D’emblée, le champ principal d’applica-
tion est défini : la prise en charge des
troubles phobiques par les techniques
d’immersion “virtuelle”.
La première application thérapeutique
dans ce domaine est publiée en 1995.
Barbara Rothbaum et al. (4, 5) étudient
l’effet d’une désensibilisation virtuelle
du vertige chez des étudiants. Un groupe
de 20 volontaires était divisé en deux par
tirage au sort : les premiers (n = 8) étaient
mis sur une liste d’attente, les seconds
(n = 12) se voyaient proposer des séances
d’immersion avec mise en situation vir-
tuelle sur des balcons, des ponts suspen-
dus et des ascenseurs transparents. La
prise en charge individuelle était répartie
sur huit semaines. Une première séance
d’information et d’initiation aux tech-
niques de relaxation était suivie de
séances d’immersion contrôlée.
L’évaluation était réalisée avant et après
traitement, au niveau de l’anxiété, des
attitudes et de la sensation de détresse
associée à l’altitude. Malgré l’aspect
assez sommaire de cet univers virtuel, les
résultats sont sans appel : le groupe
contrôle reste inchangé et le groupe traité
présente une amélioration significative
de son niveau d’anxiété au terme du pro-
tocole. Soixante-dix pour cent des étu-
diants traités ont d’ailleurs pu confirmer
la régression de leur trouble phobique
dans le monde réel. À noter qu’il s’agit, à
ce jour, de la seule étude contrôlée de
l’application de l’immersion virtuelle en
psychiatrie, les autres travaux men-
tionnés se limitant à des publications de
type cas/témoins.
Après cet essai encourageant, les
mêmes auteurs se sont attaqués à un
marché beaucoup plus “porteur”, celui
de la peur en avion. Il s’agit d’un trouble
phobique complexe qui associe à la fois
une composante agoraphobique et des
peurs plus spécifiques (crash, altitu-
de…). Ce trouble toucherait 10 à 25 % de
la population américaine, et près de 20 %
des passagers auraient recours à un trai-
tement anxiolytique (alcool et/ou médi-
caments) avant le décollage. Cette phobie
aurait entraîné, en 1982, un manque à
gagner d’environ 1,6 milliard de dollars
pour les compagnies aériennes améri-
caines… Aussi, plusieurs d’entre elles
ont mis en place des prises en charge de
ces troubles phobiques, soit directement
en “invitant” des passagers rebelles dans
leur simulateur de vol, soit en sponsori-
sant des travaux dans ce domaine.
L’utilisation de l’immersion virtuelle
dans ce type de trouble présente de nom-
breux avantages. Historiquement, les
simulateurs de vol constituent les pre-
miers mondes virtuels synthétisés, et ils
s’affirment aujourd’hui comme les plus
aboutis en termes de réalisme. Par
ailleurs, le coût de l’heure de vol et la
mobilisation d’avions réels représentent
des moyens onéreux qui limitent leur uti-
lisation à des patients pour qui la peur de
l’avion représente un véritable handicap
social. Enfin, il est difficile de simuler,
dans le réel, la totalité des incidents pou-
vant survenir lors d’un vol. Aussi, le
simulateur de vol représente-t-il la réponse
idéale en termes de désensibilisation
phobique.
Le cas que rapportent Barbara Rothbaum
et al. (6) semble en démontrer l’intérêt. Il
s’agit d’une femme de 42 ans, répondant
aux critères diagnostiques du DSM IV de
phobie spécifique, sans autres troubles
anxieux associés. Sa peur de l’avion
remontait à plusieurs années, avec une
crainte croissante durant cinq ans de
crash, nécessitant la prise de plus en plus
fréquente d’un traitement anxiolytique
avant le vol. L’angoisse phobique deve-
nait telle que depuis deux ans, elle avait
renoncé à utiliser ce moyen de trans-
port. L’éloignement de sa famille et un
changement d’emploi nécessitant de
fréquents déplacements en avion l’ont
amenée à envisager une prise en charge
de son trouble. Le protocole comprenait
sept séances préliminaires portant sur les
différentes techniques de gestion de
l’anxiété (relaxation, biofeed-back,
approche cognitive…) suivies d’une
période de latence de six semaines,
nécessaire à la mise au point du pro-
gramme informatique. L’immersion pro-
prement dite était réalisée à l’aide d’un
casque standard, et la patiente était main-
tenue sur un siège fixe par une ceinture
de sécurité. Six séances de 35 à
45 minutes ont été réalisées, retraçant les
différentes étapes d’un vol : avion,
moteur éteint ; avion, moteur en marche ;
rouler sur la piste ; décollage ; vol stable ;
vol agité. Le niveau d’anxiété était évalué
avant le début des séances d’immersion,
au terme du protocole et un mois après, à
l’aide de différentes échelles
(Questionnaire on Attitudes toward
Flying, Fear of Flying Inventory, Self-
Survey of Stress Responses, State-Trait
Anxiety Inventory, Beck Depression
Inventory, CGI).
Là encore, les résultats sont intéressants.
Les séances préliminaires permettent une
baisse du niveau d’anxiété qui est ensuite
significativement amélioré par l’immer-
sion virtuelle, permettant deux vols réels
sans anxiété majeure. Le résultat persiste
un mois après, montrant une efficacité
comparable à celle des techniques d’im-
mersion réelle.
Max North et al. rapportent un résultat
semblable avec un homme de 42 ans
souffrant d’une peur de l’avion et guéri
par cinq séances de vol simulé en héli-
coptère (7). L’anxiété était évaluée toutes
les 5 minutes durant les séances et dimi-
nuait progressivement. Là encore, la
confrontation au monde réel s’est
déroulée sans incident.
Autre type de phobie spécifique passé à
la moulinette des mondes virtuels,
l’arachnophobie. A. Carlin et al. (8) rap-
portent le cas d’une femme de 37 ans
souffrant d’une peur phobique des arai-
gnées particulièrement invalidante. La
technique utilisée diffère des précé-
dentes, puisqu’elle associe la manipula-
tion d’objets réels au sein d’un univers
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mise au point
Mise au point