antérieur. Il souffrait de douleurs centrales de l’hémicorps gauche. Une étude du phénomène allodynique (sensation douloureuse pour des stimulus normalement indolores) a été réalisée en tomographie d’émission de positons et en IRM fonctionnelle. Une chose est sûre, les activations centrales lors de l’allodynie sont différentes de celles de la douleur aiguë, “physio- bilio-opinion Biblio-Opinion logique”. Dans ce dernier cas, il est habituel de constater une activation de la région SII et de l’insula, souvent bilatérale, ainsi que du gyrus cingulaire antérieur, celui-ci donnant sa “coloration” limbique, désagréable à la douleur. Chez ce patient allodynique, une augmentation de débit sanguin se produisait dans la partie résiduelle de SII/insula droite, mais pas (du fait de la destruction) dans le gyrus cingulaire. D’où la conclusion double : – l’activation SII/insula reflète une amplification de la réponse à une stimulation non nociceptive, ce gain d’énergie transformant la sensation en douleur ; – l’absence d’activation du gyrus cingulaire pourrait contribuer à l’expérience allodynique, expliquant pourquoi elle apparaît au patient étrange, éloignée de toute sensation antérieure (figure 2). 1. Blomqvist A, Zhang ET, Craig AD. Cytoarchitectonic and immunocytochemical characterization of a specific pain and temperature relay, the posterior portion of the ventral medial nucleus, in the human thalamus. Brain 2000 ; 123 : 601-19. 2. Treede RD, Apkarian AV, Bromm B et al. Cortical representation of pain : functional characterization of nociceptive areas near the lateral sulcus. Pain 2000 ; 87 : 113-9. 3. Peyron R, Garcia-Larrea L, Grégoire MC et al. Parietal and cingulae processes in central pain. A combined positron emission tomography (PET) and functional magnetic resonance imaging. Pain 2000 ; 84 : 77-88. Traitements médicamenteux des douleurs neuropathiques La lamotrigine est-elle ou non efficace dans les douleurs des neuropathies périphériques ? Deux articles apportent des résultats quelque peu contradictoires. Simpson et al. ont traité par ce produit 20 patients ayant une neuropathie asso- avant Stimulus gustatifs Ventrolatéral VMb Centromédian Sensibilité douloureuse et thermique du corps VPL VMpo Po Sensibilité viscérale médian Pulvinar arrière Figure 1. Thalamus schématique, coupe horizontale au niveau inférieur, montrant les trois noyaux impliqués dans l’alerte pour des stimulus nociceptifs. VPL = noyau ventro-postéro-latéral. Stimulation nociceptive A Stimulation non nociceptive B Figure 2. Schéma d’une coupe frontale du cerveau montrant les activations au cours d’une douleur aiguë appliquée sur une partie de l’hémicorps droit (A) : augmentation des débits sanguins au niveau des deux régions SII/insula et du cortex cingulaire antérieur. Lors d’une douleur chronique neurogène, les stimulations non nociceptives provoquent elles aussi une activation anormale des régions SII/insula (B), ce qui pourrait suffire à provoquer une douleur allodynique. Le gyrus cingulaire n’a pas forcément besoin d’être engagé. ciée au VIH. Par comparaison avec un traitement par placebo, le groupe traité par lamotrigine 300 mg/jour a connu une diminution des douleurs neuropathiques à la 14e semaine, exprimée par une réduction de la douleur moyenne hebdomadaire. Cette efficacité ne concernait pas les patients qui absorbaient égale- 13 ment des antiviraux potentiellement neurotoxiques. Le gros problème de cette étude est que plus de la moitié des malades traités par lamotrigine ont interrompu le traitement avant son achèvement en raison d’effets secondaires, une éruption cutanée étant particulièrement fréquente. Reste que les résultats en bilio-opinion Biblio-Opinion intention de traiter apportent encore un argument positif en faveur du produit. En revanche, McCleane rapporte les résultats d’un traitement par 200 mg/jour de lamotrigine chez des patients non infectés par le VIH, ayant une neuropathie périphérique. Sur les 36 patients traités, il n’y a pas eu d’amélioration entre la douleur moyenne de la première semaine et la douleur moyenne à la 8e semaine par rapport aux malades sous placebo, quel que soit le paramètre considéré : douleur à type de brûlure, douleurs fulgurantes, paresthésies. Dix patients ont quitté l ’ é t u d e p o u r e ff e t s s e c o n d a i r e s . Impossible de comparer les deux études, puisque le profil des patients était différent et le nombre d’inclusions disproportionné. Néanmoins, il ne paraît pas exclu que la lamotrigine puisse être efficace à condition de traiter longtemps et peutêtre à forte posologie. Dans ces conditions, on augmente aussi le risque d’effets indésirables. Autre médicament : le tramadol. Depuis presque une dizaine d’années, on revient progressivement du dogme de l’inefficacité des opioïdes dans le traitement des douleurs neuropathiques. Un essai chez les patients atteints de neuropathie diabétique avait été concluant en 1998. Sindrup et al. ont effectué à leur tour une étude en double aveugle contre placebo chez des patients ayant des polyneuropathies d’origines diverses. Sur quatre semaines de traitement, avec un crossover pour chaque groupe, une amélioration significative a été observée pour les 34 patients ayant terminé l’étude, à la fois sur les douleurs spontanées, les paresthésies et le phénomène allodynique, habituellement plus difficile à contrôler. La posologie du tramadol était de 200 à 400 mg/jour, et les effets secondaires modestes. L’action positive de ce produit pourrait impliquer non seulement l’activation des récepteurs opioïdes mu, mais aussi un effet monoaminergique similaire à celui des antidépresseurs tricycliques. 4. Simson DM, Olney R, McArthur JC et al. Lamotrigine HIV Neuropathy Study Group. A placebo-controlled trial of lamotrigine for painful HIV-associated neuropathy. Neurology 2000 ; 54 : 2115-9. 5. McCleane G. 200 mg daily of lamotrigine has no effect in neuropathic pain : a randomized, double-blind, placebo controlled trial. Pain 2000 ; 83 : 105-7. 6. Sindrup SH, Andersen G, Madsen C et al. Tramadol relieves pain and allodynia in polyneuropathy : a randomized, double-blind, controlled trial. Pain 2000 ; 83 : 85-90. Mettons-nous un peu au courant La stimulation électrique est un bon moyen pour soulager les douleurs neurogènes centrales ou périphériques. Kupers et al. sont ainsi parvenus à faire disparaître une névralgie lésionnelle chronique du trijumeau chez un patient, grâce à une stimulation thalamique controlatérale (noyau ventro-postérieur médian). Cet excellent résultat leur a permis d’étudier l’imagerie fonctionnelle cérébrale en période douloureuse et non douloureuse. La douleur faciale provoquait une augmentation des débits sanguins locaux en tomographie d’émission de positons, non pas dans les aires somato-sensorielles SI et SII, ni dans le cortex cingulaire antérieur, comme le font les douleurs aiguës, mais dans le cortex préfrontal, l’hypothalamus et la substance grise périaqueducale. Lors de la mise en route de la stimulation thalamique, le débit sanguin augmentait non seulement dans le thalamus stimulé, mais dans la portion antérieure de l’insula et surtout l’amygdale. On peut interpréter ces résultats de la manière suivante : la douleur chronique ne met pas en jeu les aires cérébrales qui interviennent dans les aspects sensoridiscriminatifs de la sensation, au contraire de la douleur aiguë, “signal-alerte”. En revanche, le cortex préfrontal – détenant Act. Méd. Int. - Neurologie (2) n° 1-2, janvier/février 2001 14 des “traces” des composantes affectives de la douleur – l’hypothalamus et la substance grise périaqueducale, qui sont impliqués dans les aspects limbiques et végétatifs de la perception, sont sans doute à l’origine de la douleur chronique. Le rôle de la stimulation thalamique s’explique plus difficilement ; comment intervient l’insula dans la disparition de la douleur ? Carroll et al. ont présenté les résultats de la stimulation électrique du cortex moteur dans le traitement de douleurs neuropathiques rebelles. Sur les 10 patients stimulés, la moitié ont bénéficié de la technique. Il s’agit là finalement d’un bon résultat, compte tenu de la sévérité de ces douleurs. La difficulté est de déterminer pourquoi 5 patients n’ont pas répondu. Il n’y avait pas de différence entre les répondeurs et les non-répondeurs ; les deux groupes avaient des douleurs secondaires à des accidents vasculaires cérébraux ou des douleurs de membre fantôme. Dans quatre cas, l’échec a pu provenir d’un problème technique, puisque la stimulation n’est jamais parvenue à entraîner une réponse motrice contrairement aux patients répondeurs. Pour le cinquième patient, les électrodes, bien en place, stimulaient le cortex, mais aucun effet sur la douleur n’était constaté. Les Britanniques confirment donc l’efficacité de cette procédure pour des indications bien définies, mais éprouvent une démangeaison pour demander que des études contre placebo (c’est-à-dire une situation de non-stimulation) soient réalisées. 7. Kupers RC, Gybels JM, Gjebbe A. Positron emission tomography study of a chronic pain patient successfully treated with somatosensory thalamic stimulation. Pain 2000 ; 87 : 295-302. 8. Carroll D, Joint C, Maartens N et al. Motor cortex stimulation for chronic neuropathic pain : a preliminary study of 10 cases. Pain, 2000 ; 84 : 431-7.