Applications de la réalité virtuelle aux troubles cognitifs et comportementaux 125
balustrade dans le monde virtuel, il s’appuie dessus sans que son mouvement ne soit
figuré dans l’environnement. Seules ses informations proprioceptives l’informent qu’il
est en train de s’appuyer sur un objet. Une telle escalade dans la reproduction de la
réalité comporte deux ordres de limites :
•une limite d’ordre technique, en particulier temporelle (décalage entre les mouve-
ments du sujet et l’affichage de l’image correspondante);
•une limite d’ordre qualitatif. En imaginant que l’on puisse représenter avec précision
le corps humain dans le monde virtuel, la limite sera toujours que ce qui y est figuré
n’est qu’un modèle du corps.
A ces différentes limites s’ajoutent celles qui proviennent du peu de variété des infor-
mations sensorielles utilisées. En particulier, la modalité auditive est pauvrement ex-
ploitée par les dispositifs de réalité virtuelle. Le plus souvent, dans les environnements
virtuels, l’audition est uniquement sollicitée de manière associative : un événement vi-
suel donné déclenche un son donné qui n’est pas spatialisé en 3D. Pourtant, le système
auditif exploite simultanément des indices binauraux (perception directionnelle hori-
zontale) et des indices monauraux (perception directionnelle verticale et distance) qui
peuvent être synthétisés pour créer des scènes sonores virtuelles. Parallèlement, la per-
ception auditive interprète la signature acoustique de la salle, liée aux réflexions et à la
réverbération sur les parois, pour compléter la représentation spatiale de l’espace.
L’exposition à un environnement virtuel qui n’est que visuel manque donc d’une com-
posante essentielle de notre monde réel, puisque la modalité auditive nous fournit
constamment des informations sur notre monde environnant et la façon dont nous y
évoluons. Elle est en effet la seule modalité à nous permettre de scanner l’espace à
360 degrés autour de nous, ce qui représente un espace perçu bien plus large que celui
offert par le champ de vision. Il est donc important de tenter d’intégrer à un dispositif
de réalité virtuelle des outils de synthèse de scènes sonores gérant la restitution de la
localisation statique ou dynamique des sources dans l’espace ainsi que la création d’un
effet de salle associé (par exemple le Spatialisateur développé par l’équipe d’Acous-
tique des salles de l’Ircam [Jot e.a., 1995] ). Un outil tel que le Spatialisateur, couplé à
un système de réalité virtuelle, permet d’obtenir une réelle interaction sensorielle entre
les mouvements du sujet et le retour auditif fourni par l’environnement virtuel (voir
[Delerue e.a., 2002] pour une application à la réalité augmentée). Une étude récente a
démontré l’intérêt de l’ajout de la modalité auditive interactive lors du travail avec des
patients anxieux, puisque le sentiment de présence exprimé par les patients était supé-
rieur dans ce contexte [Viaud-Delmon e.a., 2005]. Cependant, cette étude a également
révélé que des problèmes pouvaient survenir par l’ajout d’une nouvelle modalité sen-
sorielle. En effet, non seulement les patients démontraient plus de signes de cinétose
(symptômes du mal des transports) dans cette condition, mais encore la cohérence sub-
jective des signaux sonores et visuels était difficile à obtenir. Ainsi, l’ajout de nouvelles
modalités sensorielles pose néanmoins la question de la construction d’environnements
virtuels multimodaux. Il n’est pas facile, aussi bien au plan technique que conceptuel,
d’envisager des environnements artificiels dans lesquels chaque modalité sensorielle
vient enrichir l’intégration plutôt que de générer un canal d’information supplémen-
taire pouvant de fait créer une surcharge cognitive.
Quoiqu’il en soit, l’interaction avec un environnement virtuel ne pourra sans doute
jamais fournir la même richesse sensorielle que l’interaction avec le monde réel. Si
notre relation au monde est principalement médiatisée par des informations visuelles, il
n’en reste pas moins que l’ensemble de nos systèmes sensoriels y contribue; la variété
de ces systèmes sensoriels est actuellement peu représentée dans les mondes virtuels
qui sont essentiellement des mondes visuels.