Act. Méd. Int. - Neurologie (2) n° 1-2, janvier/février 2001
12
Les centres
de la douleur
Avec les consultations et
unités antidouleurs, les
centres antidouleurs sont
maintenant bien définis.
Toutefois, ce n’est pas
d’eux dont il sera ici
question mais des centres
cérébraux de la douleur.
Vues de loin, les voies
nerveuses véhiculant la
douleur apparaissent tri-
vialement simples : fibres
nerveuses, moelle, thala-
mus, cerveau. De près, les
choses se compliquent
quelque peu. Les fais-
ceaux ascendants tendent
à se multiplier dans la
moelle ; le relais thala-
mique nociceptif est diffi-
cile à préciser ; quant au
cortex de la douleur, il a
des chances de ne surtout pas être où on
l’attend au niveau de l’aire somesthé-
sique primaire.
Un bon moyen pour caractériser les cen-
tres thalamiques de la nociception est de
suivre comme un fil d’Ariane les voies
spino-thalamiques. Celles qui naissent de
la lame I de la corne postérieure de la
moelle aboutissent, aussi bien chez
l’homme que chez l’animal, à une petite
région du thalamus, la portion postérieu-
re du noyau ventro-médian (VMpo).
Blomqvist et al. ont montré par immuno-
marquage que les terminaisons nerveuses
à cet endroit exprimaient la calbindine et
pour certaines la substance P. Elles trans-
mettent les informations thermiques et
douloureuses provenant du corps et de la
face. À côté de ce noyau, un autre, plus
petit, est marqué pour le CGRP (calcito-
nin gene related peptide). Il est appelé Po
(posterior nucleus) et transmet quant à
lui des informations sur les sensations
viscérales. Un troisième petit noyau
relaierait des informations gustatives
propres à susciter une aversion, le noyau
VMb (partie basale du noyau ventro-
médian). Ces trois noyaux, le VMpo, le
Po, le VMb, constituent finalement un
système d’alarme qui reçoit les stimulus
nociceptifs (c’est-à-dire menaçants pour
l’intégrité de l’individu)
provenant respective-
ment du corps, des viscè-
res, et de l’appareil gustatif
(figure 1).
Dans une mise au point
reprenant les travaux de
ces dix dernières années,
Treede et al. ont tenté de
se faire une idée des aires
corticales impliquées
dans la sensation doulou-
reuse. Tous les arguments
issus des enregistrements
cellulaires, des résultats
des potentiels évoqués et
de l’IRM fonctionnelle
concordent pour attribuer
le rôle d’aires de représen-
tation de la douleur à deux
régions périsylviennes.
L’une est constituée de la
partie postérieure de SII
(aire somesthésique
secondaire) et de la
région située entre SII et
l’insula. L’autre est la partie antérieure de
l’insula. L’insula postérieure et la majeure
partie de SII seraient plutôt concernées
par les informations tactiles.
Justement, le patient observé par Peyron
et al. avait une lésion ischémique détrui-
sant à droite les régions de l’insula et de
SII, associée à un second infarctus du
gyrus cingulaire antérieur. Il souffrait de
douleurs centrales de l’hémicorps gau-
che. Une étude du phénomène allody-
nique (sensation douloureuse pour des
stimulus normalement indolores) a été
réalisée en tomographie d’émission de
positons et en IRM fonctionnelle. Une
chose est sûre, les activations centrales
lors de l’allodynie sont différentes de
celles de la douleur aiguë, “physio-
* Service de neurologie,
hôpital intercommunal, Créteil.
Le neurologue s’intéresse t-il encore à la douleur ?
Cette priorité absolue de santé publique et de santé
tout court, édictée dans l’urgence et le battage médiatique
il y a quelques années, connaît-elle ou connaîtra-t-elle le sort
des grands projets et des saisons ? De nouvelles priorités,
tout aussi importantes et incontournables, assignées par
les diverses instances dirigeantes, réparties de l’échelon
local à l’échelon national, sont venues les unes après les
autres s’y ajouter, voire s’y substituer, générant à chaque
fois de nouveaux programmes et mobilisant les forces et
les moyens vers d’autres ambitieux objectifs. L’œil vigilant
kouchnérien ayant cessé (transitoirement) de veiller sur
notre utilisation des réglettes EVA, on pourrait craindre un
désintérêt pour cette noble cause. Pour marquer notre très
politiquement correct engagement, nous avons choisi de
consacrer cette “Biblio-Opinion” à la douleur, tout au
moins à certains de ses aspects intéressant plus
particulièrement le neurologue. Les céphalées feront
l’objet d’une session spéciale.
bibli
o-op
i
n
i
on
Biblio-Opinion
Synthèse
thématique
d’articles
commentés
Douleur
P. Verstichel*
13
logique”. Dans ce dernier cas, il est habi-
tuel de constater une activation de la
région SII et de l’insula, souvent bilaté-
rale, ainsi que du gyrus cingulaire anté-
rieur, celui-ci donnant sa “coloration”
limbique, désagréable à la douleur. Chez
ce patient allodynique, une augmentation
de débit sanguin se produisait dans la
partie résiduelle de SII/insula droite,
mais pas (du fait de la destruction) dans
le gyrus cingulaire. D’où la conclusion
double :
– l’activation SII/insula reflète une
amplification de la réponse à une stimu-
lation non nociceptive, ce gain d’énergie
transformant la sensation en douleur ;
– l’absence d’activation du gyrus cingu-
laire pourrait contribuer à l’expérience
allodynique, expliquant pourquoi elle
apparaît au patient étrange, éloignée de
toute sensation antérieure (figure 2).
1. Blomqvist A, Zhang ET, Craig AD.
Cytoarchitectonic and immunocyto-
chemical characterization of a specific pain
and temperature relay, the posterior portion
of the ventral medial nucleus, in the human
thalamus. Brain 2000 ; 123 : 601-19.
2. Treede RD, Apkarian AV, Bromm B et al.
Cortical representation of pain : functional
characterization of nociceptive areas near the
lateral sulcus. Pain 2000 ; 87 : 113-9.
3. Peyron R, Garcia-Larrea L, Grégoire MC
et al. Parietal and cingulae processes in cen-
tral pain. A combined positron emission
tomography (PET) and functional magnetic
resonance imaging. Pain 2000 ; 84 : 77-88.
Traitements médicamenteux
des douleurs neuropathiques
La lamotrigine est-elle ou non efficace
dans les douleurs des neuropathies péri-
phériques ? Deux articles apportent des
résultats quelque peu contradictoires.
Simpson et al. ont traité par ce produit
20 patients ayant une neuropathie asso-
ciée au VIH. Par comparaison avec un
traitement par placebo, le groupe traité
par lamotrigine 300 mg/jour a connu une
diminution des douleurs neuropathiques
à la 14esemaine, exprimée par une
réduction de la douleur moyenne hebdo-
madaire. Cette efficacité ne concernait
pas les patients qui absorbaient égale-
ment des antiviraux potentiellement
neurotoxiques. Le gros problème de cette
étude est que plus de la moitié des
malades traités par lamotrigine ont inter-
rompu le traitement avant son achève-
ment en raison d’effets secondaires, une
éruption cutanée étant particulièrement
fréquente. Reste que les résultats en
Stimulus gustatifs
Sensibilité douloureuse
et thermique du corps
Sensibilité viscérale
avant
arrière
médian
Centro-
médian
Ventro-
latéral
Pulvinar
VMb
VMpo Po
VPL
Stimulation non nociceptive
B
Stimulation nociceptive
A
Figure 2. Schéma d’une coupe frontale du cerveau montrant les activations au cours d’une dou-
leur aiguë appliquée sur une partie de l’hémicorps droit (A) : augmentation des débits sanguins
au niveau des deux régions SII/insula et du cortex cingulaire antérieur. Lors d’une douleur chro-
nique neurogène, les stimulations non nociceptives provoquent elles aussi une activation anor-
male des régions SII/insula (B), ce qui pourrait suffire à provoquer une douleur allodynique. Le
gyrus cingulaire n’a pas forcément besoin d’être engagé.
Figure 1.Thalamus schématique, coupe horizontale au niveau inférieur, montrant les trois noyaux
impliqués dans l’alerte pour des stimulus nociceptifs. VPL = noyau ventro-postéro-latéral.
bili
o-op
i
n
i
on
Biblio-Opinion
Act. Méd. Int. - Neurologie (2) n° 1-2, janvier/février 2001
14
intention de traiter apportent encore un
argument positif en faveur du produit.
En revanche, McCleane rapporte les
résultats d’un traitement par 200 mg/jour
de lamotrigine chez des patients non
infectés par le VIH, ayant une neuropathie
périphérique. Sur les 36 patients traités, il
n’y a pas eu d’amélioration entre la dou-
leur moyenne de la première semaine et
la douleur moyenne à la 8esemaine par
rapport aux malades sous placebo, quel
que soit le paramètre considéré : douleur
à type de brûlure, douleurs fulgurantes,
paresthésies. Dix patients ont quitté
l’étude pour effets secondaires.
Impossible de comparer les deux études,
puisque le profil des patients était diffé-
rent et le nombre d’inclusions dispropor-
tionné. Néanmoins, il ne paraît pas exclu
que la lamotrigine puisse être efficace à
condition de traiter longtemps et peut-
être à forte posologie. Dans ces condi-
tions, on augmente aussi le risque d’effets
indésirables.
Autre médicament : le tramadol. Depuis
presque une dizaine d’années, on revient
progressivement du dogme de l’ineffica-
cité des opioïdes dans le traitement des
douleurs neuropathiques. Un essai chez
les patients atteints de neuropathie diabé-
tique avait été concluant en 1998.
Sindrup et al. ont effectué à leur tour une
étude en double aveugle contre placebo
chez des patients ayant des polyneuro-
pathies d’origines diverses. Sur quatre
semaines de traitement, avec un cross-
over pour chaque groupe, une améliora-
tion significative a été observée pour les
34 patients ayant terminé l’étude, à la fois
sur les douleurs spontanées, les paresthé-
sies et le phénomène allodynique, habi-
tuellement plus difficile à contrôler. La
posologie du tramadol était de 200 à
400 mg/jour, et les effets secondaires
modestes. L’action positive de ce produit
pourrait impliquer non seulement l’acti-
vation des récepteurs opioïdes mu, mais
aussi un effet monoaminergique similaire
à celui des antidépresseurs tricycliques.
4. Simson DM, Olney R, McArthur JC
et al. Lamotrigine HIV Neuropathy
Study Group. A placebo-controlled trial of
lamotrigine for painful HIV-associated
neuropathy. Neurology 2000 ; 54 : 2115-9.
5. McCleane G. 200 mg daily of lamotrigine
has no effect in neuropathic pain : a rando-
mized, double-blind, placebo controlled trial.
Pain 2000 ; 83 : 105-7.
6. Sindrup SH, Andersen G, Madsen C et al.
Tramadol relieves pain and allodynia in poly-
neuropathy : a randomized, double-blind,
controlled trial. Pain 2000 ; 83 : 85-90.
Mettons-nous
un peu au courant
La stimulation électrique est un bon
moyen pour soulager les douleurs neuro-
gènes centrales ou périphériques. Kupers
et al. sont ainsi parvenus à faire disparaî-
tre une névralgie lésionnelle chronique
du trijumeau chez un patient, grâce à une
stimulation thalamique controlatérale
(noyau ventro-postérieur médian). Cet
excellent résultat leur a permis d’étudier
l’imagerie fonctionnelle cérébrale en
période douloureuse et non douloureuse.
La douleur faciale provoquait une aug-
mentation des débits sanguins locaux en
tomographie d’émission de positons, non
pas dans les aires somato-sensorielles SI
et SII, ni dans le cortex cingulaire anté-
rieur, comme le font les douleurs aiguës,
mais dans le cortex préfrontal, l’hypotha-
lamus et la substance grise périaquedu-
cale. Lors de la mise en route de la sti-
mulation thalamique, le débit sanguin
augmentait non seulement dans le thala-
mus stimulé, mais dans la portion anté-
rieure de l’insula et surtout l’amygdale.
On peut interpréter ces résultats de la
manière suivante : la douleur chronique
ne met pas en jeu les aires cérébrales qui
interviennent dans les aspects sensori-
discriminatifs de la sensation, au contraire
de la douleur aiguë, “signal-alerte”. En
revanche, le cortex préfrontal – détenant
des “traces” des composantes affectives
de la douleur – l’hypothalamus et la sub-
stance grise périaqueducale, qui sont
impliqués dans les aspects limbiques et
végétatifs de la perception, sont sans
doute à l’origine de la douleur chronique.
Le rôle de la stimulation thalamique
s’explique plus difficilement ; comment
intervient l’insula dans la disparition de
la douleur ?
Carroll et al. ont présenté les résultats de
la stimulation électrique du cortex
moteur dans le traitement de douleurs
neuropathiques rebelles. Sur les
10 patients stimulés, la moitié ont béné-
ficié de la technique. Il s’agit là finale-
ment d’un bon résultat, compte tenu de la
sévérité de ces douleurs. La difficulté est
de déterminer pourquoi 5 patients n’ont
pas répondu. Il n’y avait pas de différence
entre les répondeurs et les non-répon-
deurs ; les deux groupes avaient des dou-
leurs secondaires à des accidents vascu-
laires cérébraux ou des douleurs de mem-
bre fantôme. Dans quatre cas, l’échec a
pu provenir d’un problème technique,
puisque la stimulation n’est jamais par-
venue à entraîner une réponse motrice
contrairement aux patients répondeurs.
Pour le cinquième patient, les électrodes,
bien en place, stimulaient le cortex, mais
aucun effet sur la douleur n’était consta-
té. Les Britanniques confirment donc
l’efficacité de cette procédure pour des
indications bien définies, mais éprouvent
une démangeaison pour demander que
des études contre placebo (c’est-à-dire
une situation de non-stimulation) soient
réalisées.
7. Kupers RC, Gybels JM, Gjebbe A.
Positron emission tomography study of
a chronic pain patient successfully treated
with somatosensory thalamic stimulation.
Pain 2000 ; 87 : 295-302.
8. Carroll D, Joint C, Maartens N et al. Motor
cortex stimulation for chronic neuropathic
pain : a preliminary study of 10 cases. Pain,
2000 ; 84 : 431-7.
bili
o-op
i
n
i
on
Biblio-Opinion
1 / 3 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !